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CHAPITRE 1 : PERSPECTIVES CRITIQUES SUR LES PRATIQUES DE LA RECHERCHE EN GÉNOMIQUE HUMAINE

A. Le statut d’exception des données génomiques

3. Des biens publics, collectifs ou privés ?

La valeur des données réside dans leur capacité à produire du sens. Leur nature est double : elle doit autant à leur mode de production qu’à celui de leur interprétation. En ce sens, les données relèvent de ce mode d’être spécifique qu’est l’information. Comprises comme éléments d’information, les données échappent aux contraintes liées aux objets physiques. Elles ne font pas l’objet d’un mode d’appropriation exclusif. Si j’ai une information et que je vous la donne, nous la partageons: nous l’avons en commun. Autrement dit, avoir des données, c’est y avoir accès. Or dans le cas des données scientifiques, la dimension de l’accès est intrinsèque à l’évaluation de leur valeur. Puisque plus elles sont partagées, plus les chances de produire de la connaissance à partir d’elles augmentent, l’accessibilité des données est directement liée à leur puissance heuristique.

Les données de recherche existent donc a priori dans une économie de partage. Issues de l’aventure scientifique, qui est une aventure résolument collective, les données de recherche peuvent ainsi être conçues sous le régime des « communs » que les études économiques ont récemment remis au goût du jour (Cassier 2009). Nous présenterons dans le chapitre suivant comment l’activité scientifique, dans les sciences de la vie et notamment en génétique, a connu une dynamique de partage destinée à stimuler l’efficience de la production des nouvelles connaissances et des nouvelles technologies, et à en organiser la dissémination. La qualification des données sous le registre de nouveaux communs, plus ou moins formalisés par des accords au sein d’un consortium et des contrats, est justifiée par l’efficience de l’invention collective et de l’open science. Cette politique va à l’encore des thèses libérales qui concluent au gaspillage des communs et à leur nécessaire privatisation. Elle peut également constituer une réponse pragmatique à la tendance à la privatisation de la science dès lors qu’il s’agit de rouvrir les échanges scientifiques et de défendre l’accessibilité des données et des technologies, et, partant de là, des inventions médicales. La catégorie du « commun » renvoie à une construction très précise en théorie économique (Ostrom 1990) qui, constitue un horizon de discussion des pratiques mais n’est pas toujours mise en œuvre avec précision dans les pratiques de partage : nous aurons donc recours à la catégorie plus lâche de « biens collectifs » pour aborder plus prudemment ces enjeux.

Par ailleurs, le rôle joué par les données dans les démonstrations scientifiques en fait des

deux raisons. D’une part, afin que la communauté scientifique puisse en tirer le meilleur parti et d’autre part, afin que les membres du public qui le souhaitent soient en mesure d’évaluer la validité des inférences que la science élabore à partir de ces données. Pourtant la reconnaissance d’autres types d’intérêts contrarie le statut public des données scientifiques. Les données de la recherche peuvent ainsi être considérées comme des biens publics, des biens collectifs ou des biens privés. Quelques éclaircissements s’imposent :

- La distinction entre biens collectifs et biens publics permet de différencier les biens collectifs qui sont accessibles aux membres d’un réseau ou d’une communauté scientifique, et les biens publics, qui sont accessibles à tout utilisateur potentiel. Ces deux catégories ne se recouvrent pas nécessairement. Dans certains cas, des bien collectifs peuvent être réservés à un club fermé et, partant, exclure les autres utilisateurs. Dans le contexte de la recherche en infrastructure, où l’on dessine un cercle de coopération entre usagers, la distinction entre inclusion et exclusion prend tout son sens. A l’échelle mondiale de la recherche scientifique, des oppositions de type Nord-Sud peuvent ainsi amplifier les inégalités d’accès aux ressources scientifiques et en particulier aux données entre les chercheurs membres de réseaux, souvent financés par les pouvoirs publics des pays les plus développés, à la différence de ceux qui, n’appartenant pas à ces réseaux, ne pourront accéder à ces données si elles ne sont pas diffusées publiquement.

- Les données peuvent enfin être considérées comme des biens privés, que les chercheurs gardent pour eux en attendant la publication de résultats scientifiques, notamment dans le cas où certains intérêts financiers sont en jeu. Dans le domaine de la génomique, les spécialistes de la propriété industrielle et de l’innovation ont, dans certains cas, réussi à traduire les critères de brevetabilité (invention, nouveauté, activité inventive, utilité ou application industrielle) aux données (partielles ou complètes) de séquence de gènes, avec pour conséquence d’influer sur les processus d’innovation des applications médicales.

Que les données soient considérées comme des biens privés, collectifs ou publics n’a pas les mêmes conséquences pour la conduite de la recherche et pour ses retombées en termes de développement (de tests diagnostiques et de traitements – en ce qui concerne la génomique). L’alternative entre ces trois orientations, illustre comment, dans chaque configuration de projets de recherche, sont négociés le partage permettant l’apprentissage collectif au sein de réseaux de collaboration; la diffusion dans le domaine public, l’appropriation exclusive de données sensées stimuler l’innovation. Le statut des données scientifique constitue par

bénéfices et les risques liés aux différentes politiques de gestion des données. Nous proposons de nous en remettre à une analyse historique des pratiques relatives à la génomique pour comprendre comment ces différentes questions ont été traitées en pratique et de quel éthos les chercheurs d’aujourd’hui sont les héritiers. Mais avant d’aborder ces questions, il nous faut comprendre comme le génome a été constitué en données de séquence.

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