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Marc-Antoine Cianfarani (le petit-fils) est libraire dans le sud de la Corse pour occuper son temps et lutter contre l’ennui : « j’ai récupéré la librairie […] et je me suis réfugié dans cet espace que j’ai voulu à mon image » (MU, 43). Ses affaires sont difficiles puisqu’il a une vision très élitiste de la littérature, refusant de s’abaisser à vendre « des romans de plage écrits pour des enculés » (MU, 175) et « des saloperies de magazine qui ne seraient même pas dignes de servir de torche-cul » (MU, 175). Lui se targue de vendre « de vrais livres […] que des types plus intelligents […] appellent des auteurs » (MU, 175). Cette distinction pose Marc-Antoine comme un individu prenant position pour ses convictions qui, à bien des égards, le marginalisent. Alors pour donner de la crédibilité à ses propos, il s’essaie à l’écriture :

si j’ai écrit des livres ce n’est pas par amour des belles lettres, c’est simplement que je me faisais chier, que je m’ennuyais ferme. C’est l’ennui qui m’a poussé à écrire et à ouvrir une librairie, uniquement pour me rendre conforme à cette image d’inutilité que me renvoie le regard des gens d’ici. (MU, 180-1)

Le narrateur biancarellien se sent toujours différent, mais avide de trouver « quelqu’un à qui parler, quelqu’un qui [lui] ressemble mais il n’y avait plus personne. » (MU, 51) Quelque peu misanthrope, cynique et profondément attaché à la Corse dont il semble regretter la destinée, Marc-Antoine adopte une posture asociale le rendant étranger aux autres qui, par simple politesse, veulent échanger quelques banalités ou nouer un dialogue. Le « regard des gens d’ici » réduit sa force évolutive et l’empêche de se réaliser en tant qu’être constitutif d’une identité insulaire et corse de surcroît. Replié sur lui-même, angoissé par ses interrogations et souvent à fleur de peau, il s’avère incapable de maintenir des relations satisfaisantes avec ses proches : « Je compris que, encore une fois, j’étais seul au milieu de tous. Que je n’avais pas de semblables dans ce village devenu une ville. Que je ne connaissais plus personne, que les comportements d’autrui ne m’étaient plus compréhensibles. » (MU, 51) Se considérant incompris, il apparaît énigmatique aux autres qui le sont tout autant pour lui. Cette incompréhension mutuelle renforce une situation d’incommunicabilité dont il s’agit d’interroger les causes. Le narrateur de Marcu Biancarelli regrette la perte d’emblèmes de la tradition, la perte des valeurs morales au profit d’une hyper-modernité agressive, tapageuse et écrasante, « [l]es bâtons s’[étant] transformés en 11.43, les chicots des vieillards en crème bronzante et les casquettes de jadis [ayant] cédé la place aux tee-shirts Hugo Boss. » (MU, 51) Alors, l’écriture qui relève d’une « mission » (MU, 126) apparaît pour Marc-Antoine comme un exutoire, une repentance, une manière de faire entendre sa voix sur la société corse qu’il ne reconnaît plus dans l’espoir, si vain soit-il, « de conjurer une bonne fois pour toutes cette saloperie de destin. » (MU, 126)

Mais malgré cette envie, cette rage, les paroles sont impuissantes, les actes stériles, les gestes manqués, l’écriture anachronique : « puis j’ai compris qu’aucun Corriere della Sera ne fera de moi un Pasolini, qu’aucune Tribune — l’organe de presse le plus empoisonné par les dogmes marxistes de l’après-guerre — ne me laissera la liberté de parole qui fut jadis accordée à George Orwell. » (MU, 38) Marc-Antoine se condamne à être seul et singulier. Et c’est dans la singularité qu’aboutit le drame humain du personnage. Il se noue dans le conflit intérieur qui l’anime, le tiraille, le déchire, entre deux instances inconciliables mais néanmoins inséparables : l’âme et le corps. Marc-Antoine, soumis à ce conflit dichotomique connaissant de nombreuses ramifications, répond de nombreuses ambivalences. Il se sait à la fois coupable d’avoir « participé plus qu’il n’eût fallu à la compromission collective » (MU, 38) et pourtant innocent « parce que l’Histoire prend plaisir à refermer les courbes du temps et à entremêler malicieusement les destins, le destin des uns, celui des autres, et le mien au milieu » (MU, 8). Sa mauvaise foi l’empêtre dans l’alternative entre le mal d’assister

impuissant à l’arrogance, à l’abrutissement physique et mental de « cette masse fangeuse » (MU, 38) où il « [a lui] aussi [s]a place » (MU, 38) et le bien d’écrire « les mots de ceux qui étaient morts, convaincu qu’ils étaient encore les mots du plus grand nombre, les mots de la puissance » (MU, 50). Il oscille enfin entre une pureté salvatrice et une impureté destructrice, la tentation d’être considéré comme « une divinité descendue parmi les vivants pour leur apporter la Lumière » (MU, 126-7) et « la faiblesse de croire, […] que nous vivons dans un monde où la morale et les belles croyances signifient quelque chose » (MU, 134). Marc-Antoine est un être torturé, obéissant à des valeurs qu’il ne semble plus comprendre. Divisé, il se trouve dans un entre-deux identitaire anachronique regrettant l’acculturation d’une modernité hypertrophiée et la survivance archaïque, grotesque, stéréotypée, d’un passé indéfini et convulsif vanté selon ses mots par « tout un ramassis d’autres individus de cette vile espèce » (MU, 38). Entre la faute et la repentance, la figure masculine que représente Marc-Antoine est moins astreinte à l’impuissance morale et spirituelle qu’à la résignation face à la complaisance folkloriste et régionaliste de ses coreligionnaires et au constat d’une Corse dépouillée de son authenticité et condamnée au rythme d’ennui de la morte saison et d’hystérie touristique estivale.

Face à cette situation aggravée par la « stupide engeance locale » (MU, 127), Marc-Antoine opte pour la solitude qui amplifie son sentiment d’altérité : « Je suis un ermite sans en être un. Un homme de la campagne par hasard. » (MU, 8) Il est amusant de souligner ici le romantisme ou le dandysme désuet et parodique de cette position : « J’ai pris mes distances avec le monde. Ruiné et désillusionné, je me suis exilé ici, aux Sarconi, retiré dans ma maison de montagne, un paradis pour tout écrivain rongé par le spleen, un univers baudelairien sans pareil. » (MU, 39) Le monde dont s’échappe Marc-Antoine engendre la corruption, l’injustice, la violence s’opposant à l’espace naturel salutaire et bénéfique des Sarconi. Cette retraite l’expose à la critique et à la moquerie comme le confirme une vive altercation avec Michel, un serveur de bar. Ce dernier ne comprenant pas la décision de Marc-Antoine de fermer la librairie en été pour se retirer en montagne : « Tu sais ce que j’en pense moi ? Je pense que tu es un mec frustré doublé d’un taré et que si tu restais ouvert tu vendrais des livres aux touristes aussi ! » (MU, 175) Marc-Antoine se jette dans un premier mouvement de désir, animé par une franchise à la limite de la haine, à la recherche de la présence de l’Autre pour tenter de le convaincre, de l’amener à une prise de conscience :

— Non. Vous êtes une bande d’êtres indignes, des vendus ajouterais-je. Vous êtes exactement dans la même logique que celle qui pousse les putes à vendre leur cul. Vous avez décidé de vivre du tourisme, de vous vendre et de vendre votre merde, et vous

considérez en plus qu’une bonne raison de le faire c’est que vos clients ne valent pas mieux, vous n’avez aucune considération pour vos clients parce que vous savez que vous êtes des vendus (MU, 174)

Ses volontés d’auteur ont également été raillées par cet Autre qui ne le considère véritablement pas comme un semblable. Vouloir écrire en corse et en maîtriser la pratique est pour Marc-Antoine un moyen de s’adresser aux représentants de l’ancienne génération et de se poser en relais pour les nouvelles générations. Mais même cette activité destinée à combler un sentiment de vide culturel est mal perçue : « d’aucuns me demandaient même pourquoi j’utilisais cette langue. » (MU, 50-1) Marc-Antoine, figure masculine primordiale du roman de Marcu Biancarelli, sait « ce que c’est d’être un damné sur la terre, un reprouvé, un homme dont la route a été toujours fausse ; quelqu’un qui ne sait pas vivre, non pas comme l’entendent les gens du monde : quelqu’un qui manque de savoir-vivre au sens absolu »1.

La figure masculine biancarellienne, caractérisée par sa recherche de l’absolu, se rattache inéluctablement aux thèmes de la solitude, de l’altérité et de la mort. Il est vrai que l’homme biancarellien ressent un profond malaise devant l’hostilité du monde et l’inhumanité de ses semblables. Marc-Antoine illustre la pensée camusienne qui veut que « [c]ette nostalgie d’unité, cet appétit d’absolu illustre le mouvement essentiel du drame humain. »2 Il éprouve le besoin de trouver un sens aux événements. Il expérimente son appartenance au monde comme à un ennemi :

Certes la vilenie a triomphé une fois de plus, certes les nombreux célèbrent une fois encore leur propre médiocrité ! Mais c’est dans ce contexte assombri par un étalage de crasse consensuelle que des êtres éclairés — à savoir nous, les derniers être éclairés de ce monde en perdition — peuvent enfin s’élever pour atteindre aux vertus les plus éminentes de la pensée et de la philosophie ! (MU, 74)

Marc-Antoine choisira l’exil en Catalogne, à Barcelone vraisemblablement, après avoir parcouru tout une « itinerrance »3 d’incertitudes et d’expériences. Marc-Antoine rêvera, de loin, à l’unité primordiale du peuple corse, à un désir de perfection originelle, à une culture assumée et revendiquée, à une soif de liberté absolue que n’autorise plus la société contemporaine submergée par la “culture” du capitalisme :

1 François MAURIAC, Le Nœud de vipères, Paris, Grasset, 1933, p. 117.

2 Albert CAMUS, Le Mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1985, p. 34.

3 Jacques SALOMÉ, Le Courage d’être soi : Une charte du mieux-être avec soi-même et avec autrui, Paris,

Nous vivons sous l’immonde dictature du beau mais je fais, quant à moi, partie des parias, des opprimés. Je sais ce que vous allez dire : que mesurer l’existence à l’aune de l’esthétique est le signe d’une civilisation avancée. Je n’en crois rien. Les canons modernes de la beauté ne me semblent pas relever d’une passion très sophistiquée pour l’esthétique. J’y vois simplement une sélection produite par l’esprit de consommation et la vulgarité. Ce qui, en soi, n’est pas un problème : je désire, moi aussi, devenir un simple produit consommable mais qu’on ne vienne surtout pas me gonfler avec le raffinement et la beauté. (MU, 177)

Cette affirmation n’est pas sans rappeler le thème obsédant houellebecquien du jeunisme et de l’élégance que regrettent Isabelle et Daniel1. Les enjeux économiques de la jouissance esthétique sont invariablement liés à l’importance accordée au corps et au mythe du plaisir qui l’enveloppe. La représentation mentale que l’on en a attise un investissement narcissique en fonction d’objectifs capitalistes. Le corps comme “terrain transitionnel” entre exigence culturelle, politique, identitaire et sociale s’oppose à la vacuité de l’intuition intellectuelle et Marcu Biancarelli, de son propre aveu, le confirme pour donner la véritable clé de compréhension de son personnage :

Enfin Murtoriu. Il y a dans ce texte, […] un désir de dépasser définitivement l’appartenance. [...] je veux insister sur le fait que Cianfarani voit d’abord comme plaies du territoire le temps qui passe et l’abrutissement des êtres.1

Marc-Antoine est en proie à l’angoisse d’un néant investi de « [p]auvres fantômes d’une époque éteinte et déconsidérée » (MU, 265), stimulant un désir d’évasion attisé par des pensées morbides : « j’existe, ici aujourd’hui, ombre parmi les ombres, vieux fantômes traînant son misérable passé, avec sa lourdeur et ses remords écrasants » (MU, 270). Après l’épreuve de la tentation, d’autres s’accumulent : celle de l’effrayante solitude et de la souffrance humaine. Mais l’homme biancarellien opère un « choix définitif : la vie. » (MU, 270)

À la figure de Marc-Antoine, s’ajoutent celles de Trajan et Mansuetu. Ils sont tous deux frères et partagent avec Marc-Antoine un fort lien d’amitié, « Trajan [faisant] partie de ces amis fidèles » (MU, 30). À une époque arrogante où règnent l’esprit de domination et le goût du luxe, Trajan est un homme de valeurs, malgré un « caractère de cochon » (MU, 31) qui a su malgré tout s’ouvrir au monde en gardant ancré en lui un sentiment profond d’attachement à la Corse et à ses caractéristiques. Marc-Antoine confesse :

je le vois comme la pierre sur laquelle repose l’édifice de notre amitié : il est celui qui se sent un peu plus responsable des autres ; sans aucun dirigisme toutefois : nous ne sommes pas des enfants. Mais il a, dans sa manière d’être, des allures de patriarche, et c’est volontiers que nous lui abandonnons ce rôle, sans aucun doute parce que nous éprouvons une forme de peur face aux vraies responsabilités. (MU, 30)

Il a su alterner entre la tradition et la modernité : « Passionné d’histoire et de politique, fasciné par Napoléon et Garibaldi, Trajan [...] est aussi un homme de la campagne féru d’art et d’architecture, capable de parcourir la terre entière sur les traces de Michel-Ange ou pour visiter un Guggenheim » (MU, 30). Le rapport qu’entretient Trajan avec la tradition et la modernité est soumis à des mutations sociales, comme le démontre la transformation de sa situation économique fondée sur la spéculation immobilière, un mode d’investissement très bourgeois. Néanmoins il est doté d’un discernement critique dans sa manière de vivre et d’appréhender la société corse. Trajan et Mansuetu sont les « dernières poches d’oxygène au milieu de toute cette corruption » (MU, 51). Car mentionner Trajan sans évoquer Mansuetu, dont la traduction signifie “l’innocent”, et le lien qui les unit serait une hérésie. Comme tous les liens familiaux, le lien fraternel est marqué par la culture et celui entre Trajan et Mansuetu est indéfectible. Il est cependant masqué au profit d’un rapport vertical parent-enfant dans lequel Trajan assure la protection de Mansuetu : « Mansuetu, une sorte d’attardé mental béni par le Seigneur, d’où le rôle tenu par Trajan. Mansuetu est berger et je crois même que c’est le dernier de la région. Il est venu au monde estropié, avec une main qui n’a que deux doigts. » (MU, 31) Mansuetu est le gardien de la tradition, toutefois marginalisé sous prétexte qu’il est “arriéré” et rebelle à la mission civilisatrice de la société contemporaine :

La dernière représentation de cet ordre ancien, je crois bien qu’il se trouve en haut, aux Stabbia. C’est Mansuetu, avec ses chèvres et son innocence. Mansuetu qui n’a aucune notion de l’économie, de la consommation ou de la protestation. C’est lui le dernier survivant de ce monde ancien, celui que Pasolini appelait, non pas l’âge d’or, mais l’âge du pain. Mansuetu, qui n’a pas non plus la notion du temps, des siècles, et c’est tant mieux sinon il ne pourrait être berger dans nos montagnes. (MU, 54)

L’inadaptation d’un modèle social centralisé, « le centre [étant] le lieu depuis lequel s’exprime ce jugement majoritaire » (MU, 9), apparaît comme totalement imposée à des sociétés issues d’ensembles hétérogènes plus traditionnalistes. Mansuetu résiste ainsi à l’acculturation puisque tout son système de référence, toute son inspiration et toutes ses valeurs sont enracinés dans les dernières traces de l’histoire passée de la Corse. C’est dans ce contexte particulier de dualisme que l’interrogation de la tradition par rapport à une possible

ouverture au monde, à l’altérité et à la modernité se pose. Marcu Biancarelli exprime, lors de la description qu’il fait de Mansuetu, ses doutes sur la dilution de la tradition dans la modernité :

Un sauvage, diriez-vous ? Plutôt la suprême liberté d’un être heureux. Ne rêvez pas à une innocence primitive. Peu lui importe votre jugement. Il vous faut accepter que ce monde, ce n’est pas le vôtre. Il vous faut oublier tout ce que vous croyez, tout ce que vous avez appris. Rien de ce qu’est cet homme ne vous appartiendra jamais. Le temps effacera sa trace. C’est Mansuetu, d’ici et pour l’éternité, vagabondant déjà parmi les fantômes. (MU, 225)

Mansuetu est le représentant ultime d’une Corse rurale. Si son amplitude sociale reste très limitée c’est qu’il ne cherche pas à se réaliser s’éloignant de l’emprise tutélaire et aliénante de la société moderne. N’étant pas un membre actif au sein de la communauté citadine, il est rare qu’il soit réellement en position de prendre la parole et de prendre part au processus de décision politique. Mansuetu s’épanouit dans un décor sylvestre ou du moins rural où « les rumeurs malignes de la forêt » (MU, 225) l’accompagnent. Il est attaché à une Corse rude dont il est la figure métonymique. Il est la dimension perdue de mansuétude humaine (et divine). Mansuetu est le maître de l’espace sauvage insulaire qui s’oppose à la plaine civilisée et métaphorise d’une certaine manière l’opposition entre virilité et féminité (les terres basses ayant été léguées aux femmes). Mais avec Marc-Antoine, une égalité proxémique s’est instaurée dans le partage de parties de chasse et d’activités domestiques. Il est séparé du siècle et c’est de là que vient sa légitimité.

Don Pierre est une troisième illustration de la figure masculine au sein de Murtoriu :

Ballade des innocents. Don Pierre est un « voyou » (MU, 15) corse sévissant dans le sud

insulaire. Il compte à son actif divers rackets — dont l’un est explicitement mis en scène lors du chapitre deux — et plusieurs meurtres prémédités de sang-froid. Ces actes d’une rare violence forgent sa réputation et assoient sa puissance dévastatrice. Il peut être considéré comme en total antagonisme avec le narrateur biancarellien. Don Pierre est sous l’emprise d’une double contrainte sociale, une sorte de “double injonction” née à la fois de la tradition et du modernisme. Sans aucune conscience sociopolitique de la réalité corse insulaire, il appréhende les rapports sociaux dans une logique primaire, asservissante et rétrograde. Lors d’une soirée dans un bar de plage, Don Pierre, alors accompagné d’une jeune femme, va affirmer son statut et sa crédibilité face à un jeune homme qui tente une approche séductrice :

C’est alors que Don Pierre s’est interposé, poitrine contre poitrine avec le client, les yeux dans les yeux, leurs fronts se touchaient, et qu’il a entrouvert un pan de sa veste pour laisser

apparaître la crosse du revolver qu’il portait sur lui. Le type a blêmi. Don Pierre lui a dit que non seulement il allait se calmer mais qu’en plus il n’était qu’un enculé et une grosse pédale. “Tu veux crever ici ?” Le type a reculé sans rien dire (MU, 107).

La violence dont fait état Don Pierre perturbe l’ordre public, angoisse les acteurs de la vie sociale et laisse moins de place qu’auparavant au sens collectif de l’honneur et à la loi de la honte. Marc-Antoine n’y voit qu’une brutalité abusive et totalement inadéquate, qu’il répudie avec véhémence. Don Pierre est un arriviste « déterminé » (MU, 14), brutal et irascible, tentant de jouir de ses actions pour occuper le devant de la scène de « l’immonde culture moderne » (MU, 52) essentiellement consumériste et matérialiste. Il veut gravir les échelons sociaux pour accentuer le rayonnement de son aura auprès des couches populaires croyant encore au mythe du bandit d’honneur. Imbu de sa personne et déjà intégré dans l’espace insulaire, il veut être connu et reconnu et la voie du crime n’est qu’un raccourci vers ce but. Don Pierre se démène donc pour vivre une parodie funeste de “rêve américain” : racket auprès de touristes et locaux, trafic de drogues, exécution de contrats…Une différence fondamentale se dessine entre la figure masculine incarnée par Don Pierre et celle personnifiée par Marc-Antoine. Si Marc-Antoine appelle à un sursaut territorial, plébéien « et [à une] manière donc de désanctuariser le savoir et la connaissance, et de dire à ses semblables : il n’y a que