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L’approche de l’insularité qu’expriment tour à tour ces auteurs s’inscrit ainsi analogiquement dans une représentation ontologique a priori négative de l’identité individuelle que nous allons explorer ultérieurement. Le corps, à l’image de l’île séparée du continent, marque en premier lieu la rupture, la distance, la limite du soi avec l’extériorité, avec l’autrui. La relation intersubjective ou la fusion désubjectivante implique ce négatif de la rupture. C’est particulièrement vrai, évidemment, dans la relation érotique passionnelle. La

réciprocité et la proximité avec l’autre psyché peuvent conduire à un développement de l’activité créative de l’esprit humain, amplifier des états émotionnels et des sentiments, ou tout aussi bien engendrer de la violence. Mais le négatif de cette séparation autorise aussi à terme le positif de la rencontre, de la relation, voire de la fusion. Le corps comme délimitation est ainsi appréhendé comme un enclos, voire une prison de l’identité où le visage, signe d’individualité, renvoie par une rhétorique de la synecdoque au territoire du corps.

Le corps, en dehors de ses manifestations concrètes — gestes, façons d’agir, postures, positions —, demeure un support d’expression à la fois ontologique et culturelle. Il constitue le réceptacle de traits identitaires où le visage s’impose comme le pôle primordial du sentiment d’identité. Le schème identitaire postule implicitement qu’il y ait une harmonie sans solution de continuité entre le schème du Visage, le schématisme ponctuel et singulier des masques et leur interprétation selon le registre des figures qui constituent la synthèse figurale des deux et leur lien nécessaire. Le corps apparaît dès lors comme une structure à la fois organique, symbolique et ontologique. Le corps comme support symbolique représente un enjeu important dans le discours social et dans l’imaginaire individuel ou collectif. Il contribue, via son façonnement culturel induit par les sociétés libérales, à fonder les identités individuelles par la diffusion de ses figures, particulièrement celles que l’on peut regrouper sous l’appellation des figures de mode dont on connaît le pouvoir considérable de fascination et de coercition mentales. L’appréhender dans sa matérialité et dans les représentations qu’il génère fait du corps individuel une partie intégrante du corps social. L’étranger ou le paria sont également des figures répertoriées — sur le mode négatif du symptôme — de la socialité. Le corps est dès lors un signifiant de la langue, un support d’expression, un élément de la syntaxe et de la grammaire sociales qui ne peut fonctionner qu’à la condition de s’intégrer au registre socio-linguistique majoritaire, à ses niveaux de langue, à l’économie générale des indices sociétaux.

Si le corps physiologique polarise un ensemble de paradigmes appuyant des processus de distinction tels que la droite et la gauche, l’intérieur et l’extérieur, l’organique et le spirituel, le corps propre et le corps d’autrui, le corps symbolique de son côté est un opérateur politique et social de premier ordre qui permet la classification des individus et des relations qu’ils entretiennent entre eux. Les normes culturelles propres à la catégorisation de classe posent le corps comme un objet sociologique d’où se dégagent des normes corporelles spécifiques à des populations. Les perceptions sociales et morales du corps qui concentrent la pensée libérale sur les habitus et les usages sociaux du corps témoignent de la réalité matérielle de ce même corps qui s’inscrit dans la culture et le langage et ne peut en être

séparé. L’acculturation consiste à intégrer ces normes sous la forme d’automatismes réglant les différentes zones du social : pratique de drague, flirts, sexualité de l’homme-animal ou comportements normés de couples pour ce qui est du désir, recherche de la performance, nécessité de la séduction et du spectacle, soumission de l’homme technologique dans l’ordre professionnel, délégation progressive des prérogatives familiales à des instances d’experts en éducation, etc… Mais le corps organique se manifeste le plus souvent à la conscience dans des zones d’excès par rapport à ces automatismes : l’érotisme charnel, la douleur, les performances physiques si “modernes”, les symptômes, l’hystérie qui évoque le refoulé social en même temps que la nature enfouie, la maladie voire la mort qui rôde et permet à l’individu de ressentir avant de penser. Dans de telles situations, il semble que le corps se mette à parler un autre langage que celui des normes sociales. La réflexion entre le soi et le corps organique est ainsi analysé par Henri Michaux comme « des exercices de relation entre moi et mon corps »1. Enfin, le corps est une structure structurée et structurante qui témoigne de l’“être-avec”, de l’“être au monde” et s’apparente, selon Maurice Merleau-Ponty, à « un système de systèmes voué à l’inspection d’un monde »2. Isaac Bazié écrit que « la perception du corps ne peut se faire en dissociation de l’espace qu’il occupe »3. Dans sa dimension organique, le corps est l’instrument de mesure de cet espace, son échelle : « la proportion concerne les rapports entre les dimensions [de l’espace], l’“échelle” les rapports entre ces dimensions et celles du corps humain. »4 Conjointement le corps et le territoire contiennent et expriment l’identité individuelle mais également collective. Sur la géographie du corps, la figure apparaît ainsi comme la capitale, le centre complexe et fractal de son territoire, grâce auquel celui-ci s’élève à la noblesse harmonieuse d’un bassin identitaire.

La figure comme signe indiciel du territoire corporel est assimilable métaphoriquement au prolongement que l’on est en droit d’émettre quant à l’île comme figure condensée du continent. L’île se veut soumise à une délimitation territoriale naturelle car « l’insularité présente l’insigne avantage d’inscrire cette unité présumée dans un territoire dont les frontières sont naturelles et n’ont pas à être tracées sur le sol ».5 Unité que l’on

1 Henri MICHAUX, Face à ce qui se dérobe, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1975, p. 85.

2 Maurice MERLEAU-PONTY, La Prose du Monde, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1969, p. 110-1.

3 Isaac BAZIÉ, « Corps perçu et corps figuré » (p. 9-24), in Isaac BAZIÉ (dir.), Le corps dans les littératures

francophones, Montréal,Les Presses de l’Université de Montréal, Études françaises, vol. 41, n° 2,2005, p. 16.

4 René DAUMAL, Le Mont Analogue, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1981, p. 17.

5 Gérard LENCLUD, En Corse : une société en mosaïque, Paris, Maison des Sciences de l’Homme,

retrouve dans les constituantes de la construction identitaire. Le terme “délimitation” suggère une insularité gigogne : le schéma de l’île est mis en abyme par la clôture du corps où rayonne, par-delà la multiplicité de ses masques, la figure insulaire en tant qu’elle porte en elle le figural du visage. La naturalité insulaire présume d’une transcendance identitaire entre l’île-figure et le continent-corps. L’île n’est pas seulement la figure de son continent, elle est aussi la figure du cosmos. Gilbert Durand affirme d’ailleurs que

si la notion de centre intègre rapidement des éléments mâles, il est important de signaler ses infrastructures obstétricales et gynécologiques : le centre est nombril, omphalos du monde […]. C’est pour ces raisons utérines que ce qui sacralise avant tout un lieu c’est sa fermeture : îles au symbole amniotique, ou encore forêt dont l’horizon se clôt lui-même. […] Le lieu sacré est bien une cosmisation.1

Le visage de l’île se constitue de ces différentes analogies, et c’est bien là ce qui fait la richesse de son symbolisme. L’île est à la fois elle-même dans ses spécificités, ses masques, mais aussi l’autre du continent en tant que figure de complétude ou d’opposition, et enfin l’Autre cosmique comme omphalos :

l’insularité [est désignée] comme l’omphalos, c’est-à-dire le nombril, mais aussi le bouclier ou la coupe. En réalité, l’omphalos est aussi le point central et le point le plus haut du bouclier. Et l’image de l’île s’élevant, montagne au-dessus des eaux, qu’Homère, dans l’Odyssée, évoque à plusieurs reprises, constitue aussi « le trait d’union naturel entre le ciel et la terre, entre le monde des Olympiens et celui des hommes ».2

Cette pluralité est suffisante pour expliquer le caractère polymorphe des valeurs que l’île peut incarner, la réversibilité de ses images.

Le visage de l’insularité révèle un sentiment d’appartenance à un ensemble géographique délimité qui s’amplifie par une volonté d’affirmation face à cet ensemble. De ce postulat découle même une transcendance de la sensibilité personnelle de l’insulaire face à l’extérieur, face à une altérité extérieure. La relation qu’entretient l’insulaire avec les individus extérieurs à l’île est souvent marquée par la fameuse fierté (orgueil ?) insulaire qui est placée avant tout sens commun. L’ambiguïté relationnelle est de mise et se manifeste principalement dans le rapport avec la “culture touristique”. Le patrimoine est un trésor qui fait la fierté de l’insulaire mais ce dernier exprime une vive appréhension à la venue du

1 Gilbert DURAND, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit., p. 281.

2 Anne MEISTERSHEIM, Figures de l’île, Ajaccio, DCL Éditions, 2001, p. 25. Cette dernière cite Sylvie

“touriste” comme vecteur d’altérité, cet Autre « beaucoup moins compris comme le partenaire possible d’une rencontre toujours singulière, que comme un pur objet de consommation touristique et d’instrumentalisations diverses. »1 L’insulaire développe une méfiance alliée à la susceptibilité, un orgueil par surestimation du Moi qui, à terme, peut entraîner un isolement social. Ces traits de personnalité qui caractérisent la relation aux autres peuvent témoigner du caractère paranoïaque que semble par moments développer l’insulaire.

Parler d’un “visage de l’insularité” où l’île apparaît comme un lieu de production événementielle et de formation individuelle conduit à s’interroger sur les modes de figuration qui seraient inhérents à cet espace géographique particulier. Mais est-il possible de concevoir l’élément géographique sans l’élément historique ? Selon Alberto Asor Rosa, la géographie « est la forme concrète que l’espace revêt au moment où il se place dans l’histoire »2. L’espace et le temps sont deux notions conceptuelles inséparables sur le plan des catégories a

priori de l’entendement et sur celui de l’expérience empirique : l’espace est justifié et

objectivé par l’histoire qui lui donne une signification autre (espace psychologique, socioculturel, géopolitique) dépassant la représentation liée au lieu au sens physique du terme. Personnifiée par sa figure3 qui l’oppose à l’anonymat indifférencié, ancrée dans une réalité anthropo-géographique tout à la fois historique, politique, sociologique, l’île accède à la

re-connaissance et traduit la volonté de se positionner au cœur du monde. Elle est le lieu

cosmogénique, c’est-à-dire un espace mental et affectif puissant.

Il convient de rappeler qu’il y va ici d’une histoire des représentations (textes et images) et non pas d’une nature de l’île elle-même. Le “visage“ de l’île est un paysage figural dont l’apparente spontanéité naturelle est en fait soumise à l’art, la tradition, la culture4. La Corse et Lanzarote seraient donc ces entités dynamiques et paradoxales, espaces à la fois immuables et fluctuants, images paradisiaques et infernales, terres de l’utopie collectiviste ou de l’isolement, figure de la béatitude ou de la solitude et de la mort. Ce monde en soi est un monde qui s’affirme dans sa totale autonomie et qui est à lui-même son propre centre : le microcosme insulaire est donc aussi le centre du monde où se donnent à voir l’émotion, le souvenir, le berceau nostalgique du sens. Considérée comme nombril du monde, comme

1 Jean-Claude MICHÉA, L’empire du moindre mal : Essai sur la civilisation libérale, op. cit., p. 83.

2 « la geografia […] è la forma concreta che lo spazio assume nel momento in cui esso si colloca nella storia » (je

traduis), in Alberto ASOR ROSA (dir.), Letteratura Italiana. Storia e Geografia. L’éra Contemporanea, Torino, Einaudi, 1989, p. 6.

3 Voir Anne MEISTERSHEIM, Figures de l’île, op. cit.

centre spirituel primordial, la figure de l’île est l’analogon de la figure de l’être. Elle est un lieu de significations, d’intérêts, d’intentions et de valeurs qui sont des stéréotypes dont on ne sait jamais vraiment s’ils sont projetés par le continental ou intériorisés et revendiqués par l’insulaire. En somme, autant de masques dont le caractère circonstanciel rend néanmoins compte, par sa force analogique, de la possibilité d’entrer dans le cercle de connaissance de l’autre. Connaissance ou méconnaissance d’ailleurs, comme en témoigne le malaise de Marc-Antoine : « J’ai compris que j’avais toujours été un étranger. […] [Les gens] n’arrivaient pas à me situer et moi je ne comprenais plus rien à mon pays. » (MU, 52-3)

Le visage qu’affichent les îles biancarellienne, houellebecquienne et rinaldienne se veut l’étendard d’une représentation, l’imminence d’une révélation, l’écho d’une vérité. L’exploration de l’espace insulaire délivre des indices d’altérité et d’humanité qui sont autant d’espoirs pour la réalisation accomplie et globale de l’homme : « La vision du monde depuis ce centre des certitudes » (MU, 9) témoigne du rapport à soi, à l’autre et de la relation au monde que l’insulaire perçoit par le biais de multiples masques dont il tente d’interpréter l’intentionnalité globale, celle de la figure qui lui permettrait de saisir, enfin, la vérité du visage : celui de l’île, de l’autre, du sien et du monde. La figure comme le motif insulaire est assimilable à une Gestalt qui unifie les masques tant « l’espace se trouve porteur, non seulement de fonctions matérielles, mais aussi de valeurs sociales. C’est pourquoi tout espace peut être défini comme une forme (Gestalt) sociale de la réalité qui intervient dans le champ de valeurs et structure la cognition de cette réalité. »1 Mais accéder à la cognition de la réalité est-il l’équivalent de l’accès à sa vérité ?

Si le visage semble partager les mêmes caractéristiques des métaphores vives2 et l’île celles des métaphores mortes — l’adjectif “insularisé” étant quasiment lexicalisé —, tous deux répondent à un double positionnement pour caractériser la situation insulaire décrite par Marcu Biancarelli, Michel Houellebecq et Angelo Rinaldi : l’artificiel et le réel, face et surface, le profond et le superflu, dedans et dehors, soi-même et l’autre, l’essence et l’apparence. La pensée de Daniel1 sur l’île atteste de ces notions et cette réflexion houellebecquienne peut être transposée à la découverte d’un visage :

Sur une carte au 1/200 000e, en particulier sur une carte Michelin, tout le monde a l’air heureux ; les choses se gâtent sur une carte à plus grande échelle, comme celle que j’avais

1 Gustave-Nicolas FISCHER, Psychologie des espaces de travail, Paris, Armand Colin, coll. « U Psychologie »,

1989, p. 7-8.

de Lanzarote : on commence à distinguer les résidences hôtelières, les infrastructures de loisirs. À l’échelle 1 on se retrouve dans le monde normal, ce qui n’a rien de réjouissant ; mais si l’on agrandit encore on plonge dans le cauchemar : on commence à distinguer les acariens, les mycoses, les parasites qui rongent les chairs. (PI, 258)

Un rapprochement excessif semble ainsi détruire les bénéfices de la Gestalt, anéantir les effets de reconnaissance de la figure, supprimer le postulat du Visage : la vérité du masque est une véritable défiguration. La révélation du visage se réalise de la même manière, à savoir du général au particulier : ignorance vs méconnaissance, connaissance vs reconnaissance, attrait

vs dégoût. L’espace géographique insulaire et le visage appréhendé comme une surface

suggèrent que

le fait de façonner ou de modifier les surfaces de contact entre le dedans et le dehors peut constituer une façon de moduler le rapport entre le sujet et son monde, de composer avec sa condition d’expulsé à soi-même, jeté dans un dehors périlleux auquel on ne peut se fier. […] [Jean Starobinsky] fait l’hypothèse que peintures, masques, vêtements viennent occulter la surface naturelle en la dissimulant sous une surface surajoutée et renforcent ainsi la défense du visage et du corps livrés au contact direct avec le dehors1.

Ces attentions singulières portées à la figure humaine opèrent un déplacement métaphorique vers le non-lieu et le non-temps du visage de l’île. Sans doute est-ce depuis ce non-lieu que se forge le schème insulaire du lieu idéal. Dans la singularité. Dans la suspension temporelle impliquée par la sacralité implicite qui habite le visage insulaire puisque dans l’île « les saisons reviennent immuables, et l’on croirait que rien ne change » (MA, 371).

I.A.3. Le visage de l’insulaire

Donner un visage à l’île revient de fait à personnifier l’insularité permettant une évaluation sociale et culturelle à laquelle chacun adhère à sa façon. Tout visage dit l’identité qui établit le premier lien de la relation humaine. Le visage insulaire exposé par Marcu Biancarelli, Michel Houellebecq et Angelo Rinaldi se montre investi de conceptions et de genèses créatrices développées autour de ses traits spécifiques : frontière climatique, environnementale, fragmentation politique, langagière et culturelle et communication des espaces.

1 Ellen CORIN, « Le beau et ses visages : les aléas de la subjectivation », (p. 15-43), in Le Beau, Trans : Revue

Dans la conception moderne d’un monde occidental uniformisé que regrettent les auteurs en « observateur[s] acéré[s] de la réalité contemporaine » (PI, 21) le sens du visage de l’homme prend toute sa dimension symbolique avec l’autre. Le visage, à l’image de l’île, est un pôle de convergence de l’humanité, de la figuration identitaire, et opère une réduction de la multiplicité des expressions en une singularité individuelle. “Dévisager” permet l’ouverture vers une possible altérité dont le fondement essentiel réside dans la reconnaissance mutuelle, celle du soi et de l’autre. La reconnaissance d’une possible altérité au-delà des oppositions anciennement codifiées (origine, statut social…) est acceptée mais cette acceptation de l’idée de l’autre n’est pas équivalente à celle de sa différenciation comme tel. L’individu n’est pas un semblable différent, il est l’autre d’une sorte de mêmeté rappelant tout de même que « la singularité du visage en appelle à celle de l’homme c’est-à-dire à celle de l’individu, atome du social, indivis, conscient de lui-même, […] se posant en “je” et non plus en “nous autres” »1. Le visage et sa toute personnelle singularité engage l’individu dans sa relation au monde et avec autrui, cet autre néanmoins complémentaire. En témoigne la première réflexion de Daniel1 lors de la convention des Elohims à Lanzarote, lorsque ce dernier rencontre Gianpaolo, un sympathisant : il avait « un visage qu’on devait certainement rencontrer chez des primitifs italiens dont le nom m’échappait pour le moment » (PI, 250). La pensée de Daniel1 est l’exemple caractéristique de la prégnance d’un schéma culturel subconscient sur l’identification d’une réalité. L’identification de l’autre passant par la découverte du visage stimule un imaginaire et participe activement aux processus mémoriels du souvenir. L’engagement dans une relation avec l’autre, marqué du sceau de la découverte identitaire passe donc irrémédiablement par le visage et s’en retrouve conditionné car il est amusant de reconnaître que face à « une très jolie jeune fille […] tous les visages s’ouvrent, toutes les difficultés s’aplanissent » (PI, 214).

Le visage possède cette absolue nécessité d’offrir à tout “monde” l’unification du multiple comme le suggère Georg Simmel, car

une unité ne prend jamais de sens et d’importance que dans la mesure où elle a en face d’elle une multiplicité dont elle constitue précisément la cohérence. Or, à part le visage humain, il n’est au monde aucune figure permettant à une aussi grande multiplicité de formes et de plans de se couler dans une unité de sens aussi absolue2.

1 David LE BRETON, Des visages. Essai d’anthropologie, Paris, Métailié, 1992, p. 52.

2 Georg SIMMEL, « La signification esthétique du visage », (p. 137-144), in La Tragédie de la culture, Paris,