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Dans les œuvres de Marcu Biancarelli, Michel Houellebecq et Angelo Rinaldi, la sexualité, l’amour et l’érotisme sont des schèmes consubstantiels mais préfigurent irréversiblement la faillite du couple, un échec relationnel que Marc-Antoine, Daniel1 et Tonio ne peuvent empêcher malgré l’expression de leurs sentiments et la manifestation de leur amour. L’érotisme fonde leur sexualité et l’amour, moteur du désir, anime leur univers fantasmatique où l’excitation érotique s’affirme dans le désir de

jouir davantage, pour s’arracher à eux-mêmes, pour atteindre l’extase la plus inédite et la plus totale, pour se repaître de l’altérité la plus grande, pour se perdre à son contact, pour bouleverser leurs repères identitaires et rompre avec toute la réalité spatio-temporelle1.

Ainsi à l’heure du consumérisme amoureux qui tue toute spontanéité, l’imaginaire érotique, la pleine et libre expression des sentiments amoureux et la sexualité agissant comme un besoin irrépressible doivent stimuler l’individu qui doit prendre conscience que si l’érotisme ouvre à la mort, raviver son désir donne un sens et une direction à la vie.

III.A.1. Échanges érotiques, le sexto pour sexualiser la conversation

Au sein de Murtoriu : Ballade des innocents, La Possibilité d’une île, La Maison des

Atlantes se développent trois couples traversés par l’érotisme, l’amour et la sexualité auxquels

vont se greffer d’autres occurrences d’une sexualité débridée, mécanique, soumise à l’impulsion animale du désir : Marc-Antoine et Lena, Daniel1 avec Isabelle d’une part puis avec Esther d’autre part et enfin Tonio et Nora.

Après avoir concédé que « [l]e désir sexuel se porte essentiellement sur les corps jeunes, et [que] l’investissement progressif du champ de la séduction par les très jeunes filles ne fut au fond qu’un retour à la normale, un retour à la vérité du désir analogue à ce retour à la vérité des prix qui suit une surchauffe boursière anormale »2, Marc-Antoine et Daniel1 se reconnaissent complètement dans cette situation impitoyable de sélection sexuelle d’où découle un manque affectif. L’un reconnaîtra « [s]a décadence et [s]on inadaptation à ce

1 Gaëtan BRULOTTE, Œuvres de chair, figures du discours érotique, Paris, L’Harmattan et Les Presses de

l’Université Laval, 1998, p. 103.

monde cinglé » (MU, 179) et l’autre « l’insoutenable douleur de l’isolement affectif » (PI, 439). Tonio, quant à lui, se trouve vis-à-vis de Nora « ridicule de vouloir maintenir ce qui n’est jamais que transitoire dans l’histoire d’un couple : la griserie légère des débuts, quand on s’émerveille d’avoir devant soi un spectateur si attentif. » (MA, 113)

Dans Murtoriu : Ballade des innocents, La Possibilité d’une île et La Maison des

Atlantes, l’érotisme permet l’expression de fantasmes qui trouvent à s’incarner et à se figurer

dans les péripéties sexuelles et dans la quête mémorielle de l’amour. L’érotisme amoureux même s’il est malheureux est omniprésent et la pensée de Frederika Fenollabbate est ici particulièrement significative :

Dans l’érotisme, le corps exulte et, par le simple fait de son exultation, il exprime quelque chose : l’amour ou le désir, et ce, aussi éphémères et légers soient-ils, peu importe. L’érotisme est le seul champ de la vie humaine pouvant se passer du langage car l’érotisme, fondamentalement, est lui-même langage. C’est une autre façon de dire et de se dire et si les humains la prisent tant, c’est qu’elle est immédiate, directe, sans l’intermédiaire du langage quotidien qui forme toujours un écran et une barrière.1

Dans le roman biancarellien, Marc-Antoine, animé par le désir et avide de relations sexuelles avec des femmes qui se refusent à lui, végète dans une misère sexuelle qui est, elle-même, nourrie de fortes névroses. « Abruti par l’alcool et la solitude » (MU, 185), cynique mais pas complètement résigné face à ses échecs sentimentaux, Marc-Antoine se laisse aller « à une pratique [qu’il] affectionne » (MU, 185) pour entretenir le lien social. En raison d’une situation sociale contrainte par la difficulté de se montrer désirable, Marc-Antoine favorise la communication différée en envoyant « un texto à une fille à qui [il est] parvenu à extorquer son numéro de téléphone » (MU, 185). Dès lors, cet acte de communicabilité permet, selon Marc-Antoine, l’extériorisation des sentiments dans le « jeu de la séduction dont les règles […] changent à chaque instant de [s]a putain de vie. » (MU, 185) Il ressent « un besoin impulsif d’exprimer et faire partager ses émotions au moment où elles sont ressenties, sans vouloir ou pouvoir les exprimer à l’autre oralement »2. L’érotisme biancarellien commence donc avec l’écriture et doit mener à la rencontre avec l’autre où l’extase, atteinte par la potentialité d’une relation sexuelle, est d’abord imaginée et découverte avec et dans les mots.

1 Jacques ABEILLE, Qu’est-ce que la littérature érotique ? Soixante écrivains répondent, Paris, Éditions Zulma — La Maison des Écrivains, coll. « Champs érotiques », 1993, p. 59.

2 Carole-Anne RIVIÈRE, « La Pratique du mini-message. Une double stratégie d’extériorisation et de retrait de

l’intimité dans les interactions quotidiennes » (p. 139-168.), in Réseaux « Mobiles », Paris, vol. 20, n° 112-113, 2002, p. 159.

L’érotisme est par ce moyen, passif, latent, exprimant les diverses tensions vécues intensément entre engagement et désengagement corporel, « masqué et protégé par la distance » (MU, 185). Se considérant comme un « séducteur lâche » (MU, 185), Marc-Antoine, « enthousias[t]e » (MU, 185) sur les nouvelles possibilités que lui offre cette manière de communiquer, est conscient de désirer et de susciter le désir en érotisant son langage pour transmettre un texte qui s’imposera sous formes d’images à cet autre. Il s’agit de laisser libre cours à l’imagination et de théâtraliser son désir dans sa forme la plus directe mais finalement la plus dramatique puisque Marc-Antoine ne consent pas à un investissement durable et amoureux : « J’envoie donc mon missile et j’attends la réponse sans véritablement trépigner. Je laisse les méninges de ma proie ronronner avant d’en cueillir les fruits, à l’abri d’inutiles engagements sentimentaux. » (MU, 185-6) Le texto est un espace ludique de séduction et demeure donc la mise en texte immédiate d’un érotisme visuel et social qui noue les individus entre eux et régule les surcharges érotiques potentiellement émotionnelles. L’intensité dramatique qu’induit l’érotisme biancarellien se caractérise par la virtualité qui infère une perte tragique de repères et un repli identitaire dans le pur fantasme. Georges Bataille admet cette dramatisation de l’érotisme en concédant que « l’érotisme est […] l’analogue d’une tragédie, où l’hécatombe au dénouement rassemble tous les personnages. »1 Marc-Antoine,

via ses messages envoyés « [u]n soir d’hiver, un temps à se brûler la cervelle » (MU, 185)

correspondant à un moment passager de détresse sentimentale, a la ferme intention de maintenir cette interaction à distance. De ces mêmes messages se dégage une volonté de contact érotique rendu réel par un langage performatif2. Le désir amoureux peut s’exprimer et s’extérioriser de façon spontanée, libéré de toute contrainte, et s’oppose ainsi à « la période de séduction non virtuelle » (MU, 186) marquée par la difficulté de se confronter à l’autre : « il existe, dans la séduction, une règle fondamentale : parvenir à faire croire qu’on laisse l’autre s’exprimer et qu’on est capable de prêter une oreille attentive. » (MU, 186) La rencontre résulte d’« un nouvel effort » (MU, 186) quand le jeu fascinant des mots, évocation d’un érotisme suscitant l’excitation d’une complicité privilégiée, permet de tirer « les bénéfices » (MU, 187) d’une intimité à laquelle les autres, exclus de la relation mais présents au dehors, ne peuvent prétendre.

1 Georges BATAILLE, Œuvres complètes, Tome VIII, L’Histoire de l’érotisme — Le Surréalisme au jour le

jour — Conférences 1951-1953 — La Souveraineté — Annexes, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1976, p. 103.

Les textos sont souvent considérés comme des messages désincarnés traduisant des rapports mécaniques, binaires, utilitaires, performants. Ils font allusion, dans les relations qu’essaie d’établir Marc-Antoine avec ses possibles conquêtes, aux « pornogrammes » sadiens1. Pour échapper à sa solitude auto-érotique, il espère que ses messages trouveront une interlocutrice prédisposée à s’abandonner à la simulation d’ébats sexuels. Mais l’attente d’une réponse, gonflée de désir, peut vite basculer vers la frustration si la réciprocité ne mène pas à la réalisation des images virtuelles consistant à réduire par la pensée l’acte sexuel. Marc-Antoine a donc souvent été confronté à « [l]a fille qui ne répond pas, qui prend mal la déclaration, qui lit de travers ou qui veut s’amuser elle aussi mais ne sait plus s’arrêter […] et, pour clore la liste, la fille qui vous met une veste encore plus violente peut-être que celle que vous vous seriez prise en direct. » (MU, 187) Ainsi le texto biancarellien est un espace de liberté semblable à un paradis artificiel technologique de la sexualité obscène. Une obscénité à interpréter comme une forme de séduction désespérée. L’érotisme, ici véhiculé par le texto, entraîne une rencontre en mots et en images pour rassasier la faim érotique de dévorer et nourrir le corps de l’Autre : « de retour dans ma chambre je trouvai sur mon portable un message d’Esther, qui disait simplement : « I miss you », et je sentis de nouveau, incrusté dans ma chair, le besoin d’elle. » (PI, 318) Il s’agit là d’une pratique “orale”, au sens freudien (et peut-être aussi anale, car un texto s’envoie mais peut aussi se conserver comme une trace). L’échange, où s’entremêlent la peur, l’espoir, la frustration et le désir, place l’érotisme dans la suspension temporelle qu’implique l’attente d’une réponse. C’est dans cette période d’incertitude qui précède la découverte textuelle que la tension croît ou décroît. Le texto est un “préliminaire” développant un imaginaire des figures et des masques érotiques source d’une future jouissance lors de la relation sexuelle. À l’inverse, le refus d’un des interlocuteurs de participer à cet échange témoigne de l’impossible réalisation du désir préfigurant une mort de ce même désir laissant alors Marc-Antoine « lentement confire dans le jus de [son] échec » (MU, 187). Entre Éros et Thanatos, le “sexto” ou “textorride” est avant tout un nouvel instrument de voilement et dévoilement de soi. À la charnière de l’ineffable et de l’obscène, l’érotisme implicite biancarellien qui est le résultat de l’expression du désir est

1 « Le pornogramme n’est pas seulement la trace écrite d’une pratique érotique, ni même le produit d’un découpage de cette pratique, traitée comme une grammaire de lieux et d’opérations ; c’est par une chimie nouvelle du texte, la fusion (comme sous l’effet d’une température ardente) du discours et du corps […], en sorte que, ce point atteint, l’écriture soit ce qui règle l’échange de Logos et d’Éros, et qu’il soit possible de parler de l’érotique en grammairien et du langage en pornographe » (Roland BARTHES, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Seuil, 1971, p. 162.)

également « l’approbation de la vie jusque dans la mort »1. Partagée et permise socialement, la charge érotique du « texto funeste » (MU, 187) se fonde sur la confusion entre séduction et désir et balance entre « [l]a désillusion » (MU, 187) et « les improbables succès » (MU, 188) qui s’inscrivent tous deux sous la bannière de l’échange et du partage que Marc-Antoine veut jubilatoires. Dans l’illusion de la proximité des inconnus lointains, l’érotisme biancarellien cherche l’instantanéité du contact par le déferlement visuel et langagier du sexe que suggère le sexto qui paradoxalement anéantit la relation la plus élémentaire, la courtoisie, l’échange de regard, la sonorité. Le sexto est ambivalent puisque s’il encourage le désir d’extimité, il empêche la mise à nu du visage, la découverte de l’altérité du Visage. Le sexto, qui accroît le jeu érotico-virtuel en autorisant tous les fantasmes, forclot, pour pouvoir être performatif, le Visage. C’est ce qui le rend sexuellement performant. Déclencheur d’une sexualité sans corps et sans Autre, le sexto, perçu comme masque, facilite l’interaction mais désenchante à la fois la relation. Le sexto brise le dictionnaire et la grammaire, mais son intentionnalité est si pauvre (baise ou masturbation mentale), si échouée, qu’il ne peut faire œuvre. Valant à lui tout seul, le sexto donne l’occasion de se forger une identité rêvée et la crainte de voir surgir de la séduction, une perversion abusive, n’est pas à exclure. Le pervers — et c’est surtout vrai des “pervers narcissiques” manipulateurs — se saisit des envies de l’autre et les manipule à sa guise, masqué par la liberté identitaire qu’offre le sexto, créant ainsi une dépendance affective qui résorbe ses besoins narcissiques, sexuels et sentimentaux. Le sexto est une scène permanente où l’Éros technologique pousse la phénoménologie du masque à son paroxysme. Mais face à cette pratique d’instant ludique érotico-virtuel, si la sexualité se donne à imaginer, elle renonce à se vivre ou alors seulement soumise à la potentialité. Ne demeure alors qu’une fiction que l’érotisme ne cesse de renforcer plongeant l’homme un peu plus dans la misère sexuelle : « Combien sommes-nous, sur le marché, à pratiquer ce jeu de lâches ? Combien sommes-nous de consommateurs n’ayant en partage que notre faiblesse et la peur de mourir seuls ? » (MU, 189).

III.A.2. La transgression

Dans Murtoriu : Ballade des innocents, le tabou de l’inceste donne lieu à une mise en scène érotique crue et sans complexe : « J’ai baisé avec Lena, ma cousine germaine, vous l’ai-je dit ? Quarante ans qu’on se cherche et on a fini par se trouver. » (MU, 216) Névrosé, usé, Marc-Antoine se définit dans un conflit psychique prenant racine dans l’histoire infantile.

Lena va être sa catharsis, et c’est donc dans le lien de parenté qui les unit que Marc-Antoine va se confier, prendre conscience de ses failles et exprimer librement sa passion pour Lena qui fait partie de ces « vieux fantasmes à liquider » (MU, 217). Ou quand Éros rencontre Œdipe… La relation entretenue entre eux deux, marquée du sceau de la transgression de l’interdit puisque « [l]’interdit est là pour être violé »1 et c’est lui qui désigne clairement l’objet du désir, place l’inceste biancarellien dans une situation qui esquive les interrogations éthiques et morales pour laisser place au désir et à sa réalisation qui est à la fois fracture et jonction entre Marc-Antoine et Lena qui a toutefois conscience du caractère symbolique de la relation incestueuse : « [elle] m’a dit de ne rien dire, de partir sans un mot de plus, et de ne pas chercher plus tard à mettre des mots sur ce qui venait de se passer » (MU, 211).

La description de Lena, uniquement liée aux attributs physiques, faite par Marc-Antoine, répond au désir mis en place par l’érotisme. Plus encore, elle ne semble être que restreinte à ce même désir et son corps, véritable ode au plaisir et à l’excitation, est perçu comme l’expérience d’un désir illimité. « [S]es seins bien fermes » (MU, 196), « la douceur de ses cuisses » (MU, 196), « le galbe de ses jambes sublimes » (MU, 191) sont autant d’appels à la transgression de l’interdit d’un inceste qui paraît inévitable tant « [e]ssentiellement, le domaine de l’érotisme est le domaine de la violence, le domaine de la violation »2. Le corps érogène de Lena provoquant chez Marc-Antoine « une érection si brutale » (MU, 193) est aussi excitant que calmant. Il l’invite à la béatitude et à la rêverie une fois l’acte consommé : « j’eus […] l’impression d’avoir rêvé tout ce que je venais de vivre. Je me sentais léger et […] [m]ême le ciel s’était dégagé et les astres suspendus là-haut semblaient éclairer ma route. » (MU, 211)

L’inceste biancarellien comme excès du désir marque l’apogée de la recherche de l’Autre en soi quand parallèlement la quête érotique du soi s’amplifie : « Il y a dans la nature et il subsiste dans l’homme un mouvement qui toujours excède les limites, et qui jamais ne peut être réduit que partiellement »3. L’érotisme se construit dans la possibilité de se rapprocher de l’autre, de s’immiscer dans son intériorité à la fois physique et psychique. Inversement, l’inceste, poussant à la démesure, en tant qu’excès, violence, et destruction, autorise paradoxalement la plénitude de Marc-Antoine qui se retrouve dans Lena, en passe de devenir son alter ego, facilitant la fusion de l’un et l’autre, de l’un dans l’autre. En ce sens,

1 Georges BATAILLE, L’Érotisme, op. cit., p. 72.

2 Ibid., p. 23.

l’orgasme incestueux autorise la perte totale de soi dans l’autre et pour l’autre dans la volonté utopique de l’amener à la jouissance et dans « l’obsession d’une continuité première, qui nous relie généralement à l’être »1. Leur plénitude, leur jouissance est aussi leur disparition.

L’inceste entre Marc-Antoine et Lena, unis par l’origine filiale, est un vecteur de retour vers l’origine archaïque indifférenciée des corps, vers l’unité entre le soi et l’Autre qui, placé dans l’irréalité, évoque le fantasme d’une sexualité débridée, une sexualité primordiale :

Toute la soirée, je l’ai baisée, dans toutes les pièces de l’appartement. On changeait d’endroit, de position, on essayait tout ce qui nous passait par la tête, et, même quand j’ai commencé à lui mettre des claques sur les fesses, elle a bien réagi, tremblant de plaisir à chaque nouvelle invention. (MU, 210)

Toutefois l’inceste provoque chez Marc-Antoine le sentiment d’être « damné » (MU, 209). Sa relation avec Lena transgresse l’ordre établi et un interdit qu’il conçoit comme une contrainte injustifiée imposée par la morale et la religion. Il se voit donc renvoyé aux interrogations et dilemmes moraux qui accentuent la fragmentation de son identité déjà morcelée :

Alors j’ai parlé de tout ce putanisme, et des pulsions que je sentais en moi et contre lesquelles j’essayais de lutter, mais je ne contrôlais plus rien, elles envahissaient mes écrits parce qu’elles m’envahissaient aussi l’âme, et j’ai dit que d’une certaine manière j’étais devenu une sorte d’animal (MU, 209).

Selon Georges Bataille, l’érotisme est défini comme un lien entre la vie et la mort et « si la vie est mortelle, la continuité de l’être ne l’est pas »2. Ainsi, transformer le corps en objet permet de faire l’économie (très provisoire) de la pulsion de mort intrinsèquement liée à l’érotisme fusionnel. La confrontation de l’érotisme au Visage, aux figures et aux masques conduit à ressaisir l’identité du moi avec lui-même et sa relation avec l’autre. Si, tour à tour, il dérobe et dévoile l’identité, le masque exacerbe le désir en invoquant des formes d’émotions vouées aux plaisirs et/ou d’emprises comme immense pouvoir de séduction aux confins du réel et du symbolique. L’équilibre instable entre l’attirance et la répulsion, le signe de présence effective et le signe d’altérité établissent le paradigme de l’érotisme et finissent d’accomplir l’être dans une découverte ternaire du Soi et de l’Autre : le corps de chair, le corps social, et le corps érogène. Le masque, au pouvoir suggestif, préfigure l’ouverture d’un espace, non pas seulement, du désir érotique mais du jeu sur le désir érotique. Un espace où l’insatiabilité

1 Ibid., p. 22.

irrémédiable de l’autre pose le visage et le masque dans un face-à-face qui appelle le corps à corps. De fait, l’érotisme appelle à la mise à nu, à la découverte d’un visage non dissimulé comme un appel du corps à la socialité, à l’être-pour-l’autre.

L’inceste biancarellien s’érige comme fantasme et doit rassurer Marc-Antoine sur ses craintes existentielles. L’union de l’érotisme et de l’inceste permet à Marc-Antoine de se sentir vivant. En faisant tomber les barrières morales, sociales, mais également politiques, l’inceste érotique devient le lieu de l’amour inconditionnel où les corps fusionnent pour retrouver l’union intime et ultime et atteindre l’absolu pour se défaire d’une société qui ne peut leur proposer la réalisation des pulsions charnelles :

Nous nous abandonnions à tout, comme si quelque chose nous avait dit d’en profiter à fond, qu’il ne nous serait peut-être plus jamais donné de vivre une expérience pareille. Je la baisais et je me disais, c’est vrai, cet univers tout entier est mort, nous sommes vraiment dans un monde de merde, en perdition, sans plus de valeurs ni rien, un monde qui a perdu sa foi (MU, 210).

L’inceste, perçu comme une séduction interdite, qui renvoie d’ordinaire à la transgression des codes sociaux où le sentiment de l’identité vacille, réveille, ici, l’érotisme