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Humoriste, scénariste, homme de lumière et de spectacle, se qualifiant lui-même de « bouffon » (PI, 19), Daniel1 connaît un immense succès critique et public au début du XXIe siècle. Affrontant les tabous sociaux, éthiques et politiques jugés délicats par une certaine intelligentsia qui n’en est pas une, il n’aura de cesse de repousser les limites de la morale. Créateur de « misérables sketches […], [de] lamentables scénarios, mécaniquement ficelés, avec l’habileté d’un professionnel retors, pour divertir un public de salauds et de singes, [qui] ne méritaient [pas] de [lui] survivre » (PI, 207), sa finesse d’esprit et d’observation, son ton sarcastique, son grand esprit de synthèse sont autant de traits de caractère qui le confortent dans l’idée d’avoir une forte personnalité teintée de second degré :

sur le plan intellectuel je me situais en réalité légèrement au-dessus de la moyenne, et sur le plan moral j’étais semblable à tous : un peu sentimental, un peu cynique, comme la plupart des hommes. J’étais seulement très honnête, là résidait ma spécificité ; j’étais, par rapport aux normes en usage dans l’humanité, d’une honnêteté presque incroyable (PI, 391).

C’est en polémiste sulfureux que Daniel1 traitera de la décadence de la société occidentale contemporaine dont il est, semble-t-il, une des premières victimes aussi bien qu’un beau spécimen. L’attitude dépressive de cette « espèce de Zarathoustra des classes moyennes » (PI, 403) est l’une des conséquences de l’idéologie individualiste et hédoniste d’une société néolibérale matérialiste qu’il réprouve malgré par exemple son admiration de la technologie de l’Occident, ses produits, etc. Désillusionné, Daniel1 est comparable à « une particule

solitaire, égarée dans un monde sans repères »1 courant avec avidité après la richesse et la gloire mais cette course effrénée vers la matérialité, qu’il sait éphémère pourtant, ne l’aide pas à trouver un sens à ses convictions et valeurs. Il est apathique et soumis aux fluctuations de son état mélancolique : « Avec mon physique ordinaire et mon tempérament introverti, j’avais très peu de chance d’être, d’entrée de jeu, le roi de la fête. » (PI, 115). Sa tristesse inconsolable s’aggrave de sa « vie amoureuse dans l’ensemble peu satisfaisante et traversée de longues éclipses » (PI, 206). Après un premier mariage désastreux et une multitude de liaisons passagères sans véritable implication, Daniel1 connaîtra les joies fugaces de la relation avec Isabelle. L’échec ne se cantonne pas à la relation conjugale, elle s’étend à bien d’autres domaines que celui de l’amour. La relation amicale est mise à mal également, Daniel1 étant peu enclin à se rendre indispensable aux autres. L’interrogation existentielle tourmente Daniel1. Sa solitude aigrie se manifeste par un mépris, un manque de sensibilité et d’humanité envers l’Autre, « un dégoût pour le public — et probablement pour l’humanité en général. » (PI, 58-9)

Comique couronné de succès, Daniel1 se sent pourtant extérieur à toute cette ébullition. Il s’affiche ouvertement en rupture de ban : « Je haïssais l’humanité, c’est certain, je l’avais haïe dès le début, et le malheur rendant mauvais je la haïssais aujourd’hui encore bien davantage » (PI, 408). Fatalement résigné, en stase illimitée, Daniel1 ne croit plus en l’homme au même titre qu’il ne croit plus en lui. Daniel1, à l’image du narrateur rinaldien, est un homme en souffrance dont la conscience lucide d’être sur la pente descendante de sa vie n’atténue pas l’inertie, le rendant même incapable de retrouver la maîtrise de son existence. Il est pourtant un artiste accompli, un incontournable dans son domaine, mais ce triomphe n’apaise pas son scepticisme à l’égard d’une société qui ne cesse de le décevoir, le poussant chaque jour un peu plus vers le point de non-retour : « Je gérais plus ou moins bien ; je faillis quand même me jeter du haut de la falaise trois fois en l’espace de deux semaines. » (PI, 95)

Dans La Possibilité d’une île, Daniel1 admet sans concession que la figure masculine est soumise à une hiérarchie sociale et que l’organisation sociale repose sur deux critères d’intégration que sont les différenciations sexuelle et économique. Dès lors la « valeur érotique » (PI, 34) d’un individu en détermine la place mais également la destinée. La sexualité et sa corrélation avec le pouvoir d’achat sont synonymes désormais d’injustice naturelle puisque le désir est dorénavant sous contraintes : « Sur le plan social il y avait les

1 Sabine VAN WESEMAEL, « La hantise du néant », (p. 213-228), in Gavin BOWD (dir.), Le monde de

riches, il y avait les pauvres, avec quelques fragiles passerelles » (PI, 21) et sur le plan sexuel « il y avait ceux qui inspiraient le désir, et ceux qui n’en inspiraient aucun » (PI, 21). Tout cela relevant d’un universel amour-propre décrit « par les moralistes français trois siècles auparavant. » (PI, 21-2) La différenciation sexuelle, primordiale aux yeux de Daniel1, apparaît avant tout comme un fait d’ordre très naturel que légitime la stratification sociale où la figure de l’homme est engagée dans une « féroce compétition narcissique » (PI, 82). Daniel1 étant l’homme du ressentiment nietzschéen, il n’assume pas sa vision du monde parce qu’il n’est pas le surhomme attendu mais le faible. Les hommes au gros capital érotique sont très spontanés. C’est donc cette spontanéité qu’envie Daniel1, lequel en est bien incapable, accentuant alors la difficile satisfaction de ses plaisirs charnels. Le désir s’étiole et l’envie de contact avec l’autre devient un acte courageux que l’homme ne semble plus prêt à relever. Même la prostitution, sexualité pourtant plus impersonnelle et mécanique, n’offre plus de satisfactions, aussi momentanées soient-elles : « J’ai vraiment cru que ça allait marcher, mais une fois dans la chambre j’ai dû me rendre à l’évidence : je ne bandais même pas assez pour qu’elle puisse me mettre un préservatif. » (PI, 306) Le marché du sexe est également régi par la doctrine capitaliste qui vante une vénalité débridée et connaît lui-même un processus de mondialisation car le « déclin de la sexualité était un phénomène universel, commun à l’ensemble des couches sociales, à l’ensemble des nations développées, et qui n’épargnait que les adolescents et les très jeunes gens » (PI, 360). Si la sexualité vécue par Daniel1 n’est plus exaltante, elle n’est cependant pas complètement absente du panorama social. Elle existe encore, vivace, mais réservée de façon quasiment exclusive aux jeunes, les seuls individus en pleine possession de leurs moyens physiques et pleinement conscients de leur capacité de jouir. La figure masculine houellebecquienne dont Daniel1 est la parfaite représentation, se voit refuser cette sexualité libératrice car son âge n’est plus conforme aux aspirations sociales. Les “vieux” fixent les normes d’un pouvoir dont les jeunes profitent à leur place. Daniel1, amer, exprimant un sentiment d’abandon, renonce au bonheur sexuel et plonge dans une détresse profonde puisque le plaisir sexuel « était l’unique plaisir, l’unique objectif en vérité de l’existence humaine » (PI, 392).

Les figures masculines et féminines dans l’œuvre de Michel Houellebecq partagent les mêmes obsessions : jouir et vieillir. Dans une société concurrentielle, la sexualité est un marché efficient où se développe une compétition. Une compétition d’où les individus ayant dépassé la trentaine sont donnés perdants. Daniel1 en fait définitivement partie. Et la vue de son visage s’affaissant sous le poids des années ne l’invite pas à l’optimisme. Pire, sa confrontation avec des jeunes gens croisés au détour des rues ou des bars le renvoient à la

condition terrible de « vieil homme fatigué » (PI, 269). Face à la décrépitude physique, Daniel1 a une véritable hantise du vieillissement. La vieillesse entraîne, selon lui, la répulsion et l’idée de deux corps vieillissants éprouvant un quelconque plaisir physique lui paraît inconcevable. Il développe une véritable obsession du corps affirmant que « nous sommes des corps, nous sommes avant tout, principalement et presque uniquement des corps » (PI, 213). Daniel1 semble métaphoriquement souffrir du syndrome d’enfermement ou plus communément du syndrome du scaphandre : enfermé dans un corps qui vieillit et l’emprisonne, mais totalement conscient — il voit tout, il entend tout — il ne peut ni bouger ni en parler. Le processus physiologique, psychologique et social du vieillissement ne pouvant être stoppé, la pensée obsédante du suicide demeure une angoisse à laquelle Daniel1 donne de plus en plus de crédit.

La figure masculine houellebecquienne ne peut se contenter d’être insatisfaite. L’homme de Michel Houellebecq se dégoûte et est dégoûté par le comportement de ses contemporains. Pourtant la rencontre de Daniel1 avec des représentants de la secte élohimite sera porteuse de nombreuses interrogations mais également d’un infime espoir en une nouvelle façon d’appréhender et de concevoir la société. Et celle plus particulière avec Savant, surnom donné à un membre émérite de la secte élohimite et chercheur en neurologie, va donner lieu à de nombreux échanges portant sur la création d’une nouvelle figure masculine :

L’être humain, c’est de la matière plus de l’information […]. Pourquoi ne pas fabriquer directement un être humain adulte à partir des éléments chimiques nécessaires et du schéma fourni par l’ADN ? Telle est, très évidemment, la voie de recherche vers laquelle nous nous dirigeons dans le futur (PI, 236)

La promesse d’une immortalité faite de plaisirs doit permettre l’avènement d’une nouvelle race d’individus : les néo-humains.

La science, l’art, la création, la beauté, l’amour… Le jeu, la tendresse, les rires… Que la vie mes chers amis, est belle ! Qu’elle est merveilleuse, et que nous souhaiterions la voir durer éternellement !… Cela, mes chers amis, sera possible, sera très bientôt possible… La promesse a été faite, et elle sera tenue. (PI, 248)

Avant de prendre la décision de se suicider pour assouvir le fantasme de la perte de soi, Daniel1, témoin plus ou moins actif des avancées technologiques et biologiques des élohimites, se verra confier la tâche artistique de retranscrire dans un récit autobiographique son vécu, son ressenti, ses attentes sur le monde environnant. Cette trace écrite doit servir de

support informatif aux générations futures de clones. Un récit auquel Daniel24 et Daniel25 ajouteront leurs commentaires sur les néo-humains, spécimens de l’homme érigés en espèce dominante et appelés « à proprement parler, à un nouveau règne » (PI, 365). Ces derniers assistent, indifférents, à la disparition lente et définitive des membres de l’ancienne race. Daniel25 regarde un charnier dans un paysage d’après-guerre :

Au milieu d’un paysage détruit composé de carcasses d’immeubles hautes et grises, aux fenêtres béantes, un bulldozer géant charriait de la boue. […] Au milieu de la boue noirâtre, des squelettes humains étaient éparpillés par la lame du bulldozer au fur et à mesure de son avancée ; en zoomant encore un peu je distinguais plus nettement des tibias, des crânes. (PI, 197-8)

L’extinction de cette dernière n’est pas nécessairement la marque d’une destruction totale mais préfigure aussi le processus d’assimilation d’une race à une autre. Les néo-humains se bornent à un facteur transitoire d’information génétique, dans l’attente mystique et atemporelle des Futurs, autre projection eugéniste d’un nouvel être au corps amélioré : « Les Futurs, contrairement à nous [aux néo-humains], ne seront pas des machines, ni même véritablement des êtres séparés. Ils seront un, tout en étant multiples » (PI, 463). Daniel24 « croi[t] en l’avènement des Futurs » (PI, 77) même si ce ne sont pas des êtres « au sens que nous l’entendons » (PI, 15). Les néo-humains se plient aux règles d’ascétisme, vouent leur existence à la Sœur Suprême qui ordonne leur quotidien. L’appellation de Sœur Suprême n’est pas sans rappeler celle de Père Suprême que réclame Barthélemy Prosper Enfantin, devenu un profond adepte de la doctrine de Saint-Simon. Il recherche un idéal de réorganisation sociale, industrielle, politique et spirituelle. En ce sens « l’ontologie saint-simonienne est triangulaire : sensation-sentiment-connaissance indivisiblement unis. »1 Mais cette doctrine, au moment de son plus fort développement (vers 1830), prendra la forme d’une société religieuse utopique demeurant ainsi une source d’inspiration pour Michel Houellebecq. Les néo-humains, bénéficiant d’un système métabolique amélioré au niveau génétique, vivent dans des unités protégées par des barrières électriques et se distinguent « par l’absence de douleur » (PI, 429) contrairement aux contemporains de Daniel1 dont il a « été maintes fois démontré que la douleur physique qui accompagnait l’existence des humains leur était consubstantielle » (PI, 162). Mais leurs différences ne s’arrêtent pas là. Face au vieillissement, les néo-humains adoptent un comportement serein lors de ce qu’ils appellent le « passage au stade intermédiaire » (PI, 138) qui les mène vers une phase de contemplation et

de béatitude avant de prendre la décision de s’euthanasier pour laisser immédiatement leur place à un clone1.

La compétition narcissique entraînant la compétition sexuelle, exécrée par Daniel1, ne trouve aucune résurgence chez les néo-humains puisque ces derniers ne conçoivent plus la relation avec autrui comme indispensable à leur plénitude. Chez les néo-humains, la relation s’établit de manière informatique, la discussion n’est que virtuelle et si possible « en mode non visuel » (PI, 421). Le contact étant refusé, la compétition sexuelle ne peut avoir lieu. Néanmoins, une rencontre virtuelle ne pourrait-elle pas devenir le moteur de sentiments réels ? Non, à en croire Daniel24 qui confirme que « [l]e contact disparu, s’envola à sa suite le désir » (PI, 415). C’est aussi que le statut d’immortalité, comme chez nos ancêtres adamiques ou chez les hermaphrodites platoniciens, ne rend plus la perpétuation sexuée nécessaire. Or il s’agit d’une imparfaite immortalité d’avatars : tout espoir d’attirance n’est pas perdu. L’érotisme n’étant ni présent ni recherché, les néo-humains évoluent dans une solitude physique totale où la présence de l’Autre est purement et simplement évitée. D’ailleurs Daniel25 déclarera que « la disparition de la vie sociale était la voie. » (PI, 163) Cette disparition entraînera-t-elle avec elle le jeunisme et sa vénération ? Logiquement, la réponse se devrait d’être positive puisque la compétition sexuelle n’existe plus. Pourtant les néo-humains semblent encore attachés à ce fantasme comme si ce dernier, à l’image d’une maladie génétique, était incurable et héréditaire. Si les néo-humains prétendent être supérieurs aux anciennes générations, ils ne sont pourtant pas si éloignés de leurs ancêtres. Peu importent les siècles passés à vouloir se purifier de toute contingence sociale la compétition sexuelle palpite en eux, reste enfouie. La déclaration de Daniel25 prouve a contrario la persistance “en général” du désir : « Je n’avais ressenti aucune attraction physique pour Marie23 — pas plus naturellement que je n’en ressentais pour Esther31, qui avait de toute façon passé l’âge de susciter ce genre de manifestations. » (PI, 415-6) Cela n’est pas sans rappeler la violence des rapports amoureux qu’exprimait Daniel1, en référence au culte de la jeunesse qui prédominait à son époque.

Les vestiges de ce culte qui continue d’empoisonner l’esprit des néo-humains, demeurent encore vivaces dans les volontés de Marie22 sur le point de disparaître. Elle dépeint, au travers d’une image maussade et dépitée laissée à Marie23, les conditions de vie des néo-humains :

1 Claire et Jacques ARÈNES, « Michel Houellebecq : prophète des temps finissants », (p. 796-803), in Études,

Des êtres humains chauves, raisonnables, vêtus de gris, se croisent à quelques mètres de distance dans leurs fauteuils roulants. Ils circulent dans un espace immense, gris et nu — il n’y a pas de ciel, pas d’horizon, rien ; il n’y a que du gris. Chacun marmotte en lui-même, la tête rentrée dans les épaules, sans remarquer les autres, sans même prêter attention à l’espace. Un examen plus attentif révèle que le plan sur lequel ils progressent est faiblement incliné ; de légères dénivellations forment un réseau de courbes de niveau qui guide la progression des fauteuils, et doit normalement empêcher toute possibilité de rencontre. (PI, 161-2)

La vie des néo-humains se déroulant dans une humeur morne et cafardeuse, elle souhaite découvrir le corps nu de Daniel24 comme pour raviver la flamme d’une existence en tension : « certaines intermédiaires éprouvent sur la fin de leurs jours une nostalgie du membre viril, et aiment à le contempler durant leurs dernières minutes de vie effective ; Marie22 en faisait apparemment partie. » (PI, 140) Cependant la réciproque ne vient pas, Marie22 refusant de se montrer dénudée à Daniel24 : « Je compris alors qu’elle ne souhaiterait me montrer aucune partie de son anatomie ; la dégradation, au stade intermédiaire, était souvent très brusque. » (PI, 140) Le corps vieillissant est toujours source de gêne et de souffrances car « la dégradation du corps et son affaiblissement ne sont pas sans provoquer des troubles de caractère qui entrent en contradiction avec l’image d’une vieillesse heureuse, harmonieuse, pleine de sagesse et de sérénité »1. Même s’il est un processus multifactoriel douloureux et visible en raison des modifications morphologiques et des difficultés à maintenir des capacités d’indépendance qui en résultent, « le vieillissement n’a pas pour [les néo-humains] le caractère tragique qu’il avait pour les humains de la dernière période » (PI, 161).

Si les néo-humains prétendent être supérieurs aux anciennes générations d’hommes par leurs capacités à se délester de toute souffrance physique et par leurs facultés de ne plus ressentir les émotions, ils ne sont pourtant pas si éloignés de leurs ancêtres humains. Daniel24 et Daniel25 sont les emblèmes d’une figure masculine qui a su dépasser la souffrance affective et émotive puisque pour eux, désormais, « [l]a bonté, la compassion, la fidélité, l’altruisme demeurent […] comme des mystères impénétrables » (PI, 77). L’intellectualité dont ils se prévalent leur octroie le droit d’être autonomes dans leur plénitude. Un épanouissement désormais possible car libéré de l’assujettissement aux émotions, au rire ou aux larmes : « la cruauté et la compassion, n’ont évidemment plus grand sens dans les conditions d’absolue solitude où se déroulent nos vies. » (PI, 61-2) Les néo-humains

1 Alain MONTANDON, Les Mots du vieillir, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll.

paraissent atteints de mélancolie anesthésique ou bien d’une anesthésie affective qui apparaît désormais insoutenable à Daniel24 : « le bonheur n’était pas venu, et l’équanimité avait conduit à la torpeur. » (PI, 429-30). C’est dans la réminiscence d’émotions ressenties en d’autres temps que naît la nostalgie pour la vie sociale et la volonté de renouer contact avec l’Autre dont la dépendance est motivée par l’amour et non par la peur. Marie23 et Daniel25 prennent la décision de s’émanciper de leur unité de stockage pour retrouver une collectivité de néo-humains plus proches des anciennes générations : « Signe le plus patent de l’échec, [Daniel25] en étai[t] venu sur la fin à envier la destinée de Daniel1, son parcours contradictoire et violent, les passions amoureuses qui l’avaient agité — quelles qu’aient pu être ses souffrances, et sa fin tragique au bout de compte. » (PI, 430) Marie23, consciente qu’une telle décision peut la mener à mourir, ressent la fureur de vivre : « Je ne sais pas exactement ce qui m’attend […] mais je sais que j’ai besoin de vivre davantage » (PI, 375). Marie23 et Daniel25 bravent l’idéologie néo-humaine qui érige la solitude comme seul mode de vie viable pour connaître la joie. L’expérience néo-humaine est un « échec » (PI, 465). L’échec permet donc de relativiser le monde néo-humain comme dystopique :

C’est dans l’échec, et par l’échec, que se constitue le sujet, et le passage des humains aux néo-humains, avec la disparition de tout contact physique qui en fut corrélative, n’a en rien modifié cette donnée ontologique de base. Pas plus que les humains nous ne sommes délivrés du statut d’individu, et de la sourde déréliction qui l’accompagne ; mais contrairement à eux nous savons que ce statut n’est que la conséquence d’un échec perceptif, l’autre nom du néant, l’absence de la Parole. Pénétrés par la mort et formatés par