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Alliages désordonnés

3.5 Effet du désordre chimique dans l’espace réel : les fluctuations

3.5.1 Densité électronique dans le formalisme SACA

Nous avons vu que dans le formalisme ACA toutes les colonnes sont indépendantes et l’opérateur d’évolution s’écrit comme une somme d’opérateurs d’évolution associés à une colonne (formule (3.7)). Dans le cadre de l’approximation de la colonne simplifiée chaque opérateur d’une colonne donnée prend une forme extrêmement simple en fonction de l’état 1s commun et de la concentration de la colonne, qui intervient dans un facteur de phaseθn (formule (3.10)). La fonction d’onde dans l’espace réel se décompose donc comme une somme de fonctions centrées sur chaque colonne :

Ψ(~ρ, z) = 1 +

n ψn(~ρ−~n,z) Ψn(~ρ, z) = (e−iθn− 1) fc(0)ϕ1(~ρ) avec ϕ1(~ρ) =p ω0 sψ1s(~ρ) (3.11)

où fc(0) est égal à la moyenne de la fonction de coeur fc(0) = ψ1s(~ρ) d~ρ/p

ω0

s. La

densité électronique s’écrit donc en négligeant le recouvrement entre les colonnes :

I(~ρ, z) ' 1 +

n

In(~ρ−~n,z)

In(~ρ, z) = 2 fc(0)ϕ1(~ρ)[ fc(0)ϕ1(~ρ) − 1](1 − cosθn)

(3.12) La dépendance spatiale (dans le plan) de la densité électronique est donnée par la fonction

fc(0)ϕ1(~ρ)[ fc(0)ϕ1(~ρ) − 1], qui comme nous l’avons noté à maintes reprises possède un

pic marqué sur les colonnes atomiques (entouré d’un léger anneau noir). Le contraste de chaque colonne est alors donné par l’amplitude du facteur 1− cosθn qui est maximum pour cosθn= −1.

Si on considère un alliage totalement désordonné la distribution de probabilité du nombre d’atomes A dans la colonne suit une loi binomiale centrée sur le nombre moyen d’atomes< NA>= xNzet de varianceσ2

Nz :

σ2

Nz = Nzx(1 − x)

Par conséquent la probabilité de distribution de la variable aléatoireθ= (NA+ NB)d

suit également une loi binomiale centrée sur sa valeur moyenne :

de variance (<θ2>c=<θ2 > − <θ>22 θdonnée par : σ2 θ=σ2 NzAγB)2d2= Nzx(1 − x)(γAγB)2d2 (3.14) Mais nous nous intéressons, non pas à la densité de probabilité de la variableθ, mais à son cosinus comme le montre la formule (3.12), et cela est très différent. En effet à la limite thermodynamique (Nz, NA →∞), par exemple, on sait que la distribution de θ devient gaussienne et que sa largeurσθcroît également à l’infini (c’est le rapportσθ/Nzqui tend vers 0 comme 1/√

Nz) et devient donc très grand devantπ, si bien que la distribution de

θ modulo 2π va tendre vers une constante indépendante de la concentration, et que la distribution de u= cosθva alors tendre vers 1/π1− u2. Ceci prouve qu’il n’y a pas de limite centrale pour la densité électronique dans la limite des grandes épaisseurs. Quand

σθ est très petit la distribution doit être considérée comme une loi discrète, mais dans cette limite, la phase θest également très petite donc on se trouve dans la limite d’objet de phase faible et la densité électronique de la colonne est proportionnelle àθ2

n.

Le cas intéressant, et le plus courant, est le cas intermédiaire où σθ est assez grand pour suivre une loi gaussienne mais suffisamment faible devant 2π. Dans cette limite on s’attend à ce que la distribution cosθ soit plus ou moins centrée sur sa valeur moyenne

< cosθ> que l’on peut déterminer en utilisant les résultats généraux sur les cumulants5 5Les cumulants sont extrêmement utiles en physique statistique, ils possèdent un grand nombre de pro-priétés assez “magiques”.

On peut définir le cumulant (< >c) de variables aléatoires Xi, par récurrence à partir des moyennes clas-siques (< >) comme : < Xi> = < Xi>c < XiXj> = < XiXj>c+ < Xi>< Xj> < XiXjXk> = < XiXjXk> + < Xi>< XjXk>c+ < Xj>< XiXk>c + < Xk>< XiXj> + < Xi>< Xj>< Xk> ··· ··· ···

Le cumulant d’ordre 1 est égal à la moyenne, le cumulant d’ordre 2 est égal à la covariance<XiXj>c=<XiXj>

−<Xi><Xj>=<(Xi−<Xi>)(Xj−<Xj>)>. Toute moyenne peut se décomposer en somme de produits de cumulants.

Jusqu’ici ceci n’amène rien de neuf car il faut calculer les cumulants ! Cependant ceux-ci ont des propriétés très utiles dans bien des cas (pour une discussion détaillée, voir [73] Kubo 1962). Tout d’abord les cumu-lants sont nuls dès qu’ils contiennent deux variables aléatoires indépendantes. Ils possèdent également la propriété d’être invariants par translation c’est à dire que rajouter une constante quelconque aux variables aléatoires ne modifie pas le cumulant (n> 1).

On montre aussi que les cumulants peuvent être engendrés par une fonction génératrice par la relation suivante : M1, ··· ,ξn) =< exp

i ξiXi>= exp < exp(

i ξiXi) − 1 >c

. Les cumulants sont particulièrement bien adaptés pour effectuer les moyennes d’expo-nentielles, en effet on a la relation :

< e−iθ>= e−i<θ>e12<θ2>c···e(−i)kk! k>c···

Si l’on suppose queθ suit raisonnablement une loi gaussienne alors tous les cumulants strictement supérieurs à 2 sont nuls et dans ce cas on a exactement<e−iθ>=exp[−i<θ>] exp[−<

θ2>c/2] où le cumulant d’ordre deux < θ2 >c est égal à la variance σ2

θ. Au deuxième

ordre on obtient donc pour la moyenne du cosinus< cosθ>= cos <θ> exp(−σ2

θ/2). Le

calcul de la variance du cosinus se détermine de manière similaire en utilisant la relation bien connue cos2θ= (1 + cos 2θ)/2, on trouve alors :

< (cosθ)2> − < cosθ>2 = (1 − eσ2θ)[(1 − eσ2θ)/2 + eσ2θsin2<θ>] ' σ2

θsin2<θ> pour σθ→ 0

La distribution de cosθest bien entendu dissymétrique auxextremade cos<θ> ( sin <

θ>= 0 ), c’est à dire quand le contraste estminimumoumaximum. Pour mesurer le taux de dissymétrie de la distribution on peut calculer le troisième moment centré, on trouve que quandσθ est petit le troisième moment centré est de l’ordre deσ4

θet de signe opposé

à cosθ.

Ces calculs utilisant les cumulants sont particulièrement pratiques car simples

d’utilisation, mais il faut garder à l’esprit que la distribution de θ est binomiale,

plutôt M(iξ1, ··· ,iξn)). On a en particulier pour la variable aléatoire unique X : M(ξ) =< expξX>= exp < exp(ξX) − 1 >c avec par définition :

< exp(ξX) − 1 >c=

n=1 ξn n!< Xn>c donc< Xn>cs’écrit explicitement :

< Xn>c= d

n

dξnlog< expξX>ξ=0

Une autre propriété particulière des cumulants est que tous les cumulants d’une variable gaussienne sont nuls pour n strictement supérieur à deux, et donc pour une variable gaussienne le développement de son exponentielle se limite à deux termes :

< eξX>= eξ<X>eξ

2

et il est possible de faire beaucoup de calculs exacts. En particulier il est possible

d’obtenir une formule exacte pour la moyenne deexp[−iθ]. La probabilité d’avoir NA

atomesAdans la colonne est égale àWNz(NA):

WNz(NA)=NA!(Nz−NB)!Nz! xNA(1−x)Nz−NA

La moyenne deexp[−iθ]est alors donnée par :

< e−iθ> = NA=Nz

NA=0 Nz! NA!(Nz−NA)!e−i(NAγA+(Nz−NAB)d

= (xe−iγAd+ (1 − x)e−iγBd)Nz

On peut formellement écrirex exp(−iγAd)+(1−x)exp(−iγBd)sous la formeρexp(−iφ), et on montre que :

ρ= r

1− 4x(1 − x)sin2(γAγB)d

2

φ= arctan x sinγAd+ (1 − x)sinγBd x cosγAd+ (1 − x)cosγBd

Les paramètresγAdetγBdsont petits et en principe le développement deρetφdoivent

être rapidement convergents. Le développement deρ en puissance deγAd et γBd ne

donne que des termes pairs, tandis que le développement de φ ne donne que des

termes impairs, ce qui est conforme au développement en cumulant introduit précé-demment. Il est alors clair qu’au second ordre on a :

ρ' 1 − x(1 − x)(γA−γB)2d2

2 ' e−x(1−x)(γA−γB)2d2/2

φ' xγAd+ (1 − x)γBd

On retrouve bien l’expression obtenue précédemment pour<e−iθ>soit :

< e−iθ>' e−iγcze−σ2 θ/2

De la discussion précédente il ressort que le paramètre important est la largeur de la distribution de la phase σθ. Si σθ est relativement faible, les fluctuations du cosinus engendrées par les fluctuations de concentration seront assez faibles, si bien qu’il sera possible de déterminer la valeur moyenne de la phase<θ> (et donc de la concentration

atomique) à partir de l’observation de la densité électronique. En revanche siσθest grand devant un, les fluctuations de concentration provoqueront de telles perturbations sur le cosinus qu’il sera impossible d’obtenir une quelconque information sur les concentrations locales. Ce paramètreσθ sera faible lorsque l’épaisseur et le “contraste” atomique|γA γB| ne sont pas trop importants. Remarquons également que la largeur de la distribution

du cosinus dépend de sin<θ>, c’est à dire qu’auxextremadu cosinus (sin<θ>= 0)

ses fluctuations sont minimales, ce qui signifie qu’aux conditions extrêmales de contraste les fluctuations de l’image vont être les plus faibles.

Il est important de bien comprendre ce que signifient ces fluctuations physiquement. Que les fluctuations de concentration du cristal soient “autorisées” ou non (ensemble ca-nonique ou grand caca-nonique), localement, notamment le long d’une colonne, des fluctua-tions de concentration vont se produire. Cela signifie que l’ensemble des atomes d’une colonne n’est pas un ensemble canonique (le nombre exact d’atomes de chaque espèce n’est pas fixé exactement mais en moyenne), et les fluctuations de concentration le long d’une colonne vont avoir des conséquences importantes. Le fait que le cristal tout entier soit traité comme un ensemble canonique ou grand canonique n’aura en revanche aucune influence.

Pour un alliage totalement désordonné les fluctuations de concentration sur une co-lonne comptant Nz atomes sont de l’ordre de δx=p

x(1 − x)/Nz, et sont d’autant plus faibles que le nombre d’atomes dans la colonne est important. Cependant une fluctuation de concentration de l’ordre de δx provoque sur la phase θ= (xγA+ (1 − x)γB)Nzd une

variation qui peut être très grande puisque :

δθ=δxAγB)Nzd=p

x(1 − x)NzAγB)d

Contrairement aux fluctuations de concentration qui tendent vers zéro comme 1/√

Nz, à la limite thermodynamique, les fluctuations de la phase tendent vers l’infini comme√

Nz. Cela signifie qu’à très grande épaisseur une fluctuation infime de concentration provoque une très grande fluctuation de l’image. Comme nous l’avons déjà indiqué, à très forte épaisseur la répartition du cosinus va être presque totalement aléatoire et l’image de la densité électronique sera formée d’une distribution aléatoire de points d’intensité plus ou moins intense. La densité de probabilité du cosinus d’un “bruit blanc” est 1/π1− u2

(u= cosθ) de moyenne nulle, indépendamment de la concentration, il sera donc impos-sible de déterminer la concentration dans l’échantillon à partir d’une analyse d’image haute résolution.

Par contre pour des valeurs de σθ “raisonnables” on s’attend à obtenir une densité électronique qui reflète assez bien la valeur de la concentration moyenne. Si on a un

alliage uniforme de concentration moyenne x dans des conditions telles queσθ<<π, les fluctuations de l’image seront assez faibles et si on effectue une moyenne de la densité électronique sur les différentes colonnes on va pouvoir déterminer la valeur de< cosθ>'

cos<θ>, avec <θ >= (xγA+ (1 − x)γB)z et donc si on a une idée de l’épaisseur de

l’échantillon cela nous permet en principe de trouver la concentration dans l’échantillon.