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Alliages désordonnés

3.5 Effet du désordre chimique dans l’espace réel : les fluctuations

3.5.2 Application : l’étude des interfaces

Intéressons-nous à présent à un problème d’un grand intérêt pratique : les interfaces entre deux régions de concentrations différentes. Considérons par exemple une interface plane telle qu’une concentration moyenne xnpuisse être définie pour chaque plan parallèle à l’interface. La moyenne de la phase<θ> ainsi que la variance du cosinusσθdépendent à présent de n. Siσθ(n) est trop grand la discussion précédente nous montre que l’interface

sera à peine visible (du moins si l’interface sépare deux régions de concentrations c0 et

c1 différentes de zéro ou un car dans ce cas la zone ou le cristal est monoatomique ne présente aucune fluctuation et se distingue assez nettement d’une zone d’alliage). Par contre siσθ(n) est assez faible l’image va refléter la concentration moyenne par la relation < cosθ(n) >' cos(xA+ (1 − xnB)z. C’est une relation non linéaire sauf si le profil de

concentration à l’interface entre c0et c1induit une variation de cos<θ(n) > sur une zone

où le cosinus est presque linéaire : pour cela il ne faut évidemment pas que la variation de concentrationδc provoque une variation de la phaseδ<θ>=δcAγB)z supérieure

àπ, mais il ne faut pas non plus que cette variation de concentration induise un variation de la phase à l’endroit où le cosinus “tourne”, c’est à dire au passage d’un maximum ou d’un minimum. Pour avoir une relation linéaire entre la variation de concentration et l’image de la densité électronique il faut que les deux valeurs extrêmes de la phaseθ0 et

θ1, correspondant aux deux régions séparées par l’interface, se situent sur le même “flanc” du cosinus.

Un cas idéal : AlxGa1−xAs

Appliquons l’analyse précédente à des exemples précis qui ont été étudiés récemment. Considérons un gradient de concentration dans le semi-conducteur AlxGa1−xAs ([69] De

Jong et Van Dyck 1990, [74] Ourmazdet al.1993). La structure de l’alliage AlxGa1−xAs

est la fameuse stucture de la “Blende” formée de deux réseaux CFC décalés l’un par rapport à l’autre d’un quart de diagonale du cube (voir figure 3.5), les atomes d’Arsenic occupant un des réseaux CFC les atomes d’Aluminium et de Gallium occupant l’autre réseau. Vue selon l’axe [001] la structure est formée de colonnes soit d’Arsenic pur soit d’une répartition aléatoire de Gallium et d’Aluminium. En projection [001] la structure

forme un réseau carré de maille a/2 (a ' 5.6Å), les colonnes d’Arsenic étant aux coins

des carrés et les colonnes mixtes au centre des carrés (voir figure 3.6). Ce cas est idéal pour l’application de l’approximation de la colonne pour deux raisons : tout d’abord les atomes de l’alliage sont tous des atomes relativement légers, de plus la structure est très peu compacte, la distance entre deux atomes successsifs de la colonne est de 5.6Å et le potentiel projeté en est d’autant plus faible. Il s’agit donc d’un cas où l’approximation de la colonne va particulièrement bien s’appliquer.

Les fluctuations dans ce cas proviennent uniquement des colonnes mixtes Al/Ga (du

moins si on est dans l’approximation de la colonne parfaite). Un calcul atomique bi-dimensionnel pour un potentiel accélérateur de 400kV nous permet d’obtenir les éner-gies propres de l’Hamiltonien d’une colonne atomique, on trouve γAl = −0.012Å−1 et

γGa = −0.03Å−1. A une épaisseur z= 170Å (soit Nz= 30 atomes dans la colonne) pour

une concentration x on obtient σθ = 0.56p

x(1 − x) ≤ 0.28 'π/10, qui correspond à

une fluctuation de concentration de δx=p

x(1 − x)/Nz inférieure à 9%. Nous sommes donc dans des conditions très favorables et la densité électronique doit répondre assez fidèlement aux variations de concentration. Sur la figure 3.7 nous avons représenté la dis-tribution de la phase et du cosinus pour diverses concentrations d’Aluminium entre 0 et 50%. La largeur de la distribution de la phase est assez faible par rapport àπ, et suit en très bonne approximation une loi gaussienne sauf pour les faibles concentrations, puisqu’alors la binomiale tend vers la distribution de Poisson aux faibles concentration, qui est une loi dissymétrique, ce qui est clairement visible sur la figure 3.7 pour les concentrations de 5 et 10% d’Aluminium. Il est clair que cette dissymétrisation de la distribution de la phase se traduit également sur le cosinus. Pour des concentrations entre 10 et 90% la distribu-tion de la phase se comporte tout à fait comme une loi gaussienne, mais cela ne signifie pas que le cosinus se comporte de la même manière ; cela ne sera le cas que lorsque le centre de la distribution de la phase se situe suffisamment loin des extremadu cosinus c’est à dire 0 (2π) et π. Si la distribution de la phase est proche de 0 ouπc’est à dire si l’on est proche d’unmaximumou d’unminimumde contraste de la densité électronique (cos<θ>= ±1) alors la distribution du cosinus se dissymétrise et a tendance à favoriser

lesminimaoumaximade contraste : ce cas de figure est illustré sur la figure 3.7 pour la concentration de 50% d’Aluminium.

Etudions à présent une interface où l’on fait varier la concentration d’Aluminium entre 0 et 50%. La moyenne de la phase varie entre 5 et 3.8 (très proche de π), la phase varie donc sur un intervalle qui ne contient aucunextremumdu cosinus si bien que l’on s’attend à une variation quasi-linéaire de la densité électronique transversalement à l’interface. A chaque plan parallèle à l’interface correspond une concentration xn, toutes les colonnes

4

a

a( i + j + k )

FIG. 3.5 – Structure de la “blende” formée de deux réseaux CFC décalés l’un par rapport à l’autre d’un quart de diagonale du cube. Le réseau formé des points noirs est occupé par des atomes d’Arsenic, le réseau formé de points gris est occupé par des atomes de Gallium et d’Aluminium.

a

Colonne As Colonne Al Gax 1-x

à l’intérieur d’un de ces plans sont en principe équivalentes, mais compte tenu des fluc-tuations de concentration le long d’une colonne, cela va induire une fluctuation de la densité électronique le long d’un même plan. Ces fluctuations de la densité électronique seront assez faibles si la largeur de la distribution de la phase n’est pas trop importante, ce qui est le cas pour AlxGa1−xAs. Afin d’obtenir un profil non perturbé par les

fluctua-tions il suffit d’effectuer une moyenne le long de chaque plan ce qui revient à faire la moyenne de cosθpour toutes les concentrations entre 0 et 50%. On obtient ainsi le profil de< cosθ(n) >' cos <θ(n) > exp(−σ2

θ(n)/2) ' cos <θ(n) > carσθest petit devant un (pour une concentration de 50% la dispersion deθest égale àσθ= 0.28 donnant un terme

d’atténuation exponentielle exp[−σ2

θ/2] ' 0.96 négligeable). Nous avons représenté sur la

figure 3.8 le profil de l’intensité au centre de la colonne atomique. Nous avons également représenté le profil obtenu par un calcul IACA complet : l’accord entre les deux calculs est excellent. Comme on s’y attendait la densité électronique varie presque linéairement avec la concentration sur une grande gamme de concentration à une épaisseur relative-ment importante. Il est clair par contre, que si l’on fait varier la concentration au delà de 50% on arrive à unextremumdu contraste où la densité électronique variera peu avec la concentration pour diminuer ensuite.

Les faibles fluctuations dans ce cas d’alliage léger font que les variations de la densité électronique sont assez douces et il est possible de les relier simplement au profil de concentration, il est donc tout à fait envisageable de déterminer un profil de concentration à partir d’une image de la densité électronique.

Un cas problématique : NiAlxAu1−x

Etudions à présent le cas plus problématique où un atome lourd d’Or remplace l’Alumi-nium dans l’alliage Ni3Al ([75] Pénisson 1993). Le contraste atomique est très impor-tant, à 400kV on trouveγAl = −0.024Å−1 etγAu= −0.21Å−1. Il est clair qu’avec un tel contraste l’approximation de la colonne n’est pas applicable sur d’importantes épaisseurs, on ne pourra donc la considérer comme une méthode quantitative. Cependant si l’on peut mettre en évidence des effets importants du désordre chimique dans cette approximation, une canalisation imparfaite ne fera que rendre les phénomènes plus complexes, mais qua-litativement il n’y a aucune raison que les effets principaux soient modifiés.

A une épaisseur de 170Å (soit Nz = 47 atomes dans la colonne) on trouve une

dis-persion de la phase deσθ= 4.55p

x(1 − x) ≤ 2.27 'πqui correspond à une fluctuation de concentration inférieure à 7%. Cela signifie qu’une variation de concentration relati-vement faible provoque une variation de la phase de l’ordre de π, il paraît alors difficile d’espérer obtenir une quelconque information sur la concentration. Par exemple le simple fait d’ajouter ou de retrancher un atome d’Or dans la colonne provoque une fluctuation de

Distribution deθ Distribution de cosθ 5% d’Aluminium π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 200.0 400.0 600.0 800.0 10% d’Aluminium π 00 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 100.0 200.0 300.0 400.0 500.0 20% d’Aluminium π 0 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 100.0 200.0 300.0 400.0 30% d’Aluminium 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 100.0 200.0 300.0 400.0 40% d’Aluminium 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 100.0 200.0 300.0 50% d’Aluminium 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 200.0 400.0 600.0 800.0

FIG. 3.7 – Distribution de la phase et de son cosinus pour des colonnes contenant 30 atomes (épaisseur 170Å) de Al et Ga à différentes concentrations.

0.00 0.10 0.20 0.30 0.40 0.50 CONCENTRATION d’ALUMINIUM 5.0 10.0 15.0 20.0 25.0

PROFIL DE LA DENSITE ELECTRONIQUE

SACA IACA

FIG. 3.8 – Profil de la densité électronique (moyenné le long des plans d’égales concen-trations, parallèles à l’interface) au centre de la colonne dans l’approximation de la co-lonne simplifiée (trait plein) et dans l’approximation de la coco-lonne itérée (trait pointillé) pour des colonnes AlxGa1−x, où la concentration varie de x= 0 à x = 50%. Dans

l’ap-proximation SACA le profil de la densité électronique est relié directement au profil de

< cosθ>' cos <θ> exp(−σ2

θ/2) ' cos <θ>. 0.00 0.10 0.20 0.30 0.40 0.50 CONCENTRATION D’OR 4.0 6.0 8.0 10.0 12.0 14.0

PROFIL DE LA DENSITE ELECTRONIQUE

FIG. 3.9 – Profil de la densité électronique (moyenné le long des plans d’égales concentra-tions, parallèles à l’interface ) au centre de la colonne dans l’approximation de la colonne simplifiée, pour des colonnes AuxAl1−xoù la concentration varie de x= 0 à x = 50%. Dans

cette approximation le profil de la densité électronique est relié directement au profil de

< cosθ>' cos <θ> exp(−σ2 θ/2).

concentration deδx= 1/Nzsoit une fluctuation de la phase deδθ= (γAuγAl)d ' 0.66.

On comprend alors que les fluctuations de la densité électronique seront si importantes que celle-ci ressemblera à une distribution quasiment aléatoire.

Sur les figures 3.10 ont été représentées les distributions de la phase et du cosinus. Comme on s’y attendait la largeur de la distribution de la phase est tellement importante même aux faibles concentrations que ramenée dans l’intervalle[0, 2π] elle devient

tota-lement aléatoire et le cosinus se comporte de façon très complexe sans aucune structure simple. Dans ces conditions le profil de la densité électronique en fonction de la concen-tration, ne sera pas du tout linéaire et les fluctuations seront si fortes que la moyenne effec-tuée le long des plans de même concentration va avoir tendance à donner un fond continu constant (la moyenne du cosinus d’un bruit blanc est nulle). La figure 3.9 confirme effec-tivement ces prévisions : on voit apparaître de nombreuses oscillations et plus on s’ap-proche de la concentration de 50% plus les fluctuations sont importantes ce qui se traduit par une atténuation exponentielle exp[−σ2

θ/2] de plus en plus forte : à partir d’une

concen-tration de 20% le profil devient presque totalement plat ce qui exclut toute détermination de concentration.

Distribution deθ Distribution de cosθ 5% d’Or 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 500.0 1000.0 1500.0 2000.0 10% d’Or 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 500.0 1000.0 1500.0 20% d’Or 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 200.0 400.0 600.0 800.0 30% d’Or 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 200.0 400.0 600.0 40% d’Or 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 100.0 200.0 300.0 400.0 500.0 50% d’Or 0 π 0.0-1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 200.0 400.0 600.0

FIG. 3.10 – Distribution de la phase et de son cosinus pour des colonnes contenant 47 atomes (épaisseur 170Å) de Au et Al à différentes concentrations.