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De l’orgueil et de l’humilité des animaux

Dans le document Traité de la nature humaine (Page 61-65)

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Ainsi, sous quelque jour que nous considérions ce sujet, nous pou-vons toujours observer que les causes de l’orgueil et de l’humilité cor-respondent exactement à notre hypothèse et qu’aucune chose ne peut susciter l’une de ces passions à moins qu’elle ne nous soit reliée et qu’à la fois elle ne produise un plaisir ou une douleur indépendants de la passion. Nous avons prouvé non seulement qu’une tendance à pro-duire du plaisir ou de la douleur est commune à toutes les causes d’orgueil ou d’humilité mais aussi que c’est la seule chose qui leur est commune, et que, par conséquent, c’est la qualité par laquelle ces ses opèrent. Nous avons de plus prouvé que les plus importantes cau-ses de ces passions ne sont en réalité rien d’autre que le pouvoir de

produire des sensations agréables ou désagréables et que donc tous leurs effets, et entre autres l’orgueil et l’humilité, dérivent uniquement de cette origine. De tels principes simples et naturels, fondés sur des preuves aussi solides, ne peuvent manquer d’être reçus par les philo-sophes, à moins que ne s’y opposent certaines objections qui m’ont échappé.

Les anatomistes joignent habituellement leurs observations et leurs expériences sur le corps humain à celles qu’ils effectuent sur le corps des bêtes et ils tirent de l’accord de ces expériences un argument sup-plémentaire en faveur d’une hypothèse particulière. Il est en effet cer-tain que, si la structure des parties chez les bêtes est identique à celle que l’on trouve chez les hommes et si l’action de ces parties est aussi identique, les causes de cette action ne sauraient être différentes et nous pouvons conclure sans hésitation que ce que nous découvrons comme vrai en une espèce est certain pour l’autre espèce. Ainsi, quoi-que nous puissions justement présumer quoi-que le mélange des humeurs et la composition des petites parties soient quelque peu différents chez les hommes et chez les simples animaux et que donc l’expérience que nous faisons sur les uns des effets des remèdes ne s’applique pas tou-jours aux autres, pourtant, comme la structure des veines et des mus-cles, la constitution et la situation du cœur, des poumons, de l’estomac, du foie et des autres parties sont les mêmes ou presque les mêmes chez tous les animaux, la même hypothèse exactement qui ex-plique le mouvement musculaire, la progression du chyle, la circula-tion du sang chez une espèce doit s’appliquer à toutes les espèces ; et, selon qu’elle est en accord ou en désaccord avec les expériences que nous pouvons faire pour une espèce de créatures, nous pouvons tirer une preuve de sa vérité ou de sa fausseté pour l’ensemble des espèces.

Appliquons donc cette méthode de recherche qui se révèle si juste et si utile dans les raisonnements sur le corps à notre présente anatomie de l’esprit et voyons quelles découvertes nous pouvons faire grâce à elle.

Pour cela, nous devons d’abord montrer la correspondance des passions chez les hommes et chez les animaux et comparer ensuite les causes qui produisent ces passions.

Il est clair que, dans presque toutes les espèces de créatures (mais surtout dans celles du genre le plus noble), il y a de nombreuses

mar-ques évidentes d’orgueil et d’humilité. Le port même et la démarche du cygne, du dindon et du paon montrent la haute idée qu’ils ont d’eux-mêmes et leur mépris de toutes les autres créatures. Ce qui est le plus remarquable, c’est que, dans les deux dernières espèces d’animaux, l’orgueil accompagne toujours la beauté et se révèle seu-lement chez le mâle. On remarque couramment la vanité et l’émula-tion des rossignols pour le chant, tout comme celles des chevaux pour la vitesse, celles des chiens de chasse pour la sagacité et l’odorat, cel-les du taureau et du coq pour la force et celcel-les tous cel-les autres animaux pour leur excellence particulière. Ajoutez à cela que toutes les espèces de créatures qui approchent assez souvent l’homme pour se familiari-ser avec lui sont à l’évidences fières de son approbation et se réjouis-sent de ses louanges et de ses caresses, indépendamment de toute au-tre considération. Ce ne sont pas les caresses de tout le monde, sans distinction, qui leur donnent cette vanité mais ce sont surtout celles des personnes que ces animaux connaissent et aiment, à la façon dont cette passion est suscitée en l’humanité. Ce sont là des preuves évi-dentes que l’orgueil et l’humilité ne sont pas seulement des passions humaines mais qu’elles s’étendent à l’ensemble de la création anima-le.

De même, les causes de ces passions sont en gros identiques chez les bêtes et chez les hommes si nous tenons correctement compte de notre connaissance et de notre entendement supérieurs. Ainsi les ani-maux ont peu ou pas de sens de la vertu ou du vice ; ils perdent rapi-dement de vue les relations de sang et sont incapables d’avoir des re-lations de droit et de propriété ; et c’est la raison pour laquelle les cau-ses de leur orgueil et de leur humilité doivent se trouver seulement dans le corps et ne peuvent jamais se situer dans l’esprit ou les objets extérieurs. Mais, dans la mesure où ces qualités concernent le corps, ce sont les mêmes qui, chez les animaux comme chez les hommes, causent l’orgueil, et cette passion se fonde toujours sur la beauté, la force, la rapidité ou quelque autre qualité utile ou agréable.

Puisque ces passions, dans toute la création, sont identiques et naissent des mêmes causes, la question est maintenant de savoir si la manière dont les causes opèrent est aussi la même. Selon toutes les règles de l’analogie, on doit justement s’y attendre. Si, après avoir es-sayé, nous trouvons que l’explication des phénomènes que nous

utili-sons pour une espèce ne peut pas s’appliquer au reste des espèces, nous pourrons présumer que cette explication, malgré son apparence de vérité, est en réalité sans fondement.

Pour décider de cette question, considérons qu’il y a évidemment la même relation d’idées, qui dérive des mêmes causes, dans l’esprit des animaux et dans celui des hommes. Un chien qui a enfoui un os oublie souvent l’endroit mais, s’il revient à cet endroit, sa pensée pas-se aisément [à l’idée] de ce qu’il a précédemment caché, et cela au moyen de la contiguïté qui produit une relation entre ses idées. De la même manière, s’il a été copieusement battu à un endroit, il tremblera en s’en approchant, même s’il ne découvre aucun signe d’un danger présent. Les effets de la ressemblance ne sont pas aussi remarquables mais, comme cette relation est un élément considérable de la causalité (dont tous les animaux jugent, on le voit avec tant d’évidence), nous pouvons conclure que les trois relations de ressemblance, de contiguï-té et de causalicontiguï-té opèrent de la même manière chez les bêtes que chez les créatures humaines.

Il y a aussi des exemples de la relation des impressions qui suffi-sent à nous convaincre qu’il y a une union de certaines affections les unes avec les autres, aussi bien dans les espèces inférieures de créatu-res que dans les espèces supérieucréatu-res, et que leur esprit passe fré-quemment par une série d’émotions reliées entre elles. Un chien, chez qui s’éveille la joie, passe naturellement à l’amour et à la bienveillan-ce, soit envers son maître, soit envers l’autre sexe. De la même maniè-re, s’il est plein de peine et de chagrin, il devient querelleur et mé-chant ; et cette passion qui était d’abord du chagrin se convertit en co-lère à la moindre occasion.

Ainsi tous les principes internes qui sont nécessaires pour produire en nous de l’orgueil ou de l’humilité sont communs à toutes les créa-tures et, puisque les causes qui suscitent ces passions sont également les mêmes, nous pouvons justement conclure que ces causes opèrent de la même manière pour toute la création animale. Mon hypothèse est si simple et suppose si peu de réflexion et de jugement qu’elle peut s’appliquer à toutes les créatures sensibles, ce qui non seulement sera reconnu comme une preuve convaincante de sa vérité mais aussi sera considéré comme une objection à tout autre système.

Livre II : Des passions

Partie II

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