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De l’interdiscursivité dans une perspective extensive

Chapitre I : De l’interdiscursivité, de l’interartialité et de l’intermédialité

1) De l’interdiscursivité dans une perspective extensive

En privilégiant la définition du discours qui se donne comme énoncé fondamentalement interactif et dialogisé, nous pouvons voir en quoi cette définition, d’abord inscrite dans le champ de la linguistique, se prête en outre volontiers à l’étude des phénomènes non verbaux. C’est ce qui nous permettra ensuite d’indiquer quels apports et limites la notion d’interdiscursivité présente par rapport à la visée intermédiale.

Parmi les sept définitions les plus courantes de la notion polysémique de discours que propose Dominique Maingueneau, nous retenons celle qui est issue des domaines de l’énonciation et de la pragmatique :

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Dans le cadre des théories de l’énonciation ou de la pragmatique on appelle discours l’énoncé considéré dans sa dimension interactive, son pouvoir d’action sur autrui, son inscription dans une situation d’énonciation (qui implique un sujet énonciateur, un allocutaire, un moment, un lieu déterminés2).

La place importante que cette définition accorde à la question de l’altérité, introduite à l’origine par Mikhaïl Bakhtine, nous intéresse au premier chef, ainsi que l’idée suivant laquelle un discours n’est jamais premier, mais second, dans la mesure où il ne se forme, n’existe et ne se définit que par et dans sa relation aux autres discours qui le précèdent, qui lui sont contemporains ou dont il anticipe la production éventuelle.

Bien sûr, cette définition concerne avant tout, au premier plan, les énoncés de nature linguistique qui relèvent des divers domaines ou champs de l’activité humaine (social, religieux, philosophique, politique, scientifique, culturel, pour n’en citer que quelques-uns). Mais si l’interdiscursivité et l’analyse du discours se basent essentiellement sur l’étude des phénomènes interactifs de la vie verbale, toujours est-il qu’au départ, la théorie de l’énoncé dialogique échafaudée par Bakhtine s’est présentée comme pouvant outrepasser cette frontière et s’ouvrir aussi bien à l’étude des phénomènes non verbaux. À ce propos, nous pouvons lire dans La Poétique de

Dostoïveski de Bakhtine que :

[…] des rapports dialogiques, au sens large, sont possibles entre d’autres phénomènes de signification, dès lors que ceux-ci sont produits par une matière sémiotique. Les rapports dialogiques peuvent exister, par exemple, avec des images prises dans d’autres arts3.

Julia Kristeva, pour sa part, quand elle commente les travaux de Bakthine portant sur le dialogisme pour introduire sa notion d’intertextualité, qu’elle définit de manière extensive dans son célèbre article « Le mot, le dialogue et le roman4 », entretient la même pensée. Situant sa recherche dans le secteur de la sémiotique, l’emploi indéterminé qu’elle fait des termes « énoncé », « texte » et/ou « discours », lorsqu’elle parle des liens qui les unissent, n’a rien de strict et autorise à renvoyer autant aux productions verbales que non verbales.

2 Dominique Maingueneau, L’Analyse du discours. Introduction aux lectures de l’archive, Paris,

Nathan, 1991, p. 15.

3 Mikhaïl Bakhtine, La Poétique de Dostoïveski, Paris, Seuil, 1970, p. 242.

4 Julia Kristeva, « Le mot, le dialogue et le roman », Sèméiotikè. Recherches pour une sémanalyse,

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Maingueneau, dans le même esprit, n’hésite pas à adapter la théorie dialogique − qui a pour objet d’analyser les productions verbales en tout premier lieu − aux pratiques qu’il qualifie d’« intersémiotiques » quand, dans Genèses du

discours5, il passe de l’étude des discours janséniste et humaniste dévot de la France religieuse du XVIIe siècle à celle de deux tableaux d’inspiration religieuse6, postulant que pour un théoricien de l’analyse du discours, « […] l’unité d’analyse pertinente peut intégrer des domaines sémiotiques variés, énoncés, tableaux, œuvres musicales… », qu’« un tel élargissement de l’unité d’analyse7 » est tout à fait possible.

Ainsi pouvons-nous avancer sans crainte que la définition du discours comme énoncé fondamentalement interactif et dialogisé se prête, moyennant évidemment son extension, à l’étude des phénomènes non verbaux.

En revenant sur les grands aspects de la théorie de l’énoncé dialogique inaugurée par Bakhtine, nous verrons comment celle-ci sert plus ou moins, et tour à tour, une recherche comme la nôtre.

Dans son article « Les genres du discours8 », Bakthine propose de réfléchir sur l’énoncé en tant qu’« unité de l’échange verbal9 ». Selon le théoricien russe, cet énoncé − « […] concret, unique, oral ou écrit10 » − est d’une nature à la fois complexe et subtile. Il est toujours composé de trois éléments, à savoir d’un « contenu thématique », d’un « style » et d’une « construction compositionnelle » particuliers, directement marqués par les conditions et les fonctions spécifiques de la « sphère d'échange11 », c'est-à-dire du domaine de l’activité verbale auquel l’énoncé appartient. Cet énoncé est en outre doublement caractérisé. Non seulement il est complet,

construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte » (ibid., p. 146).

5 Op. cit.

6 Il s’agit de la toile Le Souper d’Emmaüs (réalisée lors de la deuxième moitié du XVIIe siècle) dont on

ne sait si c’est Philippe de Champaigne qui en est l’auteur ou son neveu Jean-Baptiste (ou peut-être sont-ce ces deux personnages qui l’ont peinte. Certains pensent même que le tableau doit son existence à une tierce personne, demeurée inconnue) et qui renvoie aux Pèlerins d’Emmaüs du peintre Titien (chef- d’œuvre produit vers 1535).

7 Dominique Maingueneau, Genèses du discours, op. cit., p. 159 (pour les deux citations qui se suivent). 8 Mikhaïl Bakhtine, « Les genres du discours », Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard,

1984, p. 264-308.

9 Ibid., p. 273. 10 Ibid., p. 265

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représente une « totalité achevée12 » pourvue d’un sens plénier sans quoi il ne pourrait être impliqué dans aucun processus dialogique, mais de plus, il est sans cesse orienté, il constitue chaque fois une réponse à un énoncé antérieur, contemporain ou anticipé, à venir. Pris sous cet angle, l’énoncé adopte deux comportements. Le premier, de l’ordre d’une « compréhension responsive active », cherche à comprendre les énoncés autres dans l’intention de leur répondre éventuellement ; le deuxième, de l’ordre d’une « attitude reponsive active13 », passe à l’action en réagissant aux énoncés étrangers, formulant une réponse déterminée par la compréhension qu’il aura d’abord préalablement eue de ceux-ci.

Or, la façon dont les énoncés se répondent entre eux est équivalente à la manière dont ils se forment les uns en fonction des autres. Et les types de rapports entretenus par les énoncés, les sortes d’échanges qu’ils réalisent sont aussi multiples que différents, leur originalité étant due au fait que chaque relation dialogique est « non reproductible14 ».

En explorant cet univers interrelationnel particulièrement riche, Bakhtine souligne que les échanges dialogiques, aussi nombreux soient-ils, se concrétisent au sein d’un certain « genre de discours ». D’après lui, tout énoncé appartient à un genre et, comme c’est le cas pour les éléments constitutifs de l’énoncé, ce genre est marqué par la spécificité du domaine de l’activité humaine où il prend forme. Aussi, le thème, le style comme la structure compositionnelle d’un énoncé dépendent-ils des caractéristiques du genre dans lequel l’énoncé s’insère. Afin de mettre de l’ordre dans l’espace infiniment riche et diversifié des énoncés ainsi que des genres attribuable au caractère inépuisable de la production verbale, Bakhtine élabore les concepts de « genres premiers », simples, et de « genres seconds15 », plus complexes. Mais ce sont les genres seconds qui intéressent vivement le théoricien à cause de leur nature dialogique. Loin d’être autarciques, ils s’ouvrent aux genres premiers qu’ils absorbent en les transformant, comme en témoigne éloquemment ce passage :

Il importe, à ce point, de prendre en considération la différence essentielle qui existe entre le genre du discours premier (simple) et le genre du discours second

12 Ibid., p. 283.

13 Ibid., p. 274 (pour les deux citations qui se suivent). 14 Ibid., p. 287.

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(complexe). Les genres seconds du discours – le roman, le théâtre, le discours scientifique, le discours idéologique, etc. – apparaissent dans les circonstances d’un échange culturel (principalement écrit) – artistique, scientifique, socio-politique – plus complexe et relativement plus évolué. Au cours du processus de leur formation, ces genres seconds absorbent et transmutent les genres premiers (simples) de toutes sortes, qui se sont constitués dans les circonstances d’un échange verbal spontané. Les genres premiers, en devenant composants des genres seconds, s’y transforment16

[…].

Nous jugeons utile de nous attarder quelque peu sur cette idée de « transformation » que soulève Bakhtine et qui semble devenir inévitable chaque fois

qu’il y a une relation, quelle qu’elle soit, entre des énoncés et les genres du discours auxquels ces énoncés se rattachent. Le théoricien revient à maintes reprises sur ce phénomène transformationnel, il insiste sur le principe de transmutation des discours d’autrui, qui se retrouvent dans ceux qui se les approprient, en multipliant et répétant à l’envi les synonymes, parlant d’« altération », d’« assimilation », de « retravail », d’« infléchissement », de « manipulation » et de « reconsidération », cela dans son étude sur les genres du discours17, mais aussi dans un texte antérieur intitulé « Du discours romanesque » et paru dans son incontournable ouvrage Esthétique et théorie

du roman18 publié à Moscou en 1975.

À travers cette recherche, le principal objet d’étude dont Bakhtine se sert pour élaborer sa théorie dialogique est le roman, ce qui, de ce fait, attire davantage notre attention. Ce travail présente le roman comme un énoncé, comme un discours hybride, comme un genre du discours à organisation complexe intérieurement dialogisé19, dont la structure souple et dynamique lui permet d’accueillir de nombreux autres énoncés appartenant aux genres simples du discours social, qualifiés d’« intercalaires20 », tout en les traduisant librement. Et cette absorbtion de l’Autre s’opère avec un certain souci esthétique, selon les règles de l’art. C’est ce que Bakthine appelle l’« artisticité » du roman :

16 Ibid., p. 267.

17 Notamment à la page 297 de cette étude (op. cit.).

18 Mikhaïl Bakhtine, « Du discours romanesque », Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard,

1987, p. 83-233.

19 Cette question de la dialogisation intérieure du discours romanesque est entre autres traitée aux pages

102 et suivantes du livre.

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Le langage social (des genres, des professions, des courants littéraires) devient objet de reproduction, de restructuration, de transfiguration artistique, librement orientés sur l’art littéraire21.

En somme, l’important pour Bakthine est de savoir reconnaître la présence de l’altérité dans un énoncé − dans le roman ici − et de découvrir comment elle a été assimilée, sous quelles formes elle est re-présentée, dans quelle mesure elle constitue non pas un « donné » puisé à telle ou telle source, mais un « créé22 », c’est-à-dire quelque chose que l’énoncé ou le roman a modifié pour le présenter autrement que dans sa forme d’origine.

Mais pourquoi la transformation est-elle nécessaire, incontournable dans la relation dialogique qui, de ce fait, se révèle toujours complexe ? Bakhtine répond par un seul mot, celui de « résistance23 ». À son sens, le discours d’autrui oppose toujours à celui qui veut se l’approprier « une résistance capitale et multiforme24 » et donc, seule la transformation du discours étranger permet de réduire sa forte résistance première, du moins assez pour que celle-ci ne pose plus d’obstacles majeurs à la relation d’appropriation.

La deuxième question que nous serions en droit de formuler maintenant est la suivante : sur quoi au juste est fondée une telle résistance ? Nous avons précédemment précisé que tout énoncé possède un contenu thématique, un style et une structure compositionnelle bien à lui, marqués par la spécificité de la sphère d’échange où il prend place. Nous avons en outre souligné que tout énoncé appartient à un genre du discours précis, lui aussi marqué par le domaine de l’activité verbale qui est le sien, et dont les caractéristiques déterminent également la nature des éléments qui constituent l’énoncé. En sachant cela, nous ne pouvons songer à la moindre relation possible entre différents énoncés, différents genres du discours, sans qu’une résistance s’impose, justement à cause de la différence qui est inhérente à chacun, et qui les sépare.

Même dans une situation où la relation aurait lieu entre énoncés de même genre ou d’une même sphère d’échange, la résistance ne serait pas moins présente. La

21 Ibid., p. 99 (pour les deux citations qui se suivent).

22 Le « donné » et le « créé » sont des termes que propose Bakhtine dans un autre chapitre

d’Esthétique et théorie du roman (op. cit., p. 329), titré « Le problème du texte ».

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raison en est fort simple : un énoncé qui s’apprête à s’approprier un autre énoncé, doit faire face à des éléments forcément traités autrement que les siens propres, même si ces derniers sont déterminés au sein d’un même genre, voire d’une même sphère d’échange. Aucun énoncé n’est jamais totalement identique à un autre. Bakhtine l’a bien précisé : chaque énoncé est absolument unique, comme chaque relation dialogique dans laquelle l’énoncé se trouve impliqué.

Ainsi, à chaque fois qu’une relation quelconque est sur le point de s’établir entre des énoncés, peu importe leur degré de différence ou au contraire de ressemblance, ceux qui doivent en assimiler d’autres doivent d’abord adapter les éléments constitutifs de ceux-ci à leur contexte d’accueil, selon les lois d’un tel contexte. Ils doivent re-visiter leurs thèmes, leur traitement stylistique, leur structure compositionnelle d’ensemble. Tant que cette étape intermédiaire transformationnelle n’est pas pleinement remplie, le passage, le transfert d’un discours étranger dans un discours qui s’apprête à le recevoir ne peut s’accomplir véritablement.

Enfin, le haut degré d’hybridisation d’un discours n’empêche pas celui-ci d’être cohérent, à la fois dans ses enchaînements et dans ses productions de sens. Que la résonnance dialogique soit forte plutôt que faible dans un énoncé, et que l’hétérogénéité discursive d’un énoncé soit « montrée » ou « constitutive » pour reprendre les termes de Jacqueline Authier25, rien de tout cela n’entrave une telle cohérence.

Quand, dans son texte « Le mot, le dialogue et le roman », Kristeva part de la théorie dialogique pour aboutir à son concept d’intertextualité au sens large, elle reprend l’idée bakhtinienne concernant le caractère infailliblement transformationnel de la relation. « Tout texte », écrit-elle, « se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte26 ». Mais ce postulat, qui insiste à la fois sur l’idée d’harmonie que suggère le phénomène de la relation et sur l’idée de rupture que présuppose l’action de transformation, elle l’élabore plus

24 Ibidem.

25 Jacqueline Authier, « Hétérogénéité montrée et hétérogénéité constitutive : éléments pour une

approche de l'autre dans le discours », dans DRLAV, no 26, 1982, pages 91-151. 26 Julia Kristeva, « Le mot, le dialogue et le roman », Sémiotikè, op. cit., p. 146.

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longuement dans son étude La Révolution du langage poétique27, où elle remplace la notion d’intertextualité par celle de transposition28. Plus précisément, Kristeva s’intéresse dans cette réflexion aux passages qui s’opèrent entre systèmes de signes pour expliquer que d’un système à l’autre, les signes déplacés, transposés, sont nécessairement permutés et réarticulés, accédant ainsi à une nouvelle « figurabilité » :

Nous appelerons une transposition cette possibilité du procès signifiant de passer d’un système de signes en un autre, de les échanger, de les permuter […]. L’abandon d’un ancien système de signes et l’articulation d’une nouvelle figurabilité29 y jouent

un rôle essentiel30.

Toujours à l’enseigne de l’intertextualité, mais cette fois dans un champ plus restreint, celui de la poétique, Antoine Compagnon, avec ses travaux sur la citation, insiste de la même façon sur la dimension transformationnelle de la relation. Chez lui, la citation, conçue comme « phénomène », comme « force » et comme « travail31 », est le produit d’un déplacement et d’une recontextualisation qui impliquent la transformation, surtout au niveau de la signification de la citation elle-même et des énoncés avec lesquels la citation est mise en relation :

Écrire, car c’est toujours récrire, ne diffère pas de citer. […] Le travail de l’écriture est une récriture dès lors qu’il s’agit de convertir des éléments séparés et discontinus en un tout continu et cohérent, de les rassembler, de les comprende (de les prendre ensemble32 […]).

Enfin, les grands critiques de Bakhtine qui ont brillamment résumé sa théorie de l’énoncé dialogique n’ont pas manqué de souligner cette double activité que la

27 Julia Kristeva, La Révolution du langage poétique, Paris, Seuil, 1974.

28 En préférant le terme de « transposition » à celui d’« intertextualité », Kristeva, comme Roland

Barthes, montre qu’elle ne veut pas réduire l’intertextualité à une sorte de critique des sources, allant ainsi à contre- courant de la pensée de ses contemporains.

29 Kristeva n’explique pas ce qu’elle entend par « figurabilité ». Il est probable que l’emploi qu’elle fait

de ce mot encourage à penser tout système de signes comme une représentation signifiante, qu’il soit de nature verbale (ce qui tend alors à la figure, à la figuration, relève d’une opération purement intellectuelle, imaginaire, liée à la pensée, au pouvoir de visualisation de l’esprit. La figure de style, le sens figuré de la langue œuvrent dans ce sens) ou visuelle (n’importe quelle image ou illustration pourrait servir d’exemple ici. On sait entre autres choses que la figuration constitue pour Freud un procédé d’expression onirique et que l’Histoire de l’art s’est souvent réclamée de ce procédé de manière tour à tour conceptuelle et technique).

30 Ibid., p. 60.

31 Antoine Compagnon, « La citation telle qu’en elle-même », La Seconde main ou le travail de la

citation, Paris, Seuil, 1979, pages 36 à 38.

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théorie pratique, relationnelle et transformationnelle. Tzvetan Todorov et sa « Théorie de l’énoncé » tirée de son livre Mikhaïl Bakhtine. Le Principe dialogique33 ainsi que le recueil de textes L’Héritage de Bakthine34 en sont de bons exemples :

L’énoncé tout entier est contact, mais dans un sens plus fort que celui qui s’attache à la radiotélégraphie ou même à l’électricité. Le discours n’entretient pas un rapport uniforme avec son objet […], mais l’organise, le transforme35 […].

Cependant, curieusement, il y a aussi des critiques qui, avec le temps, ont progressivement délaissé la question de la transformation, pourtant inhérente à la notion de relation dialogique, au profit de cette dernière, souvent pour des raisons pédagogiques. Des chercheurs comme Pierre-Marc de Biasi n’ont d’ailleurs pas manqué de le faire remarquer à la communauté intellectuelle concernée :

[…] la simplification de la notion, sous l’effet de la vulgarisation pédagogique, se trouve infléchie dans le sens d’une dominante relationnelle, aux dépens de la composante transformationnelle. Elle devient ainsi plus maniable et plus rassurante aussi. Mais un tel élargissement, tout en contribuant beaucoup à généraliser l’usage de cette notion, n’est pas étranger à un certain flou théorique où la notion finit par perdre l’essentiel de sa spécificité conceptuelle36.

Maingueneau, lorsqu’il élabore sa théorie sur les genèses du discours, s’intéresse à la façon dont les discours d’un même champ se forment les uns à partir des autres sans toutefois insister sur la manière dont ils se transforment au sein de ce processus interrelationnel37.

Et même quand ce chercheur effleure la question des relations pouvant s’établir entre discours issus de champs discursifs distincts (par exemple, issus de champs

33 Tzvetan Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, Paris, Seuil, 1981. Dans cette recherche,

Todorov légitime le concept d’intertextualité fondé par Kristeva.

34 Catherine Depretto (dir.), L’Héritage de Bakhtine, Boredeaux, P. U. B., 1997. 35 Ibid, p. 87.

36 Pierre-Marc De Biasi, « L’intertextualité », dans Encyclopaedia Universalis, Paris, 1989, p. 324. Nous

paraphrasons ici en partie le texte du chercheur.

37 Par conséquent, quand il choisit comme unité d’analyse pertinente l’espace discursif intégrant le

discours humaniste dévot à partir duquel le discours janséniste prend forme dans le champ religieux de la France du XVIIe siècle et, de même, quand il entreprend ensuite l’étude de la peinture religieuse pour observer la façon dont le tableau Le Souper d’Emmaüs s’inspire du chef-d’œuvre de Titien Les Pèlerins

d’Emmaüs déjà cités plus haut (c.f. sixième note de ce chapitre), il le fait en substituant l’idée de

traduction à celle de transformation (bien que la traduction implique aussi une transformation), cela afin