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Écriture et perception auditive

Chapitre I : De l’interdiscursivité, de l’interartialité et de l’intermédialité

3) De l’intermédialité littéraire

3.2 Les références intermédiales : un défi lancé à la lecture

3.2.2 Écriture et perception auditive

Si c’est surtout grâce au descriptif qu’un texte littéraire parvient à solliciter la perception visuelle d’un lecteur, la voix reste sans doute le meilleur concept par lequel on peut aborder, dans l’écriture, la question du champ intermédial relatif à la perception auditive.

Mais la métaphore de la voix n’est pas simple à définir, dans la mesure où, comme le précise Huglo, elle « cumule en fait plusieurs sens227 » :

Elle est synonyme de subjectivité, de marque ou de présence subjective ; elle désigne alors un effet de sujet. Elle signale aussi des marques et des effets d’oralité ; la voix s’oppose dans ce cas à l’écriture comme semblant de parole vive. Elle renvoie également aux différentes postures énonciatives et genres discursifs entremêlés dans un même énoncé, une même énonciation. Elle est alors associée à la polyphonie228

[…].

n’affecte pas le personnage, elle ne le précipite pas (comme s’il était pure perception) : ni la violence de l’averse ni la descente dans les escaliers intérieurs ne modifient la vision horizontale, qui semble glisser sur la réalité comme le bateau glisse sur l’eau. » (Le sens du récit, op. cit., p. 101) : « Accoudé à la rambarde, les photos à la main, je voyais la mer qui n’en finissait pas, les vagues qui ondulaient au large, immenses et sans écume. La pluie, qui n’avait cessé de tomber finement jusqu’à présent, à peine une bruine légère qui venait se mêler aux embruns et qui rendait les vêtements poisseux […] se mit soudain à tomber avec violence sur le pont et je m’éloignai le long de la rambarde en regardant la mer qui se transforma en quelques instants en un immense tamis noir et bruyant parcouru par l’averse. J’avais quitté le pont et, après avoir descendu plusieurs escaliers à l’intérieur du bateau, j’empruntai quelques larges travées sombres et silencieuses, où, de chaque côté de moi, étaient des rangées de longs sièges beiges rembourrés, sur lesquels des gens dormaient dans l’obscurité » (L’Appareil-photo, op. cit., p. 97). Cette technique descriptive permet aussi à un écrivain, comme le souligne Jeanne-Marie Clerc, « de ralentir et de détailler le processus de la reconnaissance par lequel [un lecteur-spectateur] déchiffre progressivement [une] image, éléments par éléments [pour ensuite identifier] brutalement l’objet global dont il attend l’exploration complète » (op. cit., p. 176).

225 Jeanne-Marie Clerc, ibid., p. 95. 226 Ibid., p. 187.

227 Marie-Pascale Huglo, op. cit., p. 17. 228 Ibidem.

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Pour notre part, cependant, nous ne pensons pas qu’il faille nécessairement ou strictement rattacher la notion de voix à celle du sujet et, dans ce sens, nous rejoignons la pensée de Marie-Pascale Huglo qui envisage également la voix de manière désincarnée. Dans cette perspective, n’étant reliée à personne en particulier, la voix en arrive à déborder, excéder « les frontières du sujet, de l’énonciation et même de la discursivité229 », incarnant « une présence sensible du récit », « une présence tonale forte, dont l’oralité marquée230 » ─ détachée de toute subjectivité ─ peut être perçue par un lecteur de diverses manières, c’est-à-dire aux niveaux des « tonalités », des « sonorités », des « rythmes », des « registres », des « échos », des « modes d’enchaînements » (discursifs, spatio-temporels) et des « imaginaires231 » qui traversent un texte.

Suivant le même raisonnement, Jean-Paul Goux, dans un article éloquemment titré « La voix de la prose », parle de cette voix comme d’une voix « hors du monde », « jamais entendue », « jamais ouïe », « qu’on ne connaît pas », qui « semble venir d’une région inconnue », mais que l’on peut chercher à découvrir, de laquelle un lecteur peut être « à l’écoute232 ».

L’oralité et l’écriture entretenant de franches relations depuis longtemps dans l’histoire, leur association représente une excellente piste d’étude de l’intermédialité littéraire. Reste à voir comment il est possible de repérer les traces de l’oralité et d’en

comprendre les manifestations dans la littérature, de tels indices pouvant être « difficiles à mesurer », par exemple quand il s’agit de rythmes ou de sonorités « qui

réveillent, dans l’écrit, une mémoire orale profondément inscrite dans la psyché », ces derniers « […] [engageant] une mémoire orale individuelle parfois dépourvue de résonances collectives233 ». Par contre, lorsqu’on peut les renvoyer à des genres connus

229 Ibid., p. 17. 230 Ibidem.

231 Ibid., p. 18 (pour les different termes qui se font suite).

232 Jean-Paul Goux, La fabrique du continu, Paris, Champ Vallon, 1999, p. 157 (même référence pour

les quatre citations qui précèdent celle qui se lit en ces termes, toutefois ─ « qui semble venir d’une région inconnue » ─ est reprise des Mémoires d’Outre-Tombe de Châteaubriand, t. 1., Paris, Gallimard, Pléiade, 1951, p. 664).

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(comptines234, formules, prières, récitation, anecdotes, etc.), précise Huglo, ou quand ils :

[…] exacerbent la friction entre les codes écrit et oral (dans le calembour […]) ou encore théâtralisent la parole, ils entrent dans l’espace collectif et peuvent, à ce titre, être lus (entendus) par plusieurs235.

Attirant notre attention sur le fait que l’oralité ne doit pas être confondue avec ce qui est de l’ordre du parlé et du sonore, Goux236 soulève un point essentiel, rappelant que ces derniers, comme le rythme d’ailleurs, ne sont pas « que pour l’oreille237 », que la prose peut en être investie, moyennant une transcription des caractères, des qualités orales de la voix238. Il suffit de penser à cette pratique courante qui consiste à éliminer les signes de ponctuation pour recréer l’effet de fluidité propre à la voix. Les blancs et les points de suspension, par ailleurs, concourent à répandre des silences sur une page239.

La transposition du mouvement de la voix dans l’écriture est aussi digne d’intérêt. Par mouvement, Goux entend ce qui entraîne la voix à se frayer un sens au sein d’un texte, à s’inscrire dans une ou des directions précises, à s’orienter, à tendre vers autrui, c’est-à-dire vers l’oreille qui l’écoutera ou vers la bouche qui lui répondra. Ainsi se retrouve-t-elle, affirme Goux, comme « mise sous tension240 ». Et là résident toute sa force, sa dynamique, son énergie fondamentales. Là bat le cœur même de sa rythmique. Dans la littérature, tout cela prend forme et vie dans le travail de la syntaxe, des enchaînements, des connexions réalisées entre les divers éléments phrastiques, « mécanismes de liaison241 » complexes qui, parce qu’ils assurent « la rigueur des

234 Par extension, le chant ─ et ses différents types ─ peut aussi s’inscrire dans le cadre des grands genres de

l’oralité dont le caractère musical (non verbal, conséquemment) doit entre autres être souligné.

235 Ibid., p. 28.

236 Goux emprunte ce postulat à Henri Meschonnic (celui-ci en développe la réflexion dans son article

« Qu’entendez-vous pas oralité ? », dans Langue française, no 56, 1982, p. 6-23). 237 Ibid., p. 160.

238 Il est bien question de transcription dans le sens fort du mot, ce qui implique une transformation, à même

l’écrit, des attributs propres à l’oralité, lesquels ne font donc aucunement l’objet ─ et Goux insiste là-dessus ─ d’une « transcription artificiellement mimétique » (ibid., p. 159).

239 Silences qui, fréquents ou prolongés, peuvent s’apparenter à un coda, dans le sens musical du terme.

L’alternance de présences plus ou moins fortes de la voix (il s’agit donc ici d’une question de degrés) et de silences, peut quant à elle créer des effets de nuance, toujours dans le sens musical du terme. Nous verrons un peu plus loin comment la voix peut se manifester, peu ou prou, dans un texte.

240 Ibid., p. 175. 241 Ibidem.

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transitions242 », garantissent, du même coup, la construction, bien plus, la continuité du récit littéraire.

La narration est l’espace, bien sûr, où se déroule et chemine la voix ainsi décrite et perçue, ce qui montre, avec force d’évidence, que celle-ci ne se réduit pas à une présence énonciative. Narration et énonciation, toutefois, ne doivent pas pour autant être explorées séparément dans le cadre d’une analyse littéraire axée sur l’étude de la voix. Car c’est ensemble aussi, le plus souvent, qu’elles incarnent le lieu d’habitation de la voix. De cette façon, prenant en considération le fait que « les variations énonciatives » entrent « dans la composition des voix narratives », il importe de retenir que leur jeu en arrive globalement à « poser une voix » dont « l’effet d’entraînement et de tension243 » est remarquable, de même qu’une tonalité générale perceptible, « malgré la variété des accents qui la composent244 ».

Le ton, écrit Huglo, est « une posture à établir, une distance à régler » et demeure une notion intéressante à étudier puisque l’écriture et l’oralité (et la musique, par extension, nous le verrons) la partagent, lui accordent une place de choix245. Dans l’écriture, explique Goux, le ton, qui donne aussi le timbre d’une voix, se dégage notamment et « formellement » des locutions qu’un écrivain utilise à l’envi :

[…] tics de langage, […] tours récurrents, un entrelacement singulier de traits langagiers ─ un idiome ─ en deçà des qualités sonores de la voix, du débit, du timbre et de la mélodie246 […].

Évidemment, l’on peut aussi repérer un ton à travers bien d’autres aspects de l’écriture, son champ d’implication étant fort large, à la base, « puisqu’il renvoie aux genres ─ littéraires et discursifs ─ et aux imaginaires qui s’y rattachent », rappelle Huglo, comme il participe à la configuration de l’identité narrative, ajoute-t-elle247. Dans cette optique, tout ce qui touche au lexique, aux thèmes, aux figures, à la syntaxe,

242 Ibid., p. 162. Goux reprend à son compte cette formule de Barthes employée dans Le grain de la voix,

Paris, Seuil, 1999, p. 10.

243 Ibid., p. 177 (pour les trois citations qui se suivent dans ce paragraphe). 244 Marie-Pascale Huglo, op. cit., p. 20.

245 Soulignons au passage que la musique réserve une place importante à la notion de tonalité qui se définit

toutefois autrement, c’est-à-dire qu’en musique, la tonalité dépend simplement de la gamme dans laquelle une pièce a été composée, car c’est précisément cette gamme, les altérations qu’elle propose à la clé, ainsi que les accidents qu’elle permet parfois, qui « donne le ton » à toute mélodie.

246 Goux (op. cit., p. 173) cite ici Pierre Alféri, Chercher une phrase, Paris, Christian Bourgeois, 1991,

p. 63.

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à la distance248 contribue à « donner le ton » à un texte, cela parce qu’« on ne dit pas n’importe quoi n’importe comment (air connu249) […] ».

Il convient en outre de s’arrêter sur la notion de lyrisme également commune à l’écriture et à l’oralité. Goux parle du lyrisme en termes de « voix en action250 », à prendre dans ses moindres transports, en l’occurrence ses élans d’enthousiasme, ses emportements et ses désirs. Loin d’être exclusive à la poésie, cette voix enthousiaste251 communique aussi bien, d’après lui, son intensité à la prose, d’où les vives émotions que cette dernière parvient parfois à susciter chez un lecteur, le laissant « sans voix252 » devant celle de la beauté, de la passion inhérentes à un récit.

L’ensemble des considérations apportées jusqu’ici démontre que la présence d’une voix dans la prose, à l’oralité marquée, peut être rendue sensible de diverses manières, malgré qu’elle ne soit pas forcément prise en charge par un sujet proprement dit, et bien qu’elle ne puisse se confondre ni avec le parlé ni avec le sonore, ce qui n’est pas sans poser une sorte de paradoxe. De fait, les effets de sa présence deviennent étrangement perceptibles par les sens bien au-delà de ce qui peut solliciter l’ouïe. La comparant à une peau ─ étant donné qu’elle fait corps avec le langage, qu’elle incarne un corps langagier capable d’émouvoir, de toucher un lecteur ─, Goux avance que cette « […] voix du texte touche le lecteur au corps253 […] » et qu’elle « […] ne touche que parce [qu’elle] est une peau, qu’elle peut se regarder, se sentir, autant qu’elle peut s’écouter254 » : « […] elle est à ce point liée au langage, et à ce point identifiable comme une présence255 […] ».

248 Nous reprenons les éléments que cite Huglo dans son introduction (op. cit., p. 21). 249 Ibidem.

250 Jean-Paul Goux, op. cit., p. 178.

251 Jean-Paul Goux préfère parler d’enthousiasme plutôt que de lyrisme. 252 Ibid., p. 183.

253 Ibid., p. 182. 254 Ibidem.

255 Ibidem. Goux (ibid., p. 183) cite également Barthes à ce sujet, rappelant qu’une telle écriture se

démarque par « ses incidents pulsionnels », qu’elle est un « langage tapissé de peau », un texte dans le cadre duquel il est possible d’« entendre le grain du gosier, la patine des consonnes, la volupté des voyelles, toute une stéréophonie de la chair profonde : l’articulation du corps, de la langue, non celle du sens, du langage » (Le plaisir du texte, Paris, Seuil, 1982, p. 104-105). Goux (op. cit., p. 184), par la suite, rappelle que Barthes se sert de l’exemple du cinéma pour illustrer ses propos : « […]le cinéma, lorsqu’il prend de très près le

son de la parole et fait entendre dans leur matérialité, dans leur sensualité, le souffle, la rocaille, la pulpe des lèvres, toute une présence du museau humain ; c’est qu’alors le cinéma réussit à déporter le signifié très loin et à jeter, pour ainsi dire, le corps anonyme de l’acteur dans mon oreille » (Barthes, Le plaisir du texte, op. cit., p. 104-105).

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Or il convient maintenant de préciser que la prose peut renvoyer à deux types distincts d’oralité.

L’oralité première, selon la définition qu’en propose Paul Zuthmor, est celle à laquelle nous n’avons cessé de renvoyer et qui consiste en une oralité pure transposée dans l’écriture256. L’oralité seconde fait référence, pour sa part, à l’oralité prise en charge par d’autres médias que l’écriture, et dont la conception a été développée par le théoricien Walter J. Ong257.

En nous arrêtant, pour finir, sur la question de cette oralité seconde, il devient alors aussi intéressant de se demander de quelle manière la voix d’un texte littéraire peut en porter les traces, de quelle façon, par exemple, le traitement spectaculaire de la voix, dans un récit, rend cette dernière perceptible comme elle le serait dans une œuvre musicale ou cinématographique258.

La multiplication des voix, et quelle que puisse être leur nature (détachées de quelque sujet que ce soit ou, au contraire, assumées par des instances narratives, énonciatives), peut donner lieu à des jeux d’orchestration étonnamment artistiques. Ainsi, dans le cas de la situation romanesque polyphonique, les voix, en dépit de leur diversité (qui se veut tonale aussi), sauront ensemble ─ à travers le tout que constitue le récit ─ créer l’effet d’un seul chant harmonieux si leur perméabilité leur permet d’échanger, de partager un certain réseau de motifs259. Les reprises de ces thèmes comme leurs croisements ─ favorisant leurs modulations et la multiplication de leurs nuances, dans le sens musical du terme ─, et leurs circulations, leurs migrations, leurs

256 Zumthor analyse cette notion dans son Introduction à la poésie orale, Paris, Seuil, coll. « Points »,

1983.

257 Consulter, à ce sujet, son incontournable étude titrée Orality and Literacy. The Technologizing of the

Word, London and New York, Methuen, 1983.

258 Huglo fait remarquer que de manière générale, le caractère spectaculaire d’une voix narrative en

littérature peut notamment se manifester par un « passage abrupt d’un registre, d’un discours, d’un chapitre ou d’une phrase à l’autre » puisque dans ces moments-là, cette voix prend la forme d’une « apparition intempestive », donc « spectaculaire ». Elle poursuit en affirmant que « la perception de son caractère déplacé » peut également relever du spectaculaire, entre autres à travers « des tours de style particuliers, par des exagérations ». De manière plus matériellement visible, cette spectacularité peut en outre se donner à voir lorsque la voix est prise dans une sorte de mobilité, dans « des jeux d’espacement sur la page qui produisent, dans le décalage, l’effet du déplacement » (Le sens du récit, op. cit., p. 126), l’emploi de l’italique pouvant souligner ces jeux entre autres procédés typographiques bien entendu.

259 Dans cette optique, Raymond Michel préfère même remplacer le terme de polyphonie par celui,

spécifiquement musical, d’hétérophonie, et qui désigne les voix, « les parties d’un morceau […] qui diffèrent dans leurs détails, tout en étant comprises par l’exécutant comme les paraphrases, les variations

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passages d’une voix à une autre, tout cela contribue à créer dans la littérature ce que Marie-Pascale Huglo appelle d’« étranges transvocalisations260 ». De curieuses « passerelles s’ébauchent261 » entre les voix, formant une « trame intervocale » grâce à laquelle « une cohésion singulière, musicale262 » s’opère dans un texte, peu importe l’hétérogénéité des voix qui le caractérise.

Dans le cas opposé, où les voix éclatées ne partageraient rien et où elles feraient l’objet d’un collage hasardeux, nous pourrions y percevoir quelque chose de dissonant. Ces effets de dissonance (s) peuvent aussi, cependant, être volontairement recherchés.

De manière davantage isolée, à l’intérieur des structures phrastiques, on peut constater d’autres phénomènes intéressants. Par exemple, lorsqu’une voix (narrative) qui en rapporte une autre (qui s’énonce en discours direct) fait place à cette dernière sans l’annoncer par le moindre signe typographique (ni guillemets, ni tirets, ni parenthèses, ni verbes introducteurs). De l’abolition de ces frontières discursives résulte une superposition, un chevauchement, une confusion des voix qui, comme fondues l’une dans l’autre, reproduisent ainsi presque l’effet d’une surimpression sonore, telle qu’on la retrouve au cinéma263. Tout se passe comme si les voix partaient à la dérive, aucune transition n’assurant le passage de l’une à l’autre.

Le caractère invraisemblable de certaines voix doit également être souligné. La voix d’un trépassé qui hante un récit ou la conscience d’un personnage a fréquemment cours dans l’univers du septième art264 comme dans celui du roman et du théâtre (à

d’un même schéma » (Raymond Michel, « Pour une lecture polyphonique. Assia Djebar : Langage, Tangage, Langage Tatouage », loc. cit., p. 90).

260 Marie-Pascale-Huglo, op. cit., p. 154. 261 Ibid., p. 122.

262 Ibid., p. 156.

263 Huglo souligne que, dans ce cas précis, un tel chevauchement des plans narratifs et énonciatifs n’est

pas sans perturber la lecture. Par ailleurs, la présence de verbes introducteurs, autant que leur absence dans un tel cas de figure, peut également créer des effets similaires de confusion s’ils sont aussi noyés dans le flux narrato-discursif. Pour exemplifier ce phénomène, Huglo (ibid., p. 120) cite un court extrait de La Compagnie des spectres de Salvayre : « Ses gars, disais-je, dit ma mère, sont excessivement mâles » (Paris, Seuil, 1997, p. 38). Ajoutant un commentaire à ce passage, Huglo fait remarquer que « le hiatus […] entre disais-je et dit ma mère fait apparaître les ficelles de la narration, mais [qu’] il entraîne également un chevauchement cacophonique entre imparfait et passé simple, entre « je » et « ma mère » pour un même dire » (Le sens du récit, op. cit., p. 121).

264 « Qu’un mort continue à parler dans un film comme voix sans corps errant à la surface de l’écran,

quoi de plus naturel ? La voix, particulièrement au cinéma, n’a-t-elle pas un rapport de proximité avec l’âme, avec l’ombre, avec le double, avec les répliques insubstantielles du corps, détachables, qui lui survivent à la mort, et parfois même le quittent durant sa vie ? », écrit Michel Chion dans La voix au

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travers la figure de la prosopopée). Désincarnée, spectrale ou comme issue de nulle part, à la limite, elle peut en outre rester difficile à identifier clairement, bien qu’elle puisse simultanément imposer sa présence d’un bout à l’autre d’une œuvre, plus ou moins régulièrement, partant, revenant, servant à lier des récits séparés, ponctuant le texte de manière particulière à chaque « apparition », ou l’interrompant, procédés qui se veulent tous, bien entendu, signifiants du point de vue de la compréhension d’une intrigue265.