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d. Historiographie centraméricaine à l’encontre de Morazán

Francisco Morazán : du personnage historique à la figure héroïque (1829-1858)

I. 1. d. Historiographie centraméricaine à l’encontre de Morazán

Dès le vivant de Morazán, certains de ses adversaires politiques et militaires ont entrepris l‘écriture d‘une Histoire dénigrant son image. Malgré la volonté affichée d‘exposer « la vérité » historique, ces œuvres sont empreintes de revendications politiques. En 1830, le salvadorien M.-J. Arce a écrit ses Mémoires depuis son exil comme un manifeste pour justifier ses actions en tant que premier Président de la République Fédérale. Cet ouvrage est un pamphlet contre Morazán : Arce emploie un vocabulaire très offensif tout en s‘en remettant à l‘Histoire comme juge. Il s‘agit ainsi à la fois de défendre sa posture politique personnelle et de donner sa vision explicative des conflits qui ont ravagé la région durant la période où il a été un acteur politique de premier plan.217 Sur un ton à la fois agressif et ironique, Morazán est dépeint comme un tyran impitoyable envers la population, préoccupé removiendo de sus cargos a todas las personas, que directa o indirectamente contribuyeron al sostenimiento del régimen del Gral. Francisco Morazán‖.

213 MELÉNDEZ CHAVERRI, Carlos, « El verdadero Morazán », op. cit.

214 Gaceta Oficial, Guatemala, num. 6, 14 mai 1841.

215 Voir : Gaceta oficial, Guatemala, num. 10, 18 juin 1841; Gaceta Oficial, Guatemala, num. 11, 23 juin 1841 et

Gaceta oficial, numéro extraordinaire, 21 octobre 1841.

216 Gaceta Oficial, Guatemala, num. 20, 12 août 1841.

217 ARCE, Manuel José, Memorias…, op cit. Morazán apparaît à partir du dixième chapitre. Arce l‘accuse d‘avoir mis sa femme en prison alors qu‘elle était en mauvais état de santé, montrant ainsi « qu‘aucune vertu ne pourra jamais pénétrer en lui ». Le douzième chapitre est consacré à la capitulation du Guatemala, que Morazán a annulée « par l‘acte le plus scandaleux de mauvaise foi » quelques jours seulement après l‘avoir signée, « se moquant de Dieu et des hommes. » Notons que les références à l‘Antiquité romaine sont assez récurrentes dans ce texte.

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uniquement par ses propres intérêts, n‘ayant pas le « cœur d‘un centraméricain ». En vertu du concept de civilisation, Arce généralise l‘expérience de Morazán en mettant en relief un sentiment d‘infériorité de la région face au reste du monde. Plein d‘amertume, Arce se lamente : « Oh peuples de l‘Amérique Centrale, vous êtes la farce, vous êtes la raillerie de ceux qui ont l‘habileté de vous tromper. »218

En 1832, le guatémaltèque Manuel Montúfar y Coronado, ancien libéral devenu idéologue du parti conservateur et résidant alors au Mexique, publie lui aussi ses Mémoires en leur attribuant un caractère historique.219 Tout en reconnaissant à Morazán des dons naturels, celui-ci est défini comme un opportuniste imbu de pouvoir et responsable de la désagrégation de la Fédération pour incarner la volonté de vengeance des provinces contre la capitale guatémaltèque.220 Selon l‘auteur, ce sont précisément ses dons qu‘il n‘a pas su contrôler en vue du bien commun qui l‘ont empêché d‘être « l‘homme nécessaire de la République ».221

Les deux critiques principales face au gouvernement de Morazán sont le recours aux contributions forcées et son opposition à l‘Église. Le concept de civilisation est clairement lié à la foi religieuse, tout en considérant que « propager les lumières et développer la colonisation blanche sont les remèdes indiqués pour la guérison radicale de l‘Amérique Centrale. »222 De la même manière que Arce, Montúfar y Coronado adopte un ton fataliste pour déclarer que le terrain centraméricain n‘est pas encore capable de donner naissance à des figures héroïques, les qualités de Morazán n‘étant valables que dans le champ militaire et non

218 Idem, p. 213. Notons qu‘en 1846, le même auteur publie un autre ouvrage intitulé Breves indicaciones para la

reorganización de Centro América considérant l‘union centraméricaine comme une nécessité. Voir :

TARACENA ARRIOLA, Arturo, « Nación y república… », op. cit.

219 MONTÚFAR y CORONADO, Manuel, Memorias…, op. cit. Cet ouvrage est aussi appelé « Mémoires de Jalapa », du nom de la ville mexicaine où l‘auteur était exilé suite à la victoire de Morazán. Même si Montúfar y Coronado concède qu‘il est difficile d‘être impartial dans un contexte de guerre civile, il prétend reconstituer les faits avec exactitude et objectivité et s‘en remet à la postérité. En accord avec la tendance de son époque, il considère que l‘Histoire s‘écrit à partir de la biographie des grands hommes. L‘auteur s‘intéresse à Morazán à partir du troisième chapitre et affirme que dès le début de sa carrière, dans le bureau d‘un greffier à Comayagua, il a montré des dispositions peu honorables (p. 128). M. Montúfar y Coronado avait d‘abord été rédacteur du journal El Editor Constitucional, en lien avec les indépendantistes Pedro Molina, Francisco Barrundia et le chanoine Castilla. Voir : PAYNE, Elizet, « La historia oficial. Orígenes de la historiografía liberal centroamericana (1830-1930) », Avances de Investigación CIHAC-UCR, San José, 74, 1994. Montúfar y Coronado a publié un autre ouvrage intitulé Papeles de Ochocientos où il remet en cause l‘identification de Morazán à la « Civilisation » pour avoir expulsé les élites guatémaltèques et échoué face à Carrera. Voir : TARACENA ARRIOLA, Arturo, Etnicidad, Estado y naciñn…, op.cit., p. 225.

220 MONTÚFAR y CORONADO, Manuel, Memorias…, op. cit., p. 164. Montúfar y Coronado dénigre tout particulièrement les guatémaltèques qui ont pris les armes en faveur de Morazán.

221 Idem, p. 163. L‘auteur admire la formation autodidacte de Morazán et assure qu‘il a « une figure

recommandable, bien que non militaire, il réunit le talent et les manières flatteuses, bien que de ses manières se dégagent l‘affection ou la sensibilité. » Malgré ces qualités physiques et morales, Morazán est finalement comparé à une bête sauvage.

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politique, faisant de lui simplement « le héros du hasard, le fils des circonstances. »223

Les ouvrages de l‘historien guatémaltèque Alejandro Marure ne sont pas autobiographiques et n‘ont pas l‘objectif de défendre des actions politiques personnelles mais cet auteur participe malgré tout au dénigrement de l‘image de Morazán. Son ouvrage historique principal date de 1839 et, dans la préface, il affirme lui aussi sa volonté d‘impartialité.224 De même que Montúfar y Coronado, Marure estime que Morazán possédait des capacités dont il n‘a pas su tirer profit pour le bien de tous mais il ne va pas jusqu‘à le définir comme un mauvais homme d‘État.225 Il est ainsi beaucoup plus circonspect que le premier concernant les erreurs de gouvernement attribuées à Morazán. Il refuse d‘ailleurs de le qualifier de vengeur sanguinaire, dépassant ainsi l‘opposition manichéenne entre le bien et le mal.226 Les deux auteurs critiquent le caudillo pour sa passion de la gloire militaire mais il est intéressant de noter que son manque de « virilité » fait partie des éléments expliquant la négation du statut de héros, et ce bien que des qualités physiques et morales lui soient concédées.227 Comme Arce et Montúfar y Coronado, Marure est passé du camp libéral à celui des conservateurs, devenant l‘adversaire politique de Morazán. Selon R.-L. Woodward c‘est l‘année suivant la victoire de Carrera en 1840 que l‘auteur s‘est rapproché des conservateurs, notamment dans un écrit où il critiquait les intromissions de Morazán dans les affaires politiques du Guatemala.228

223 Idem, p. 234. À partir du cas de Morazán, l‘auteur généralise et tire des conclusions à caractère universel : « l‘ambition cupide du conquistador préfère les triomphes destructifs des armes à la gloire sans tâches du conciliateur humaniste et du magistrat réparateur de grandes pertes. » (p. 163).

224 MARURE, Alejandro, Bosquejo histñrico…, op. cit., pp. 33-36. Marure déclare se référer à des événements qu‘il a vécu de près sans y avoir pris part et veut écrire pour la postérité, dans l‘objectif d‘une « régénération de la nation centraméricaine ». Ainsi, il accuse les prêtres d‘avoir provoqué l‘insurrection des peuples de la région de Los Altos mais reconnaît que les libéraux radicaux tels que Barrundia se sont mis les masses à dos, favorisant l‘ascension au pouvoir de Carrera.

225 Idem, pp. 593-594. Selon Marure, la passion de la gloire militaire aurait empêché Morazán de devenir un

génie créateur mais il était respectueux des lois et des règles du commandement politique. L‘auteur explique l‘attitude de Morazán face au Guatemala par son intention de protéger avant tout le Salvador. Il considère que le fédéralisme défendu par le caudillo était un centralisme déguisé fondé sur son ambition personnelle et son ego démesuré. Voir aussi : MARURE, Alejandro, « Observaciones sobre la intervención que ha tenido el ex-presidente de C.A., general Francisco Morazán, en los negocios políticos de Guatemala durante las convulsiones que ha sufrido este estado, de mediados de 837 a principios de 839 », in Revista de la Academia de Geografia e

Historia de Nicaragua, année 2, vol. 4, septembre 1938.

226 Idem, p. 593. Il se réfère aux Mémoires de Montúfar y Coronado concernant les fautes que Morazán aurait

commises à ses débuts de carrière mais estime qu‘il s‘agit d‘affirmations non prouvées.

227 Idem. Il le décrit de cette façon : « Sa taille, sa physionomie et ses manières annoncent en lui un homme supérieur mais non pas sa voix, dont le métal a un je-ne-sais-quoi d‘efféminé et d‘affecté. » À la fois calme et intrépide, Morazán est exalté pour s‘être formé de manière autodidacte.

228 WOODWARD, Ralph Lee, Rafael Carrera…, op. cit., p. 127. Marure avait d‘abord participé au gouvernement libéral de M. Gálvez qui l‘avait chargé d‘écrire un ouvrage historique pour contredire l‘interprétation de Montúfar y Coronado. Il affirme d‘ailleurs que ses écrits étaient déjà préparés quand le chef d‘État lui en fit la commande. Cependant, à mesure qu‘il rédigeait son œuvre, et le contexte politique évoluant, Marure a fini par changer de bord et a même rempli des fonctions dans le gouvernement de Carrera.

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Ces trois auteurs sont les pionniers de l‘historiographie dénigrant la figure de Morazán. De manière générale, ils insistent sur le fait que son caractère militaire a primé sur le civique et sur son incarnation des rancœurs des provinces envers l‘ancienne capitale le conduisant à s‘opposer au Guatemala. Ses ambitions personnelles l‘ayant empêché de représenter les principes républicains dont l‘Amérique Centrale avait alors besoin, Morazán apparaît ainsi comme le responsable de l‘échec de la Fédération. Cependant, chaque auteur insiste plus ou moins sur certains aspects et adopte un ton plus ou moins agressif selon son expérience personnelle. Cette historiographie est reprise par d‘autres auteurs qui prônent l‘union centraméricaine et expliquent le succès de Carrera par les erreurs de Morazán.229 Il n‘est pas certain que Carrera ait lui-même formulé le projet d‘élaborer une historiographie dénigrant l‘image de son adversaire, ni de diffuser les œuvres y participant à l‘échelle de l‘Amérique Centrale. Cependant, volontairement ou non, ces ouvrages historiques soutiennent de fait sa légitimité au pouvoir. Bien que certains auteurs tels que Arce se soient aussi confrontés à ce caudillo, le fait d‘apporter une justification historique à la chute de Morazán renforce l‘influence politique et militaire de Carrera en l‘érigeant comme le seul caudillo d‘envergure centraméricaine.

Profitant de la distance sur les événements conférée par l‘éloignement de la scène centraméricaine durant son exil, Morazán entreprend l‘écriture de textes justifiant son action face aux critiques de ses adversaires. Il rédige tout d‘abord un Manifeste aux centraméricains, connu sous le nom de Manifeste de David, ville du Panama où il était alors de passage, dans lequel son combat est explicitement inscrit dans une logique dichotomique.230 Son but est de s‘approprier la définition de la nation en s‘érigeant comme le représentant des principes constitutifs du « vrai patriote centraméricain ». Morazán estime que ses adversaires n‘ont pas été dignes de la patrie, ce qui fait d‘eux des étrangers, voire des ennemis de l‘Amérique Centrale. Il adopte un ton volontairement offensif et interpelle les « hommes qui avez abusé des droits les plus sacrés du peuple pour votre intérêt sordide et mesquin. » Il critique donc

229 I. Cumplido se lamente que cela fasse « plus d‘une année que les États d‘Amérique Centrale se gouvernent indépendamment, sans lien de quelconque union fédérative, la nationalité a disparu et Morazán a constamment contrarié la réunion d‘une convention nationale qui réorganise la République. Ainsi, il est l‘auteur de la désorganisation actuelle : il l‘est des maux conséquents de l‘isolement dans lequel se gouvernent les cinq États, faibles par eux-mêmes, et des divers systèmes qui ont été adoptés, il l‘est de la plus grande importance du général Carrera puisque n‘ayant pas pu le vaincre, et en ayant transigé avec lui, il a désarmé le Guatemala et a laissé Carrera armé. Et il sera responsable de toutes les conséquences. » En faisant référence au travail de Marure, I. Cumplido confirme que Carrera incarne désormais les aspirations populaires : CUMPLIDO, Ignacio, « Morazán en Guatemala », op. cit.

230 Les procédés littéraires de parallélisme et de répétition sont particulièrement prisés par Morazán : « Ce n‘est pas votre patrie…C‘est notre patrie. » Le manifeste commence d‘ailleurs avec une citation de Montesquieu : « Quand les traîtres à la patrie exercent les plus hauts postes, le gouvernement est oppresseur. » : MORAZÁN, Francisco, Memorias…, op. cit., p. 73.

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ses adversaires pour ne pas avoir respecté le peuple, lequel est érigé en juge et se veut lui-même l‘unique dépositaire de la volonté populaire.231 Morazán cherche ainsi à détruire la diabolisation de son image et à renverser la perspective en dressant une longue liste des faits « barbares » de Carrera, qualifié de sauvage, fanatique et assassin, et entre dans les détails pour faire appel aux émotions.232

Morazán établit une continuité entre le groupe qui revendiquait une annexion de l‘Amérique Centrale au Mexique et ses adversaires politiques. Ces derniers étant identifiés à l‘héritage colonial, ils représentent la force à combattre et sont considérés comme des barbares soutenus par le fanatisme religieux. Morazán définit son combat comme une lutte contre l‘aristocratie :

Ni l’or du Guayape ni les perles du Golfe de Nicoya n’adorneront à nouveau la couronne du marquis de Aycinena, ni le peuple centraméricain ne verra plus ce signe déshonorant de l’ancien esclavage, mais si ce symbole de l’aristocratie devait à nouveau briller sur son front, ce serait le point de mire des tirs des soldats républicains.233

Morazán prétend ainsi mener une lutte contre l‘absolutisme de manière à en faire une « Guerre Juste ». Il fait toutefois référence à la nécessité d‘une régénération de la patrie et envisage des réformes à effectuer pour le bien-être des centraméricains.234 Morazán conclut le manifeste sur un ton prophétique, en annonçant à ses adversaires que la justice qui est de son côté les condamnera à errer comme les fils de Judas. Comme l‘indique H. Umaña, « Morazán personnalise et humanise la patrie en la considérant comme un être qui peut être trouvé » et exprime ses passions au moyen d‘expressions métaphoriques et hyperboliques, en particulier quand il se réfère à Carrera : « ce monstre aurait dû disparaître avec le choléra morbus

231 Idem, p. 74. En écrivant généralement à la première personne du pluriel, Morazán cherche à faire de son programme politique un projet partagé par l‘ensemble de la population. Il justifie son exil volontaire comme un sacrifice au nom du bien commun et accuse ses adversaires de conduite injuste, notamment Carrera qui aurait signé un accord avec le gouvernement du Salvador pour expatrier les exilés.

232 Idem, pp. 88-89. Morazán fait la différence entre Carrera et le « vous » auquel il s‘adresse, car ses adversaires ne sont pas animalisés comme l‘est celui-ci bien qu‘ils soient désormais alliés. Il considère que si Carrera est alors à la tête de l‘État du Guatemala, c‘est parce que ses adversaires « civilisés » (comprendre l‘élite guatémaltèque traditionnelle) l‘y ont mis. Il accuse Carrera d‘avoir empoisonné les fleuves pour répandre une épidémie de choléra, ce dont Morazán est lui-même rendu responsable. Les faits relatés pour justifier la sauvagerie de l‘ennemi sont donc semblables des deux côtés. Carrera est aussi accusé d‘avoir forcé deux jeunes filles de la famille de Delgado à assister à l‘exécution d‘un juge. Sur un ton que nous considérons ironique, Morazán fait appel à la « Divine Providence » comme Carrera a coutume de le faire pour expliquer une balle reçue dans la poitrine, comme un « juste châtiment ». Morazán attribue à son tour à Carrera les termes de « perfide » et de « diabolique ».

233 Idem, p. 88: ―Ni el oro del Guayape ni las perlas del Golfo de Nicoya volverán a adornar la corona del marqués de Aycinena; ni el pueblo centroamericano verá esta señal oprobiosa de la antigua esclavitud, pero si alguna vez brillase en su frente este símbolo de la aristocracia, será el blanco de los tiros de los soldados republicanos.‖ Le Marquis de Aycinena est accusé d‘avoir favorisé la rébellion contre son gouvernement.

234 Idem, p. 81 et pp. 86-87. Morazán réfute l‘accusation selon laquelle la Constitution Fédérale est une copie de

67 asiatique qui l‘a produit ».235

Si ce Manifeste s‘inscrit dans une réaction immédiate aux circonstances qui l‘ont poussé à s‘exiler, Morazán est aussi attentif à son image en ayant la volonté de légitimer sa figure face à l‘Histoire.236 Il entreprend ainsi l‘écriture de ses Mémoires, et commence par une réflexion sur la vérité historique et l‘esprit de parti. Si son objectif est bien de se défendre des attaques de l‘historiographie dénigrant son image, il promet « de ne pas dépasser les limites de la modération et de la décence ».237 Il prétend alors écrire un ouvrage au caractère historique, en s‘appuyant sur des documents et des témoignages « irréprochables » (en citant ses adversaires par exemple). Pour Morazán, l‘origine de la situation conflictuelle dans laquelle l‘Amérique Centrale a plongé se trouve dans l‘élection de M.-J. Arce à la présidence de la République Fédérale alors que les peuples avaient choisi J.-C. del Valle, et il s‘attache à détailler la conduite oppressive du premier.238

Il insiste sur l‘opposition catégorique entre les deux partis politiques : d‘un côté les défenseurs de la Constitution, c'est-à-dire de l‘indépendance et de la liberté, de l‘autre les partisans d‘un système monarchique selon l‘héritage colonial.239 Morazán souligne également la valeur des soldats qui ont combattu sous ses ordres pour défendre leur patrie et leur foyer, contrairement aux « mercenaires » employés par ses adversaires.240 Il prétend ainsi rendre hommage à la mémoire des patriotes héroïques qui sont tombés pour assurer la victoire de son armée. Il veut aussi relativiser les emprunts forcés qu‘il a dû entreprendre pour financer la guerre : seuls les propriétaires qui avaient aidé ses adversaires ont été concernés, assure-t-il. Faute de temps, Morazán n‘achève pas ses Mémoires, celles-ci se terminent sur la capitulation du Guatemala en 1829. Notons qu‘il semblerait que ce texte n‘ait été diffusé pour la première

235 UMAÑA, Helen, Francisco Morazán…, op. cit., p. 30.

236 V.-H. Acuña estime d‘ailleurs que ce manifeste peut aussi être envisagé comme un regard rétrospectif sur plusieurs décennies de libéralisme en Amérique Centrale. Voir : ACUÑA ORTEGA, Víctor Hugo, « El liberalismo en tiempos de la independencia… », op. cit., pp. 117-145.

237 Morazán fait explicitement référence aux écrits de Montúfar y Coronado et de Arce, les considérant comme des pamphlets contre sa personne. Un peu plus loin, il cite l‘ouvrage de Marure en soulignant que cet auteur est aussi devenu un de ses ennemis. Morazán assure qu‘il a voulu entreprendre l‘écriture de sa vie politique en prenant conscience que les critiques à son encontre se propageaient même parmi ses amis mais qu‘il était difficile de rassembler la documentation nécessaire, et que son silence était mal interprété : MORAZÁN, Francisco, Memorias…, op. cit, p. 14.

238 Idem, p. 16. Il juge que Arce a trahi sa patrie en ne respectant pas la Constitution et l‘accuse d‘avoir recherché