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Francisco Morazán : du personnage historique à la figure héroïque (1829-1858)

I. 1. b. Chute de Morazán et diabolisation de sa figure

Dès 1837, avec le début de la révolte dirigée par Carrera, une légende noire commence à circuler autour de Morazán, niant l‘identification de sa figure avec la « civilisation ». Pour la majorité de la population, notamment au Guatemala, il semblerait que ce concept ait été étroitement lié à la foi catholique, laquelle était amplement partagée. Ainsi, l‘argument principal à l‘encontre de Morazán a été son non-respect des valeurs religieuses du peuple. Ses adversaires l‘accusent de corruption et d‘immoralité considérant qu‘il a « profané l‘école du Christ et tué des indigènes travailleurs ».152 Carrera joue alors le rôle du messie qui met en garde le peuple contre le pouvoir diabolique de Morazán, capable de contrôler la situation sans en avoir l‘air, pour faire le mal.153 Les poèmes, moyen à travers lequel Morazán a d‘abord été célébré, ont aussi été utilisés pour diffuser une image négative de tyran et d‘assassin. De plus, la presse guatémaltèque a mené une forte propagande en attribuant toute sorte d‘atrocités à Morazán. Il est par exemple tenu pour responsable d‘une épidémie de choléra, les prêtres ayant fait croire à la population que le gouvernement voulait empoisonner la population.154 Le président de la Fédération est ainsi érigé en ennemi du Guatemala autant du fait de ses fonctions politiques que de ses actions militaires.

150 KONRAD, Pat, « Las concesiones de la caoba y la red polìtica de Morazán…. », op. cit.

151 Selon A. Taracena, dès 1830 « aucun groupe économique dominant ne s‘identifiait plus de manière efficace avec l‘objectif fédéral ni avec la nécessité d‘un effort guerrier pour l‘imposer. » L‘élite salvadorienne était alors avant tout intéressée par l‘articulation de l‘économie de l‘indigo au marché mondial : TARACENA ARRIOLA, Arturo, « Naciñn y república… » op. cit., p. 51.

152 ―Expedición de Morazán a la capital de Guatemala y su derrota por el General Carrera en los días 18 y 19 de marzo de 1840‖, 27 mai 1840, in Derrota del Gral. Morazán en Guatemala, compilation de documents réalisées par l‘Académie de Géographie et d‘Histoire du Guatemala. Voir aussi : El Tiempo, Guatemala, num. 35, 27 septembre 1839.

153 ―Colecciñn de algunos de los interesantes documentos que se encontraron en los equipajes tomados en la acciñn de los dìas 18 y 19 de marzo de 1840‖ in Derrota del Gral. Morazán en Guatemala, op. cit. Ce document est publié sur ordre du gouvernement guatémaltèque.

154 Voir par exemple : El Tiempo, Guatemala, num. 35, 27 septembre 1839 et WOODWARD, Ralph Lee, Rafael

Carrera…, op. cit., pp. 166-211. Dans cet ouvrage est aussi reproduite une chanson écrite par les artisans du

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Ce discours s‘étend à l‘Amérique Centrale et même parmi les salvadoriens, peuple considéré comme le soutien le plus fidèle de Morazán, des groupes ont fini par remettre en doute sa légitimité comme chef d‘État. En 1834, il avait transféré la capitale fédérale de la ville de Guatemala à San Salvador autant pour réduire le pouvoir du Guatemala que pour mieux contrôler le Salvador au sein duquel des soulèvements contre son gouvernement s‘étaient développés. Ce transfert n‘aurait été apprécié ni par les guatémaltèques qui dénoncent une opposition à leur État ni par les salvadoriens qui considèrent que cela perturbe l‘organisation interne de l‘État, la capitale devant être déplacée pour faire de San Salvador le district fédéral.155 Une feuille volante qui circule en 1838 explique pourquoi les signataires, « véritables patriotes », n‘ont pas voté pour lui. Selon une pensée dichotomique, ce pamphlet fait appel aux « bons salvadoriens » pour se rebeller face aux prétentions de Morazán dont le projet est défini comme machiavélique.156 L‘argument principal est la crainte de la dictature. Il est intéressant de noter que le caudillo est ici identifié à un projet politique centralisé autour de sa personne et que c‘est au nom du fédéralisme que ces salvadoriens réagissent. Les auteurs s‘attachent à détruire son prestige en utilisant un ton satyrique contre la « fausse idole de la nationalité » ; Morazán étant décrit comme un chef militaire tyrannique, corrompu et uniquement préoccupé par ses ambitions personnelles.157 Eux-mêmes avouent avoir d‘abord été séduits par sa personnalité, mais expliquent que la désillusion les a finalement gagnés, la situation ne s‘étant pas améliorée. Son non-respect de la religion est aussi mentionné et envisagé comme une attaque aux droits de l‘homme et du citoyen.

L‘indifférence de Morazán aux revendications populaires est relevée pour ainsi expliquer « l‘anarchie », terme se référant à l‘état de guerre permanent en Amérique Centrale à cette époque.158 Le paradoxe de son projet politique est mis en évidence : alors qu‘il est apparu sur la scène centraméricaine pour défendre les États face au gouvernement fédéral, une fois à la

155 FERNÁNDEZ, José Antonio, « El proceso de la Independencia… », op. cit, p. 284. Une rumeur a aussi couru selon laquelle Morazán aurait lui-même provoqué une révolte au Salvador de façon à être rappelé à son poste de Président de la Fédération. Voir la lettre du 9 mars 1934 signée par Charles G. DeWitt, diplomatique étasunien dans : Revista de la Academia de Geografía e Historia de Nicaragua, Managua, avril 1943, p. 12. L‘auteur assure que Morazán était également impopulaire au Honduras à cause des contributions forcées mises en place.

156 Archivo Nacional de Costa Rica (San José), Fondo Federal, 000614, 1839-01-15, « Hoja volante contra Francisco Morazán » signée le 12 décembre 1838 depuis la ville de San Francisco, et publiée à San José par l‘imprimerie du gouvernement costaricien le 15 janvier 1839. Un élément important est ici souligné : le fait que le caudillo paraisse s‘effacer du devant de la scène quand les critiques se généralisent pour revenir en force dès que les circonstances le permettent.

157 Idem. Une autre critique qui est faite à Morazán est de n‘avoir pas su négocier l‘ouverture du Canal

interocéanique au Nicaragua.

158 VARGAS, Hugo, « La formación del Estado en Nicaragua: entre el sufragio y la violencia (1821-1854) » in DÍAZ ARIAS, David et VIALES HURTADO, Ronny (ed.), Independencias, Estados y polìtica(s)…, op. cit., p. 166. Le thème des contributions forcées demandées par Morazán est récurrent quand il s‘agit de critiquer son gouvernement : Gaceta Oficial, Guatemala, num. 2, 4 mars 1841.

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tête de la Fédération, il fait la guerre aux États.159 Il est difficile de déterminer quel était le projet de nation réellement revendiqué par Morazán. Même parmi ses adversaires, les critiques divergent : alors que certains lui reprochent de vouloir établir un gouvernement centralisé, d‘autres, notamment au Guatemala, le dénoncent pour incarner un système fédéral.160 Malgré les différentes interprétations, il semble que le refus supposé de Morazán d‘effectuer les réformes à la Constitution, revendiquées par divers milieux de la population centraméricaine, ait été un élément rassembleur de ses adversaires.161

Replié au Salvador avec le statut de chef d‘État suite à la désagrégation de la Fédération, Morazán est dans une certaine mesure identifié à ce peuple. Dans le journal salvadorien La Miscelánea, on informe d‘une agression guatémaltèque au marché de Esquipulas le 14 janvier 1840. Plusieurs témoignages sont reproduits selon lesquels des salvadoriens furent arrêtés, d‘autres battus, pour le seul motif de leur nationalité, de peur qu‘ils ne militent aux côtés de Morazán.162 On affirme avoir vu des indigènes en train de pourchasser les salvadoriens, ce qui consolide par ailleurs la représentation de Carrera comme caudillo indigène. La participation des autorités salvadoriennes à cette agression est cependant mise en cause et il est indiqué que personne n‘a osé se plaindre.

Les relations entre le Salvador et le Guatemala se durcissent à la fin de l‘année 1839 : les gouvernements s‘accusent mutuellement de chercher à envahir le territoire de l‘autre. La presse guatémaltèque suit de près la situation au Salvador et diffuse largement les proclamations de Carrera, sur ordre du gouvernement.163 Le Guatemala revendique la destitution de Morazán de son poste de chef d‘État salvadorien au nom de la paix en Amérique Centrale en assurant que les peuples n‘ont plus confiance en lui.164 Sa disparition de la scène politique est exprimée comme une aspiration populaire, son pouvoir tyrannique

159 CUMPLIDO, Ignacio, « Morazán en Guatemala », op. cit.

160 El Tiempo, Guatemala, num. 40, 12 juin 1839. On considère que le système fédéral est responsable de la division entre les peuples des États.

161 Le 18 janvier 1839 le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica signent le Traité de Comayagua pour faire la guerre au gouvernement fédéral dans le but de défendre la souveraineté des États, effectuer des réformes à la Constitution fédérale et destituer Morazán de son poste de Président. Voir : CHAMORRO ZAMORA, María Ester, Re-examinando la unidad centroamericana: los debates en los periódicos salvadoreños en la década de

1840, mémoire de master en philosophie ibéroaméricaine, Université José Simeón Cañas, San Salvador, 2006.

162 Idem, pp. 47-48. L‘auteure se réfère à La Miscelánea, num. 11, 4 avril 1840.

163 El Tiempo, Guatemala, num. 33, 21 septembre 1839. Le terme de « ganzuista » est également utilisé pour se

référer à Morazán, qui pourrait provenir de « ganzúa », le passe-partout utilisé par les voleurs : El Tiempo, Guatemala, num. 32, 18 septembre 1839.

164 AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B99.2 exp. 32979 leg. 1411 fol. 25, 23 août 1839: ―El gobierno de Guatemala informa a su comisionado en El Salvador que la elección de Morazán como jefe de Estado de este país es vista por el pueblo y gobierno guatemaltecos con muchas (sic) desconfianza y que esa elección ponía en peligro la paz en Centro América‖.

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étant considéré comme la cause des conflits.165 Le combat est envisagé comme étant strictement limité à Morazán et non tourné contre le Salvador afin de rassembler le maximum d‘opposants sous l‘influence de Carrera.166

L‘identification de Morazán au peuple salvadorien est renforcée par l‘affirmation que le chef de l‘État ne se séparerait de son poste de manière légale qu‘à partir du moment où le Salvador serait libre de toute attaque de ses « ennemis » et qu‘il promettait de ne plus intervenir dans le champ politique si cet État cessait d‘être menacé.167 Dans un premier temps, le conseil représentatif du Salvador refuse la démission de Morazán car cela aurait supposé d‘accepter l‘intervention du gouvernement guatémaltèque dans les affaires internes de l‘État.168 En 1839, l‘assemblée législative du Salvador décrète d‘ailleurs des remerciements officiels envers Morazán pour son patriotisme et ses « efforts héroïques » sur le champ de bataille.169 L‘espoir de Carrera reprend quand on annonce le soulèvement des peuples honduriens et salvadoriens. Morazán est ainsi érigé en bouc émissaire qui doit être éliminé pour le bien et l‘union de l‘Amérique Centrale, et un appel à un soulèvement général est lancé, considérant que son parti, n‘étant identifié à aucun idéal, est appelé à disparaître :

Les hommes, quand ils ne représentent aucune idée ou système, ne sont rien pour les nations. Le Général Morazán dans un autre temps fut l’agent puissant par lequel ce qui s’appelait le parti libéral a triomphé : celui-ci en dix ans a épuisé ses efforts et a produit les maux qui sont patents dans toute l’Amérique Centrale et maintenant ce caudillo, qui ne représentait pas plus que ses intérêts particuliers et ceux de quelques hommes détestés par le peuple, se proclame défenseur de la loi, après l’avoir violée mille fois, et réclame l’ordre qui selon lui est la soumission générale.170

165 El Tiempo, Guatemala, num. 38, 9 octobre 1839.

166 Voir : AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B99.2 exp. 32981 leg. 1411 fol. 36 vuelto, 10 septembre 1839, ―Deja constancia el Ministro General del Gobierno de Guatemala, existir en el ánimo del Gobierno, el deseo de paz con el Salvador y que el Gral. Carrera es enemigo del Gral. Morazán, no del Gobierno del Salvador: los pueblos todos del Estado se hallan animados del mismo espíritu, por eso es que este Gobierno (el de Guatemala) que desea la paz ardientemente, ha pedido al mismo Gral. Morazán, en nombre de la humanidad, que se separe del Gobierno del Salvador.‖

167 AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B118.24 exp. 51842 leg. 2437 fol. 10 et B99.2 exp. 32981 leg. 1411 fol. 52, 10 septembre 1839, ―El Ministro General del Gobierno de El Salvador, responde a la nota del 25 de agosto, dirigida por el Secretario de Gobernación del de Guatemala, que el General Morazán protestaba que se separaría legalmente del mando, al momento en que el Estado de El Salvador, estuviera libre de los ataques de sus enemigos y prometía no volver a intervenir en asuntos de la cosa pública sino es cuando nuevos ataques le obliguen a concurrir a su defensa‖. Voir aussi : El Tiempo, Guatemala, num. 69, 18 janvier 1840.

168 AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B. 99.2 exp. 32981 leg. 1411 fol. 45, 10 septembre 1839, ―El Consejo representativo del Estado de El Salvador, aprueba una moción, en el sentido de que no debería aceptarse la petición de Guatemala para que el General Morazán se separe del mando, ya que eso sería aceptar la intervenciñn de un Estado en los asuntos de otro‖.

169 Décret du 29 mai 1839 reproduit dans : MARTÍNEZ LÓPEZ, Eduardo, « Biografìa… », op. cit, pp. 172-173.

170 El Tiempo, Guatemala, num. 36, 1 octobre 1839 : ―Los hombres cuando no representan alguna idea o sistema son nada para las naciones. El General Morazán allá en otro tiempo fue el agente poderoso por cuyo medio triunfó lo que se llamaba el partido liberal: este en diez años ha agotado sus esfuerzos y producido los males que son patentes a todo Centro América y ahora aquel caudillo que no representa mas que sus intereses particulares y los de unos pocos hombres odiados del pueblo se proclama defensor de la ley, después de haberla violado mil veces y reclama el orden que a su modo es la sumisión general.‖ Il y aurait d‘ailleurs eu une session secrète des

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Ses adversaires, souhaitant démontrer que leur opposition au caudillo n‘est pas motivée par des sentiments séparatistes, convoquent une convention nationale. Celle-ci n‘aurait pas pu avoir lieu à cause des hostilités déclenchées par Morazán, empêchant les représentants du Honduras, du Nicaragua et du Costa Rica d‘être présents à la réunion. Une circulaire envoyée à ces États depuis la ville de Santa Rosa et signée par Alejandro Marure le premier janvier 1840 fait état de la guerre.171 C‘est au nom du respect de la souveraineté du peuple que la disparition de Morazán est revendiquée, certains considérant déjà sa mort comme une nécessité.172 Suite à la défaite de ses troupes menées par T. Cabañas au Honduras, Morazán quitte ses fonctions de chef d‘État du Salvador et part pour le Guatemala dans le but de vaincre Carrera. Sa défaite le 19 mars de cette même année marque la fin de son influence dans la région car elle est perçue comme une preuve de son infériorité face à ce dernier. Le Salvador est alors érigé en peuple victime des prétentions de Morazán.173 Le dénigrement du caudillo s‘accompagne désormais d‘une remise en question de ses capacités en tant que chef militaire.174

Le gouvernement guatémaltèque décide de publier les documents trouvés dans les affaires de l‘armée de Morazán et de Cabaðas en déroute pour « que les peuples de la République connaissent mieux le mensonge et les vues perverses de ceux qui prétendent dominer le pays et continuer à en avoir l‘usufruit ».175 Ces publications sont mises à la vente afin que toute l‘Amérique Centrale prenne conscience du caractère trompeur de Morazán. Avec ironie, Carrera y souligne combien il est révélateur que dans une lettre du 8 mars, alors que son adversaire était déjà en marche vers le Guatemala, il n‘en ait pas oublié son commerce de bois des côtes honduriennes. Morazán est ainsi considéré comme le responsable de l‘état de guerre et de l‘échec de l‘union centraméricaine, du fait de ses ambitions personnelles et de son indifférence face à la volonté populaire, ce qui fait de lui un tyran à combattre.

autorités guatémaltèques pour servir d‘intermédiaire entre les rebelles (El Tiempo, Guatemala, num. 42, 24 octobre 1839).

171 ―Circular a los gobiernos de Honduras, Nicaragua y Costarrica‖ depuis la ville de Santa Rosa, le 1 janvier 1840, in ―Derrota del Gral Morazán en Guatemala‖, op. cit. A. Marure avait été nommé délégué de l‘État guatémaltèquepour la réunion unioniste.

172 El Tiempo, Guatemala, num. 70, 22 janvier 1840.

173 Document du 27 mars 1840 in ―Expediciñn de Morazán a la capital de Guatemala y su derrota por el General Carrera en los dìas 18 y 19 de marzo de 1840‖, op. cit.

174 Dans son rapport au gouvernement en tant que général en chef de l‘armée guatémaltèque, Carrera dénigre son adversaire pour sa « perfidie » car « les soldats ont connu le sort de la guerre que leur avait préparé traîtreusement leur général adoré. » Voir : ―Parte circunstanciado de la acción de los 18 y 19 de marzo que ha dirijido al gobierno por el general en jefe del ejercito del estado‖, signé par R. Carrera le 23 mars 1840 et publié par l‘imprimerie du gouvernement guatémaltèque, in Derrota del Gral Morazán en Guatemala, op. cit.

175 ―Colección de algunos de los interesantes documentos que se encontraron en los equipajes tomados en la acciñn de los dìas 18 y 19 de marzo de 1840‖, op. cit.

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I. 1. c. Rafael Carrera, « caudillo adoré des peuples »

Le dénigrement de Morazán permet, par opposition, d‘élever Carrera au statut de nouveau caudillo centraméricain. Ce processus s‘inscrit dans un renversement de la personnification de la lutte transcendante entre « Civilisation » et « Barbarie ». Les deux caudillos sont catégoriquement opposés, bien que les éléments clés de la légitimation du pouvoir de Carrera soient les mêmes que ceux qui avaient servi pour Morazán : le bien, la justice, la volonté populaire.176 La principale divergence réside dans l‘utilisation de la foi religieuse faite par Carrera, en opposition explicite à Morazán qui est considéré comme « l‘ennemi de la Religion ».177 Carrera est en effet soutenu par le clergé et on déclare qu‘une feuille volante trouvée dans une église guatémaltèque a été envoyée par la Vierge Marie, pour annoncer à la population que le caudillo avait été choisi pour combattre Morazán.178 On estime ainsi que c‘est grâce à la divine providence que Carrera a pu triompher de « l‘ennemi de l‘Amérique Centrale ».179 La magnanimité du vainqueur étant perçue comme une preuve de supériorité, Carrera diffuse une circulaire demandant aux municipalités d‘aider les blessés invalides de l‘État du Salvador.180 Il soigne son image même envers ses ennemis afin de consolider son charisme et cherche notamment à détruire l‘identification entre son adversaire et l‘État du Salvador pour s‘affirmer lui-même comme le caudillo de toute l‘Amérique Centrale.

Le fait de défendre la foi catholique érige Carrera en représentant des valeurs populaires : il est le « caudillo adoré des peuples dont le sang versé le 8 août à Atescatempa a été recueilli par les peuples qui jurent en criant de le venger ».181 On insiste ainsi sur

176 El Tiempo, Guatemala, num. 40, 12 juin 1839.

177 ―Expediciñn de Morazán a la capital de Guatemala y su derrota por el General Carrera en los días 18 y 19 de marzo de 1840‖, op. cit.

178 WOODWARD, Ralph Lee, Central America…, op. cit., p. 104. Le cri de guerre de Carrera était d‘ailleurs : « Vive la religion ! ».

179 Archivo Nacional de Costa Rica (San José), Fondo Gobierno, 25716, ―Manifiesto Rafael Carrera a sus compatriotas sobre retirada de Morazán‖, 19 mars 1840.

180 AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B86.5 exp. 83575 leg. 3605, 3 juin 1840, « Circular. Prisioneros de guerra. A las municipalidades de la ruta Guatemala-El Salvador, se les ordena proporcionen toda clase de auxilios a los prisioneros inválidos del Estado de El Salvador, habidos durante la recién pasada guerra ». Voir aussi : B118.4 exp. 52085 leg. 2438, 22 mars 1840, « Se dan instrucciones al corregidor del departamento de Guatemala para que prevenga a la municipalidad de la capital, proporcione mejor atención a los heridos habidos durante las acciones del 18 y 19 ». Les exactions contre la population sont toutefois récurrentes des deux côtés comme l‘illustre l‘exemple d‘un paysan qui, violenté par l‘armée de Gálvez, s‘est enrôlé dans celle de Carrera où