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Officialisation et institutionnalisation de la figure héroïque de Morazán en Amérique Centrale

Chapitre 2. Le héros entre rhétorique et action politique

II. 2. A. Construction du récit héroïque

Les gouvernements libéraux accordent une grande importance à l‘écriture d‘ouvrages historiques au caractère patriotique, au cœur desquels sont placés les héros. Morazán est exalté dans la plupart des ouvrages constituant la nouvelle historiographie officielle devant

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servir de textes de référence pour l‘enseignement public, sauf au Costa Rica. Au Salvador et Honduras, il s‘agit de pérenniser les traditions inventées et au Guatemala et Nicaragua c‘est une rénovation de la mémoire collective qui est recherchée.816 Malgré les particularités locales des récits, tous les acteurs du culte inscrivent sa figure dans un panthéon universel, le consacrant comme le représentant centraméricain de principes considérés comme absolus. Jusqu‘à quel point le héros peut-il incarner la dualité du cadre de référence identitaire ?

II. 2. A. a. Le héros au cœur des Historias Patrias

Les textes destinés à servir de référence à l‘éducation publique se multiplient dès les années 1870 car l‘école est envisagée comme un outil privilégié pour diffuser l‘identité nationale élaborée par les élites auprès du peuple et la presse se fait le relais de cette préoccupation.817 L‘instruction est considérée comme une des tâches premières des gouvernements libéraux qui sont confrontés à un système éducatif quasi inexistant et sous tutelle ecclésiastique.818 En rendant l‘école obligatoire et laïque sur le modèle français, il s‘agissait de former les citoyens mais E. Mendonça souligne les difficultés d‘application des directives gouvernementales au niveau local, par manque d‘enseignants qualifiés notamment.819 De plus, selon I. Molina, les populations indigènes au Nicaragua comme les artisans et paysans costariciens n‘ont pas vu d‘un bon œil l‘alphabétisation libérale car ils considéraient qu‘elle avait pour objectif de transformer leur culture en un sens positiviste.820

La résistance de ces groupes avait aussi des motifs économiques, les enfants allant à l‘école ne pouvant pas participer aux tâches domestiques. Les guerres, les famines, les épidémies et l‘éloignement des centres éducatifs ont aussi été des causes de désertion des couches populaires. Ainsi, la création d‘un système scolaire structuré et centralisé n‘a pas garanti une augmentation rapide de sa couverture.821

816 Voir le tableau récapitulatif des auteurs d‘ouvrages historiques en Annexe pour faciliter la lecture de ce chapitre (p. 520).

817 La Fortuna, San Salvador, 15 septembre 1883, ―Influencia de la instrucciñn primaria en las costumbres, en la moral pública, en la industria y en el desarrollo general de la prosperidad nacional‖. Le caractère religieux de l‘éducation est parfois revendiqué notamment au Nicaragua : Expediente de cartas enviadas al Dr. Roberto Sacasa (IHNCA: RS-Sección 1; 038, 1890).

818 MENDONÇA, Émilie, « Un desafío liberal: construir una escuela centroamericana », in Boletín AFEHC, num. 54, 2012. Des lois avaient été émises durant la période conservatrice pour centraliser l‘éducation publique mais l‘effort est redoublé avec les gouvernements libéraux qui veulent en contrôler le financement à la place des municipalités. Le système est divisé en enseignement primaire, secondaire et professionnel (écoles élémentaires, supérieures et normales). Voir : INESTROZA MANZANARES, Jesús Evelio, La escuela hondureða…, op. cit., p. 297; et LINDO FUENTES, Héctor, « Las primeras etapas del sistema escolar salvadoreño en el siglo XIX », in Seminario Política, Cultura y Sociedad en Centroamérica, Managua, 1997, p. 4.

819 MENDONÇA, Émilie, Construction du système éducatif…, op. cit., p. 587.

820 MOLINA JIMÉNEZ, Iván et PALMER, Steven, Educando a Costa Rica…, op. cit., p. 46.

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Étant donné que la professionnalisation du métier d‘historien n‘existe pas encore, l‘écriture du passé est alors soumise à la vie publique de l‘auteur.822 De cette manière, les débats historiographiques sont clairement inscrits dans les réflexions politiques alors développées. C‘est avant tout l‘État qui commande les ouvrages historiques et qui prend en charge leur publication, ce qui confirme l‘intention des sphères du pouvoir de contrôler l‘interprétation du passé à élaborer et à diffuser, complétant ainsi l‘effort pédagogique réalisé à travers la statuaire. La plupart de ces œuvres ont en effet l‘objectif d‘être utilisées comme des textes de références dans les établissements scolaires de différents niveaux, de manière à ce que la mémoire officielle soit appropriée par le plus grand nombre. Il s‘agit non seulement de légitimer le pouvoir alors en place, mais aussi de pérenniser les identités nationales. Toutefois, les programmes d‘histoire officiels se sont limités à donner des objectifs généraux en définissant une liste de thèmes à aborder, ce qui octroyait de fait une marge de manœuvre importante à l‘enseignant.823 Il est donc d‘autant plus difficile de savoir à quel point la fonction didactique des ouvrages historiographiques a réellement été utilisée.

Le récit patriotique libéral a été fondé sur l‘opposition radicale entre les deux partis politiques, ce qui a empêché de voir la recherche de cohésion sous-tendant la construction de l‘imaginaire national.824 On observe d‘ailleurs une circulation des Historias Patrias à l‘échelle de l‘Amérique Centrale. L‘œuvre du guatémaltèque José Milla sert par exemple de référence historiographique au Honduras.825 Les écoles nicaraguayennes utilisent le livret du citoyen écrit par Francisco E. Galindo pour le Salvador.826 Ce phénomène tend à créer un récit de dimension centraméricaine et E. Mendonça souligne la résolution officielle d‘utiliser le système éducatif pour unifier la région, non tant dans les lois que dans le contenu des manuels scolaires.827 L‘œuvre de A. Marure est d‘ailleurs considérée comme un modèle pour les historiens libéraux de la fin du XIXème siècle, notamment L. Montúfar, alors qu‘elle a attribué, dont la plus grande partie était d‘ailleurs destinée à l‘éducation supérieure. Voir : LÓPEZ BERNAL, Carlos Gregorio, « El pensamiento de los intelectuales liberales… », op. cit., p. 51.

822 ACUÑA ORTEGA, Víctor Hugo, « La historiografìa liberal… », op. cit., p. 34.

823 VIJIL GURDIÁN, Josefina, Les conceptions de l’apprentissage de l’histoire chez les enseignants de l’école

primaire au Nicaragua, Université catholique de Louvain, 1998, p. 207.

824 GARCÍA BUCHARD, Ethel, « La mirada de los historiadores liberales… », op. cit., pp. 112-113.

825 Le gouvernement hondurien décrète l‘achat de plusieurs exemplaires de son œuvre historique récemment publiée au Guatemala (La Gaceta, Tegucigalpa, 27 mai 1880, ―Instrucciñn Pública: acuerdo por el cual el Gobierno se suscribe en doscientos ejemplares de la Historia de Centroamérica que está publicando en Guatemala el Seðor Don José Milla‖).

826 Cette œuvre écrite sous la forme de questions-réponses et prônant l‘union centraméricaine est d‘abord publiée au Salvador (GALINDO, F., Cartilla del ciudadano, s/e, San Salvador, 1874) puis au Nicaragua (GALINDO, Francisco, Cartilla del ciudadano escrita para las escuelas del Salvador y modificada para las escuelas de

Nicaragua, Managua, tipografía nacional, 1882).

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participé au dénigrement de l‘image de Morazán.828 Il faut ainsi prendre en compte les éléments de continuité qui ont été établis dans la construction des récits patriotiques au-delà de la nationalité ou affiliation partisane de l‘auteur. Si l‘écriture de l‘Histoire est clairement inscrite dans des débats politiques, nous considérons qu‘un véritable effort de compréhension et d‘explication de la formation des États-nations est développé.829

Selon la philosophie de l‘Histoire alors dominante, au caractère moral assumé, le regard porté sur le passé est avant tout un jugement des actions des grands hommes. Les élites centraméricaines s‘intéressent particulièrement aux personnages ayant trait à la période fédérale qui est définie comme « l‘âge héroïque » étant donné qu‘il n‘y a pas eu de conflits militaires contre la couronne espagnole durant le processus d‘indépendance. Dans cette perspective, l‘attention a été naturellement focalisée sur la figure de Morazán. La presse centraméricaine publie de nombreux articles d‘opinion autour du personnage de même que des documents historiques le concernant accompagnés de commentaires, ce qui révèle l‘importance accordée aux thématiques du passé dans l‘opinion publique.830 La portée des publications sous forme de livres n‘en est que plus grande, et elles sont considérées comme des monuments textuels rendant hommage aux héros.831 Cet effort historiographique s‘inscrit dans la détermination des gouvernements de créer une mémoire historique, étant donné que les jeunes générations n‘ont pas vécu elles-mêmes l‘époque de la Fédération.

Notre étude de l‘inauguration des statues de Morazán au Salvador et au Honduras a montré comment la sacralisation de l‘idéal unioniste passe par l‘exaltation du héros qui atteint

828 Voir le prologue de l‘édition de 1878 de La Reseña signé au Guatemala le 8 avril. Selon L. Montúfar le premier volume de l‘ouvrage de Marure a reçu une grande publicité et l‘édition s‘est vite épuisée. Par contre le second tome n‘aurait été lu que par très peu de personnes et les exemplaires en circulation auraient disparu (et c‘est justement dans celui-ci que Morazán apparaît). Cette situation est due selon lui au changement politique opéré en 1839 car les conservateurs qui arrivent au pouvoir y étaient critiqués. L. Montúfar cherche à faire oublier la participation de Marure au gouvernement de Carrera et veut en faire un partisan de Morazán en mettant en relief les qualités concédées. Voir également : TARACENA ARRIOLA, Arturo, Etnicidad, estado y

naciñn…, op. cit., t. 1, p. 94.

829 Le conservateur Antonio Machado a également écrit une biographie de Marure (La Nación, Tegucigalpa, 9 octobre 1889). Quelques années plus tard, le gouvernement libéral du Guatemala charge Gómez Carrillo de compléter l‘œuvre de José Milla, A. Marure et L. Montúfar, pour écrire l‘Histoire de l‘Amérique Centrale jusqu‘à l‘indépendance (El Guatemalteco, Guatemala, 7 septembre 1892, ―Se encarga Gómez Carrillo para hacer la Historia de Centroamérica hasta 1821‖).

830 C. Braðas signe un article en exprimant clairement qu‘il veut juger les actions de Morazán et de Carrera : La

hora dominical, Guatemala, 8 octobre 1872, pp. 38-39. On reproduit par exemple une lettre écrite par G. Barrios

à San Miguel le 8 juillet 1839 et adressée à A.-J. Cañas dans laquelle il nie avoir violenté les électeurs du département pour qu‘ils votent en faveur de Morazán à l‘élection présidentielle (La Discusión, San Salvador, 5 mars 1883). Des anecdotes sont également diffusées notamment celle qui raconte qu‘à son retour d‘exil, Morazán a eu une discussion avec le commandant d‘un bateau sans lui révéler son identité afin de se faire une idée de l‘accueil qui allait lui être réservé. Le commandant ne croit pas au retour de Morazán car il considère que les États sont alors unis entre eux mais lui confirme que son parti est encore fort (La Paz, Tegucigalpa, 16 août 1882, ―Misceláneas: un episodio interesante: enero 1842‖).

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le statut de demi-dieu. Les références bibliques peuplent le discours héroïque mais nombre des acteurs du culte étaient francs-maçons ou avaient des affinités avec ce mode de pensée également religieux.832 La franc-maçonnerie partage en effet une culture mythologique d‘origine judéo-chrétienne et, en Amérique Centrale, elle ne se proclame pas athée.833 La figure du Christ est d‘ailleurs considérée comme un modèle par les francs-maçons, notamment L. Montúfar qui l‘applique à Morazán. Les métaphores de la lumière et de la semence féconde, paraboles des Évangiles du Nouveau Testament, sont omniprésentes.834 Le « Dieu des nations » mentionné de manière récurrente peut ainsi être interprété comme un dénominateur commun entre différentes sensibilités religieuses. Comme le soutient S. Herrera, l‘instauration d‘une religion civique n‘est pas à comprendre seulement comme une opposition à l‘Église catholique mais traduit la recherche d‘une forme de religiosité laïque.835

Cette culture providentielle ou téléologique est accompagnée d‘une profusion de références à l‘antiquité gréco-romaine, période considérée comme un commencement absolu faisant figure de rupture en même temps qu‘elle permet d‘envisager un âge d‘or dans le futur.836

La narration héroïque concilie les références à l‘antiquité notamment pour insister sur l‘aspect guerrier et la rhétorique religieuse autour de la notion de sacrifice pour sacraliser le héros.837 Selon G. Carrera, la hiérarchisation des panthéons héroïques serait ainsi :

Le résultat d’une transposition de l’Olympe mythologique, avec une influence non nulle de la religion chrétienne catholique, et sa cour céleste a conduit à une sorte de réductionnisme qui amenait à concentrer la condition héroïque sur « le Héros national », sorte de Zeus ou de demi-dieu en fonction duquel se mesurait l’héroïsme des aspirants.838

832 En 1898 est fondée au Honduras la première loge de la franc-maçonnerie hondurienne baptisée du nom de Morazán avec des acteurs du culte de premier plan tels que E. Martínez López, T. Miralda et J. Zelaya.

833 Voir : GUZMÁN STEIN, Miguel, « Masonería, Iglesia Católica y Estado: las relaciones entre el Poder Civil y el Poder Eclesiástico, y las formas asociativas en Costa Rica (1865-1875) », REHMLAC, vol. 1, num. 1, mai-novembre 2009, p. 110; et VALDÉS VALLE, Roberto Armando, « Elementos para la discusión sobre masonerìa… », op. cit.

834 Dans le cadre de la révolution française, M. Ozouf fait référence aux pratiques franc-maçonnes autour de la symbolique de la lumière et du « temple de la vertu » (OZOUF, Moza, La fête révolutionnaire…, op. cit., p. 465). Ce sont des éléments que nous retrouvons fréquemment dans le cas de l‘héroïsation de Morazán. Voir par exemple : La Gaceta, Tegucigalpa, 22 mars 1883, ―Conclusiñn del discurso de Ramñn Reyes en la entrega de la medalla de honor a Soto‖.

835 HERRERA MENA, Sajid, « Una religiosidad cuestionada… », op. cit., p. 88.

836 Les références à l‘Antiquité sont aussi récurrentes parmi les révolutionnaires français : OZOUF, Moza, La

fête révolutionnaire…, op. cit., p. 464.

837 J.-A. Beteta par exemple fait de Morazán l‘initiateur de « l‘Iliade centraméricaine » en même temps qu‘il l‘érige en « Dieu sur les autels de la patrie » : BETETA, José A., Morazán y la Federación, Guatemala, Imprenta de Silva,, 15 septembre 1887. La Bible et Homère sont deux références régulièrement mobilisées dans le cadre du 15 septembre. Voir par exemple : La Gaceta, Tegucigalpa, 22 septembre 1882.

838 CARRERA DAMAS, Germán, « Del heroìsmo como posibilidad… », op. cit., pp. 31-48 : ―El necesario ordenamiento de los héroes en el culto heroico, resultado de una transposición del Olimpo mitológico, con no poca influencia de la religión cristiana católica, y su corte celestial condujo a una suerte de reduccionismo que llevaba a concentrar la condiciñn heroica en ―el Héroe nacional‖ suerte de Zeus o de semidiñs en funciñn del cual se gradúa el heroìsmo de los aspirantes‖. Cet auteur, qui étudie l‘héroïsation de Bolivar au Venezuela, met

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Ces références érudites ne sont pas accessibles à tous mais elles sont malgré tout utilisées par les élites qui y voient des exemples pour leur époque. Les gouvernements libéraux des années 1880 envisagent leur avènement comme des « révolutions » mettant un terme à la période conservatrice, même s‘il ne s‘agissait pas de faire table rase du passé comme le prétendaient les révolutionnaires français. I. Molina souligne d‘ailleurs que le recours au monde gréco-romain en Amérique Centrale met en relief la difficulté d‘inventer un passé spécifique, et considère que les allusions à la Bible sont utilisées pour une meilleure circulation des figures héroïques parmi les couches populaires.839 Ce n‘est en effet qu‘avec l‘effort pédagogique mené à la fin du XIXème siècle que la comparaison de Morazán avec le Christ est développée. La religion chrétienne fournissant les éléments clés des représentations sociales, on prétendait alors construire un culte véritablement national.

La rhétorique utilisée dans la narration héroïque s‘inscrit à cette époque dans le courant du romantisme et l‘identification de Morazán avec le Christ correspond à des codes littéraires.840 Lord Byron et Victor Hugo, représentants de ce mouvement à l‘échelle internationale, sont considérés comme des modèles d‘exaltation à la fois poétique et patriotique. La référence aux ombres ou aux mânes, et l‘emploi de l‘expression « sortir de la tombe » par exemple, donnent vie au héros grâce à la grande place faite à l‘imagination. De manière générale la poésie joue un rôle fondamental dans l‘invention de la nation et en particulier dans la fabrique du héros.841 La métaphore de la semence féconde notamment facilite un processus d‘assimilation d‘autres figures au Père fondateur et la rhétorique de l‘immortalité, de la rédemption et de la réincarnation, en sortant les héros de leur contexte historique, permet une actualisation du sens de leurs actions.842 Le langage poétique facilitant les comparaisons audacieuses est aussi utilisé dans les œuvres historiques, ce qui consacre le statut de demi-dieu de Morazán.843

en relief l‘importance dans cette élaboration de la « conscience chrétienne catholique » d‘une société peu institutionnalisée.

839 MOLINA, Iván, « ―Marte en un Bochinche‖… », op. cit., pp. 351-380.

840 H. Umaña explique que les références à la lumière sont des clichés de la terminologie laudative depuis le néoclassicisme et que l‘aspect romantique se trouve dans la manière personnelle d‘assumer la relation à Morazán et l‘emploi de termes tels que martyr ou demi-dieu. Voir : UMAÑA, Helen, Francisco Morazán…, op. cit., pp. 121-122.

841 RANDAZZO, Francesca, Honduras…, op. cit., p. 42.

842 Voir : PAILLER, Claire, Mitos primordiales y poesía fundadora en América Central, Ed. du CNRS, Paris, 1989, p. 37 ; et WÜNDERICH, Volker, Sandino, una biografía política, op. cit., p. 7. Ces deux auteurs étudient l‘héroïsation du guérillero nicaraguayen A.-C. Sandino.

843 Morazán est exalté même dans des ouvrages historiques qui ne lui sont pas dédiés, ce qui confirme l‘importance accordée à ce personnage. C‘est le cas par exemple dans l‘œuvre intitulée Souvenirs salvadoriens de José Antonio Cevallos. Voir : La Fortuna, San Salvador, 15 février 1883, ―patriotismo‖.

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II. 2. A. b. Historiographies salvadorienne et hondurienne

Au Salvador, c‘est Rafael Reyes qui a été chargé par le gouvernement d‘écrire l‘histoire devant être diffusée dans les établissements d‘enseignement publics.844 La vie de Morazán y occupe une place importante et l‘auteur identifie le héros à l‘État notamment en soulignant la participation de soldats salvadoriens à ses victoires militaires. L‘auteur insiste également sur l‘accueil accordé aux Coquimbos suite à l‘exécution du caudillo et sur le transfert des restes de ce dernier.845 Toutefois, il mentionne le pacte secret signé entre les gouvernements guatémaltèque et salvadorien pour lutter contre Morazán lors de son retour d‘exil et fait référence aux honneurs rendus à A. Pinto pour avoir dirigé l‘insurrection au Costa Rica. La narration héroïque, simplifiée au maximum dans l‘imagerie civique ou dans les discours politiques, est ainsi légèrement complexifiée à l‘heure de rédiger des ouvrages entiers consacrés à l‘histoire patriotique. L‘intérêt historiographique tend à dépasser l‘opposition partisane quand il s‘agit de comprendre et d‘expliquer les conflits du passé.

R. Reyes utilise malgré tout la figure de Morazán pour consolider l‘identité locale. Pour l‘exposition universelle de Paris en 1889, il rédige un travail destiné à présenter l‘État du Salvador dans lequel il met en relief les caractéristiques attribuées à la nation en passant par le héros. Dans la description de la capitale salvadorienne, l‘auteur accorde une place importante au parc Morazán où a été érigé le monument en son honneur qu‘il qualifie de modeste, sans aucun doute en comparaison avec ceux du monde occidental.846 L‘historiographie élaborée complète ainsi l‘effort des gouvernements pour faire reconnaître la nation internationalement en donnant un contenu historique à la religion patriotique. R. Reyes, avec d‘autres hommes de lettres, a joué un rôle décisif en signant un manifeste au début des années 1880 dénonçant l‘oubli dans lequel le héros avait été plongé et appelant à renouer avec les traditions inventées lors du rapatriement de son corps pour exalter le civisme du peuple salvadorien.847 Il a aussi écrit une biographie de Morazán dans laquelle le modèle du soldat-citoyen est exalté non

844 REYES, Rafael, Nociones de la Historia del Salvador, San Salvador, Imprenta del doctor Francisco Sagrini, 1885. En 1872, les habitants de la capitale salvadorienne avaient déjà remis à R. Reyes une couronne de lauriers pour le féliciter de son travail : Corona de laurel al Dr. Reyes, felicitación de unos vecinos de la capital, San Salvador, Tipografía salvadoreña, 6 novembre 1872 (AGN : Sección República, Fondo Supremo Gobierno, impreso. Subfondo Publicaciones Hemerográficas, otros impresos, manifestaciones, caja 2, exp. 65).

845 Idem, chap. XIII. Une attention particulière est accordée aux batailles ayant eu lieu sur le territoire