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Francisco Morazán : du personnage historique à la figure héroïque (1829-1858)

I. 2. d. Coquimbos : les partisans de Morazán après sa mort

Coquimbos est l‘appellation qui a été donnée aux partisans de Morazán après sa mort, du

nom du bateau qui les a conduit depuis le Costa Rica jusqu‘au Salvador, où ils sont finalement

350 Idem : « Nous croyons que Carrera était prédestiné à cette grande œuvre de conciliation. Depuis le début, il a compris sa mission malgré son ignorance. »

351 Idem, ―Del teniente General Rafael Carrera, general en jefe de las armas de Guatemala a los habitantes del Estado y demás de Centro América‖, signé le 10 juin 1844. Dans ce manifeste, Carrera souligne l‘impossibilité immédiate « d‘atteindre le degré de civilisation et d‘ordre dont jouissent d‘autres grandes nations en Europe ». Il affirme néanmoins que la « révolution populaire qu‘il m‘a été donné de diriger par la divine providence » met l‘Amérique Centrale sur ce chemin. Le conflit entre les deux factions pour s‘octroyer une légitimité politique au moyen du concept de civilisation est ici exprimé clairement. Le besoin d‘un homme fort pour diriger les luttes politiques n‘est pas mis en doute, c‘est simplement sa bonne foi et son absence d‘ambition personnelle qui doivent être démontrées. Ce manifeste est également reproduit dans : Gaceta Oficial, Guatemala, num. 164, 20 juin 1844.

352 WOODWARD, Ralph Lee, « La polìtica centroamericana… », op. cit., p. 57.

353 Arce a armé et dirigé un groupe de salvadoriens depuis le Guatemala pour se révolter en 1844. Carrera est chargé de les arrêter : AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B99.3 exp. 33028 leg. 1414 fol. 103, document du 2 mai 1844. Arce, bien qu‘également ennemi du parti de Morazán, revendique des intérêts locaux du Salvador face aux prétentions guatémaltèques. La même année, les États centraméricains ont signé un traité d‘union à cause de l‘instabilité politique et économique et de la nécessité de compter sur la reconnaissance des puissances européennes. Le Guatemala s‘y est joint car il devait faire face à la prétention du gouvernement mexicain de s‘approprier la région de Soconusco.

354 AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B86.2.7 exp. 83338 leg. 3604 fol. 1, 10 février 1844, ―Rafael Carrera renuncia a la comandancia general del Estado de Guatemala, toda vez que ya estaba asegurada la paz‖. Il est célébré comme celui qui a rétabli l‘ordre légal depuis 1840 : Gaceta Oficial, Guatemala, num. 154, 19 avril 1844.

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accueillis. Au Guatemala en particulier, considérant qu‘ils cherchent à venger l‘exécution de leur leader, des politiques sont mises en place pour les isoler autant que possible du pouvoir. Peu de temps après l‘arrivée de la nouvelle de la disparition de Morazán au Guatemala, les États centraméricains s‘unissent dans un traité confidentiel pour « maintenir la sécurité interne » et poursuivre les Coquimbos.355 Des correspondances entre gouvernements sont échangées pour empêcher la réorganisation de ce réseau et la situation au Costa Rica fait l‘objet de comptes-rendus réguliers dans la presse durant les mois qui suivent l‘exécution.356

Le 5 octobre 1842, le chef de l‘État costaricien José Marìa Alfaro y Zamora, publie un premier décret interdisant l‘entrée du pays aux partisans de Morazán qui se trouvent en dehors de l‘État en vertu des traités signés.357 Juan Freses Ñeco, chargé de poursuivre les Coquimbos au Costa Rica informe que les soldats se rendent peu à peu.358 Le plus redouté des partisans de Morazán était I. Saget. Il a fallu au gouvernement costaricien multiplier les communications avec ce dernier pour le convaincre de se rendre, ce qui est finalement obtenu grâce à la médiation de T. Cabañas, autre Coquimbo, dont sont soulignées « l‘honnêteté et la délicatesse ».359 L‘accord signé le 14 octobre stipule que Saget s‘engage à rendre les armes et propriétés de Morazán à la veuve de celui-ci et pour sa part le gouvernement laisse partir ses partisans à bord du bateau « Coquimbo » renommé pour l‘occasion « La libératrice », en leur assurant même des vivres pour le trajet. La destination n‘est pas mentionnée, il est simplement précisé qu‘ils peuvent se rendre où bon leur semble : la préoccupation du gouvernement costaricien est avant tout que les Coquimbos quittent l‘État pour rétablir la paix intérieure.360 La reddition est solennisée par des salves d‘artillerie, des sons de diane, et des carillonnements de cloches car elle est considérée comme la fin de l‘état de guerre.361

Les Coquimbos ont donc embarqué à bord du bateau mis à leur disposition par le gouvernement costaricien et se sont dirigés vers le Salvador. Tomás Muñoz au nom du

355 AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B99.3 exp. 33019 leg. 1413, 19 octobre 1842, ―Los comisionados de Guatemala, El Salvador, Honduras y Nicaragua reunidos en Guatemala suscriben un tratado confidencial para mantener la seguridad interna, no permitiendo comunicaciones ni presencia de los integrantes de la facción de Morazán ejecutado en San José de Costa Rica el 15 de setiembre‖. Voir aussi : Archivo Nacional de Costa Rica (San José), Fondo Gobierno, 31861, 25 novembre 1842, ―Comunicaciñn ministro general Costa Rica sobre facciñn Francisco Morazán‖. Cette lettre est adressée au gouvernement nicaraguayen dans la ville de León.

356 Gaceta Oficial, Guatemala, num. 86, 16 février 1843.

357 PACHECO COOPER, Federico (comp.), « Documentos histñricos… », op. cit., chap. 2.

358 Idem. Juan Freses Ñeco était en 1823 un des plus fervents impérialistes luttant pour faire du Costa Rica une province de l‘empire mexicain, comme le souhaitait la plupart des élites de la ville de Cartago.

359 Correspondencia. Comisión del supremo gobierno provisorio del Estado de Costarrica cerca del señor jeneral de división Isidoro Saget general en jefe de las fuerzas navales i desenlace de las cuestiones a que se refiere, imprenta del Estado, San José 1842, num. 2 : ―Carta dirigida a I. Saget por los comisionados del

gobierno de Costa Rica‖.

360 Idem, document num. 3. T. Cabañas signe le traité aux côtés de José María Castro, entre autres.

361 Lettre envoyée par Freses Ñeco le 5 novembre 1842 in PACHECO COOPER, Federico (comp.), « Documentos históricos… », op. cit., chap. 1.

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gouvernement de cet État, même s‘il s‘était aussi réjoui de la mort de Morazán, avait demandé à ce que les citoyens salvadoriens puissent revenir dans leur pays tout en signalant que les partisans originaires d‘autres États pourraient perturber la paix.362 Malgré cette distinction, l‘État accueille finalement tous les Coquimbos, salvadoriens ou non. Fin décembre, la Gaceta

Oficial du Guatemala rapporte la nouvelle du refuge qui leur a été offert, ce qui provoque une

réaction de peur.363 On considère qu‘avec cette décision, le Salvador a changé de politique et ne respecte plus les traités signés.364 Un conflit entre les deux États se dessine alors et la presse salvadorienne est accusée d‘avoir monté l‘opinion contre le Guatemala.365

Les Coquimbos eux-mêmes décident de prendre part au débat dans l‘objectif d‘apaiser les esprits en prenant la défense de l‘État salvadorien dans une lettre signée le 26 juillet 1843 :

Parce que le gouvernement du Salvador, éloigné de tout esprit de parti, et écoutant seulement la voix de l’humanité, nous a permis de revenir au sein de notre patrie, aujourd’hui on le blâme sévèrement et injustement et on maudit avec la fureur la plus aveugle ceux qui ont succombé au Costa Rica. Le gouvernement, en réincorporant dans l’État le restant des salvadoriens qui ont suivi le Général Morazán, a donné la preuve la plus authentique de ses sentiments philanthropiques, de sa saine politique et démontre de plus que, soutenu comme il l’est par une grande majorité de ce peuple et fort d’elle, il ne craignait que l’influence de quelques hommes à qui la fortune fut adverse et dont la conduite sobre, tranquille et respectueuse des lois, impose le silence à la calomnie, et répond victorieusement aux arguments de la haine.366

Les partisans de Morazán sont ainsi identifiés à l‘État du Salvador et sont considérés comme des salvadoriens à part entière, même si certains d‘entre eux sont originaires d‘autres États, comme le hondurien T. Cabañas, le nicaraguayen M. Jerez ou le français I. Saget. Comme c‘était le cas pour Morazán, les Coquimbos sont accusés de faire obstacle à la reconstruction

362 ―Carta de Tomas Muñoz del Salvador a Antonio Pinto‖ in PACHECO COOPER, Federico (comp.), « Documentos histñricos… », op. cit.

363 Gaceta Oficial, Guatemala, num. 79, 31 décembre 1842, et AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B99.2 exp.

33000 leg. 1412 fol. 115, 26 mars 1843, ―El Ministro de Relaciones de Guatemala hace saber al gobierno de Nicaragua, que veía con temor el hecho de que el gobierno salvadoreño había dado asilo a la facción del Gral. Morazán, la misma que en 1840 hizo la guerra a Guatemala‖.

364 AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B99.2 exp. 32959 leg. 1410, 15 avril 1843, ―El Gobierno de Guatemala informa al delegado suyo en Costa Rica, que los parciales del Gral. Morazán habían desembarcado en El Salvador y que desde entonces dicho gobierno salvadoreño había cambiado en su política respecto a Guatemala.‖ Voir aussi : AGCA (Guatemala), Archivo colonial, B99.2 exp. 33000 leg. 1412 fol. 107 vuelto 108, 27 avril 1843, ―El gobierno de Guatemala hace saber al de Honduras que desde que el gobierno de El Salvador dio asilo a la Facción del Gral. Morazán (coquimbos), la política de ese país con respecto a Guatemala había cambiado mucho, y que dicho gobierno intercepta la correspondencia.‖

365 El Amigo del pueblo, San Salvador, num. 11, 6 juillet 1843.

366 Idem, lettre du 26 juillet 1843 signée par Trinidad Cabañas, Isidoro Saget, Indalecio Cordero, Maximo Orellana, Domingo Asturias, Joaquin Rivera, Francisco Dias, Miguel Alvarez, et José Antonio Vijil : ―Porque el gobierno del Salvador, ajeno a todo espíritu de partido, y escuchando solamente la voz de la humanidad, nos permitió volver en el seno de nuestra patria, hoi se hacen a este gobierno increpaciones injustas, y se persigue con el furor más ciego a los que sucumbimos en Costa Rica. El Gobierno, reincorporando al Estado los restos de los salvadoreños que siguieron al jeneral Morazán, dio la prueba más autentica de sus sentimientos filantrópicos, de su sana política y además hizo ver que apoyado, como lo está, por una gran mayoría de este pueblo y fuerte por ella, nada menos temía, que el influjo de unos pocos hombres a quienes fuera adversa la fortuna y cuya conducta sobria, tranquila y respetuosa a las leyes, impone silencio a la calumnia, y responde victoriosamente a los argumentos del odio‖.

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de l‘union centraméricaine.367 Cabañas est désigné en particulier parce qu‘il est considéré comme le successeur du caudillo « qui veut continuer la guerre contre l‘Amérique Centrale. »368 En parallèle au groupe des Coquimbos, les rebelles de Los Altos au Guatemala sont également surveillés de près car ils luttent encore pour l‘indépendance de leur État. Leur leader, Agustín Guzmán, a lui aussi été considéré comme un héritier de Morazán non seulement pour combattre Carrera mais aussi pour prôner la reconstruction de l‘union centraméricaine.369 Malgré l‘idéologie commune, ces rebelles ne sont pas vus comme faisant partie de l‘ensemble des Coquimbos car leurs revendications étaient avant tout inscrites dans des problématiques internes au Guatemala, et ils ne sont donc pas directement associés à l‘État salvadorien.

Même au Salvador, la défense des Coquimbos n‘est pas une apologie de Morazán. Le journal libéral El Amigo del Pueblo qui reproduit la lettre ouverte et approuve la conduite du gouvernement salvadorien en assurant qu‘elle sera gravée dans la mémoire des générations futures n‘en a pas moins critiqué la conduite de Morazán.370 Si l‘appel qui avait été lancé en 1838 pour lui offrir la dictature, dans lequel il était désigné comme « le sauveur de la patrie » est aussi reproduit, c‘est avant tout pour mettre en avant l‘inconséquence de l‘élite guatémaltèque.371 Il semble que l‘objectif principal du gouvernement salvadorien soit de dénigrer la politique de Carrera. En effet, dans le cadre de la célébration de l‘anniversaire de ce dernier le 24 octobre, la presse salvadorienne dénonce la situation « des indigènes malheureux » dont les espoirs ont été trompés, alors que des vivats célèbrent la « fausse idole de l‘aristocratie dont il médite la perdition. »372

La décision d‘accueillir les Coquimbos prise par le gouvernement salvadorien répond ainsi à la volonté de cet État de mettre des limites à l‘influence guatémaltèque, sans prétendre pour autant héroïser Morazán. En 1843, le chef de l‘État salvadorien est F. Malespìn : opposé personnellement à Morazán, il a été vu par la suite comme l‘un de ses ennemis les plus acharnés. C‘est pourtant lui qui ose s‘opposer à la politique de Carrera en s‘inscrivant dans la

367 Idem. Dans leur lettre ouverte, les Coquimbos regrettent d‘être vus comme un obstacle à la réunion

centraméricaine et l‘accusation d‘être en relation avec l‘Angleterre est dénoncée comme « un motif désuet ».

368 Gaceta Oficial, Guatemala, num. 88, 4 mars 1843.

369 WOODWARD, Ralph Lee, Rafael Carrera…, op. cit., p. 309.

370 El Amigo del pueblo, San Salvador, num. 11, 6 juillet 1843. Son retour d‘exil est décrit comme le moment où « en arrivant sur les plages salvadoriennes, (il) a menacé la tranquillité publique » : El Amigo del pueblo, San Salvador, num. 13, 20 juillet 1843.

371 ―Documento importante‖ signé le 12 avril 1838 par Francisco Valenzuela, Pedro Molina, Mariano Rivera, entre autres, in El Amigo del pueblo, San Salvador, num. 20, 12 octobre 1843.

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lutte d‘intérêts entre le Salvador et le Guatemala.373 La guerre qui s‘annonce est expliquée comme le résultat de la volonté du gouvernement guatémaltèque d‘interdire au Salvador de vivre en paix. La presse salvadorienne souligne la tranquillité des partisans de Morazán, et estime que leur présence dans cet État est un prétexte utilisé par le Guatemala pour envahir le Salvador et en faire un de ses départements au même titre que la région de Los Altos.374

Le général Quijano en visite au Salvador remercie et félicite F. Malespín au nom du gouvernement nicaraguayen pour l‘accueil des partisans de Morazán, envisagé comme un acte de patriotisme en vue de l‘union des États centraméricains.375 Le gouvernement salvadorien cherche ainsi à être érigé comme le défenseur de la reconstruction de l‘union centraméricaine selon une optique fédérale face à la domination du Guatemala, tout en évitant de revendiquer explicitement la figure de Morazán ; le réseau des Coquimbos étant alors le seul capable de soutenir un tel projet politique.376 Notons que certains Coquimbos étaient aussi rapprochés par des liens familiaux : le salvadorien Gerardo Barrios était par exemple parent de l‘épouse du hondurien Trinidad Cabañas. Les descendants de Morazán, notamment son fils Francisco, se sont principalement installés au Nicaragua, et c‘est sans doute pourquoi on rend compte d‘actions politiques des Coquimbos aussi dans cet État.377

La rhétorique de la paix retrouvée grâce à la mort de Morazán cesse donc bien vite. La presse guatémaltèque considère que l‘accueil de ses partisans met en relief l‘objectif de réunir les ennemis du Guatemala. Le gouvernement salvadorien est même accusé d‘avoir remis à jour des décrets émis par Morazán dans le but de nuire au Guatemala dans le domaine du commerce.378 On fait alors appel à Carrera, désigné comme « le héros du 19 mars », seul

373 C‘est aussi en 1843 qu‘est créé l‘évêché du Salvador, revendication de longue date pour s‘opposer à la domination politique et religieuse du Guatemala : Gaceta Oficial, Guatemala, num. 85, 9 février 1843. Les nouveaux évêchés créés au Salvador puis au Costa Rica en 1850, sont un moyen de légitimer le nouvel ordre social et politique : TARACENA ARRIOLA, Arturo, « El predominio conservador… », op. cit, p. 297.

374 El Amigo del pueblo, San Salvador, num. 8, 15 juin 1843.

375 El Amigo del pueblo, San Salvador, num. 21, 26 octobre 1843. Lors de sa réception au Salvador, Quijano

prononce un discours honorant le souvenir de l‘indépendantiste salvadorien José Matìas Delgado, soulignant ainsi la recherche de figures éminentes autres que Morazán, et fait référence aux thèmes de l‘instruction publique et de la civilisation, chers aux libéraux.

376 Les Coquimbos sont persécutés car ils cherchent à créer des alliances avec divers groupes politiques à l‘échelle de l‘isthme pour réorganiser l‘union politique et récupérer leur influence : GARCÍA BUCHARD, Ethel,

Polìtica y Estado…, op. cit., p. 235. H. Vargas insiste sur la continuité de l‘état de violence : VARGAS, Hugo,

« La formaciñn del Estado en Nicaragua… », op. cit., p. 181.

377 Gaceta Oficial, Guatemala, num. 81, 13 janvier 1843. M. Cálix Suazo mentionne par ailleurs l‘existence d‘une fille costaricienne de Morazán, conçue 15 jours avant sa mort, de mère salvadorienne. Elle aurait été baptisée le 15 septembre 1843 en commémoration du jour de la mort de son père : CÁLIX SUAZO, Miguel, La

posteridad nos hará justicia, op. cit., vol. 2 : « Morazán y su hija costarricense ».

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capable de faire face à une telle menace et la perspective de purification envisagée met en relief la dimension religieuse inhérente à la culture politique dominante.379

Quelques articles en faveur de Morazán ont été reproduits dans la presse centraméricaine, où il a été célébré pour son patriotisme et son identification avec la liberté.380 Peu de temps après sa mort, le poète salvadorien Francisco Dias a rédigé une pièce de théâtre rendant hommage au caudillo, intitulée La tragédie de Morazán (appelée aussi Morazánida). H. Umaña considère qu‘à travers cette œuvre « on donne à Morazán l‘image de victime, en sacrifice volontairement accepté et dont la mort acquiert ainsi un « caractère prophétique » en tant que promesse de libération future pour la patrie centraméricaine ».381 L‘œuvre a donc un caractère partisan en faveur du projet morazaniste et représente une ébauche d‘historiographie construisant la figure du héros-martyr, toutefois diffusée dans un cercle restreint. Le costaricien Joaquin Eufrasio Guzmán, quelques années après la mort de Morazán, en tant que chef d‘État du Salvador en visite officielle au Costa Rica, a aussi fait l‘éloge du caudillo dans la ville de Cartago.382 Cependant, il ne s‘agit pour l‘heure que d‘initiatives isolées et personnelles, le gouvernement salvadorien ne menant alors en aucune manière une politique générale pour héroïser officiellement Morazán.

Si le Salvador et le Nicaragua semblent adopter une attitude bienfaisante à l‘attention des

Coquimbos, le gouvernement de F. Ferrera au Honduras s‘allie à Carrera dans la perspective

d‘une « régénération » de la région.383 Une campagne centraméricaine a ainsi été menée pour détruire toute force politique et militaire se déclarant fidèle à la politique de Morazán. C‘est une représentation négative de son image qui prédomine alors à l‘échelle de la région. Dès le mois de décembre 1842, M. Montúfar y Coronado qui occupe le poste de chargé du commerce du Guatemala au Mexique, affirme qu‘il souhaite démentir la biographie de

379 Gaceta Oficial, Guatemala, num. 81, 13 janvier 1843.

380 Selon l‘historien Bonilla, qui participe alors au gouvernement nicaraguayen, l‘annonce de la mort de Morazán a été reçue en Amérique Centrale « avec un cri de douleur ». Il assure que, même au Guatemala, un article intitulé ―À la mémoire du général Francisco Morazán‖ a été publié dans le numéro du 9 mars 1843 de Escritor

guatemalteco (―Murió Morazán, murió el soldado de la patria, defensor de los derechos del pueblo, el apoyo más

firme de las libertades públicas, caudillo de la nación i su primer libertador. (…) murió en el país de la esclavitud victima de la perfidia y la más negra traición.‖). Voir : El Costarricense, periódico semanal, num. 93, 21 février 1873, pp. 373-374.

381 UMAÑA, Helen, Francisco Morazán…, op. cit., p. xi. Le poète est né en 1812 à San Salvador et a lutté aux côtés de Morazán. La première édition de la Tragédie a été publiée en 1848 et a été représentée à plusieurs reprises dans le pays, dont une fois à Yoro 10 ans après la mort de Morazán. Voir aussi : AZUCENA, Miguel Angel et SALDAÑA, Francisco, « Estudio preliminar, investigación realizada por el taller literario salvadoreño » in La Universidad, revista de la Universidad de El Salvador, octobre-décembre 1986.

382 PACHECO COOPER, Federico (comp.), « Documentos históricos… », op. cit.

383 Ferrera avait d‘abord été partisan de Morazán pour devenir un de ses adversaires les plus acharnés : GARCÍA BUCHARD, Ethel, Polìtica y Estado…, op. cit., p. 185. Une rébellion morazaniste a malgré tout eu lieu à Texiguat au Honduras en 1844 : CANIZALES, Rolando, et PORTILLO, Dennis, « Plan interpretativo… », op.