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Officialisation et institutionnalisation de la figure héroïque de Morazán en Amérique Centrale

Chapitre 1. Inauguration des premières statues en l’honneur de Morazán (1880-1883)

II. 1. B. Revendication hondurienne de la figure de Morazán

Avec l‘arrivée de M.-A. Soto au pouvoir au Honduras en 1876, le héros commence à être revendiqué officiellement dans cet État défini comme son « berceau ». L‘inauguration d‘un monument en l‘honneur de Morazán en 1883 à Tegucigalpa est l‘occasion de créer un panthéon valorisant le rôle du Honduras en Amérique Centrale. Le culte héroïque est utilisé pour participer à la légitimation du gouvernement en place mais les traditions inventées survivent aux changements d‘administrations. Jusqu‘à quel point Morazán est-il également célébré comme un symbole unioniste au Honduras alors que la narration héroïque diffère de celle développée au Salvador ?

II. 1. B. a. Le Honduras, « berceau du héros»

Dès les années 1870, nous pouvons observer une recherche de héros au Honduras. Le prêtre José Trinidad Reyes par exemple est exalté en tant que fondateur de l‘Université. Un décret législatif ordonne qu‘un portrait en pied de lui soit exécuté aux frais du gouvernement pour être placé dans la salle d‘études de l‘Université.707 Des dispositions sont prises en même temps pour exécuter celui du conservateur Juan Lindo, célébré parce que c‘est sous sa présidence que l‘Université nationale a été fondée. J. Lindo ayant également participé à la création de l‘Université du Salvador, État dont il a aussi été président, le gouvernement hondurien décrète qu‘un autre portrait de lui soit réalisé pour l‘offrir à l‘État voisin, favorisant de cette manière la circulation des mémoires héroïques. C‘est avant tout le civisme de ces figures qui est valorisé, et leur importance centraméricaine ne manque pas d‘être soulignée. La célébration des grands hommes de la patrie tend à dépasser les conflits partisans dans le but d‘inventer la nation comme une unité harmonieuse. Le président conservateur José María

707 La Gaceta, Tegucigalpa, 4 juillet 1870.

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Medina organise ainsi les honneurs funèbres du Coquimbo T. Cabañas à sa mort en 1871.708

S‘il ne s‘agit pas pour l‘heure de cultes instaurés, ce sont toutefois des honneurs officiels rendus à des personnages historiques pour leur patriotisme.709

L‘officialisation du culte de Morazán commence véritablement avec le gouvernement de M.-A. Soto, avocat de formation.710 Le Honduras avait déjà été représenté lors de l‘inhumation des restes du caudillo à San Salvador en 1858, mais cela n‘avait pas donné lieu à une appropriation locale de son image. Un premiers pas est franchi en 1879 quand l‘émission d‘une série de timbres poste utilisant le portrait du héros est décrétée. L‘objectif annoncé est de perpétuer la mémoire de l‘étendard de la nation centraméricaine à laquelle aspire le peuple hondurien.711 De même qu‘au Salvador, Morazán est exalté à la fois en tant que symbole unioniste et comme représentant des sentiments partagés par la communauté des citoyens de l‘État. La complémentarité entre les deux échelles de référence identitaire est élaborée en érigeant le Honduras comme le « berceau de Morazán ». Parce que cet État a donné naissance au héros, son rôle dans le projet unioniste est revalorisé.712 Bien que les deux modèles de nation aient été montrés comme irréconciliables, le héros permettait de faire le lien entre les deux conceptions. Morazán représente alors la possibilité future de construire une nation viable.713 Un rapprochement peut être effectué avec le « langage du double patriotisme » développé en Catalogne à la fin du XIXème qui concilie le sentiment d‘appartenance provincial et national de façon complémentaire et non exclusive, tel que l‘a souligné S. Michonneau.714

Un effort pour institutionnaliser la figure héroïque est rapidement réalisé, et elle est régulièrement mentionnée dans les discours prononcés lors du 15 septembre. En 1880, A.

708 La Gaceta, Tegucigalpa, 25 janvier 1871. Cabañas est alors célébré comme général Benemérito et « soldat illustre de la partie », titres qui lui avaient été conférés de son vivant.

709 La lutte contre les Coquimbos au Honduras dure au moins jusqu‘en 1863 avec une rébellion menée depuis Olancho contre le pouvoir central (EURAQUE, Darío (coord.), Proyecto, Museo y Casa de Morazán, op. cit., pp. 66-69). En mai 1876, un poème signé par « quelques citoyens » comparant J.-M. Medina à Morazán, Cabañas et Barrios a été reproduit sur une feuille volante. Un autre texte signé par « les libéraux de Tegucigalpa » élaborait également un panthéon héroïque avec ces mêmes figures (ANH : legajo I-21, num. 417.f.2.r.).

710 M.-A. Soto et R. Rosa ont vécu au Guatemala et participé à la révolution libérale de 1871. Ils y ont fondé le journal El Centroamericano pour soutenir la candidature de M. García Granados à la présidence. M.-A. Soto a également été ministre des relations extérieures sous le gouvernement de celui-ci puis de J.-R. Barrios. R. Rosa, cousin de M.-A. Soto, est devenu un acteur clé du programme de réformes de son gouvernement et est considéré comme l‘un des libéraux positivistes les plus importants de la région. Voir : GARCÍA BUCHARD, Ethel, « La mirada de los historiadores liberales… », op. cit., pp. 101-123.

711 La Gaceta, Tegucigalpa, 20 novembre 1879. C‘est le philatéliste hondurien Jaime Saldívar qui a conçu la

série de sept timbres composée avec le visage de Morazán de différentes couleurs selon le montant. En 1889 cette même série a été émise à nouveau avec des couleurs et du papier différents. Voir : UMAÑA, Helen,

Francisco Morazán…, op. cit., p. LIII.

712 Cette expression est utilisée de manière récurrente à partir des années 1880, en prose ou en vers. Voir par exemple le poème de J.-M. Molina Vijil reproduit dans : La Gaceta, Tegucigalpa, 27 novembre 1880.

713 GARCÍA BUCHARD, Ethel, « La mirada de los historiadores liberales… », op. cit., pp. 117-119.

714 MICHONNEAU, Stéphane, « Société et commémoration à Barcelone à la mi-XIXe siècle », Genèses 40, sept. 2000, p. 16. Cet historien reprend l‘expression de J. M. Fradera.

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Zuñiga profite de la célébration de l‘indépendance pour faire de Morazán un égal de Bolivar autour des principes de liberté et d‘union. L‘Assemblée Nationale a d‘ailleurs officiellement remercié A. Zuñiga pour ses paroles, mettant ainsi en relief la volonté des sphères du pouvoir de développer ce type de narration héroïque.715 M.-A. Soto lui-même prononce un discours à cette occasion en insistant sur l‘idéal unioniste et sur l‘importance de transmettre la mémoire historique au sein des familles, l‘étendue sociale du système éducatif n‘étant pas encore assurée :

Le testament du Général Morazán n’est pratiquement pas connu alors que c’est le texte avec lequel les enfants de l’Amérique Centrale devraient apprendre à lire. Ce document vénérable est la prière au patriotisme que les mères devraient faire réciter à leurs enfants en les endormant dans leurs blancs berceaux pour que tout centraméricain sache dès l’enfance qu’il n’a pas de patrie.716

La revendication officielle du héros au Honduras est accompagnée dès le début d‘une sacralisation de l‘unionisme établissant l‘immortalité de sa mémoire.717 Si un caractère sacré est donné à Morazán, cette rhétorique exprime avant tout la volonté de pérenniser la narration héroïque. Dans le cas de la révolution française, M. Ozouf considère que l‘omniprésence de la rhétorique religieuse montre qu‘il ne s‘agit pas réellement d‘une déification des héros et que les appeler martyrs c‘est plaider pour l‘humanisation du Christ.718 En Amérique Centrale, les élites veulent également instaurer un culte laïc inscrit dans l‘Histoire mais la foi catholique étant partagée par la majorité de la population, la distinction entre les deux religions peut ne pas avoir été aussi claire. Dans tous les cas, les acteurs de la construction de la nation envisagent les hommages rendus aux grands hommes comme un moyen de placer la nation dans le monde « civilisé ». La presse hondurienne soutient le gouvernement dans cet effort et

715 Voir : La Gaceta, Tegucigalpa, 4 octobre 1880. C‘est également à cette occasion que J.-J. Palma déclame un poème renforçant l‘identification de Morazán avec le Honduras.

716 La Paz, Tegucigalpa, 25 septembre 1880 : ―El testamento del Jeneral Morazán casi no se conoce cuando es la

hoja en que debieran aprender a leer los niños de Centroamérica. Este documento venerable es la oración del patriotismo que las madres debieran hacer rezar a sus hijos al domirlos en sus blancas cunas para que todo centroamericano desde la infancia sepa que no tiene patria‖. Ces paroles sont citées à de nombreuses reprises, notamment dans le discours prononcé par Cruz Ulloa lors de l‘inauguration de la statue du héros à San Salvador, favorisant ainsi la circulation de la narration héroïque élaborée au Honduras (La Gaceta, Tegucigalpa, 10 avril 1882).

717 La Gaceta, Tegucigalpa, 6 octobre 1880, discours de R. Rosa : « Morazán est mort…mais son cri immortel

résonne encore dans les cœurs des bons centraméricains ». L‘adjectif « immortel » est appliqué soit directement au héros, soit à sa mémoire ou encore à des dates anniversaires qui lui sont liées. Voir par exemple : La Paz, Tegucigalpa, 17 décembre 1881. Cet adjectif est également utilisé pour Cabañas, bien que dans une moindre mesure.

718 OZOUF, Mona, La fête révolutionnaire…, op. cit., pp. 447-474. Le doute qu‘elle émet sur la possibilité de parler de sacralisation des héros révolutionnaires ne l‘empêche pas de mettre en parallèle religion et civisme en considérant qu‘il s‘agit avant tout d‘un « transfert sacral sur les valeurs politiques et sociales » où coexistent un culte de l‘humanité et une religion du lien social.

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reproduit de nombreux documents historiques ayant trait aux figures héroïsées.719

En 1882, une veillée littéraire est également organisée pour le 15 septembre. Plusieurs héros de diverses origines sont mentionnés mais la place tutélaire du panthéon est accordée à Morazán, comme c‘est le cas dans le discours de Carlos Alberto Uclés. R. Rosa participe à cette veillée et reçoit une médaille d‘honneur de la part de la municipalité de Tegucigalpa en remerciement de ses « pièces littéraires et services à la nation ».720 Il s‘agit d‘élaborer une tradition hondurienne de lutte pour la reconstruction de l‘union centraméricaine qui aurait débuté avec Morazán. Même si un certain pessimisme romantique peut être observé, l‘exaltation du héros doit pousser à l‘action.721 La mise en place du culte héroïque répond à la fois à une préoccupation tournée vers l‘intérieur : obtenir un consensus politique autour du projet de société à construire (les figures mentionnées représentent généralement différentes tendances libérales) ; et vers l‘extérieur : créer une nation qui soit respectée par les autres mondialement.

Il est certain que l‘inauguration de la statue de Morazán à San Salvador a eu un impact déterminant dans son processus d‘héroïsation au Honduras. Tout en exaltant le héros unificateur, le gouvernement hondurien prend exemple sur son homologue salvadorien pour inventer des traditions locales. M.-A. Soto décrète ainsi l‘érection d‘un monument en l‘honneur de Morazán considérant que le culte des grands hommes est un devoir de toute nation.722 C‘est d‘ailleurs le même architecte d‘origine italienne, Francisco Durini, qui est sollicité. La réalisation du monument est confiée à Léopold Morice, désigné comme un fameux sculpteur français, ce pourquoi on assure que le monument sera « imposant et splendide. »723 Une différence importante peut toutefois être observée : alors que le monument du Salvador représente le héros debout, la constitution d‘une main et l‘épée de l‘autre, au Honduras c‘est une statue équestre qui est érigée et Morazán porte l‘uniforme de général de division en campagne.724

Nous pouvons expliquer cette différence par l‘équilibre recherché par chaque gouvernement entre les champs civique et militaire dans l‘élaboration des panthéons

719 La Paz, Tegucigalpa, 21 décembre 1881. Dans cet article, c‘est Dionisio de Herrera, beau-père de Morazán, et chef de l‘État du Honduras aux débuts de la carrière de ce dernier, qui est exalté.

720 La Paz, Tegucigalpa, 20 septembre 1882. Rafael Lñpez signe l‘article intitulé ―Justice au mérite‖ concernant

la médaille remise à R. Rosa. Voir aussi : La Gaceta, Tegucigalpa, 28 septembre 1882.

721 La Paz, Tegucigalpa, 16 septembre 1882.

722 La Paz, Tegucigalpa, 9 décembre 1882.

723 Idem. Le journal officiel a d‘abord annoncé que le monument serait réalisé en Italie : La Gaceta, Tegucigalpa, 27 août 1882. Par la suite, F. Durini publie des annonces dans la presse pour promouvoir son commerce de statues au Salvador (La República, San Salvador, 14 mai 1885) et au Costa Rica (La Hoja del pueblo, San José, 4 août 1892).

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nationaux. Au Salvador, Morazán est associé à G. Barrios et tous deux peuvent incarner ces deux dimensions en même temps ; dans le cas du Honduras, c‘est essentiellement José Cecilio del Valle, l‘homme de lettres, le « sage », qui a été mis en relief aux côtés de Morazán, ce qui explique en partie pourquoi le caractère guerrier du héros y est plus particulièrement souligné.725 Il est appelé le « héros de La Trinidad », du nom de la victoire militaire obtenue sur le sol hondurien ayant fait connaître le caudillo dans la région. Cette bataille est représentée avec les soldats de son armée aux côtés de l‘écusson de la République Fédérale sur le piédestal du monument, avec mention de sa date (le 11 novembre 1827). C‘est un moyen d‘inciter la population à s‘approprier ces références historiques tout en exaltant l‘héroïcité du peuple dans son ensemble.726 Le phénomène du caudillisme connaissant une certaine continuité au Honduras, le modèle du soldat-citoyen prend un sens particulier et caractérise la construction du héros-martyr dans cet État.727 Toutefois, autant Zaldívar que Soto ne sont pas des militaires, contrairement à la plupart des gouvernants de cette période, et s‘ils n‘hésitent pas à recourir à la force pour asseoir leur pouvoir, l‘équilibre recherché est à inscrire dans un effort d‘institutionnalisation de l‘armée pour favoriser l‘obéissance des soldats au pouvoir de l‘État.

II. 1. B. b. Un panthéon hondurien unioniste ?

L‘équilibre recherché entre les champs civique et guerrier dans l‘élaboration du panthéon hondurien est mis en avant par le choix des figures pour lesquelles le gouvernement décrète l‘érection de monuments : en même temps que la statue de Morazán, un buste de T. Cabaðas est pris en charge par le ministère de la guerre, et le ministère de l‘instruction publique s‘occupe de la statue de José Cecilio del Valle et du buste de José Trinidad Reyes.728 Le Coquimbo Cabañas est célébré parce qu‘il a combattu aux côtés de Morazán et qu‘il n‘a pas renoncé à l‘idéal unioniste à la mort du caudillo. Pour sa part, Valle est considéré comme une gloire littéraire et scientifique de l‘Amérique Centrale. Quant à J.-T. Reyes, c‘est sa participation au développement de l‘enseignement au Honduras qui est mise en avant. Ce dernier était un homme du clergé, statut qui est gravé sur le monument, bien qu‘il soit indiqué dans la presse que pour cela « il aurait dû appartenir au Moyen-âge. » L‘inclusion de cette

725 La Gaceta, Tegucigalpa, 27 août 1882.

726 Idem. Voir la représentation en Annexe (p. 517). La Trinidad ne figure pas parmi les batailles représentées sur

le piédestal du monument salvadorien. Dans cet État, Morazán est principalement désigné comme « le héros de Gualcho ». Ainsi, chaque État met en avant les victoires ayant eu lieu sur son sol, de manière à consolider l‘appropriation locale de sa figure.

727 GARCÍA BUCHARD, Ethel, « La mirada de los historiadores liberales… », op. cit., pp. 113-114.

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figure dans le panthéon héroïque permettait certainement de ne pas créer une rupture entre la population catholique et les libéraux au pouvoir à l‘heure des réformes de sécularisation de la société.

Ainsi, une complémentarité entre les héros sélectionnés est recherchée : « le peuple hondurien (…) se dressera et illuminera son esprit avec la pensé du sage Valle et armera son bras avec l‘épée de l‘immortel Morazán, pour accomplir son destin historique ».729 R. Rosa, qui occupe à la fois le poste de ministre de l‘instruction publique et celui de secrétaire du ministère de la guerre, peut d‘autant mieux faire le lien entre les aspects civique et militaire. Afin de concilier sa volonté de faire du Honduras une nation cultivée et d‘y développer un culte aux soldats, Rosa explique que les héros incarnent des idées, des principes et des institutions et qu‘ils représentent donc la défense de la République.730 La force armée n‘est légitimée que si elle est employée au nom du patriotisme, autrement dit si elle correspond à la volonté gouvernementale.

Morazán est exalté comme le modèle du soldat-citoyen qui se bat pour défendre les valeurs républicaines. Dans le discours que M.-A. Soto prononce devant le congrès en 1883, on peut voir à quel point la célébration du héros sert à mettre en relief l‘attachement du gouvernement hondurien aux lois et aux institutions.731 C‘est un moyen de présenter la construction de l‘État-nation telle qu‘elle est menée comme un projet consensuel et non partisan : Morazán n‘est pas le représentant du libéralisme mais de la République. Plus que le gouvernement salvadorien, le hondurien insiste sur l‘unité au sein de l‘État, et la lutte pour la reconstruction de la nation centraméricaine semble passer au second plan.732 L‘oligarchie nationale a été beaucoup plus consolidée au Salvador qu‘au Honduras, ce qui explique sans doute pourquoi M.-A. Soto était avant tout préoccupé par la mise en place d‘alliances politiques entre les élites du pays, élément considéré comme essentiel dans le processus de modernisation.733 Le héros est ainsi l‘expression d‘un manque dans la société.

Avec cet ensemble de statues, le gouvernement hondurien cherche à créer un panthéon

729 Idem. Les inscriptions et les décorations gravées sur les piédestaux de chacun des monuments renforcent la distinction entre les figures guerrières et civiques. Voir : La Gaceta, Tegucigalpa, 27 août 1882.

730 La Gaceta, Tegucigalpa, 15 avril 1883. Il prononce d‘ailleurs le vœu que disparaisse un jour le ministère de la guerre.

731 La Gaceta, Tegucigalpa, 2 mars 1883.

732 J. Amaya estime d‘ailleurs que R. Rosa était convaincu de la viabilité des États-nations séparés mais qu‘il envisageait la reconstruction de la Fédération sur la longue durée (AMAYA, Jorge Alberto, « La Reforma liberal… », op. cit.).

733 D. Euraque considère que l‘absence d‘une oligarchie nationale a été une caractéristique du Honduras par rapport au reste de l‘Amérique Centrale. Voir : EURAQUE, Darío, « La reforma liberal en Honduras y la hipótesis de la oligarquía ausente 1870-1930 », in Revista de Historia, Université du Costa Rica, num. 23, 7-56, 1991.

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national dont la hiérarchie est clairement définie. L‘ordre entre les héros est établi moins selon la chronologie que par le modèle du citoyen représenté par chaque figure qui sont d‘ailleurs toutes nées au Honduras même si elles incarnent également une dimension centraméricaine. De plus, les personnages historiques choisis n‘ont pas tous été du même bord politique, mettant ainsi en relief la volonté de la part des autorités de dépasser les divisions partisanes dans le but de créer un consensus autour de l‘idéologie du progrès. Si Morazán et Cabañas peuvent effectivement être mis côte à côte dans la lutte pour un projet fédéraliste, Valle incarnait une vision plus ambiguë concernant le mode de gouvernement centraméricain à adopter, et T. Reyes s‘est converti en adversaire politique des morazanistes suite aux réformes anticléricales.De cette manière, l‘élaboration du panthéon héroïque a l‘objectif d‘inventer une nation intégratrice.

Morazán est érigé en héros tutélaire du panthéon et on réserve la place principale de la capitale, devant la cathédrale, pour sa statue.734 On l‘oppose de manière dichotomique à la « sauvagerie » de Carrera qui est placé à la tête d‘un ensemble de anti-héros, les « séparatistes ».735 Comme au Salvador, ce dernier incarne aussi la population indigène, considérée comme un obstacle majeur au progrès.736 De son côté, Rosa tente d‘ériger Carrera en symbole de « l‘indien civilisé » afin de soutenir les politiques libérales d‘acculturation.737

L‘exaltation du cacique Lempira illustre également la volonté des élites d‘inventer un passé glorieux tout en considérant la disparition de la civilisation indigène comme une nécessité historique pour la modernisation de la nation.738

Le gouvernement hondurien exprime clairement son objectif de faire du monument de