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Développement de la région frontalière comme stratégie de lutte contre le trafic

Chapitre IV : Tolérance envers les actions déviantes : une solution ou une autre forme de

I. L’Etat contrôleur de la vie frontalière ?

3. Développement de la région frontalière comme stratégie de lutte contre le trafic

frontalier

Sur le terrain, j’ai appris qu’une stratégie pour un développement durable de la région de l’Oriental marocain est en cours de mise en œuvre. Ce genre de stratégie peut entrer dans le cadre du contrôle en amont des frontières dans le sens où l’Etat, par la réalisation de projets structurants dans la région, contribuera à la faire sortir de son enclavement et à offrir à sa population des opportunités de travail autre que la contrebande. A son tour, le questionnement sur la réalité d’une telle option ne m’a été possible que du côté marocain à cause de la difficulté à approcher les responsables algériens sur la problématique frontalière. C’est ainsi que j’ai pu réaliser, le mardi 06 décembre 2011, un entretien avec le Président de la région de l’Oriental Monsieur A. B. et, en juillet 2011, un autre avec A.K, journaliste à Oujda.

3.1 Entretien avec Le Président de la région de l’Oriental

Monsieur A. B. a commencé par expliquer le rôle d’une région en tant que collectivité locale. Selon l’article 1 du dahir portant loi 47/96 de 1997 relatif à l’organisation de la région, cette dernière a pour mission, dans le respect des attributions dévolues aux autres collectivités locales, de contribuer au développement économique, social et culturel de la collectivité régionale en collaboration avec l'Etat et lesdites collectivités. Son organe exécutif est un conseil élu pour une durée de six ans avec des prérogatives propres et celles qui lui sont transférées par l'Etat.

Suite à cela, il a tenu à donner sa perception de la fermeture des frontières terrestres algériennes depuis 1994. Selon lui, elle est la conséquence d’un problème géopolitique que

148 Mjekiqi Edmond, Raballand Gaël, « Quand une politique commerciale restrictive favorise les échanges non officiels. Le cas du Nigeria », Afrique contemporaine 2/ 2009 (n° 230), p. 135-150

URL : www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2009-2-page-135.htm. DOI : 10.3917/afco.230.0135

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les habitants et les responsables de la région de l’Oriental subissent. Il s’est ensuite penché sur l’opportunité, pour un pays, de fermer ses frontières.

« Un pays qui ferme ses frontières s’isole. Fermer ses frontières est une sorte de suicide économique. D’ailleurs pourquoi fermer seulement les frontières terrestres ? » Il a aussi insisté sur le fait que la fermeture des frontières n’est pas respectée sur le terrain

et n’empêche pas la circulation des biens et des personnes. D’après lui, en prenant cette

décision, les responsables algériens pensaient asphyxier économiquement la région orientale du Maroc et ainsi affaiblir tout le pays. Il a affirmé que cela est dû à une erreur d’appréciation de la réalité de la région.

« Nous ne pouvons que gérer les dommages collatéraux de cette situation. Nous n’avons pas de maîtrise sur la solution du moins à court terme »

Il a assuré que pour autant, la région en tant que structure n’est pas restée passive devant cette fermeture et la situation de « déviance » qui l’a suivie. Une étude intitulée « Quel avenir pour la région dans les 20 prochaines années ? » a été commandée à des experts. Le diagnostic a mis en évidence l’impact négatif de la contrebande sur le tissu économique de la région et sa raison : l’entrave à l’investissement productif. L’autre raison, selon lui, est la récurrence des fermetures des frontières ainsi que la durée de l’actuelle.

« La contrebande est florissante dans notre région car depuis plus de 50 ans les frontières entre l’Algérie et le Maroc ont été rarement ouvertes. C’est, à mon avis, une erreur car la normalité est l’ouverture et non la fermeture des frontières. De toutes les manières, tôt ou tard les frontières ouvriront et pour cela la région doit être prête. En fait, nous avons déjà commencé la gestion de l’ouverture des frontières.»

C’est ainsi qu’il m’a appris que le gouvernement marocain a mis en place, en 2003, un programme de développement et d’industrialisation de la région de l’Oriental afin d’en faire un pôle de développement durable à travers l’implantation des énergies propres et de ce qui est appelé une économie verte. Dans cet objectif, une technopole à Oujda, une agropole à Berkane et une zone industrielle à Selouane sont en cours d’achèvement. Ces installations devraient attirer des investissements marocains et étrangers, encourager le développement

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d’un tissu économique qui sortira la région de sa dépendance de la contrebande et préparer à l’ouverture des frontières. Selon lui, l’encouragement et la structuration du commerce formel est un autre moyen de lutte contre la contrebande. C’est dans cette optique que l’Etat marocain a encouragé l’ouverture, dans la région, de grandes surfaces commerciales à l’exemple de Marjane et de Metro.

« L’exemple du succès de cette approche nous vient d’une autre frontière celle de Mellilia avec Nador. Les nadoris et même les habitants de Mellilia s’approvisionnent actuellement à Nador. Il est ainsi clair que le formel de qualité et bien organisé arrive à concurrencer la contrebande même s’il ne la tue pas. »

Il a aussi évoqué l’ouverture de l’autoroute Oujda-Fès comme un projet structurant qui contribue au développement durable de la région en facilitant la circulation des biens et des personnes vers les différentes parties du royaume.

Il m’a affirmé que cette stratégie de développement durable qui est mise en œuvre dans la région lui permettra d’être prête pour l’ouverture des frontières et d’en tirer des bénéfices.

« Car il faut que cette ouverture bénéficie en priorité à la région de l’oriental et non plus seulement au reste du Maroc comme cela a été le cas lors des précédentes ouvertures de frontières. Les visiteurs traversaient la région pour aller faire leur shopping à Fès ou Casablanca. Il faut agencer la région de telle sorte à la rendre attrayante pour le tourisme et la consommation sur place ».

Homme d’affaires dans le privé, le Président de la région a rappelé que l’encouragement de projets de co-développement algéro-marocains et la coopération entre les deux régions frontières peuvent à leur tour constituer une stratégie de pacification et de développement durable.

« La région de l’ouest algérien et celle de l’oriental marocain doivent axer leurs efforts sur le développement des projets communs.»

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Toutefois d’après lui, le développement durable nécessite un choix pertinent des projets pour la région.

« Pour cela, il faut éviter les projets qui comme la nouvelle station balnéaire de Saïdia excède les besoins de la région et ne respecte pas son environnement. »

Par ailleurs, il m’a semblé conscient du rôle que peut jouer la similitude de la culture dans le rapprochement des deux pays.

« La région de l’Oriental a organisé, en mars dernier, le deuxième festival de la culture maghrébine. Nous allons multiplier ce genre de manifestations. Nous travaillons, pour cela, avec les associations culturelles.»

Parlant de la séparation des familles et du drame humain qui en découle, mon témoin m’a précisé que le mandat de la région est surtout un mandat de développement économique et culturel même si la problématique ne peut être ignorée.

« Moi-même, je vis cette séparation puisqu’une partie de ma famille très proche se trouve en Algérie. La région est prête à aider la société civile qui œuvre pour la libre circulation entre les deux pays. Il me semble que pour cela, il faut résoudre tous les contentieux entre l’Algérie et le Maroc et tourner la page car les erreurs sont de part et d’autre. »

Il a fini l’entretien en disant que l’obstination dans la fermeture des frontières est une démarche irrationnelle qui est confortée par le manque de transparence dans la prise de décision. Pour illustrer sa façon de voir la situation, il a dit :

« Je cite à chaque fois mon exemple personnel : j’investis des deux côtés de la frontière mais je ne peux pas faire du commerce entre les deux pays ».

3.2 Entretien avec un journaliste de la région

A.K, à son tour, a témoigné sur la nouvelle stratégie de développement de la région de l’Oriental en tant que moyen de lutter contre la contrebande. Il est journaliste vivant à Oujda, à la tête d’un journal électronique et aussi correspondant de journaux nationaux. Il

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m’a affirmé avoir fait tout un travail de terrain sur la contrebande qui l’a mené à accompagner un contrebandier sur sa moto jusqu’en territoire algérien. Selon lui, la volonté politique actuelle est de faire de l’Oriental, pendant la fermeture des frontières, grâce à des subventions conséquentes, un pôle économique prospère qui ne dépend pas des relations avec l’Algérie. Il m’a, à son tour, cité la technopole d’Oujda, l’agropole de Berkane et le développement touristique de la région comme des projets structurants. Il a aussi évoqué l’encouragement des enseignes de marques automobiles à ouvrir dans la ville d’Oujda comme un moyen de lutter contre la contrebande du carburant dans le sens où pousser la population de la région à acheter des voitures nouvelle génération qui ne tolèrent pas la qualité du carburant de contrebande reviendrait à diminuer sa consommation. De même, l’augmentation de ce genre de parc automobile sera à l’origine de l’ouverture de nouvelles stations d’essence légales et de la pérennisation de celles qui existent. Il m’a dit avoir appris que nombre de ces demandes d’autorisation ont été déposées auprès des autorités locales. De même, selon lui, les stations installées à proximité des grandes surfaces de la région incitent à la consommation du carburant légal.

« Ces stations ont maintenant, sur le plan national, un fort chiffre d’affaires car les voitures s’y ravitaillent pour rallier la station balnéaire de Saïdia et dans laquelle ne se trouve actuellement aucune station. »

Il n’a pas, à son tour, oublié de souligner l’importance de l’autoroute Oujda-Fès dans le désenclavement de la région et dans la facilitation de la circulation vers les autres parties du pays.

De l’entretien avec le Président de la région et de celui avec le journaliste, je peux déduire qu’à l’instar du responsable douanier et du Directeur de la Fourrière municipale d’Oujda, ils considèrent la transgression de la fermeture des frontières comme une donnée routinière. Par ailleurs, les différents témoignages que j’ai pu rassembler sur le rôle de l’Etat dans le contrôle de la vie frontalière m’amènent à dire que ce dernier a la faculté de s’exercer de deux manières : en aval par le biais de la surveillance des frontières et la sanction de sa transgression et en amont grâce à la mise en œuvre de politiques de développement

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durable des régions frontalières qui désenclavent, structurent l’économie et multiplient les opportunités de travail autre que la contrebande.

II. Tolérance de l’Etat envers la « déviance » frontalière, dysfonctionnement voulu