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Dénonciation de l’installation d’une déviance mafieuse dans la région frontalière :

Chapitre V : Rôle de la société civile ou la remise en cause d’une situation d’inadéquation et

II. Dénonciation d’une transgression quotidienne

2. Dénonciation de l’installation d’une déviance mafieuse dans la région frontalière :

action contre le trafic des psychotropes

L’attitude compréhensive de la société civile envers les traversées clandestines pour visites familiales et la contrebande comme source de revenus s’arrête net lorsqu’il s’agit de la circulation des matières prohibées comme la drogue et les psychotropes. Elle s’active à la dénoncer. J’ai pu me rendre compte de l’importance de cet activisme lors de ma rencontre

avec M.H, pharmacien et militant associatif de la ville d’Oujda à l’occasion de kaymat el

oukhouwa1. Il présidait, à l’époque, l’association Espace Ziri pour la coopération et le syndicat des pharmaciens d’Oujda. Il m’a appris que son association intervenait dans différents domaine jusqu’en 2006, date à laquelle la contrebande de psychotropes (karkoubi en arabe) et leur consommation ont pris une ampleur alarmante. Depuis, elle s’est activée dans la dénonciation de ce qu’elle dénonçait comme un fléau local et national. Les psychotropes proviennent illégalement d’Algérie, encore de nos jours, et font des ravages chez les jeunes de la région frontalière et des autres parties du Maroc. La violence qui résulte de leur consommation fait que les actes de délinquance et de criminalité sont en

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continuelle augmentation217. En sa qualité de pharmacien, M.H a commencé par m’expliquer

ce qu’étaient les psychotropes.

« Ce sont des médicaments dont la vente obéit à des règles très strictes et ne peut se faire, en principe, que dans une pharmacie. Ils ne peuvent être délivrés que sur une ordonnance médicale, ils sont placés sur un rayonnage spécial et le vendeur doit référer au pharmacien avant de les servir. »

Selon lui, la prise de ces médicaments sans nécessité médicale a pour conséquences une accoutumance et le besoin d’une dose toujours plus forte. Au début, le consommateur prend un comprimé qui rapidement devient insuffisant l’amenant à consommer la plaquette entière et même à rajouter d’autres excitants comme l’alcool. Cette consommation le fait rentrer dans un état d’excitation qui peut lui faire perdre la mémoire momentanément. Pendant cet intervalle, il peut tuer sa propre mère et ne se rappeler de rien du tout quand il reprend conscience.

« Partout au Maroc, la consommation du karkoubi a conduit à l’augmentation de crimes odieux comme le cas du drogué de Casablanca qui a décimé toute sa famille218. »

M.H m’a ensuite appris que les pharmaciens sont sollicités par les trafiquants de psychotropes pour les écouler sans observer les règles requises.

« Moi-même, j’ai reçu un jour la visite d’une personne qui m’a demandé de commercialiser les psychotropes sans l’observation des règles requises en me faisant miroiter la quantité d’argent à gagner. Je l’ai sorti violemment de ma pharmacie. Ceci dit, il existe évidement des pharmaciens et même des médecins qui succombent à l’appât du gain facile. »

D’après M.H, la consommation des psychotropes a augmenté parce que les comprimés sont disponibles sur le marché de la contrebande en grandes quantités. Le problème est qu’on ne s’aperçoit de leur consommation que lorsque l’accoutumance est installée. Avaler un comprimé est facile et trompe la vigilance des proches.

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Lire http://www.medias24.com/SOCIETE/12071-Psychotropes-les-chiffres-effarants-de-la-DGSN.html

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« Autre cause de l’augmentation de cette consommation est le fait que les dealers, souvent au premier contact, offrent les comprimés gratuitement pour favoriser l’accoutumance. A cet effet, ils se postent aux portes des collèges et des lycées. » Mon interlocuteur m’a appris avoir, en sa qualité de Président du syndicat des pharmaciens, organisé en 2008 une journée d’étude sur les médicaments dans le Maghreb. Y étaient présents des pharmaciens algériens, tunisiens et mauritaniens. Pour comprendre la circulation en grandes quantités des psychotropes venant d’Algérie, il a saisi cette occasion pour questionner les pharmaciens algériens sur les règles de commercialisation de ces médicaments dans leur pays et ils lui ont appris qu’elles étaient aussi strictes qu’au Maroc. Selon lui, il est impossible pour un pays d’importer une grande quantité de psychotropes de sorte à inonder son marché et à l’exporter illégalement vers son voisin comme c’est le cas pour l’Algérie. Il a estimé que seule la mise en place de laboratoires pharmaceutiques spécialisés dans la fabrication de psychotropes pourrait justifier la quantité qui rentre illégalement au Maroc. Je lui ai demandé si son association a fait des investigations dans ce sens, il m’a répondu par la négative disant qu’il était difficile d’approcher ces laboratoires car leurs lieux ne sont pas connus puisque les psychotropes qui rentrent au Maroc arrivent sans boites qui pourraient l’indiquer mais seulement sous forme de plaquettes appelée

communément en arabe samta. Il a ajouté que les autorités algériennes ne pouvaient être

abusées par cette contrebande.

« A ma connaissance, les psychotropes rentraient de l’Algérie dès les années 80 jusqu’aux années 90 mais en petites quantités et les autorités intervenaient pour circonscrire cette contrebande. Depuis la fermeture des frontières, il en rentre de très grandes quantités au point que le prix du comprimé valait 50 centimes et des fois moins. La ville d’Oujda qui était connue pour être la ville des mosquées est devenue la capitale du karkoubi et son exportatrice vers les autres villes du Maroc.»

L’alerte donnée n’a pas ciblé que les autorités locales mais elle a été portée sur le plan national par un membre de l’association, qui en sa qualité d’élu de la nation, a fait de la contrebande et de la consommation des psychotropes, les sujets d’une question orale posée devant les représentants du Parlement. Dans le même temps, l’association a organisé une

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campagne de sensibilisation sur les méfaits de la consommation des psychotropes en dehors d’une indication médicale dans les collèges et les lycées de la ville d’Oujda. Pour cela, elle a ciblé les élèves, les professeurs et les parents. En 2010, l’association a organisé dans le même but une journée en présence de médecins, de personnalités politiques, religieuses et des familles d’enfants qui souffrent d’accoutumance.

« Le soir a eu lieu un concert de groupes connus auquel ont assisté à peu près 8000 personnes et au début duquel nous avons projeté un documentaire sur le fléau. » Il m’a appris que l’association Ziri avait l’intention de viser, dans ses actions futures, les enfants de 12 ans car c’est l’âge de la vulnérabilité.

« De nos jours, les filles sont aussi vulnérables que les garçons devant ce fléau. Ce qui était impensable il y a quelques années tant la société oujdie était connue pour son conservatisme. »

Pour faciliter le dialogue avec les jeunes et venir en aide aux consommateurs, à l’époque de notre entretien, l’association Ziri œuvrait pour se doter d’un numéro vert qui protègerait leur anonymat et leur permettrait de partager leur détresse.

Pour conclure, la société civile s’investit, à travers les actions que des associations légalement constituées organisent et les initiatives nées sur les réseaux sociaux, dans la mise en évidence de la situation de transgression que vit au quotidien la région frontalière à cause de la fermeture des frontières qui est une règle en totale inadéquation avec le genre de vie frontalier. Malgré sa persévérance dans la dénonciation, les frontières terrestres restent fermées depuis vingt ans et posent la problématique de l’impact de l’activisme de la société civile et de son rôle dans la prise de décision.