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Chapitre 3 : LIEN ENTRE LE DÉVELOPPEMENT PRÉCOCE DES ACTIVITÉS DE

I.2 Émergence et développement du contrôle moteur précoce de la parole au stade du

I.2.2 Phase 2 : Amélioration du contrôle oro-moteur

I.2.2.3 Développement non linéaire

Pour rappel, les études réalisées par Green et ses collaborateurs (2000, 2002) ont mis en évidence des modifications des patrons des mouvements mandibulaires et labiaux à 2 ans par rapport à ceux observés à 12 mois. Au cours de cette période, l’enfant passerait ainsi d’une stratégie motrice dominée par les mouvements mandibulaires vers une stratégie avec une contribution plus importante des lèvres. Or, cette période correspond également à l’âge pour lequel le vocabulaire de l’enfant explose. Selon les auteurs, la modification des patrons moteurs observée au cours de cette période pourrait être le reflet de l’augmentation des demandes imposées au contrôle moteur pour permettre l’émergence des habiletés linguistiques et phonologiques (Green, Moore, Higashikawa, & Steeve, 2000; Green et al., 2002). Pour tester cette hypothèse, Nip et ses collaborateurs (2009, 2011) ont investigué l’association entre l’évolution de ces patrons temporels et l’acquisition de compétences linguistiques et cognitives. Pour cela, 24 enfants ont été suivis de manière longitudinale tous les 3 mois, entre 9 et 21 mois. L’évolution des compétences cognitives a été examinée grâce au test standardisé du « Batelle Developmental Inventory » (e.g. attention, mémoire) (Newborg, 2005) et celles des compétences linguistiques a été évaluée avec les « MacArthur Communicative Developmental Inventories » (e.g. nombre de mots produits/compris) (Fenson et al, 1991). L’évolution des patrons temporels a quant à elle été examinée en observant les pics de vitesse des mouvements mandibulaires et labiaux à l’aide de mesures cinématiques. Les résultats obtenus montrent une augmentation non linéaire de la vitesse des patrons temporels mandibulaires et labiaux en fonction de l’âge (Figure 32). En effet, tandis que la vitesse mandibulaire augmente entre 9 et 15 mois puis se stabilise jusqu’à 21 mois, celle de la lèvre supérieure augmente quant à elle progressivement jusqu’à 15 mois puis atteint un pic de vitesse à 18 mois. Par ailleurs, la Figure 33 montre une augmentation de la variabilité des mouvements linguaux entre 15 et 18 mois, suivie d’une diminution de cette variabilité. Selon les auteurs, ces données illustrent l’amélioration non monotone et séquentielle des compétences articulatoires au cours du développement (Nip et al., 2009).

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Figure 32. Évolution de la vitesse des patrons temporels de la mandibule (A) et de la lèvre inférieure (B) entre 9 et 21 mois (issue de Nip et al., 2009)

Figure 33. Variabilité des mouvements de la lèvre inférieure entre 9 et 21 mois (issue de Nip et al., 2009)

Ainsi, les compétences cognitives et linguistiques pourraient influencer la planification et la programmation des mouvements articulatoires dès un stade précoce du développement. Ces résultats sont en accord avec des études précédentes réalisés chez l’adulte qui ont relaté une augmentation de la variabilité des mouvements lorsque les énoncés produits sont

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linguistiquement complexes (Dromey & Bates, 2005) ou lorsqu’une tâche cognitive complexe (e.g. calcul mental) est effectuée simultanément (Dromey & Benson, 2003). Dans cette perspective, l’évolution non monotone des patrons temporels pourraient ainsi refléter l’interaction entre le développement des compétences articulatoires et les compétences linguistiques et cognitives. Ainsi, le développement du contrôle moteur de la parole pourrait être stimulé par l’augmentation des demandes imposées pour l’acquisition des habiletés cognitives, phonologiques et linguistiques.

En ce sens, le développement de ces habiletés agirait comme des catalyseurs pour l’amélioration des compétences articulatoires, qui entrainerait d’abord des phases de régression (e.g. augmentation de la variabilité des mouvements, diminution) ou de plateaux puis qui accélèrerait ensuite le développement (Nip et al., 2011). En effet, d’après la théorie des systèmes dynamiques précédemment décrite (voir chapitre 3.I.1.1), le développement moteur se caractérise par des périodes transitoires au cours desquelles la performance motrice régresse. Celles-ci seraient le reflet d’une stratégie de coordination compensatoire lorsque la demande de la tâche est supérieure à celle des capacités motrices de l’enfant (Thelen & Smith, 1994). Par conséquent, les phases de régression des patrons mandibulaires et labiaux observées à 2 ans (Green, Moore, Higashikawa, & Steeve, 2000; Green et al., 2002; Iuzzini-Seigel et al., 2015) pourraient illustrer ces périodes de transition au cours desquelles le système se réorganise pour pouvoir répondre aux demandes imposées par l’évolution des compétences phonologiques et linguistiques (Green & Nip, 2010). Cette réorganisation motrice est permise grâce aux afférences sensorielles issues de la production (e.g. auditive, visuelle, kinesthésiques) qui vont progressivement permettre d’affiner les mouvements articulatoires (Case-Smith, 1996). Bien qu’elles soient d’abord le résultat d’un geste moteur guidé par des contraintes biomécaniques, l’environnement linguistique dans lequel évolue l’enfant va également jouer un rôle dans l’affinement des compétences articulatoires. L’input linguistique va notamment permettre de faire évoluer les productions babillées par rapport à la langue ambiante (e.g. mise en place des patrons prosodiques, valeurs formantiques des voyelles) (De Boysson-Bardies, Halle, Sagart, & Durand, 1989; Halle, 1998; Lalevee-Huart, 2010; Levitt & Wang, 1991).

Dans cette perspective, le développement des compétences articulatoires est influencé par des contraintes fonctionnelles qui limitent les capacités de production (i.e. contrôle moteur immature) et par d’autres facteurs qui au contraire catalysent leur évolution (e.g. compétences linguistiques, feedbacks sensoriels) (Green & Nip, 2010). L’interaction continue entre ces facteurs qui facilitent et limitent le mouvement expliquerait ainsi le développement non monotone des compétences articulatoires observé au cours de l’ontogenèse.

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I.2.3 En résumé

Le babillage, période cruciale pour le développement de la parole précoce, est marqué par l’apparition des premières syllabes. Celles-ci sont produites grâce à l’émergence, vers 6-8 mois d’oscillations rythmiques mandibulaires associées à la phonation. Les compétences articulatoires de l’enfant vont progressivement se développer grâce à l’amélioration du contrôle oro-moteur qui va engendrer d’une part, un meilleur contrôle des articulateurs et d’autre part, une augmentation du rythme oscillatoire mandibulaire.

D’après la théorie des systèmes dynamiques, l’émergence de ces oscillations mandibulaires illustre les prémisses de l’amélioration du contrôle oro-moteur. De par son aspect rythmique et stéréotypé, le babillage pourrait permettre la mise en place des patrons moteurs nécessaires au développement de la parole (Thelen, 1981). Les productions babillées précoces pourraient ainsi être le reflet de la mise en place de premières synergies motrices. L’augmentation de la proportion d’énoncés babillés variés par rapport aux énoncés redupliqués observée en fonction de l’âge dans certaines études (Lipkind et al., 2013;Smith et al., 1989) ainsi que l’accélération du rythme oscillatoire mandibulaire pourraient quant à elles être des indicateurs de la réorganisation progressive de ces synergies motrices. Par ailleurs, les résultats rapportés dans les études cinématiques mettent en évidence qu’à partir de 12 mois, les trajectoires des mouvements mandibulaires sont similaires à ceux observés chez l’adulte. Dans cette perspective, ces données suggèrent que les patrons de coordination mandibulaire se mettent d’abord en place et servent ensuite de base pour le développement des compétences articulatoires ultérieures. À partir de ces patrons de coordination, l’interaction continue entre les feedbacks sensoriels issus de la production, l’input linguistique, ainsi que l’évolution des compétences linguistiques et cognitives entraineraient un affinement progressif du contrôle oro-moteur et permettraient ainsi le développement des compétences articulatoires.

I.3 Développement des compétences oro-motrices masticatoires