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Chapitre 2 : ÉVOLUTION DES CONDUITES ALIMENTAIRES DU JEUNE ENFANT LORS

I. Introduction

I.2 Évolution physiologique permettant le passage de l’alimentation lactée vers

I.3.1 Age d’introduction de l’alimentation complémentaire

I.3.1.1 Recommandations de santé publique

Sur le plan international, l’Organisation Mondiale de la Santé recommande d’introduire les aliments complémentaires à partir de l’âge de 6 mois considérant jusque-là l’alimentation exclusivement lactée comme le mode d’alimentation optimal pour le développement et la croissance de l’enfant (OMS, 2003). Cet âge de transition alimentaire ne fait cependant pas l’objet d’un consensus puisqu’à l’échelle européenne et française, l’ESPGHAN (i.e. « European Society for Paediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition ») et le Plan National Nutrition Santé préconisent l’introduction des aliments complémentaires entre l’âge de 4 et 6 mois (Fewtrell et al., 2017; PNNS, 2004). Selon Schwartz et al. (2011), cette différence d’âge pourrait être expliquée par le fait que l’OMS recommande une introduction plus tardive des aliments complémentaires afin de diminuer les risques de contamination microbienne dans les pays en voie de développement. Selon ces 3 organismes de santé publique, l’alimentation lactée, et en particulier l’allaitement maternel, représente au cours des premiers mois le mode d’alimentation le plus adapté pour répondre aux besoins physiologiques et métaboliques de l’enfant (OMS, 2003; PNNS, 2004). Cependant, d’après ces recommandations, ce mode d’alimentation ne suffit plus à lui seul pour couvrir l’augmentation des besoins énergétiques de l’enfant au-delà de 4 à 6 mois. De ce fait, l’introduction progressive d’aliments complémentaires est alors conseillée pour satisfaire les besoins nutritionnels liés à la croissance de l’enfant (OMS, 2003). Par ailleurs, L’EPSGHAN et le PNNS déconseillent l’introduction d’aliments complémentaires avant l’âge de 4 mois (Fewtrell et al., 2017; PNNS, 2004).

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I.3.1.2 Différences interculturelles et interindividuelles dans l’introduction de l’alimentation complémentaire

En pratique, la période d’introduction des aliments complémentaires varie considérablement selon les pays. En effet, l’âge médian de transition alimentaire est de 4 semaines en Thaïlande (Jackson et al., 1992) tandis que celui-ci est de 3 ; 9 mois en Australie (Scott, Binns, Graham, & Oddy, 2009) et de 4 ; 3 mois en Italie (Giovannini et al., 2004). En ce qui concerne la France, l’âge moyen d’introduction des aliments complémentaires varie entre 4 ; 5 mois (Betoko et al., 2013) et 5 ; 2 mois (Bournez et al., 2017) selon les études (Tableau II). Par ailleurs, les études effectuées sur la période d’alimentation complémentaire, montrent que dans la plupart des pays, la diversification est réalisée antérieurement à l’âge recommandé (Nicklaus, Demonteil & Tournier, 2015). À titre d’exemple, 21% des enfants américains et 55% des enfants belges débuteraient l’alimentation complémentaire avant l’âge de 4 mois (Fein, Labiner-Wolfe, Scanlon, & Grummer-Strawn, 2008; Schiess et al., 2010). Il en est de même en France où 7% (Lange et al., 2013) et 26 % (Betoko et al., 2013; Bournez et al., 2017) des enfants commenceraient à manger des aliments complémentaires avant 4 mois (Tableau II).

Références Période d’observation Nombre de participants Méthode de collecte de données Age moyen d’introduction des aliments complémentaires % de l’échantillon ayant débuté l’alimentation complémentaire avant 4 mois Betoko et al., 2013 2003-2006 1004 Questionnaires parentaux

et examens cliniques 4 -; 5 mois 26 % Lange et al.,

2013 Non précisé 203 Rapport parental (journal) 5 mois 7 %

Salavane et al., 2016 2011-2013 3500 Entretiens téléphoniques et questionnaires parentaux 5 mois (âge médian) 13 % Bournez et al.,

2017 2011 10 931 Entretiens téléphoniques 5 ; 2 mois 26 %

Tableau II. Age d'introduction des aliments complémentaires chez les enfants français en fonction des études

Cette absence de consensus observée entre et/ou au sein des pays à propos de l’âge d’introduction des aliments complémentaires pourrait être expliquée par des facteurs culturels et économiques. En effet, il a été mis en évidence à plusieurs reprises que certains facteurs tels que l’âge de la mère, le niveau socio-économique des parents ou encore le nombre d’enfants influenceraient l’âge d’introduction des aliments complémentaires. Ainsi, les enfants nés de

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mères plus âgées, au niveau d’éducation élevé débuteraient l’introduction complémentaire plus tardivement que les autres enfants (Dubois & Girard, 2003 ; Pak-Gorstein, Haq, & Graham, 2009; Scott et al., 2009 ; Thulier & Mercer, 2009 ; Wright, Parkinson, & Drewett, 2004). Enfin, certains auteurs ont montré que le type d’alimentation lactée (e.g. allaitement maternel, formules infantiles) donné avant et/ou au cours de l’alimentation complémentaire pouvait également influencer l’âge de transition alimentaire. Ainsi, l’étude de Schiess et ses collaborateurs (2010) conduite dans 5 pays européens (i.e. Allemagne, Belgique, Italie, Espagne, Pologne) avec une cohorte de 1366 enfants a mis en évidence que les enfants allaités débutaient en moyenne l’alimentation complémentaire plus tardivement (4 ; 8 mois) que les enfants nourris avec des formules infantiles (4 ; 3 mois). Ces résultats ont été également retrouvés en France par Salavane et ses collaborateurs (2016) qui relatent un âge médian de transition alimentaire de 4 ; 5 mois chez les enfants non allaités (i.e. formules infantiles) contre 5 ; 5 mois chez les enfants allaités. En résumé, les données exposées ici soulignent la variabilité de la période d’introduction des aliments complémentaires en fonction des pays en raison de facteurs extrinsèques à l’enfant.

I.3.1.3 Une période sensible pour l’introduction d’une alimentation complémentaire ? Pour rappel, les recommandations de santé publique déconseillent de commencer l’alimentation complémentaire avant 4 mois (Fewtrell et al., 2017; OMS, 2003; PNNS, 2004). En effet, l’introduction des aliments complémentaires avant cet âge pourrait constituer un facteur de risques de développer des allergies, de l’eczéma ou encore de développer un surpoids au cours de l’enfance (Pearce et al., 2013; Tarini et al., 2006). De plus, les fonctions oro-motrices étant encore immatures à cette période, une introduction trop précoce de l’alimentation complémentaire et en particulier des morceaux pourrait quant à elle entrainer des étouffements si l’enfant ne possède pas les compétences masticatoires nécessaires pour prendre en charge le bol alimentaire. Au contraire, l’introduction tardive des aliments solides pourrait aussi avoir une influence négative sur le développement normal des pratiques alimentaires ultérieures. En effet, Illingworth & Lister (1964) ont rapporté 9 cas cliniques d’enfants présentant des troubles alimentaires tels que des refus alimentaires, des difficultés masticatoires ou encore des régurgitations. Pour chacun de ces cas cliniques, l’introduction des aliments complémentaires avait été retardée en raison de facteurs divers tels que l’anxiété parentale face au risque d'étouffement, le retard de développement, la nutrition entérale, la paralysie cérébrale. Plus récemment, des résultats similaires ont également été retrouvés dans une étude réalisée auprès d’une population d’enfants souffrant d’insuffisance rénale chronique (Dello Strologo et al.,

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1997). Dans cette étude rétrospective, les auteurs ont évalué les troubles alimentaires rencontrés par 12 patients après avoir été nourris par voie entérale avant ou après l’âge de 12 mois pendant des périodes de 9 à 24 mois. Les résultats obtenus mettent en évidence la présence de difficultés alimentaires (e.g. rejet alimentaire, troubles de la mastication) chez 7 des 8 enfants pour lesquels la nutrition entérale a débuté avant 12 mois, tandis qu’aucun trouble n’a été rapporté pour ceux ayant été nourris de manière artificielle après 12 mois. Ces résultats pourraient ainsi confirmer l’hypothèse d’Illingworth & Lister (1964) qui avaient suggéré l’existence d’une « période sensible » pour l’introduction des aliments complémentaires et en particulier des aliments solides. Celle-ci correspondrait à une fenêtre temporelle au cours de laquelle le cerveau est particulièrement réceptif aux effets de l’expérience et où il développerait les circuits neuronaux nécessaires au traitement de l’information (Burggren & Mueller, 2015; Harris & Mason, 2017). Dans le cas présent, il existerait ainsi une période optimale au cours de laquelle les enfants devraient être exposés aux aliments complémentaires et en particulier aux aliments solides de façon à développer des compétences alimentaires normales. Une fois cette période sensible passée, il serait alors plus difficile de développer ces compétences. D’après Illingworth & Lister (1964), l’enfant serait prêt à mastiquer des aliments solides dès l’âge de 6-7 mois. De ce fait, si des aliments solides ne lui sont pas proposés au cours de cette période l’enfant pourrait avoir des risques de développer des troubles alimentaires ultérieurs (e.g. refus alimentaires, troubles masticatoires, vomissements). Même si l’observation de ces auteurs n’a pas été testée de manière expérimentale, les cas cliniques présentés ici soulèvent l’importance d’introduire l’alimentation complémentaire, et en particulier les aliments solides, dans un délai opportun afin de développer de manière optimale les comportements alimentaires ultérieurs.