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PARTIE III LES ENJEUX RH DE LA SOUS-TRAITANCE

7. Développement des compétences collectives

Selon Everaere (2000, p.68), « la première stabilité propice à la compétence est celle de l’emploi, c’est-à-dire l’intégration durable des individus dans l’entreprise ». En effet, si la compétence résulte d’un effort du salarié pour progresser sur le plan cognitif et de son engagement dans l’action, alors un sentiment d’appartenance est requis. D’ailleurs, Zarifian (1999, p.88) note que « la compétence ne s’obtient pas dans un climat de forte insécurité » et bien d’autres références à la nécessité de repères stables sont faites dans la littérature dédiée à la compétence.

Pémartin (2005, p.230-233) relève qu’il y a actuellement un paradoxe à rechercher le développement de la compétence collective alors même que la « fragmentation sociale n’a jamais été aussi développée », et ceci notamment par le biais de l’externalisation de

certaines fonctions. Il poursuit sur les incidences, au niveau psychologique et de la coopération entre acteurs, de différences contractuelles qui se traduisent souvent par un traitement inégalitaire des personnels :

- les emplois tenus n’offrent pas les mêmes opportunités d’apprentissage.

- les salariés précaires participent peu aux réunions de travail collectives permettant le maillage des compétences.

- l’accès aux formations intra leur est réduit.

- les signes de reconnaissance dispensés ne sont pas identiques, ce qui renvoie à une inégalité de traitement de fait.

- ils ne sont pas intégrés aux groupes projets (sauf pour quelques prestataires de service de haut niveau) qui s’inscrivent dans la durée, et qui sont donc les plus formateurs.

Il y a donc des logiques d’intérêts différentes voire contradictoires qui peuvent se développer entre les différentes catégories de personnel en présence. « Tout ceci a des conséquences au niveau des relations d’interface. Pour qu’une image opérative commune existe, il faut qu’une communauté d’intérêts perçue signifiante par les acteurs se dégage sur une perspective temporelle suffisamment longue. C’est l’existence d’un enjeu commun qui donne sens aux actions présentes des uns et des autres et qui rend évidente leur nécessaire articulation. »

Dans le cas de l’externalisation d’une activité, la communauté d’intérêts entre le donneur d’ordre et son prestataire est ainsi partiellement illusoire. « Certains objectifs se rejoignent, telle que la qualité de la prestation : elle est exigée par le donneur d’ordre et procurée par le prestataire puisqu’elle constitue un moyen de fidélisation de son client. Mais le partage des compétences est-il une stratégie dans lequel ce même prestataire va s’inscrire sans arrière-pensée? Représente-t-il un avantage bien identifié par lui ? Dans une opération d’externalisation, la question importante, si l’on considère que la stratégie s’inspire de la théorie des ressources, n’est plus celle du coût, mais celle du potentiel de pollinisation que représentent au quotidien ces activités. Si ce potentiel est faible, les avantages sont susceptibles d’être largement supérieurs aux inconvénients. Dans le cas contraire, l’analyse méritera d’être approfondie. » La fonction RH a ici un rôle important à jouer pour permettre l’émergence de compétences collectives.

En s’inspirant des travaux de Bataille (1999), Krohmer143 distingue deux approches de

la compétence collective : celle de l’articulation harmonieuse, et celle de l’interaction en privilégiant cette dernière.

Dans cette approche de l’interaction, Guilhon et Trépo (2000) indiquent que la compétence collective est composée des produits de l’interaction des individus de même métier ou de métiers différents. La compétence collective n’émerge pas de façon

143 KROHMER C., « Repérer les compétences collectives : une proposition d’indicateurs » http://www.ccb-formation.fr/telecharger/Breves/Eclas/Krohmer.pdf

harmonieuse et instantanée : il faut du temps (les membres vont apprendre à se connaître et à agir ou à penser ensemble) et il peut y avoir des conflits (les membres vont devoir confronter leur représentation de la situation et leurs intérêts).

Reprenons d’ailleurs Leclerc (1999) qui affirme que « le collectif de travail ne se décrète pas, il se construit dans l’action, au fil des gestes et du temps, à mesure que des liens de confiance et de coopération se tissent ».

Michaux , dans le cadre de son travail doctoral, dénombre trois compétences collectives : - une communauté de pratiques intériorisées par le collectif. La compétence est

commune et détenue par l’ensemble des individus.

- des scénarios d’interactions intériorisées par le collectif. On parle ici de savoirs complémentaires qui permettent de mobiliser un réseau d’acteurs jugés compétents pour agir (à rapprocher des routines informelles de Nelson et Winter).

- une capacité à co-construire une solution ad hoc intériorisée par le collectif. Les savoirs sont dans ce cas partagés ou complémentaires et favorisent les processus de communication, de négociation en situation inhabituelle ou complexe.

Krohmer précise que l’on peut ajouter un autre type de compétence collective, repéré par certains auteurs :

- des solutions d’organisation. On retrouve ici le distinguo entre organisation et activité organisatrice, cette dernière représentant un ensemble de techniques dont l’usage varie peu, et dont l’utilité consiste toujours à définir des modalités de fonctionnement conçues à l’avance, par des experts, comme optimale (Alter, 2012). La remise en cause de cette activité organisatrice par le collectif conduira alors à l’invention de nouvelles solutions d’organisation.

La question se pose alors de savoir quels indicateurs des compétences collectives peuvent être identifiés. Pour Troussier (1990), « quatre notions peuvent contribuer à cerner le contenu de la qualification collective : synergie, solidarité, image opérative collective et apprentissage ». Les indicateurs relevés par Krohmer sont alors :

- des formes de coopération, par exemple échanges de pratiques, mises à disposition de compétences complémentaires, accords sur une règle pour combler l’écart entre prescrit et réel…

- un référentiel commun, par exemple des « bonnes pratiques », compromis sur une solution…

Selon Girod (1995), la mémoire collective peut se décomposer ainsi :

- déclarative non centralisée, elle repose sur l’acquisition de savoirs auprès d’un autre individu ou sur la création d’un nouveau savoir par l’interaction.

- procédurale non centralisée, elle provient d’une confrontation de savoir-faire de deux ou plusieurs individus au cours d’un travail accompli en commun d’où un savoir-faire commun très implicite.

- de jugement, elle est l’ensemble des connaissances issues de la confrontation des mémoires de jugements individuelles qui permet d’aboutir à une interprétation commune après avoir fait face à un problème complexe.

Les indicateurs des différentes compétences collectives repérés par Krohmer ont pour but d’aider les entreprises qui souhaitent développer les compétences collectives de leurs acteurs à mieux cibler leurs actions. Celles-ci peuvent être la mise en place de groupes de discussion pour favoriser les échanges de pratiques, ou encore de mieux faire connaître aux salariés ce que chacun fait dans l’organisation, ce qui commence dès l’intégration et peut être actualisé via la pratique d’audits par exemple. Sans oublier bien entendu que ces actions ne doivent pas se borner à l’intra.

A ce propos, un certain nombre de travaux ont pointé la nécessité de penser la GRH en dehors des frontières de l’organisation, et au sein des réseaux organisationnels (Cadin, 1997 ; Le Boulaire et Leclair, 2003 ; Rorive, 2005). Voyons ce qu’il en est des dispositifs de GRH territoriale.