le fer en présence d’hydrures
I) Avantages et limitations de l’utilisation d’hydures d’étain en chimie radicalaire; alternatives
I.2) Développement de nouveaux systèmes propagateurs sans étain
I.2.a) Utilisation d’hétéroatomes des groupes principaux comme donneurs d’hydrogène
I.2.a.1) Composés du silicium et du germanium (éléments du groupe XIV)
D’importants travaux en chimie radicalaire sans étain ont été publiés par le groupe de Chatgilialoglu et concernent l’utilisation de propagateurs porteurs d’une liaison Si-‐H. Un de ces propagateurs, le tris(triméthylsilyl)silane (TTMSS) présente, avec une énergie de dissociation de la liaison Si-‐H égale à 84 kcal.mol-‐1, une réactivité similaire à Bu3SnH.227
R-X kabs (Bu3Sn•) / M-1s-1 kabs ((Me3Si)3Si•) / M-1s-1
Ph-‐CH2Br 1,5.109 9,6.108
tBu-‐Br 1,4-‐1,7.108 1,2.108
Ph-‐CH2Cl 1,1.106 4,6.106
Tableau 5.8.a: constantes de vitesse comparées pour la réaction d’arrachement d’halogène par les radicaux Bu3Sn• et (Me3Si)3Si•
R-X kréd (Bu3SnH) / M-1s-1 kréd ((Me3Si)3SiH) / M-1s-1
R-‐CH2• 2,3.106 3,8.105
RR’C• 1,9.106 2,6.105
tBuO• 2,2.108 1,1.108
Tableau 5.8.b: constantes de vitesse comparées pour la réaction de réduction de radicaux carbonés par les espèces Bu3SnH et (Me3Si)3SiH.227
L’utilisation du TTMSS connaît donc une importante expansion en chimie radicalaire et son application a un spectre large. C’est par exemple un excellent propagateur utilisé dans les réactions de type Giese:228
I + COOMe TTMSS 1,2 équiv. AIBN 10 mol% toluène, 70-90°C COOMe 85%
Schéma 5.9: réaction de Giese propagée par le TTMSS
L’inconvénient principal de ce réactif est son coût (env. 100 € pour 5 g); le groupe de Chatgilialoglu a mis au point une version catalytique de cette méthodologie utilisant NaBH4
comme source d’hydrogène, mais ce type de méthode est évidemment limité par le domaine d’utilisation du borohydrure de sodium.229
On peut également citer l’utilisation d’organogermanes comme propagateurs radicalaires: la liaison Ge-‐H possédant une énergie de dissociation d’environ 80 kcal.mol-‐1 dans de nombreux trialkyl-‐ et triarylgermanes (Et3GeH, Ph3GeH, Bu3GeH,230 ...), les organogermanes sont donc de bons précurseurs de radicaux qui sont, pour les réactions de transfert d’hydrogène par exemple, très légèrement moins réactifs que les organostannanes.231
Néanmoins, la trop grande réactivité des radicaux trialkylgermanes eux-‐mêmes (Bu3Ge• par exemple) limite le spectre d’application de ces médiateurs. Ces radicaux tendent en effet entre PARTIE III - CHAPITRE V
228 Giese, B.; Kopping, B.; Chatgilialoglu, C. Tet. Lett. 1999, 30, 681
229 Lesage, M.; Chatgilialoglu, C.; Griller, D. Tet. Lett. 1989, 30, 2733
230 Pour une réaction de Giese utilisant le tributylgermane comme propagateur, voir notamment Pike, P.; Hershberger, J. Tet. Lett. 1998, 44, 6295.
autres à s’additionner rapidement sur les olé]ines non-‐activées et sont donc incompatibles avec nombre de substrats insaturés.232
Des organogermanes plus complexes ont donc été développés ces dernières années pour pallier ce problème:233 I O O GeH 3 V-70, H2O, 80°C O 75%
Schéma 5.10: exemple de cyclisation radicalaire dans l’eau propagée par un triarylgermane.
I.2.a.2) Utilisation d’autres médiateurs
De nombreuses autres familles de molécules ont été développées comme systèmes propagateurs. Les thiols sont par exemple eux aussi de bons donneurs d’hydrogène dans des processus radicalaires.
De même, suite aux travaux de Barton au début des années 1990, on peut citer les précurseurs phosphorés possédant une liaison P-‐H relativement faible, comme c’est le cas pour les dialkylphosphites ou encore les sels de l’acide hypophosphoreux (schéma 5.11.a).
P O Et Et H DEPO H3PO2 acide hypophosphoreux P O OR OR H dialkylphosphite a) b) I Me N O Cy DEPO 20 équiv. V-501 3 équiv. H2O, 80°C I Me N O N CN COOH CN HOOC N V-501 = 97%
Schéma 5.11: divers médiateurs phosphorés
Un des avantages de certains composés phosphorés comme le DEPO (oxyde de diéthylphosphine) est leur solubilité en phase aqueuse, qui permet, via l’utilisation d’un amorceur lui aussi hydrosoluble, de réaliser des réactions radicalaires dans l’eau (schéma 5.11.b234). L’inconvénient est que, dans de nombreux cas, un large excès (jusqu’à 20 équivalents) de composé phosphoré est nécessaire.
A titre d’exemple relativement récent, on peut en]in citer les boranes qui, complexés à des bases de Lewis telles que les phosphines235 ou les carbènes N-‐hétérocycliques,236 génèrent des radicaux boryle ayant une réactivité très chimiosélective.237
I.2.b) Développement de nouveaux systèmes métal-hydrure 238
Ce type de système a réellement vu le jour avec les travaux de Giese concernant l’utilisation d’hydrures mercuriques générés in situ comme précurseurs de radicaux.239 Toutefois, la toxicité inhérente à ce métal a très vite limité son utilisation.
D’autres systèmes propagateurs ont alors été découverts peu à peu. Ces systèmes impliquant à leurs débuts l’utilisation d’hydrures de métaux de transition comme précurseurs, la source métallique se devait d’être utilisée en quantité stœchiométrique.
On peut citer à ce titre les travaux d’Oshima qui, en 2001, reporte une méthodologie de cyclisation impliquant le complexe de Schwartz [Cp2ZrIV(H)Cl] (associé au triéthylborane) comme médiateur radicalaire:240
O Br O Cp2Zr(H)Cl 3 équiv. Et3B 1 équiv. THF, RT O O 89%
Schéma 5.12: utilisation du complexe de Schwartz comme médiateur radicalaire
Une version catalytique de cette réaction a été également publiée par Oshima dans le même article: elle consiste en une génération catalytique de l’hydrure [Cp2ZrIV(H)Cl] utilisant une quantité stœchiométrique de Red-‐Al comme source d’hydrure (schéma 5.13):241
Cp2ZrCl2 0,2 équiv. Red-Al 1,5 équiv. Et3B 1 équiv. THF 83% I N N
Schéma 5.13: version catalytique de l’activation radicalaire d’iodoarènes par le complexe de Schwartz
PARTIE III - CHAPITRE V
235 Baban, J.A.; Roberts, B.P. J. Chem. Soc. Perkin. Trans. 2, 1988, 1195
236 voir entre autres: Ueng, S.-‐H.; Makhlouf Brahmi, M.; Derat, E.; Fensterbank, L.; Lacote, E.; Malacria, M.; Curran, D.P. J. Am. Chem. Soc. 2008, 130, 10082; Solovyev, A.; Yuen, S.-‐H.; Monot, J.; Fensterbank, L.; Malacria, M.; Lacote, E.; Curran, D.P. Org. Lett. 2010, 12, 2998
237 Lindsay, D.M.; McArthur, D. Chem. Comm. 2010, 46, 2474
238 Revue: voir Gansäuer, A.; Blum, H. Chem. Rev. 2000, 100, 2778
239 Giese, B. Angew. Chem. Int. Ed. 1985, 24, 553
240 Fujita, K.; Nakamura, T.; Yorimitsu, H.; Oshima, K. J. Am. Chem. Soc. 2001, 123, 3137
241 Cette réaction est également applicable aux substrats bromés aliphatiques (tels que le bromoacétal du schéma 5.12); toutefois, un bon rendement de cyclisation réductrice sur ce type de substrats nécessite une élévation de la température (chauffage au re]lux), alors que la version stœchiométrique est effectuée à température ambiante.
Divers systèmes gallium-‐hydrure et indium-‐hydrure ont également été développés, d’abord pour des activations stœchiométriques, puis pour des activations catalytiques. Le principe de génération catalytique de l’espèce active est le même que précédemment et utilise une source stœchiométrique d’ions hydrure (NaBH4 ou Red-‐Al le plus souvent).
Les systèmes gallium-‐hydrure sont par exemple très ef]icaces pour les réactions de réduction de liaisons Csp3-‐I ou Csp3-‐Br ainsi que pour les réactions de déoxygénation de type Barton242 (via la formation d’un xanthate de soufre intermédiaire). On reporte également divers exemples de cyclisations radicalaires catalysées par des hydrures de gallium générés catalytiquement:242
O I O GaCl3 20 mol% Red-Al 150 mol% Et3B 20 mol% THF, 0°C O O 79%
Schéma 5.14: cyclisation radicalaire catalysée par un dérivé du gallium
Les systèmes indium-‐hydrure sont, quant à eux, d’une grande ef]icacité dans les réactions d’activation radicalaires de liaisons Csp2-‐I, utilisant notamment des iodures aromatiques comme substrats. Diverses réactions de Giese (schéma 5.15.a) ou de cyclisations radicalaires (schéma 5.15.b) ont été reportées au cours de cette décennie, notamment par le groupe de Baba dont les travaux tendent par ailleurs à prouver le rôle de l’hydrure [HInIIICl2] comme médiateur radicalaire.243 I + COOEt 5 équiv. InCl3 0,1 équiv. NaBH4 1,2 équiv. MeCN, RT, 5h COOEt 57% a) b) Br Ph O InCl3 0,1 équiv. NaBH4 1,2 équiv. MeCN, RT, 2h Ph O 85% cis:trans = 15:85 Schéma 5.15: a) réaction de Giese et b) cyclisation radicalaire, catalysées par un dérivé d’indium
D’autres métaux de transition ont été utilisés sous forme d’hydrure a]in de fournir des systèmes propagateurs: on peut citer l’utilisation d’hydrures de chrome,244 d’hydrures de cobalt,245 ou plus anecdotiquement dans les procédés en chaîne, de titane.246
L’utilisation de précurseurs métalliques peut aller de pair avec deux contraintes majeures: le coût du complexe utilisé, ou, plus problématiquement, les problèmes de toxicité inhérents à certains métaux. A ce titre, le développement de systèmes propagateurs à base de fer, abondant et peu toxique, est un dé]i incontournable.
I.2.c) Utilisation du fer en chimie radicalaire
I.2.c.1) Utilisation du fer en catalyse oxydante
L’activité du fer (II) ou du fer (III) en catalyse oxydante est connue depuis depuis les travaux de Fenton sur la décomposition radicalaire de l’eau oxygénée catalysée par des sels de fer (II).247 Les avancées de la biochimie ont permis de mettre en évidence le rôle oxydatif de métalloenzymes contenant des noyaux fer (II)248 notamment dans le transport d’oxygène et l’activation C-‐H, et ont inspiré bon nombre de chimistes organiciens.
On peut par exemple citer les travaux de White, qui a développé divers systèmes catalytiques à base de fer (II) permettant l’oxydation sélective de liaisons C-‐H en alcools:249
OPiv
[FeII] 5 mol%, H2O2 1,2 équiv.
AcOH, MeCN, RT OPiv OH [FeII] = Fe N N NCMe N NCMe N (SbF6)2
Schéma 5.16: activation C-H en catalyse oxydante par Chen et White
PARTIE III - CHAPITRE V
244 Smith, D.M.; Pulling, M.E.; Norton, J.R. J. Am. Chem. Soc. 2007, 129, 770
245 Gaspar, B.; Carreira, E.M. Angew. Chem. Int. Ed. 2008, 47, 5758
246 Liu, Y.; Schwartz, J. Tetrahedron 1995, 51, 4471; pour un exemple de réduction catalytique spéci]ique d’iodoarènes catalysée par un système titane-‐hydrure, voir Meunier, B. J. Organomet. Chem. 1981, 204, 345. Il est à noter qu’un important pan de la chimie radicalaire des procédés non-‐chain (non détaillés ici) est focalisé sur la génération de radicaux via l’ouverture d’époxydes par les titanocènes: ce type de système est à la fois extrêmement chimiosélectif et permet la mise au point de cascades radicalaires très régiospéci]iques (éventuellement en série asymétrique), voir par exemple Gansäuer, A. et al. Chem. Eur. J. 2003, 9, 531.
247 Fenton, H.J.H. J. Chem. Soc., 1894, 65, 899
248 voir Lippard, S.J.; Berg, J.M. Principles of Bioinorganic Chemistry, University Science Books éds., 1994, ainsi que les références qui y sont citées.
249 Chen, M.S.; White, M.C. Science, 2007, 318, 783; voir également Chen, M.S.; Prabagaran, N.; Narayanasmy, L.; Nathan, A.; White, M.C. J. Am. Chem. Soc. 2005, 127, 6970
Un exemple de couplage Csp3-‐Csp3 en conditions oxydantes entre un alcool et un alcène catalysé par le fer (III) a également été reporté. Un mécanisme radicalaire faisant intervenir un hydrure de fer (IV) est alors proposé.250
On peut en outre citer deux protocoles de cyclisations radicalaires «non-‐chain» en milieu oxydant initiées par une source stœchiométrique de fer (III) sur des 1,6-‐diènes ou des 1,6-‐ énynes, qui ont été reportés récemment par Ishibashi.
Ces méthodologies donnent accès, via des réactions de cyclisation 5-‐exo-‐dig ou 5-‐exo-‐trig, à des dérivés fonctionnalisés du cyclopentane ou à des hétérocycles variés (schéma 5.17.a).251 Le borohydrure de sodium est utilisé comme source d’hydrogène; l’oxydant permettant de génerer l’espèce radicalaire cyclisante par oxydation d’une liaison C-‐Fe intermédiairement créée peut être l’oxygène de l’air251a ou le dioxyde d’azote généré in situ par décomposition thermique du nitrate de fer (III) utilisé comme précurseur métallique251b (schéma 5.17.b):