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Chapitre 6 : Discussion

6.2 Certains défis qui s’atténuent avec le temps et l’expérience

6.2.2 Le développement des compétences de prise en charge des maladies chroniques et de la

Selon les informateurs clés rencontrés, l’IPSPL jouerait un rôle de premier plan dans l’amélioration de la gestion des maladies chroniques au Québec. Pour eux, la conjugaison de l’expertise médicale et des compétences infirmières de l’IPSPL permettrait de mieux répondre aux besoins des personnes atteintes de

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maladies chroniques. Ces constats viennent appuyer l’abondante littérature sur les impacts positifs mesurés et perçus du rôle des IPSPL et des autres rôles infirmiers avancés quant à la gestion des maladies chroniques (Aleshire et al., 2012; Allen et al., 2011; DiCenso et Matthews, 2005; Donald et al., 2010; Horrocks et al., 2002; Laurant et al., 2005; Marsden et Street, 2004; Mundinger et al., 2000; Newhouse et al., 2011; Reay et al., 2006; Russell et al., 2009; Sangster-Gormley et al., 2015; Sciamanna et al., 2006; Stanik-Hutt et al., 2013). Notre étude démontre toutefois la présence de plusieurs défis rencontrés par les IPSPL dans la prise en charge de ces maladies. D’une part, les informateurs clés ont relevé le fait que la pratique très diversifiée des IPSPL leur permettrait plus difficilement de consolider leurs connaissances et compétences dans le domaine des maladies chroniques. En lien avec ce constat, Fuller et al. (2015) ont constaté que les IPSPL se sentaient parfois dépassées devant l’étendue du champ de pratique et des compétences à maîtriser en première ligne, surtout en début de pratique. D’autre part, malgré une formation académique jugée très complète et de haute qualité, les informateurs clés ont rapporté avoir eu écho de certaines lacunes dans les domaines de la pharmacologie relative aux maladies chroniques et de la prise en charge de la clientèle âgée. Ils ont aussi noté la transition difficile entre la période de formation et l’entrée en pratique clinique de l’IPSPL, comme l’ont rapporté d’autres études (DiCenso et Matthews, 2005; Fuller et al., 2015; Hart et Macnee, 2007) D’après une étude de DiCenso et Matthews (2005), 54% des IPSPL au Canada ne se sentent pas suffisamment bien préparées pour l’entrée en pratique, tant au niveau des connaissances que des compétences requises pour faire face à la diversité et à la complexité des problèmes de santé. Dans une étude de Cogdill (2003), il est apparu que le principal besoin d’information des IPS une fois en pratique concernait les traitements pharmacologiques. Si d’autres études ont relevé que les IPS ne se sentaient pas suffisamment formées quant aux stratégies de changement des habitudes de vie et de soutien à l’autogestion (AIIC, 2012; Martin, Leveritt, Desbrow et Ball, 2014), ces éléments n’ont pas été mentionnés dans la présente étude, ni dans celle de Halcomb et al. (2008), où moins du tiers des IPSPL interrogées œuvrant dans le domaine des maladies cardiovasculaires rapportaient un manque de formation sur les stratégies de changement d’habitudes de vie. Considérant le rôle généraliste de l’IPSPL, DiCenso, Bryant-Lukosius, et al. (2010) mentionnent qu’il est normal que les programmes de formation soient génériques, sans formation extensive sur des domaines spécifiques. À cela, Martin-Misener, Bryant-Lukosius, et al. (2010) ajoutent que davantage de formation théorique risquerait d’allonger un curriculum déjà bien chargé ou de s’effectuer au détriment de la formation pratique. Or, les informateurs clés ont plutôt recommandé d’offrir une exposition clinique plus précoce et intensive dans le cursus de formation des IPSPL, ce qui fait également partie des recommandations issues d’autres études (Bray et Olson, 2009; DiCenso, Bryant-Lukosius, et al., 2010; DiCenso et Matthews, 2005; Sullivan-Bentz et al., 2010).

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Les résultats de la présente étude révèlent que l’expérience clinique est un facteur facilitant la gestion des maladies chroniques par les IPSPL. La littérature confirme que l’IPSPL novice développe progressivement son expertise et ses aptitudes cliniques en suivant une courbe d’apprentissage (Contandriopoulos et al., 2015; DiCenso et Matthews, 2005), notamment dans le domaine des maladies chroniques (Fuller et al., 2015). Pour Macdonald, Rogers, Blakeman et Bower (2008), l’expérience permet à l’IPSPL de développer ses propres stratégies de gestion des maladies chroniques, par exemple pour identifier les priorités d’intervention chez un patient et les mettre en œuvre progressivement en impliquant le patient activement dans la prise de décision, ce qui a d’ailleurs été noté comme un défi par les informateurs clés. Certains d’entre eux ont rapporté que les IPSPL rencontraient parfois des difficultés pour cibler les priorités d’intervention, en particulier auprès des patients atteints de multimorbidité.

Le défi de la pratique des IPSPL en contexte de multimorbidité a été énoncé à plusieurs reprises par les informateurs clés et est également bien présent dans la littérature. Une étude de Kenning, Fisher, Bee, Bower et Coventry (2013) menée auprès de praticiens de première ligne illustre bien la complexité et les nombreuses incertitudes relatives à la prise en charge des patients atteints de plusieurs maladies chroniques concomitantes. L’étude met en lumière le manque de lignes directrices en situation de multimorbidité et la difficulté d’évaluer les risques et les bénéfices d’une intervention en fonction de l’ensemble des conditions médicales présentes chez un même patient. D’autres études ont également constaté cette difficulté et les limites des lignes directrices, notamment dans le domaine pharmacologique, établies pour une maladie chronique et non pour un contexte de multimorbidité (Fried, Tinetti et Iannone, 2011; Moffat et Mercer, 2015; Sinnott, Mc Hugh, Browne et Bradley, 2013). Face à cette situation, plusieurs études ont rapporté que les décisions cliniques sont surtout basées sur le jugement et l’expérience clinique plutôt que sur les recommandations scientifiques et les données probantes (Kenning et al., 2013; McCaughan, Thompson, Cullum, Sheldon et Raynor, 2005). Ainsi, des études conduites auprès d’IPSPL ont permis d’observer que, lors de questionnements cliniques, les IPSPL se tournent davantage vers l’expérience de leurs collègues que vers les guides de pratique et autres documents de référence (Cogdill, 2003; McCaughan et al., 2005). Par ailleurs, en plus de la complexité de l’approche thérapeutique chez les patients atteints de multiborbidité, celle- ci est fréquemment associée à un contexte de défavorisation socioéconomique et à des problématiques psychosociales sous-jacentes qui représentent un défi supplémentaire pour les professionnels de la santé (Lowe, Plummer, O'Brien et Boyd, 2012; Moffat et Mercer, 2015). Un informateur clé a mentionné que la prise en considération globale de la santé physique, de la santé mentale et du contexte psychosocial des patients pouvait représenter un défi pour les IPSPL dans la réalisation de leurs interventions.

Enfin, le manque d’accès à des formations continues sur la gestion des maladies chroniques est un autre défi important identifié par les informateurs clés. Un constat similaire a été formulé par Halcomb et al. (2008) dans

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une étude menée auprès d’IPSPL œuvrant dans le domaine des maladies cardiovasculaires. Les informateurs clés ont soulevé la difficulté pour les IPSPL d’être libérées de leurs activités cliniques afin d’expliquer ce manque de formation continue. D’autres raisons ont été évoquées dans une étude québécoise de Contandriopoulos et al. (2015), soit une offre insuffisante de formations spécifiques et la distance entre le milieu de travail et les lieux de formation. Selon les informateurs clés de notre étude, ces formations continues sont indispensables pour suivre l’évolution des connaissances dans le domaine des maladies chroniques. D’ailleurs, une étude de Hellier et Cline (2016) a démontré une association négative entre le nombre d’années d’expérience des IPS et la connaissance et l’utilisation des lignes directrices, témoignant ainsi de la nécessité pour les milieux cliniques d’offrir davantage accès aux IPS à la formation continue et de mettre en œuvre des stratégies pour faciliter l’intégration des données probantes à la pratique.