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La détermination de l’état de cause en quatre points : ζήτημα, αἴτιον, κρινόμενον, συνέχον συνέχον

Dans le document Les lectures antiques de l'Oreste d'Euripide (Page 157-169)

Notes sur les textes et les traductions

II. L A CLASSE DU RHÉTEUR ORESTE OU LES PLAIDEURSORESTE OU LES PLAIDEURS

1. Le paradigme judicaire du matricide

1.2. La détermination de l’état de cause en quatre points : ζήτημα, αἴτιον, κρινόμενον, συνέχον συνέχον

Un autre point controversé de la théorie d’Hermagoras est le protocole en quatre points qu’il établit pour les positions de la défense et de l’accusation (la question, le point à débattre = quaestio, ζήτημα ; la justification = ratio, αἴτιον ; le point à juger = iudicatio, κρινόμενον ; le support = firmamentum, συνέχον) qui permet d’établir clairement les faits sur lesquels les juges doivent statuer (la détermination de l’état de cause). Les témoignages

634 Quintilien, Institution oratoire, III, 5,10 : « Peut-être aussi, dans les ''causes'', toutes les fois que la notion de qualification vient en question, il y a implication du général. Ainsi : ''Milon a tué Clodius ; il avait le droit de tuer l’auteur d’un guet-apens''. Le problème n’est-il pas de savoir "si l’on a le droit de tuer l’auteur d’un guet-apens" ? »

635 Sénèque l’Ancien, Sentences, divisions et couleurs, 4.

636 Le problème sera ainsi identique dans un sujet anonyme (no 29 Walz VIII, p. 407) où un héros aveugle a demandé à son guide de tuer l’amant de sa femme pris en flagrant délit d’adultère.

antiques ne sont pas très clairs et unanimes sur le processus qu’ils attribuent au rhéteur grec637. Malcom Heath juge toutefois que Cicéron en est le plus proche dans le commentaire qu’il en donne dans le traité De l’invention. Pour expliquer ce mécanisme complexe638, l’orateur romain propose un exemple qu’il qualifie de « facile et connu » (facili et peruulgato exemplo), qui n’est autre que le matricide d’Oreste (Cicéron, De l’invention I, 18-19 ) :

Puis, une fois le genre de cause examiné et l’état de la cause reconnu, quand on aura compris si elle est simple ou complexe, quand on aura vu si elle comporte une controverse sur un texte ou une argumentation, il faudra alors considérer quel est le point à débattre, la justification, le point à juger, le moyen fondamental (quae quaestio, quae ratio, quae iudicatio, quod firmamentum causae sit). Tous ces éléments doivent découler de l’état de la cause (a constitutione). Le point à débattre (quaestio) est la controverse qui naît de l’opposition de deux thèses. Exemple : "Tu n’avais pas le droit de faire cela" – "j’avais le droit de le faire" ("Non iure fecisti" ; "Iure feci"). C’est de ce conflit entre les causes que découle l’état de la cause. De cette controverse naît ce que nous appelons le point à débattre : ici : "Avait-il le droit de faire cela ?" ("Iurene fecerit ?") La justification (ratio) est ce sur quoi repose la cause : si on le supprimait, il ne resterait plus de débat. Ainsi, pour que nous en restions, dans un but pédagogique, à un exemple simple et très répandu (docendi causa in facili et peruulgato exemplo) : si Oreste était accusé de matricide et s’il n’affirmait pas : "J’avais le droit de faire cela, puisqu’elle avait tué mon père" ("iure feci ; illa enim patrem meum occiderat") il n’y aurait pas de moyen de défense. Cette justification supprimée, toute controverse aussi serait supprimée. Donc la justification dans cette cause est qu’elle a tué Agamemnon. Le point à juger (iudicatio) est le débat qui naît de la réfutation de la justification. Supposons en effet que l’on ait présenté la justification que nous venons d’indiquer : "C’est qu’elle avait tué mon père", dit Oreste ; l’adversaire répliquera : "Ce n’était pas à toi, son fils, de tuer ta mère : son acte aurait pu être puni sans que tu commettes un crime". ("Illa enim meum," inquit, "patrem occiderat" ; "At non," inquit aduersarius, "abs te filio matrem necari oportuit ; potuit enim sine tuo scelere illius factum puniri".) De cette critique de la justification naît le point crucial du débat. Nous l’appelons le point à juger (iudicationem). Il est le suivant : "Oreste avait-il le droit de tuer sa mère, parce que celle-ci avait tué le père d’Oreste ?" (rectumne fuerit ab Oreste matrem occidi, cum illa Orestis patrem occidisset). Le moyen fondamental (firmamentum) est l’argument le plus solide de la défense et le plus capable de déterminer les juges. Par exemple si Oreste voulait dire que les sentiments de sa mère à l’égard de son père, de ses sœurs et de lui-même, du trône, de la réputation de sa race et de sa famille étaient tels que c’était à ses enfants plus qu’à tout autre de tirer châtiment d’elle.

(ut si uelit Orestes dicere eiusmodi animum matris suae fuisse in patrem suum, in se ipsum ac sorores, in regnum, in famam generis et familiae, ut ab ea poenas liberi sui potissimum petere debuerint.) »639

637 Frédérique Woerther n’inclut pas dans son édition des Fragments d’Hermagoras le commentaire de Quintilien suivant la séquence « quaestio - ratio - iudicatio - continens », puisqu’il n’est pas explicitement attribué au rhéteur grec, mais lui en reconnaît la probable paternité (Woerther 2012 p. LXIX-LXX, p. 138-144 et p. 152-154).

638 Selon les équivalences proposées par M. Heath (Heath 1994 p. 3).

639 On peut suivre le schéma M. Heath propose de cette démonstration : - Position de l’accusateur : Tu as tué ta mère

- Position du défendeur : J’avais le droit de la tuer - ζήτημα : Avait-il le droit de la tuer ?

- αἴτιον : Parce qu’elle avait tué mon père

- Réponse de l’accusateur : Mais ta mère n’aurait pas dû être punie par toi, son fils. Son crime aurait pu être puni sans que tu en commettes un autre.

Le choix d’Oreste est intéressant. La précaution oratoire par laquelle Cicéron introduit

« cet exemple simple et très répandu » signifie-t-elle que l’orateur romain ne fait que le reprendre à ses prédécesseurs ou qu’il a choisi lui-même le héros à cause de la célébrité du mythe ? Le participe pervulgatus (« publié », « divulgué ») pointerait la première solution, d’autant plus que Quintilien pour traiter du même sujet use du même exemple et du même avertissement : « et pourquoi ne me servirais-je pas de l’exemple dont presque tous les auteurs se sont servis ? » (et cur non utamur eodem, quo sunt usi omnes fere, exemplo ?)640. Cette habitude pourrait remonter à Hermagoras lui-même ou à des sources plus anciennes encore, puisqu’on peut déceler l’utilisation du système des états de cause dans les plaidoyers des orateurs attiques (chez Lysias par exemple) et les traités de cette période641. De même, S. Usher a relevé que la façon dont l’interrogatoire de l’accusation du coryphée dans les Euménides établit précisément les faits mène à la question de la détermination de l’homicide légitime, et donc à établir l’état de cause642. Mais la succession des questions et des réponses y est trop éloignée de la séquence d’Hermagoras pour y voir une correspondance exacte – le but des Érinyes semble être d’ailleurs plutôt d’incriminer Apollon que de répondre point par point aux justifications d’Oreste643. Si l’influence de cette théorie judicaire a pu marquer les

- κρινόμενον : Oreste pouvait-il la tuer parce qu’elle avait tué son père ?

- συνέχον : Les sentiments de ma mère pour son époux, pour moi-même, pour mes sœurs, pour notre royaume, pour la gloire de notre famille, étaient tels, que ses enfants avaient plus que tout autre le droit de la punir.

640 Institution oratoire, III, 11, 4.

641 F. Woerther (Woerther 2012 p. XXI-XXIII) rappelle les points de concordance mis en évidence par Richard Volkmann entre cette théorie et le Contre Agoratos de Lysias (Die Rhetorik der Griechen und Römer in systematischer Übersicht, Teubner, 1874).

642 Usher 1999 p. 16 : « The other feature of the trial that may relate to rhetorical theory is the distinction between justified and unjustified homicide, which, together with other distinctions gave rise to formal treatment under heads, latter called staseis, Lat. Status. »

643 v. 586-613 : « Le Coryphée : À chaque question donne réponse nette. Et d’abord, dis-moi, n’as-tu pas tué ta mère ? / Oreste : Je l’ai tuée ; cela, je ne le nierai pas. / Le Coryphée : Sur trois manches, en voilà une déjà gagnée. / Oreste : Je ne suis pas à terre, ne te vante donc pas. / Le Coryphée : Il te faut pourtant dire comment tu l’as tuée. / Oreste : Mon bras, tirant le fer, lui a tranché la gorge. / Le Coryphée : Mais qui t’avait poussé ? Quels conseils suivais-tu ? / Oreste : Les oracles du dieu, aujourd’hui mon témoin. / Le Coryphée : C’est le devin qui te dictait le parricide ? / Oreste : Et je ne me plains pas jusqu’ici de mon sort. […] Elle s’était souillée de deux crimes ensemble. / Le Coryphée : Et comment ? Instruis ceux qui te doivent juger. / Oreste : En tuant son époux, elle a tué mon père. / Le Coryphée : Mais tu vis, tandis qu’elle, de son meurtre, elle est quitte. / Oreste : Mais, tant qu’elle a vécu, l’as-tu poursuivie, elle ? / Le Coryphée : Non, car elle n’était pas du sang de sa victime. / Oreste : Eh quoi ? Serais-je donc, moi, du sang de ma mère ? / Le Coryphée : Comment t’a-t-elle alors nourri sous sa ceinture, assassin ? Renies-tu le doux sang d’une mère ? / Oreste : À toi de témoigner. Eclaire-moi, Apollon : l’ai-je tuée justement ? Le fait en lui-même, je ne le nie pas. Le Coryphée : Mais à ton esprit le meurtre paraît-il, ou non, justifié ? Prononce, et à ceux-ci je le ferai savoir. » Les Érinyes font d’abord préciser à Oreste les circonstances précises du meurtre et jouent à la fois le rôle de l’accusation (en lui faisant reconnaître le crime) et du meneur des débats en l’amenant à dire qu’il avait agi en obéissant à l’oracle d’Apollon qu’elles semblent vouloir impliquer au moins autant sinon plus qu’Oreste.

La coïncidence avec le système des états de cause n’est donc pas parfaite. Cf. Usher 1999 p. 16-17 : « Apart from these features, the trial seems to have few points of contact with the theory or practice of fifth-century oratory. Dominated by deities, its atmosphere is prophetic and expository. »

dramaturges644, il est possible également que ses herméneutes se soient inspirés de la scène tragique pour l’expliquer. Dans la démonstration donnée par Cicéron, on note des ressemblances avec le plaidoyer de la défense et de l’accusation de l’Oreste d’Euripide.

Tyndare ne remet pas en cause la culpabilité de sa fille (v. 496-497) mais réfute l’idée que c’est conformément au droit que son petit-fils a tué sa mère : « il devait infliger à la meurtrière, dit-il aux vers 501-503, le châtiment du sang versé, en la poursuivant en justice, et de la maison chasser la mère ». Dès lors, « la tenant à bon droit comme criminelle, lui-même est devenu plus criminel encore en versant le sang maternel »645. Dès le début de son plaidoyer, le père de Clytemnestre constate que son petit-fils « n’a pas recouru à la loi commune des Grecs » (vers 495) et explique qu’ « il devait infliger à la meurtrière le châtiment du sang versé, en la poursuivant en justice, et de la maison chasser sa mère » (v. 500-502) répondant par avance à l’αἴτιον que ne manque pas de donner Oreste comme un leitmotiv (« vengeant mon père », τιμωρῶν πατρί, v. 547 et 563). À ce dernier argument, le héros tragique ne répond pas directement mais invoque la nécessaire sévérité des fils envers leur mère infidèle et criminelle (v. 566-570) et finalement l’oracle d’Apollon (v. 591-601) sans dire pourquoi c’était à lui et à nul autre de venger personnellement le meurtre d’Agamemnon. Le moyen fondamental (συνέχον) invoqué par Cicéron pare ce point faible de la défense en insistant sur l’impact familial de la faute de Clytemnestre, qui met de plus en péril la dynastie royale, et donc la nécessaire habilitation d’Oreste, le chef de la famille et du royaume, à la punir. On peut imaginer que les rhéteurs (et dramaturges comme Théodecte ou Carcinos, auteurs d’un Oreste) aient déployé leur ingéniosité pour consolider cette défense, tout en « vulgarisant » le mythe en gommant les références à Apollon, bien loin de la tragédie originelle d’Eschyle.

Un autre argument plaide en faveur de l’origine grecque précoce du paradigme orestéen. Dans le traité anonyme Rhétorique à Hérennius, qu’on date généralement en 80 av. J.-C. et qui est donc contemporain de l’Invention, l’exemple d’Oreste est également abondamment utilisé646. Il est employé la première fois pour aider à comprendre ce qu’est la divisio qu’il intègre aux parties du discours après la narration647. Une deuxième fois, il illustre

644 Voir par exemple l’analyse que propose J. Porter (Porter 1994) du réquisitoire de Tyndare (p. 111-124 et p. 126-127) et de la défense d’Oreste (p. 134-162).

645 v. 505-506.

646 Souvent introduit par l’expression hoc modo.

647 I, 17 : « Nous devons montrer d’abord, une fois la narration achevée, ce sur quoi nous sommes d’accord avec nos adversaires – s’il y a des points d’accord qui nous sont utiles – puis ce qui reste discuté, comme dans cet exemple : "Oreste a tué sa mère, j’en conviens avec mes adversaires (interfectam esse ab Oreste matrem convenit mihi cum adversariis), mais ce qui est en discussion, c’est s’il avait le droit de le faire et si cela était permis". De même en réplique : "ils concèdent qu’Agamemnon a été tué par Clytemnestre. Malgré cela ils disent que je n’aurais pas dû venger mon père." » L’emploi de la première personne dans la première citation ne renvoie pas à Oreste, comme locuteur fictif (comme dans la seconde citation), mais au destinataire de l’œuvre (conseillé par l’auteur), l’apprenti-orateur. C’est d’autant plus étonnant que les codes de la déclamation grecque et latine requièrent en effet que l’accusé se défende lui-même, en l’occurrence Oreste.

Est-ce une simple erreur ou le souvenir de débat rhétorique d’une autre forme ?

le report d’accusation ou transfert de responsabilité (translatio criminis)648. Puis le rhéteur le reprend à nouveau en justifiant cette redondance par une intention pédagogique649 pour développer sa théorie du αἴτιον, κρινόμενον et συνέχον dans un modèle plus simple que celui de Cicéron650. L’auteur du traité puise des exemples d’origine diverse, n’hésitant pas à choisir des situations propres à la société ou à l’histoire romaine651. La prégnance de l’exemple d’Oreste dans le livre I et en particulier dans les chapitres XV et XVI consacrés à l’état des causes serait donc une preuve a contrario d’une influence marquée de l’enseignement grec, d’autant plus qu’il est apparié au procès mythique d’Ulysse, utilisé cette fois-ci pour illustrer l’autre embranchement judiciaire possible, quand la responsabilité de l’homicide est niée par l’accusé, alternative principale à l’homicide revendiqué. Le chef d’accusation auquel aurait eu à répondre Ulysse, qui n’a eu d’existence semble-t-il que dans les écoles652, mais que l’on trouve également chez Cicéron (De l’invention I, 11 et 92) et Quintilien (IV, 2, 13) est le meurtre d’Ajax653. Ulysse, découvrant son corps après son suicide et ayant ramassé son épée, avait été surpris dans cette attitude par Teucros, le frère de la victime, qui l’avait accusé de sa mort. On pourrait tout à fait supposer qu’un tel sujet ait été traité dans une déclamation. Le contexte judiciaire est d’ailleurs présent dans l’épisode homérique du jugement des armes, ce qui fait aussi l’objet de deux discours du philosophe cynique Antisthène (455-360 av. J.-C.)654. Il est tentant de penser que le procès d’Oreste ait inspiré pareillement les rhéteurs grecs dès l’époque classique et il peut être significatif à cet égard que le rhéteur-tragédien Théodecte s’y soit essayé dans une de ses pièces655, et qu’Antisthène lui-même ait écrit une apologie d’Oreste selon les dires de Diogène Laërce656. Certains manuscrits proposent d’ailleurs à ce discours le

648 « La cause repose sur le transfert de responsabilité quand, sans nier avoir agi, nous disons y avoir été contraint par la faute d’autrui. Comme Oreste, qui pour se défendre, rend sa mère responsable. » (Rhétorique à Hérennius, I, 25).

649 Il l’introduit en effet par ces mots « ainsi, pour faire comprendre, conservons de préférence la cause suivante » (I, 26, hoc modo, ut docendi causa in hac potissimum causa consistamus).

650 Le συνέχον ne correspond pas au dernier argument du défendeur mais à celui de l’accusation, qui garde ainsi le dernier mot. Le point à juger devient alors : « Quand Oreste dit qu’il a tué sa mère pour venger son père, était-il juste que Clytemnestre fût tuée par son fils, sans jugement ? » (I, 26)

651 Achard 1989 (introduction p. LI) note la « naturalisation » romaine que l’auteur apporte au traité : « Il a cherché surtout à naturaliser la τέχνη : il s’est efforcé de rendre […] les termes techniques avec précision ; il a acclimaté certains exemples grecs, il a débarrassé l’ars des références plus ou moins abstraites puisées dans la mythologie et l’histoire des Grecs pour en prendre de concrètes, d’actuelles, empruntées aux procès et à le politique de Rome. »

652 Bien que Quintilien attribue la provenance de cette histoire « aux tragédies, lorsque Teucer accuse Ulysse d’avoir tué Ajax » (Institution oratoire IV, 2, 13), on n’en trouve pas trace dans les sujets de tragédie. Les pièces intitulées Teucros de Sophocle ou de son émule Pacuvius ont une intrigue différente : Teucros, frère d’Ajax qui s’était suicidé à cause du jugement des armes, rentrait seul à Salamine chez son père Télamon qui avait fait promettre aux deux frères avant la guerre de ne pas rentrer l’un sans l’autre de la guerre de Troie.

Chassé par son père, il fondait ensuite la Salamine de Chypre. (Valsa 1955 p. 132 ; Jouanna 2007 p. 662-663).

653 Dans la Rhétorique à Hérennius, cette histoire est évoquée à deux reprises : I, 11 et II, 19.

654 Voir la présentation et la traduction de Marie-Odile Goulet-Cazé (Goulet-Cazé 1992).

655 Xanthakis-Karamanos 1980 p. 59-66.

656 Au début de son chapitre consacré à Antisthène dans sa Vie et doctrine des philosophes illustres (VI, 15-18), Diogène donne la liste des œuvres attribuées au rhéteur. Parmi elles, figure une Apologie d’Oreste.

sous-titre A propos des logographes (περὶ τῶν δικογράφων), ce qui a donné l’idée à A. H. Chroust que le philosophe cynique avait ici en vue Antiphon et son discours Contre une belle-mère657. Sans aller si loin, si une telle leçon est exacte, elle est surtout une preuve de l’intensité de la ferveur rhétorique suscitée par le procès d’Oreste et des nombreux plaidoyers qu’elle inspire aux rhéteurs qui seraient ainsi visés ; si elle est erronée658, elle reste un symbole de la réussite de l’implantation du mythe dans la rhétorique judiciaire659.

1.2.1. Variations sur le mythe

Le mythe d’Oreste paraît ainsi réduit à une « lecture » judiciaire schématique, simple paradigme dont la perpétuation à travers les générations de rhéteurs est à mettre au bénéfice de la tradition de l’art de l’éloquence et non du succès vivant ou littéraire des tragédies. Il est même étonnant de n’y repérer aucune allusion aux vers des trois auteurs dramatiques. Ce silence est-il le reflet d’une méconnaissance ou d’une volonté de séparer nettement la poésie de la rhétorique ? C’est aussi que les traités se veulent des outils pratiques pour préparer à l’éloquence civile et judiciaire et proposent des causes susceptibles de se présenter à un avocat.

Quintilien, qui revendique le droit d’utiliser lui aussi la cause du célèbre matricide à l’instar de ses prédécesseurs660, en généralise l’enjeu. Dans sa démonstration, le point à juger (« Fallait-il qu’un fils tuât sa mère, même coupable ? ») prend une dimension universelle avec la disparition des noms mythologiques. Toutefois, l’exemple n’est efficace que parce qu’il est connu de tous et qu’il est donc inutile d’en rappeler les origines, les circonstances et les conséquences, dont la séquence en quatre points d’Hermagoras rappelle toute l’importance.

Quintilien, qui dans le troisième livre de l’Institution oratoire fait l’inventaire consciencieux des théories fondées sur le système d’Hermagoras, et de ses successeurs, Apollodore de Pergame (104-22 av. J.-C.) et Théodore de Gadara (Ier siècle av. J.-C.)661, conscient des difficultés que pose ce modèle (qui n’est d’ailleurs pas celui présenté par Cicéron dans son

657 Pour A. H. Chroust, le titre Oreste renvoie à la belle-mère du discours d’Antiphon surnommée ou nommée Clytemnestre ; les deux rhéteurs auraient en commun de défendre la même position, qui sera contredite par l’Euthyphron de Platon, face à des parents criminels : l’intransigeance. « The main issue, both with Antisthenes and Antiphon, seems to have been the question whether it is proper (εὐσεβές) to prosecute one’s parent for homicide. In the Eutyphro Plato answers this question in the negative. It could be maintained, therefore, that Plato implicitly denounces here the views espoused by Antisthenes in his Apology of Orestes which, in turn, was probably stimulated by the oration of Antiphon » (Chroust 1957 p. 129).

658 Giannantoni 1990 p. 265-270 étudie les différentes leçons proposées par les éditeurs du texte pour ce sous-titre en l’associant soit à l’Apologie d’Oreste soit à l’œuvre suivante dans l’inventaire proposé par

658 Giannantoni 1990 p. 265-270 étudie les différentes leçons proposées par les éditeurs du texte pour ce sous-titre en l’associant soit à l’Apologie d’Oreste soit à l’œuvre suivante dans l’inventaire proposé par

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