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Chapitre 4 : Le patrimoine, une affaire de famille

4.5. Se départir des œuvres

Au moment de l’enquête, six, huit, trente ou cinquante ans après le décès des artistes, la visite des environnements d’art était placée sous le signe de l’absence. À Chicoutimi, rue Taché, un stationnement résidentiel occupe le premier emplacement de la maison Arthur-Villeneuve, dont le souvenir n’est plus rappelé que par un panneau d’interprétation installé en 2016 par un comité bénévole du quartier (fig. 18). À Saint-Ulric, sur l’ancien terrain des Durette, le parterre et les murs extérieurs accueillent encore quelques sculptures clairsemées à la peinture défraichie (fig. 19). Sur le domaine Médard-Bourgault, André-Médard attire mon attention sur des socles vides destinés à recevoir des statues dont il me précise l’identité. À Sainte-Hedwidge, se promener sur le Petit Bonheur avec un guide expérimenté comme Martin Bouchard, c’est sans cesse être confronté au manque :

Regarde, la sculpture Anne la roche qui protège était là. […]

Bon tu vois, Saint Antoine était là-dedans. […]

Ici, tu vois, Bill était là, là où tu vois la pierre qui dépasse. […]

Ici, il y avait Le fondateur du Petit Bonheur, il y avait Sainte Hedwidge avec le siège d’un râteau en arrière. Et en arrière il y avait la grande arche « 2007 » et Sacré-Cœur. La seule qui reste c’est celle-là : La pierre des fondateurs.

[etc.]529

Figure 18. Devant un stationnement résidentiel, un panneau d’interprétation rappelle la présence de la maison Arthur- Villeneuve. Photo : Benoit Vaillancourt, décembre 2018.

Figure 19. L’ancienne remise de Léonce Durette, dénudée d’une bonne partie de ses ornements. Photo : Benoit Vaillancourt, mars 2018.

Pourquoi en est-il ainsi ? Concrètement, la préservation d’un patrimoine repose en premier lieu sur la capacité de ses gardiens à assurer son intégrité physique. Puisqu’un environnement d’art est en partie à ciel ouvert, exposé aux intempéries, il est tout particulièrement vulnérable à la dégradation. Pour pallier ce problème, les artistes effectuaient généralement des retouches ou des remplacements de leur vivant, faisant de leur environnement d’art une œuvre en perpétuelle transformation. Durette repeignait et réparait ses pièces avec l’aide de son petit-fils Pierre-Olivier. Bouchard a refait la peinture de plusieurs œuvres en pierre en 2009. Sur son rocher, Bourgault a sculpté un Christ en croix en 1936 pour en remplacer un qui était devenu pourri. Les façades extérieures de la maison Arthur- Villeneuve présentaient plusieurs repeints réalisés par l’artiste pour combler des pertes et des

dommages survenus au fil du temps, l’intervention la plus notable datant de 1973530. Mais après la

transmission en héritage, c’est aux légataires de veiller à la conservation des œuvres. Par exemple, les nouveaux propriétaires du Petit Bonheur tondent l’herbe sur leur lot forestier pour qu’elle n’ensevelisse pas les œuvres. À l’automne, ils recouvrent les œuvres en pierre pour les protéger des rigueurs du climat. Des rondes-bosses plus petites ne sont plus laissées à l’extérieur par peur du vol. Les œuvres en bois ont été entreposées dans un garage pour les protéger, quoique trop tardivement, car plusieurs d’entre elles étaient déjà vermoulues. C’est en 2011 que Martin a coupé la portion inférieure de ces billots façonnés en personnages afin de freiner la progression des insectes (fig. 20). Le Sacré-Cœur en bois du Petit Bonheur, offert par Bouchard à la fabrique de Sainte-Hedwidge peu avant son décès, a dû être restauré avant d’être installé dans l’église paroissiale531. Les bâtiments ont

eu besoin de soins également, notamment le musée privé de Bouchard. À Saint-Jean-Port-Joli, André- Médard a mis à l’abri presque toutes les œuvres disséminées par son père sur le rocher et dans le bocage. Quelques pièces sculptées demeurent à l’extérieur, car elles sont intégrées aux bâtiments. Fissurée, l’une d’elles a été enduite de scellant pour la protéger des infiltrations d’eau. Les bâtiments doivent aussi être entretenus : André-Médard a refait la maçonnerie du chalet et de la boutique, le toit de la chapelle, etc. À Chicoutimi, le décès de Villeneuve a rapidement fait planer le spectre d’une dégradation accélérée des œuvres. La structure elle-même était en cause. Les fondations de la maison centenaire devaient être renforcées et les murs roidissaient sous le poids d’un toit trop lourd et qui fuitait532. Face à la situation, le ministère a prévu dans son plan d’action la réalisation d’un relevé

photographique pour garantir la conservation des murales au moins sous une forme documentaire533,

ainsi qu’une expertise par le Centre de conservation du Québec. Remis en 1992, le rapport du restaurateur Roger Roche a sonné l’alarme. Sans intervention, disait-il en substance, les œuvres extérieures disparaîtraient en quelques années534. C’est à la lumière de ce constat que les négociations

entourant la vente de la maison préalablement à son déménagement ont pris un caractère d’urgence. Dans les mois qui ont suivi, la tension est allée croissant en dépit de travaux réalisés par la Corporation en 1992 afin de parer au plus pressé (construction de solariums pour protéger les peintures extérieures des rayons du soleil et des précipitations, solidification de la toiture, remplacement du système de

530 M L.-L., « Villeneuve repeint les murs extérieurs de sa maison », Le Progrès-Dimanche, 8 juillet 1973 ; Michaël

O’Malley, « La contribution du centre de conservation du Québec », dans Michaël La Chance (dir.), op. cit., pp. 69-76.

531 Daniel Migneault, « Une œuvre léguée par l’artiste Léon Bouchard. Le Sacré-Cœur règne en l’église de Saint-

Hedwidge », L’Étoile du Lac, 30 janvier 2013 ; Isabelle Tremblay, « Sainte-Hedwidge. Le Sacré-Cœur exposé dans l’église », Le Progrès-Dimanche, 20 février 2013.

532 Daniel Côté, « Arthur Villeneuve disparu », art. cit. ; Daniel Côté, « Maison d’Arthur Villeneuve. Des solutions sont

recherchées », Le Progrès-Dimanche, 17 novembre 1991.

533 1 800 photos des murs peints ont été prises. Voir Denis Villeneuve, « Un déménagement rapide nécessaire », Le Réveil

à Chicoutimi, 20 décembre 1992.

534 Denis Villeneuve, « Les œuvres extérieures sont dangereusement menacées », Le Réveil à Chicoutimi, date inconnue ;

chauffage non sécuritaire)535. Aux yeux de la Corporation et des responsables du musée régional,

l’hiver 1993 apparaissait comme une échéance fatidique pour la petite maison qui, « sans tuque et sans mitaines536 », n’allait pas sortir indemne de la saison froide537. Quand le montage financier a été

bouclé en 1994, l’idée que les peintures seraient au chaud l’hiver suivant était une source de soulagement538.

Figure 20. Infesté d’insectes, un personnage sculpté dans un tronc d’arbre a été scié et retiré du Petit Bonheur. Photo : Benoit Vaillancourt, juin 2018.

Ce que nous montre le cas de la maison Arthur-Villeneuve avec une acuité toute particulière, c’est que la conservation des environnements d’art pour les générations futures est une responsabilité à laquelle les familles peuvent difficilement faire face par elles-mêmes. Les Villeneuve en auraient été incapables. Les Bouchard et les Bourgault y parviennent tant bien que mal grâce à la nature

535 Daniel Côté, « Maison d’Arthur Villeneuve. Travaux sur la toiture et les murs extérieurs », source inconnue, date

inconnue ; Denis Villeneuve, « Un déménagement rapide nécessaire », art. cit. ; Lise Bissonnette, art. cit. ; Hélène de Billy, art. cit.

536 Lise Bissonnette, art. cit.

537 Denis Villeneuve, « Délais dans le dossier de la Maison Arthur-Villeneuve », Le Réveil à Chicoutimi, 15 septembre

1993 ; id., « Subvention du ministère de la Culture. Un premier 100 000 $ pour le plus pressant », Le Réveil à Chicoutimi, 24 octobre 1993 ; Martine R.-Corrivault, « Une affaire de gros sous menace la maison du peintre-barbier », Le Soleil, 22 novembre 1993.

538 Catherine Delisle, « Maison Arthur-Villeneuve. Déménagement à la mi-novembre », Le Quotidien, 22 octobre 1994 ; id.,

partiellement démontable de leurs environnements d’art. Si les composantes difficilement amovibles demeurent vulnérables, vouées à disparaître dans certains cas, plusieurs œuvres du Petit Bonheur et du domaine Médard-Bourgault voient bel et bien leur durée de vie prolongée. Mais pour combien de temps encore ? La question, parfois lancinante, peut inciter les héritiers à se départir de leur patrimoine. Ils sont alors motivés par la promesse d’une conservation et d’une mise en valeur à long terme au bénéfice du plus grand nombre, conjuguée à l’avantage d’en retirer un gain financier. C’est ainsi que les Villeneuve, qui se disaient réticents à l’idée de renoncer au Musée de l’artiste, ont fini par le vendre au musée régional pour la somme âprement négociée de 450 000 $, incluant les droits d’auteur afférents. La société en nom collectif des quatre fils Bouchard s’est aussi départie de plusieurs œuvres, comme je l’ai évoqué à quelques reprises. Le transfert de propriété le plus notable implique quinze œuvres en pierre données à la municipalité de Sainte-Hedwidge, délogées de leur assise, puis transportées à grand-peine en 2017 le long d’un nouveau « Sentier des artistes », entre l’église locale et la rivière Ouiatchouaniche (fig. 21, 22). Quant aux Bourgault, bien qu’ils se posent en gardiens du legs du sculpteur par l’entremise d’une corporation à vocation patrimoniale, ils demeurent conscients des limites de leur organisation. Une anecdote suffira pour illustrer ce point. Lorsqu’un petit musée de Chaudière-Appalaches, ignorant la provenance d’une statue que la Corporation lui avait prêtée, l’a cédée par négligence au Musée de la civilisation avec le reste de sa collection, la Corporation a envisagé de récupérer la pièce après avoir découvert la méprise. Elle a finalement décidé de confirmer le don au Musée de la civilisation contre un reçu de charité, jugeant que l’imposante madone de 1,80 mètre ne s’en porterait pas plus mal si elle restait en sécurité dans les réserves de la collection nationale.

Figure 21. Panneau d’accueil du Sentier des artistes, à Sainte-Hedwidge. Photo : Benoit Vaillancourt, juin 2018 Figure 22. L’œuvre Le fondateur du Petit Bonheur, installée sur le Sentier des artistes. Photo : Benoit Vaillancourt, juin 2018.

Aliéner un patrimoine familial n’est pas un geste banal. « Parce que les biens hérités ne sont pas des biens marchands comme les autres, mais chargés d’histoire familiale, écrit Gotman, leur économie est singulière. Ils sont, en règle générale, conservés quand financièrement les droits de succession le permettent. La vente au contraire est présentée sous l’angle de la contrainte539. » La

maison familiale, avec laquelle coïncident souvent les environnements d’art, est soumise à des impératifs similaires. Jouant un rôle mémoriel, et donc influençant la construction identitaire des occupants, la maison familiale, imprégnée des valeurs des parents et de leur attachement au lieu, est difficile à vendre elle aussi. Puisque « garder la maison c’est garder la famille auprès de soi », la vente « est toujours présentée sous forme négative » ; « elle procède d’impossibilités, d’indisponibilités, d’incompatibilités, rarement du désir de vendre540 ». En l’occurrence, la vente ou le don déductible

d’impôt d’un environnement d’art, en bloc ou en pièces détachées, est présenté par les héritiers comme une décision plus ou moins difficile à prendre, mais en tous cas justifiable au regard de la postérité de l’artiste. Hélène Villeneuve éclatait souvent en sanglots à la vue de la maison qu’elle

539 Anne Gotman, op. cit., pp. 124-125. 540 Ibid., pp. 213-220

venait de quitter541, et les enfants ont certainement ressenti un pincement au cœur en assistant au

déracinement de la demeure où ils recevaient chaque année la bénédiction paternelle — c’est leur plus beau souvenir, ont-ils affirmé à la presse pendant l’opération542 —, mais n’accomplissaient-ils

pas ainsi les dernières volontés du défunt ? Après tout, le testament de Villeneuve stipulait que son œuvre devrait être intégrée à un concept culturel pour contribuer à enrichir le patrimoine culturel de son pays543, et Hélène lui avait promis de poursuivre son œuvre jusqu’à la fin544. De même, Martin

Bouchard savait que son père, ayant beaucoup hésité avant de consentir au transport de ses œuvres à La Pulperie et au Musée canadien des civilisations545, aurait considéré avec scepticisme le

prélèvement des sculptures destinées au Sentier des artistes de Sainte-Hedwidge. Il savait par ailleurs que son frère Bernard espérait que l’œuvre Anne la roche qui protège reste là où elle était, près du chalet. Mais l’accroissement de leur visibilité n’excusait-elle pas le démantèlement du Petit Bonheur ? Il s’en est expliqué aux médias :

Notre père aurait été déchiré de voir partir ces œuvres de l’endroit où elles ont été créées. Ça aurait été une décision difficile pour lui à prendre. Mais comme tout artiste, il veut que ses œuvres soient diffusées, vues. Et dans ce sentier, en plein cœur du village, ses sculptures seront vues par plus de gens que si elles étaient restées sur le lot à bois546.

Mon père avait d’abord fait ça pour lui, mais il était content qu’on vienne admirer son travail. Je crois donc qu’il aurait été déchiré en voyant ses sculptures quitter le lieu où elles ont été créées, mais d’accord en se disant que plus de gens les verront547.

Pas de dilapidation frappée de discrédit, donc, mais biens des transactions conçues comme étant respectueuses des œuvres et de leur auteur.

Quand il s’agit de céder les œuvres, les musées sont généralement de bons repreneurs. Ces établissements professionnels ont le pouvoir de consacrer la qualité patrimoniale d’un bien. Ils lui confèrent une reconnaissance institutionnelle forte en vertu de l’expertise qui préside aux acquisitions muséales (voir section 4.4.), en plus de détenir les ressources nécessaires à sa mise en valeur et à sa conservation dans des conditions contrôlées. La correspondance entre musée et patrimoine est telle qu’appartenir à une collection muséale, c’est appartenir au patrimoine ; et appartenir au patrimoine,

541 Daniel Côté, « Maison d’Arthur Villeneuve. Hélène se réjouit du choix du site de La Pulperie », Le Progrès-Dimanche,

22 août 1993.

542 Yves Ouellet, art. cit.

543 Valérie Rousseau, Vestiges de l’indiscipline, op. cit. p. 49. 544 Daniel Côté, « Arthur Villeneuve disparu », art. cit.

545 Anne-Marie Gravel, art. cit. ; Martin Bouchard, op. cit., pp. 74-75.

546 Martin Bouchard, cité dans Laura Lévesque, « Saint-Hedwidge. Village d’artistes », Le Quotidien, 3 novembre 2017. 547 Martin Bouchard, cité dans Daniel Côté, « Un projet ambitieux. Sainte-Hedwidge accueille 15 œuvres de Léon

c’est être protégé au nom de son inaliénabilité548. L’entrée de la maison Arthur-Villeneuve dans

l’enceinte du musée régional, sa « demeure éternelle549 », signait donc la réussite de ses défenseurs :

« On l’a mise maintenant à l’abri. Elle va être à l’intérieur, et puis on va en prendre soin. Ça va faire partie du patrimoine du Québec550 », résumait en novembre 1994 l’animateur Pierre Pascau. Martin

Bouchard a également destiné plusieurs œuvres de son père à des musées, comme nous l’avons vu. Il aimerait que sa préférée atterrisse au Musée de la civilisation à Québec, le prestige de cette institution publique étant censé refléter la position de la sculpture dans une certaine hiérarchie artistique. Il n’exclut pas d’en vendre à des collectionneurs privés, mais la qualité de la collection, et partant la probabilité qu’un musée s’en porte acquéreur, entrent en ligne de compte dans sa décision. Le maintien d’une pièce dans la sphère privée est ici temporaire et n’est qu’une manière de la faire entrer dans la sphère muséale par l’entremise d’un intermédiaire551. Un contre-exemple démontrera l’intérêt

de confier les œuvres à un musée, ne serait-ce que sur le plan de leur intégrité matérielle. À l’été 2018, en sillonnant le Sentier des artistes à Sainte-Hedwidge six mois à peine après son inauguration, on pouvait constater un manque d’entretien des installations par la petite municipalité. Une des sculptures, Bill le pêcheur, gisait au sol, cassée, sans que Martin eût pu dire si ce bris était attribuable à des vandales ou aux intempéries (fig. 23). Rapprochées du centre du village, mais laissées en plein air, les œuvres sur le Sentier des artistes ont manifestement gagné en visibilité sans toutefois gagner en sécurité. Demeure l’espoir que leur statut d’œuvres d’art public motive leur éventuelle restauration.

548 Le principe d’inaliénabilité des collections muséales est plus marqué en France. Néanmoins, la controverse autour de la

vente d’une toile de Chagall par le Musée des beaux-arts du Canada en 2018 montre bien sa prégnance ici aussi.

549 Catherine Delisle, « L’opération est un succès. La maison proche de sa demeure éternelle ! », Le Quotidien, 11 novembre

1994.

550 Réseau NTR, « Le déménagement de la maison du peintre Arthur Villeneuve », L’informateur 7 h 50, 11 novembre 1994. 551 On sait que pour les collectionneurs, le transfert de leur collection à un musée est souvent le mode de perpétuation par

excellence de leur passion Pour l’art primitif, voir Brigitte Derlon et Monique Jeudy-Ballini, La passion de l’art primitif :

enquête sur les collectionneurs, Paris, Gallimard, 2008, p. 209 ; pour les grandes collections d’art, voir Raymonde Moulin, L’artiste, l’institution et le marché, Paris, Flammarion, 1997, p. 54 ; sur les collections privées à l’origine des collections de

musées du XIXe siècle, voir Anne Higonnet, A Museum of One’s Own : Private Collecting, Public Gift, Pittsburgh,

Figure 23. L’œuvre Bill le pêcheur, cassée après son installation sur le Sentier des artistes. Photo : Benoit Vaillancourt, juin 2018.

Les œuvres du Sentier des artistes sont plus visibles, mais encore vulnérables. L’exact opposé survient généralement dans les musées. Les œuvres y sont mieux protégées, mais le plus souvent remisées dans les réserves, ce qui réduit d’autant la fréquence et la durée de leur présence dans le regard de la famille et du grand public. C’est le cas des sculptures cédées par Bouchard à La Pulperie dans la foulée de l’exposition monographique de 2006. Il était prévu que les rondes-bosses en pierre soient installées en plein air sur le terrain du musée, mais le projet ne s’est jamais réalisé. Elles sont demeurées en réserve depuis lors, à la grande déception de l’artiste. « Ça ne bouge pas beaucoup552 »,

reconnaît le fils Martin. La maison Arthur-Villeneuve s’en sort à meilleure compte ; monumentalité oblige, elle est exposée en permanence dans un espace dédié.

Un autre inconvénient de la muséalisation est que les œuvres sont coupées de leur contexte premier. Plusieurs observateurs jugeaient que la maison Arthur-Villeneuve était indissociable de son environnement immédiat. Selon eux, son pouvoir d’attraction provenait du « contraste entre la fantaisie picturale recouvrant la façade et […] son implantation dans un quartier populaire » ; déracinée, la maison serait comme « l’iris replanté dans le désert553 », a déclaré l’architecte Yves

Bergeron en réaction au projet P.O.R.T. Le déménagement de 1994, ravivant l’attachement des gens du quartier, a aussi suscité le regret de cette décontextualisation qui a changé radicalement le statut du bien554. Certes, la résidence a gardé son architecture. Elle a échappé au découpage de ses murs,

qui auraient pu être exposés au musée comme un polyptique555. Mais dorénavant, elle est moins une

demeure qu’une pièce de musée, exposée sous une faible lumière et vidée de tous les meubles et objets qui faisaient son cadre domestique, sauf dans l’ancien atelier de Villeneuve, reconstitué à l’étage conformément à une certaine mystique des ateliers d’artistes556. À l’opposé, le domaine

Médard-Bourgault, resté intact à ce jour, profite encore d’une mise en valeur in situ. En plus de la maison avec son salon lambrissé, il y a le rocher et le bocage. Leur aménagement original est reconstitué pour des occasions exceptionnelles. Afin de souligner leur unité d’ensemble et le fait qu’ils appellent une approche intégrée, la Corporation a adopté en 2020 le nom « Domaine Médard- Bourgault » en remplacement du nom « Maison-Musée Médard-Bourgault », qui figurait dans ses lettres patentes depuis 1983. Toute décision dont l’effet serait de couper les œuvres de ce lieu et de