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Démographie et productivité !

Dans le document Charles Gave (Page 139-145)

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"Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables."

Clemenceau

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Le grand maître de la démographie en France fut Alfred Sauvy, économiste, démographe, esprit curieux, dont les écrits m’ont beaucoup influencé. Il fut le premier à mettre à jour les relations entre l’économie, la démographie et la productivité. Il fut à l’origine de la création de l’Insee et de l’Ined (Institut national des études démographiques). Homme de gauche, il avait été contacté en 1936 par Léon Blum pour faire partie de son cabinet. Il avait répondu qu’il ne pensait pas accepter tant les socialistes n’y connaissaient rien en économie. Ce à quoi Léon Blum avait répondu que s’ils y connaissaient quelque chose, ils ne seraient pas socialistes... On ne saurait mieux dire.

Pourquoi la démographie est-elle importante? Pour une raison simple: un enfant qui ne naît pas aujourd’hui ne sera pas là dans vingt ou vingt-cinq ans pour travailler et remplacer quelqu’un qui partira à la retraite ou qui décédera à ce moment-là. La démographie est la seule chose en économie dont nous soyons certains, et c'est donc la seule chose sur laquelle on puisse faire des prévisions. Si je connais le nombre d’enfants qui naissent cette année, je sais combien d’entre eux vont entrer à l’école primaire dans cinq ans et je peux donc déterminer combien d’instituteurs seront nécessaires. Le fait que l’Éducation nationale ne fasse rien de cela n’empêche pas de penser qu’elle devrait le faire. Je sais aussi le rapport entre le

nombre de gens qui vont prendre leur retraite dans vingt ans et ceux qui sont nés il y a vingt ans et qui sont censés les remplacer. Si un pays a une dette à long terme très importante et si ce même pays a une très mauvaise démographie à l’horizon du remboursement de cette dette, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le remboursement va être difficile. Bref la démographie me donne de la visibilité à long terme...

Nous allons donc répartir les pays en trois groupes.

Ceux qui ont une démographie désastreuse, ceux qui sont à l’équilibre et enfin ceux qui prévoit une démographie en expansion. Et à chaque groupe nous ferons correspondre une estimation «pifo- métrique» de la croissance de la productivité potentielle, ce qui nous donnera une idée de la vitesse de croisière de l’économie sous-jacente et donc de sa capacité à régler ou non les autres problèmes que nous mentionnerons dans les chapitres suivants.

• Les pays d’ores et déjà en situation alarmante.

Beaucoup d’entre eux sont en Europe, mais il faut également citer ici le Japon. Parmi les grands pays, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Japon et la Russie entrent dans ce que l’on pourrait considérer comme un déclin final avec un taux de fertilité de chaque femme inférieur à 1,4.

Comme on le sait, le taux de fertilité doit avoisiner 2,1 pour que la population reste à l’équilibre, chaque femme se remplaçant elle-même et fournissant aussi un remplaçant à la gent masculine bien incapable de se régénérer toute seule.

Comme cet état de fait a commencé il y a deux décennies, les populations de ces pays baissent d’ores et déjà. Signalons que la plupart des pays de l’ex-Europe de l’Est sont dans une situation similaire, à l’exception de la Pologne, et que la solution ne viendra pas d’une migration interne à l’Europe. La

migration viendra de l’extérieur, ce qui est porteur d’autres problèmes qu’il n’est pas dans notre propos de traiter. Si l’on essaie d'estimer une croissance de la productivité pour ces pays, on arrive au mieux à 2% par an, tant il est difficile d’extraire des gains importants d’une population vieillissante, la Russie étant un cas un peu à part dans la mesure où nous pourrions avoir des effets de rattrapage importants pour peu que le gouvernement investisse dans les infrastructures tant économiques que sociales plutôt que dans les armements, ce qui ne semble pas être le cas à l’heure actuelle. Ceci nous donne un taux de croissance potentiel d’environ 1,5% par an (+2% de productivité, -0,5% de baisse de la population) et nous amène à une première constatation : à l’exception du Japon, tous ces pays empruntent aujourd'hui à plus de 2,5% réels. On se souvient de notre règle d’or: les taux d'intérêt à long terme doivent être égaux au taux de croissance pour que le système ne s’écroule pas sous le poids de la dette. Nous en sommes loin, très loin. Tous ces pays devraient prendre des mesures pour réduire au maximum leurs appels à l’épargne publique. Ils sont tous en train de faire le contraire. Bref, la liste des pays ci-dessus est à peu de chose près la liste des pays dont il faut éviter d’acheter de la dette tant il est à peu près certain qu’ils ne réussiront ni à en servir les intérêts, ni bien sûr à la rembourser.

La situation deviendra cataclysmique d’abord pour ceux qui ont aujourd'hui une dette importante en termes de PNB, l’Italie arrivant bien sûr en tête de ce palmarès de l’horreur potentielle.

Un développement particulier doit être ici consacré à la Chine. En effet, en raison de la politique de l’enfant unique, la population chinoise va commencer à baisser à partir de 2020.

Par contre, la force de travail va continuer à bénéficier du transfert de population des campagnes vers les villes, et l’accroissement de la productivité moyenne dû à ce transfert est

très fort. Le taux de croissance y est donc très supérieur aux taux longs sur les obligations d’État, du fait de l’incroyable taux d’épargne chez le Chinois de base (50% du revenu disponible). De ce fait la croissance n’a aucun mal à se financer. Il n’en reste pas moins vrai que le taux de croissance de l’économie va baisser de façon structurelle et passer d’environ 10% par an au cours des dix dernières années à 5%

par an d’ici à dix ans. Voilà qui va avoir un impact non négligeable sur la croissance mondiale et sur le prix de nombre de matières premières.

• Les pays qui se maintiennent à l’équilibre.

Dans ce groupe, on peut inclure la France, la Grande- Bretagne, la Suède, les États-Unis, le Canada, l’Australie... Ces pays sont dans une situation beaucoup moins alarmante. A peu de chose près, le taux de croissance potentiel est égal ou légèrement supérieur au taux de croissance de la productivité, ce qui veut dire que la contrainte exercée par les taux longs sera d’autant plus faible que des mesures seront prises pour faire croître cette dernière. Cela revient à dire qu’ils ont tout intérêt à déréglementer le marché du travail, à privatiser l’appareil de production, à libérer les forces productives. C’est dans cette voie que la Suède, le Canada et l’Australie se sont engagés depuis plus d’une décennie déjà, avec des résultats spectaculaires. Ce n’est pas ce qu’ont fait la France et la Grande- Bretagne, et ce n’est pas dans cette direction que semble se diriger l’administration Obama. Si ces trois derniers pays prennent des mesures qui à terme feront baisser le taux de croissance potentiel du pays, alors la contrainte financière apparaîtra beaucoup plus vite. Les expériences de redistribution des revenus par la fiscalité et/ou d’accroissement du rôle de l’État ne pourront être que fort brèves, tant le mécontentement de la population amènera à des changements de majorité par

déroutes électorales. Un tel changement semble déjà quasiment garanti en Grande-Bretagne dès l’an prochain tant la politique économique suivie par M. Brown a été désastreuse.

Dans l’ensemble, ces pays disposent de plus de temps pour régler leurs problèmes que les pays qui figuraient dans la première liste. Des États comme le Canada, les États-Unis et l’Australie ont un avantage supplémentaire: par l’intermédiaire de l’immigration, ils ont la possibilité de gérer leur taux de croissance à long terme en laissant rentrer des gens en âge de travailler et déjà formés, ce qui est loin d’être négligeable.

• Les pays à croissance démographique forte.

Dans les pays qui comptent pour cette petite revue démographique, nous excluons les pays arabes tant leur participation au commerce mondial est faible. En effet l’ensemble de leurs exportations hors pétrole sont inférieures à celles des Pays-Bas. Pour l’instant, ces pays ont complètement raté le mouvement vers la mondialisation. Il nous faut donc les laisser de côté. Dans ce qui reste, nous trouvons les trois géants du futur: l’Inde, le Brésil et l’Indonésie. Dans ces pays, on peut s’attendre à une forte croissance accompagnée par leur surgissement de plus en plus évident sur la scène internationale.

L’Inde sera le pays le plus peuplé du monde d’ici à vingt ans, le Brésil ne sera pas très loin des Etats-Unis, quant à l’Indonésie, elle a vocation à devenir le pays musulman le plus puissant de la terre. De nombreux problèmes liés aux infrastructures, à l’éducation, aux différences sociales et raciales y sont présents, mais ce sont toutes les trois des démocraties qui ont passé à plusieurs reprises le test de difficultés résolues de façon pacifique. On peut penser que le plus dur est derrière elles. Ces pays devraient avoir un taux de croissance moyen supérieur à 5% par an (productivité + croissance de la population en âge de travailler) et ne devraient pas rencontrer de difficultés de

financement particulières. À ces trois pays on peut ajouter les Philippines et peut-être la Thaïlande et la Malaisie où la situation politique est cependant beaucoup plus compliquée.

Ce petit tour du monde démographique nous donne les marges de manoeuvre. L’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et le Japon n’en ont aucune, les autres disposent de cette denrée précieuse entre toutes, le temps, ce qui influencera énormément notre jugement quand nous passerons au deuxième défi, la contrainte financière, ce que nous allons faire maintenant.

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CHAPITRE XII

Dans le document Charles Gave (Page 139-145)