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Chapitre 4 : Démarche de recherche et méthodologie

A. Démarche méthodologique générale

Dans cette partie, la démarche méthodologique dans son ensemble est présentée. Il s’agit de justifier le recours à une étude de cas unique qui permet de rendre compte de la dimension processuelle de nos questionnements théoriques.

Une posture qualitative interprétative I.

Ce qui nous intéresse est le « comment » et le « pourquoi » d’un phénomène. Nous cherchons à savoir pourquoi l’espace est un enjeu pour les acteurs et quels sont les processus déployés de production et de prise de contrôle de l’espace. Nous cherchons également à savoir comment l’espace devient outil de production d’une organisation alternative.

Le but est donc de « connaître [le phénomène] de l’intérieur et […] le replacer dans son

cadre à partir de ce que les acteurs, qui sont aussi des sujets, en disent » (Chanlat, 1998 :

p32). En effet, nous nous inscrivons dans une perspective non essentialiste de la réalité :

« elle est construite et non donnée » (Allard-Poési & Perret, 2014 : p24). Cette perspective

place cette recherche dans un positionnement interprétativiste de la recherche. Cela nous amène à reprendre les mots de Hlady-Rispal (2002 : p37) pour expliquer que notre recherche a pour objectif : « la compréhension du comportement humain ou organisationnel en

considérant la perspective de l’acteur et en accordant de l’intérêt aux états subjectifs des individus ». La visée de cette recherche est définitivement descriptive et compréhensive et ne

cherche pas à prévoir des comportements ou encore à préconiser des normes d’efficacité pour l’organisation.

Choix d’une étude de cas II.

L’étude de cas unique s’est imposée comme étant la méthode la plus appropriée car elle permet de comprendre pourquoi l’espace est un enjeu central pour produire une organisation alternative et comment les stratégies de production spatiale sont déployées. Elle permet de rendre compte de ce processus dans sa globalité. Nous cherchons également à savoir comment l’espace dominant réagit à la production de cet espace alternatif.

129 Cela permet donc de comprendre l’impact des enjeux spécifiques du terrain sur le processus de production de l’espace. En effet, le contexte particulier du terrain est indispensable à la compréhension des organisations étudiées. Ainsi, les lieux intermédiaires se sont structurés autour de problématiques propres qui ont été présentées dans le chapitre précédent et ce contexte est important pour comprendre les décisions des acteurs.

Le cas est considéré comme unique car il s’intéresse à un phénomène unique : l’utilisation de l’espace pour favoriser l’émergence d’une organisation alternative dans un secteur organisationnel. Cependant, il est composé de plusieurs organisations. Cela ne signifie pas pour autant que l’on peut parler ici d’étude de cas multiple. Yin (2013) qualifierait ce type de cas de cas « encastré » où plusieurs unités d’analyses sont étudiées. Cette étude a également la particularité d’être multi niveaux. En effet, le phénomène se déroule à la fois au niveau intra organisationnel, donc microscopique, et également au niveau inter organisationnel, donc mésoscopique. Les stratégies de production spatiales déployées se déroulent d’une part à l’intérieur de chaque organisation, d’autre part, ces organisations déploient également des stratégies de production spatiales collectives notamment par la création d’un réseau. Il est impératif de pouvoir cerner les différents niveaux d’actions. Les acteurs interrogés durant cette recherche sont en outre de natures différentes et occupent des statuts variés au sein ou à l’extérieur des organisations. L’étude de cas permet d’appréhender cette diversité de points de vue.

Une étude de cas unique et extrême III.

Cette recherche s’intéresse aux rôles de l’espace dans le processus de production d’une organisation alternative. L’objectif a été de trouver un terrain de recherche où cette dimension spatiale est exacerbée. Dès les phases préliminaires de la recherche empirique, il est apparu que le cas des lieux intermédiaires était propice à cette étude. Les lieux intermédiaires sont emblématiques pour au moins deux raisons. La première raison est que leur modèle économique suppose une forte dépendance vis-à-vis des soutiens publics, ils ne peuvent se couper complètement du soutien de l’Etat. La conséquence est qu’en cas de désaccord la situation évoluera plus vers le conflit que vers une situation d’évitement. Les fortes tensions éprouvées par l’attitude des pouvoirs publics sur la question du contrôle de l’espace sont immédiatement apparues, faisant ressortir les luttes de pouvoir potentielles pour le contrôle de

130 l’espace. La deuxième raison est l’importance de l’espace au théâtre. L’acte dramaturgique même est spatial. Ces organisations ont donc besoin d’un espace pour se développer. Cela rend l’enjeu autour de la question spatiale d’autant plus exacerbé. Nous caractérisons ce cas comme étant un cas extrême, au sens de l’article de Clegg, Cunha, et Rego (2012) qui étudient un camp d’extermination au Cambodge durant le régime des Khmers rouges dans les années 1970. Bien que nous n’ayons pas la prétention de faire un parallèle entre ces deux univers très différents, notre cas étudié exprime lui aussi des singularités fortes.

Ce cas a la particularité de s’attacher à des acteurs perçus comme ayant une position faible au sein du secteur dans lequel ils évoluent. Ce choix fait écho au constat de Martí (2009) :

« Du fait de la focalisation sur des acteurs visibles et dotés de niveaux élevés de ressources, on sait relativement peu sur la manière dont d’autres acteurs, particulièrement les moins influents, tentent de créer ou de déstabiliser les routines, pratiques et cadres cognitifs existants. » (2009 : p108)

Il fait le constat que les études qui s’intéressent aux évolutions d’un champ ou d’un secteur se focalisent généralement sur les acteurs qui détiennent le plus de ressources et que de fait, ils dominent ce secteur et sont plus à même d’y proposer une alternative. Pour ces raisons, il appelle à s’intéresser aux « challengers » qui vont essayer d’entamer un dialogue avec les détenteurs du pouvoir. Le cas des lieux intermédiaires répond à cet appel car ce sont des organisations à la marge du secteur culturel public. A la marge car bien qu’elles participent à la dynamique du secteur, elles ont des ressources et une influence très faibles.

Comme les lieux intermédiaires s’adressent essentiellement aux pouvoirs publics, ces derniers sont considérés comme étant les acteurs principaux de l’espace dominant dans ce contexte d’étude. En effet, dans le secteur théâtral français, les pouvoirs publics sont les détenteurs des principales ressources, et peuvent être considérés comme les acteurs les plus influents du secteur. C’est donc sur leurs réactions que nous nous concentrons pour appréhender l’espace dominant

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Genèse du projet de recherche IV.

Comment ce projet s’est-il construit au cours de la recherche ? La stratégie adoptée est qualifiée d’émergente. Le questionnement initial s’intéressait aux théâtres subventionnés et aux pressions exercées à leur égard par leur tutelle dans un contexte de fragilisation des subventions publiques culturelles. Un mémoire de recherche a été entrepris en 2012 sur ce thème. Il cherchait à analyser les stratégies de légitimation utilisées par un théâtre subventionné auprès des pouvoirs publics. Cette recherche se basait sur les rapports d’activité d’un Centre Dramatique National et avait permis de rencontrer les membres de la direction de ce théâtre.

Ce point de départ a conduit à se documenter sur l’histoire des politiques culturelles publiques en France et à la place occupée par le théâtre dans ces politiques. Parallèlement à ce premier travail de contextualisation, nous avons assisté à une conférence en novembre 2012 au théâtre National de Bretagne. Cette conférence intitulée « Les Etats du théâtre » réunissait des directeurs de théâtres, de festivals ainsi que des comédiens et des metteurs en scène. Des responsables politiques en charge de la culture étaient également présents. Le but de cette rencontre était de faire un bilan du théâtre subventionné alors que l’Etat commence à infléchir sa politique de soutien. Au cours des différentes tables rondes, plusieurs thématiques décisives sont apparues. La première est le lien très fort qui était fait entre la création artistique et les murs du théâtre. Il a souvent été répété lors de cette conférence que les artistes avaient besoin de murs, d’un « abri » pour travailler. Le caractère incontournable de l’espace pour la création théâtrale est évoqué par les acteurs de terrain eux-mêmes. La deuxième thématique est celle du manque d’espace pour les artistes dans le circuit du théâtre public. Par public, nous entendons les structures qui ont été créées sous l’impulsion des pouvoirs publics. Il a été longuement souligné l’impossibilité pour les jeunes générations de pénétrer dans ce circuit. Nous avons vu ici se dessiner les contours d’un questionnement empirique autour de la lutte pour un espace.

Ce questionnement a été le véritable commencement de la démarche de recherche. Certaines interrogations subsistaient. C’est la découverte d’un numéro de la revue Outrescène sur les nouveaux lieux de créations qui a fait avancer le processus de recherche. La question du manque d’espace pour la création était le sujet central de cette revue. Plusieurs directeurs de théâtre essayant d’aménager des espaces étaient interviewés. Ils racontaient le processus qui

132 les avait menés à lutter pour ce point et les difficultés éprouvées à le défendre face au reste du secteur. Cette revue a permis d’une part de resserrer l’objet de recherche. Il fallait se concentrer sur des lieux particuliers qui essayaient de défendre ce point de vue. D’autre part, les lieux présentés dans cette revue pouvaient constituer une base pour démarrer le travail de terrain. Les premiers entretiens réalisés se firent avec des acteurs des lieux cités dans la revue. Le contour de cet objet de recherche était encore flottant. Ces théâtres semblaient se distinguer par leur approche différente de la création, mais les éléments qui pouvaient les rassembler et justifier leur étude étaient encore à circonscrire.

Ce point fut résolu au cours d’un des premiers entretiens menés. Lors du rendez-vous, la répondante a mentionné l’existence d’un réseau dont son théâtre faisait partie. A travers ce réseau, le manque d’espace pour les artistes est largement débattu. En fin de compte, les organisations intégrées à cette étude de cas sont celles repérées dans la revue Outrescène et celles qui ont adhéré à ce réseau.