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Chapitre 1 : Potentiel des méthodes de photoluminescence pour diagnostiquer

1. Les Barrières Thermiques (BT) : Généralités et problématiques

1.2 Dégradation en service des BT aéronautiques

Les BT sont utilisées pour protéger des composants dans des environnements parti-culièrement hostiles et sont par conséquent elles-mêmes sujettes à l’endommagement. Leur dégradation découle des évolutions des structures et des compositions liées aux interactions avec un environnement oxydant à hautes températures. Celles-ci se combinent aux fortes contraintes mécaniques (ex. force centrifuge) et thermomécaniques (ex. contraintes dues à la différence des coefficients de dilatation thermique de chacune des couches de la BT) et aux éventuelles agressions extérieures (ex. impact de particules) subies pour provoquer la déformation, la fissuration et finalement la rupture de tout ou partie des BT.

i. Oxydation cyclique de la sous-couche [10,62–65]

Les sous-couches en aluminure de nickel sont affectées par un phénomène appelé « rumpling », qui se traduit par l’augmentation graduelle de la rugosité de leur surface au cours du temps passé à haute température (Figure 1.8). Ce phénomène se produit principa-lement lors de l’oxydation cyclique, quand la température varie de manière répétée de la température ambiante à la température de service (> 1100°C).

Figure 1.8: Illustration du phénomène de rumpling d’une couche de liaison type (Ni, Pt)Al entre le 1er et le 50ème cycle d’une heure à 1200°C [65].

Les origines possibles du rumpling sont multiples. Par exemple, la relaxation des contraintes élastiques de compression à l’intérieur de la couche de TGO, provenant de sa croissance et des différences de CET entre ces deux couches, peut provoquer la déformation plastique de la surface de la sous-couche [8,10,64]. D’autres travaux suggèrent que des transformations de phases dans la sous-couche, causées par l’appauvrissement en Al résul-tant de la formation de la couche de TGO et de la diffusion vers le substrat, jouent égale-ment un rôle dans le développeégale-ment des déformations. Enfin, le mode d’oxydation et dans une moindre mesure l’état de surface initial ont également une influence sur le «

rum-pling » des sous-couches de type β(Ni, Pt)Al. Les ondulations de la surface alors

provo-quées (Figure 1.8) favorisent la décohésion de la couche de TGO et la formation de fissures en son sein pouvant conduire par la suite à l’écaillage de la BT.

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ii. Écaillage des BT [8,66,67]

L’écaillage des BT intervient au refroidissement lors des cycles thermiques. Il se manifeste par la propagation rapide de fissures, le plus souvent au niveau de la couche de TGO. Ces fissures conduisent à la perte d’une partie voire de l’ensemble du revêtement cé-ramique isolant dans les cas les plus extrêmes, laissant ainsi le substrat exposé (Figure 1.9).

Figure 1.9 : Illustration du phénomène de l’écaillage de BT: micrographie de l’interface d’une BT EB-PVD (a) à l’état initial, (b) après 180 cycles de 1h à 1150°C montrant la propagation de zone de délamination à l’interface avec le TGO, le rumpling de la couche de liaison et la croissance de la couche de TGO [26] ; (c) photographie d’une BT EB-PVD écaillée sur une

aube de turbine issue d’une zone de hautes pressions [1,68].

La création et la propagation des fissures sont initiées par des mécanismes com-plexes qui font intervenir la présence de défauts initiaux (ex. microfissures générées lors du dépôt [26]), les phénomènes d’oxydation, ainsi que les évolutions des champs de contraintes et des propriétés d’adhésion de la BT. En particulier, la croissance de la couche de TGO et la différence des coefficients de dilatation thermique entre cette dernière et la sous-couche (respectivement de 8-9.10-6 K-1 et 10-16.10-6 K-1 [1,35]) génèrent des contraintes de

compression importantes (env. 4 GPa [69]) au niveau de la couche d’oxyde lors du refroidissement depuis les températures de service (> 1000°C) jusqu’à la température

ambiante. Le relâchement de l’énergie élastique alors stockée constitue la force motrice du processus d’écaillage. On distingue deux mécanismes principaux:

- Le flambage (Figure 1.10 (a)): Il est prépondérant dans les zones de faible adhérence dans lesquelles peut s’amorcer une fissure interfaciale, comme par exemple dans les zones déjà fragilisées par le phénomène de « rumpling ». Les contraintes de compression dans la couche d’oxyde conduisent alors au flambage de la couche localement délami-née, causant la formation d’une cloque. Dans le cas où l’adhérence de la couche d’oxyde dans les zones voisines reste suffisamment importante, la rupture a lieu à terme dans la couche d’oxyde (Figure 1.10 (a) 5 et 6). En revanche dans le cas contraire la propagation des fissures à l’interface conduit à l’augmentation de la surface de la zone de flambage (Figure 1.10 (a) 3 et 4). Ce mécanisme concerne les revêtements fins ou de grande longueur de décohésion tels que les BT EB-PVD. Les zones écaillées sont ainsi en général importantes, pouvant même concerner l’ensemble de la BT par coalescence des zones de flambage.

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Figure 1.10: Illustration des mécanismes d'écaillage d’une BT [67] : (a) par flambage, (b) par effet de coin .

- Effet de coin (Figure 1.10 (b)): l’écaillage par effet de coin est observé lorsque l’énergie d’adhésion du revêtement est supérieure à son énergie de rupture. Dans ce cas les contraintes thermiques de compression dans la couche d’oxyde provoquent préféren-tiellement la fissuration de celle-ci par cisaillement. Par la suite le développement et la propagation de fissures à l’interface provoquent l’écaillage. Les zones écaillées par effet de coin sont en général de petite surface et sont localisées dans des endroits isolés.

Les phénomènes d’écaillage sont particulièrement indésirables, car ils laissent poten-tiellement de larges zones du substrat exposées, mais sont également insidieux. La propaga-tion du phénomène de flambage est difficilement détectable de manière non destructive et intervient souvent de manière soudaine par coalescence des zones endommagées. La pré-vention du phénomène d’écaillage conditionne en grande partie la mise en place de marges de sécurité conservatrices concernant les routines de remplacement des aubes de turbines.

iii. Vieillissement [22,70]

Une longue exposition de YSZ à des températures supérieures à 1300°C provoque la ségrégation des ions yttrium aux joints de grains [1]. Les zones ainsi appauvries en ions Y3+

peuvent alors subir une transformation de la phase tétragonale métastable t’ vers un mé-lange de phase tétragonale stable et cubique. Au refroidissement, la phase tétragonale peut se transformer en phase monoclinique. Ce phénomène, appelé vieillissement, n’est que peu observé sur des pièces en service. Il reste malgré tout indésirable car cette transformation, qui s’accompagne d’un changement de volume de la maille cristalline, peut provoquer la formation de fissures qui dégradent les propriétés mécaniques de la BT.

iv. Infiltration de CMAS dans les BT [71,72]

L’attaque des BT par les composés CMAS (dépôts d’oxydes de Ca, Mg, Al, Si) a pour origine l’ingestion de particules par le moteur (poussières, sables, débris divers etc.) et les températures extrêmes qui y règnent. Lorsque la température de surface des composants dépasse 1240°C, elle provoque la fusion des CMAS qui y sont déposés. Du fait de ses

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bonnes propriétés de mouillage, le liquide résultant est alors susceptible de s’infiltrer dans la BT via la porosité. Ce processus est particulièrement exacerbé dans le cas des BT EB-PVD pour lesquelles la porosité inter-colonne facilite l’infiltration par capillarité. La pro-fondeur de pénétration des CMAS est fonction de leur température de fusion (1240°C) et du gradient thermique dans l’épaisseur de la BT. Au refroidissement la solidification des CMAS provoque une densification des régions infiltrées et donc la rigidification locale d’une couche supérieure du revêtement de zircone. Celle-ci entraine la dégradation des propriétés thermomécaniques de la BT, en particulier sa tolérance à la déformation. Les contraintes thermiques élevées alors générées lors des phases de chauffage et de refroidissement du re-vêtement provoquent localement dans ce dernier l’amorçage de fissures parallèles au subs-trat pouvant conduire à terme à la délamination et l’écaillage de la BT.

v. Érosion des BT [73]

L’érosion est un processus d’endommagement des BT qui résulte de l’impact de pe-tites particules de grande énergie cinétique ingérées par la turbine ou provenant de débris de la turbine elle-même. On distingue 3 mécanismes d’endommagement relatifs à l’érosion selon la morphologie des particules, leur énergie et le type de dégâts qu’elles occasionnent : - Erosion pure (Figure 1.11 (a)): ce mécanisme correspond la détérioration graduelle

localisée en surface (20-30 μm) de la couche de céramique YSZ par éjection de frag-ments suite à l’impact de petites particules de haute vélocité.

- Dommages de compaction (Figure 1.11 (b)): il s’agit d’une densification locale de la surface de la BT sans déformation et sans fissuration qui fait suite à l’impact de par-ticules de taille moyenne.

- Foreign Object Damage (FOD, (Figure 1.11 (c)) : l’impact de la BT par des particules de tailles importantes et de grande vitesse engendre la déformation plastique importante de la BT sur une large zone (parfois jusqu’à la sous-couche) qui s’accompagne d’une densification et de fissurations en cisaillement. La zone affectée est significativement plus large que le diamètre moyen des colonnes des BT EB-PVD.

Figure 1.11: Illustration des différents mécanismes d'érosion d'une BT EB-PVD [73]: (a) érosion, (b) dommages de compaction, (c) Foreign Object Damage.

Le degré d’endommagement généré par l’érosion dépend également de la microstruc-ture des BT, qui détermine le mode de rupmicrostruc-ture induit par l’impact des particules. La

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crostructure colonnaire des BT EB-PVD, qui empêche la propagation de fissures d’une co-lonne à l’autre, leur confère une résistance à l’érosion plus importante que les BT PS, dont la microstructure lamellaire favorise l’éjection des lamelles faiblement liées.

1.2.2 Importance des variations de température et des gradients

de température dans les processus d’endommagement

A l’exception de l’érosion, la grande majorité des processus de dégradation

des BT mais également des composants qu’elles protègent sont thermoactivés

(croissance de grains, diffusion, fluage, écaillage etc.). La température a en particulier un impact important sur la cinétique de croissance de la couche d’oxyde et les éventuels chan-gements de phase de la zircone YSZ. De même, la température au niveau de l’interface couche de liaison/TGO/BT détermine le niveau de contraintes thermiques liées à la diffé-rence des coefficients de dilatation thermique entre ces couches, contraintes constituant la force motrice du processus d’écaillage.

Cette dépendance à la température est le plus souvent exponentielle, et de faibles accroissements de température peuvent avoir des conséquences importantes sur l’état de santé des BT. Ainsi, le simple passage de 1010°C à 1064°C multiplie par 3 la vitesse de croissance de la couche d’alumine Al2O3 à la surface de la sous-couche et accroît le risque d’endommagement prématuré de la BT [74]. Il a également été démontré qu’une augmenta-tion de 10°C de la température du substrat a un impact de 100% sur les prédicaugmenta-tions de du-rée de vie en fluage et de 30% sur la dudu-rée de vie d’oxydation [75]. Par conséquent, la

connaissance précise et le contrôle de la température des composants du sys-tème à tous les niveaux (i.e. dans les différentes couches) est un aspect cri-tique, aussi bien lors des phases de dimensionnement et de développement de composants qu’en service. C’est également un facteur clé pour le développement de

modèles prédictifs fiables des différents processus d’endommagement.

1.2.3 Limites des méthodes de mesure de température

conven-tionnelles [15,76,77]

La mesure in situ de la température dans les turbines aéronautiques est particuliè-rement difficile du fait des restrictions posées à l’instrumentation par l’hostilité de l’environnement et de l’accès limité aux zones de mesure, d’autant plus si l’on souhaite dé-terminer la température des couches présentes sous la surface de la BT. De fait, la plupart des méthodes conventionnelles ne sont pas ou peu adaptées.

Thermocouples : L’usage de thermocouples compte parmi les méthodes les plus

répandues dans le secteur industriel. Peu chers, bien maîtrisés et bénéficiant d’une bonne reproductibilité, ils sont en revanche particulièrement intrusifs et manquent de flexibilité pour une utilisation in situ dans une turbine. Ils ne fournissent en effet que des

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tions ponctuelles à des endroits prédéterminés, et peuvent avoir un impact fort sur l’état thermique du système (phénomène de pont thermique). Par ailleurs, leur installation peut être délicate pour ne pas compromettre l’intégrité des systèmes, en particulier s’il s’agit de mesurer la température sur une aube de turbine en rotation. Enfin leur principe de fonc-tionnement (par contact) et leur dimension caractéristique ne permettent pas leur utilisa-tion pour la mesure de la température dans l’épaisseur d’une BT (ex. à l’interface couche de liaison/TGO/YSZ).

Peintures thermiques [78–80]: Les peintures thermiques sont utilisées dans le

domaine aéronautique en particulier pour le dimensionnement de chambres de combustion. Ces revêtements subissent des changements de couleur définitifs en fonction de la tempéra-ture à laquelle ils ont été soumis, résultats de différentes transformations chimiques et cris-tallographiques. Ainsi, après un temps fixé de fonctionnement d'une turbine en conditions stationnaires, elles permettent après désassemblage de révéler les champs de température vus par les pièces revêtues. Cependant, le faible nombre de virages disponibles (teintes dif-férentes) et surtout leur caractère discret (7 à 10) limitent fortement la résolution à quelques dizaines voire centaines de degrés. Délicate et subjective (observateur, conditions d’éclairement etc.), l’interprétation des résultats nécessite un opérateur certifié et expéri-menté, et seuls de larges changements de couleur peuvent être détectés avec fiabilité. Le caractère irréversible des changements de teintes limite leur domaine d’application à la dé-termination de l’histoire thermique en régime stationnaire pendant de courtes périodes. En-fin, leur domaine d’application se limite à la mesure de température en surface afin que les changements de teinte soient observables.

Thermographie IR : Les méthodes de thermographie IR ont l’avantage d’être

complétement non intrusives. Les mesures sur la zircone sont généralement réalisées dans le domaine d’opacité de la zircone (8-15 μm) [81,82], mais dans ce cas ne concernent que la mesure de la température en surface. Les mesures dépendent de plus des caractéristiques spectrales et des variations d’émissivité de la surface des BT, dont les valeurs peuvent va-rier avec la température, ou dans le temps suite à la contamination des surfaces exposées par des suies et des poussières. Les approches couplées modèle/mesure basées sur l’inversion de l’équation du transfert radiatif permettent, dans le cas de matériaux homo-gène semi-transparent, de déterminer le profil de température dans l’épaisseur lorsque les paramètres optiques du matériau sont connus [83–85]. Cependant, l’application de ces mé-thodes au cas de matériaux hétérogènes diffusants tels que les BT YSZ est beaucoup plus complexe et constitue à l’heure actuelle un problème scientifique ouvert.

La recherche de méthodes alternatives adaptées aux mesures de la température dans l’environnement des turbines et/ou donnant accès aux températures dans le volume des BT constitue donc un enjeu industriel majeur. À l’heure actuelle, l’adaptation des méthodes de thermométrie par fluorescence aux systèmes de BT constitue une alternative prometteuse pour répondre aux deux aspects de cette problématique, i.e. la détermination de la tempé-rature dans le volume des BT et le diagnostic non destructif de l’endommagement.

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