• Aucun résultat trouvé

Les défis de reconnaître et faire sens de la série

CHAPITRE 1. La communication de l’architecture par l’exposition

1.4. O BSTACLES ANTICIPÉS DU POINT DE VUE DE LA RÉCEPTION

1.4.2. Les défis de reconnaître et faire sens de la série

La stratégie la plus fréquemment employée afin de communiquer le projet architectural en exposition, à l’image de la manière de concevoir le bâtiment pour l’architecte, consiste à multiplier les outils de représentation. Blau et Kaufmann l’expliquent ainsi : « […] la plupart des représentations architecturales ne sont pas des images uniques, mais appartiennent à des groupes et (…) la pleine signification d’une image architecturale ne peut être saisie que dans le contexte sériel du groupe. » (Blau et Kaufmann, 1989 : 13) Par cette mise en série des artefacts, le commissaire souhaite assurer l’apport d’un maximum d’informations au visiteur. Pour le récepteur, ce type de présentation peut être très complexe. Dans un premier temps, il

doit reconnaître la série, et donc lier entre eux les artefacts qui représentent le même projet architectural. Ensuite, il doit interpréter les informations spécifiques que chaque outil sémiotique contient et, finalement, rassembler ces informations pour recomposer en imagination le bâtiment conçu ou saisir les aspects importants du projet.

Davallon (1996), dans son étude sémiotique des expositions d’architecture, a déjà souligné les difficultés que le visiteur est susceptible de rencontrer face à des présentations de type sériel :

[La] juxtaposition [des différents moyens de représentation], pratique assez courante dans ce genre d’exposition, est souvent loin de lever la difficulté et de faciliter la tâche du visiteur. Cette pratique présuppose en effet une maîtrise des différences sémiotiques entre ces outils et l’utilisation qui est faite de ces différences par les professionnels de l’architecture. (Davallon, 1996 : 78)

Le cas le plus typique de série présentée en exposition est la triade des projections orthogonales plan-coupe-élévation. Cela a été mentionné plus tôt, aucun de ces artefacts n’est conçu pour être pris seul. Ils sont pensés comme un tout permettant de communiquer la matérialité du projet avec un haut niveau de détail et de précision. L’interprétation de cette série de projections orthogonales peut poser un haut niveau de difficulté pour le visiteur qui ne possède aucune formation dans le domaine, comme l’a décrit Rachedi :

[…] les données spatiales symbolisées véhiculées sont présentées par le biais de vues éclatées (projections orthogonales) ou de perspectives dont le traitement nécessite des transformations mentales et spatiales et par conséquent des coordinations intra et inter-vues. (Rachedi, 1986 : 4)

[…] cette première brève description technique du dessin laisse entrevoir la nécessité de compétences élevées liées aux exigences : de la sémiologie du dessin, de coordination des vues, de coordination des différents documents de travail, de passage d'un espace symbolisé à un espace concret […] (Rachedi, 1986 : 7)

Par exemple, un visiteur qui tente d’imaginer de quoi a l’air une pièce spécifique illustrée dans un projet, disons le salon d’une maison, doit d’abord faire le lien entre le plan et la coupe de cet espace. Ensuite, il peut tenter d’imaginer les dimensions réelles de l’espace, en se fiant à l’échelle indiquée au plan ou aux éléments d’aménagement dessinés (le mobilier représenté en plan et en coupe pouvant donner une idée de l’échelle de l’espace). S’il arrive aussi à identifier la nature des matériaux utilisés, les couleurs de l’espace, l’apport ou non de lumière naturelle dans le lieu, il lui est alors possible de se former une idée plus précise de

l’expérience qu’il pourrait en faire dans la réalité. Il est ensuite en mesure de poursuivre son exploration en tentant de voir quelles sont les pièces situées à proximité du salon, pièces qui participent aussi de l’expérience du lieu. Cet exemple fictif donne une idée du potentiel de ce type de présentation, mais ces opérations nécessitent le repérage de plusieurs informations dans les dessins et un travail important d’imagination.

La série d’artefacts présentée peut aussi être, par exemple, un fragment de façade, une photographie de cette façade et un croquis présentant la conception de ce détail. Dans un cas comme celui-ci, le choix des artefacts renseigne sur le type d’information qui a été sélectionné par le commissaire. Le visiteur peut, grâce au fragment réel exposé, avoir une idée précise de l’apparence exacte des matériaux choisis pour réaliser la façade. Il a aussi la possibilité, en comparant la photographie et le fragment, d’imaginer l’échelle du bâti réel à partir de l’unité de mesure que constitue le fragment. Le croquis l’informe sur les raisons du choix de détail, et on peut imaginer qu’un texte est également susceptible de compléter cette information.

La série peut également être composée d’artefacts du même type présentant différentes phases de conception du projet architectural. Il est alors attendu du visiteur qu’il compare, par exemple, plusieurs axonométries du même projet, et perçoive les différentes propositions d’organisation de l’espace. Un tel exercice de comparaison nécessite une grande maîtrise de l’interprétation des dessins afin d’en déceler les subtilités. Il peut être anticipé que certains visiteurs auront du mal à faire sens de telles séries d’objets. Par exemple, dans l’exposition « Sortis du cadre : Price Rossi Stirling + Matta-Clark », une salle présentait le processus conceptuel du projet de la Neue Staatsgalerie de Stuttgart (1984) de James Stirling par une série de plans et d’axonométries occupant un mur entier. Face à cette série, les propos de certains visiteurs étaient assez révélateurs :

« Mais là, je trouve qu'il y a peut-être un but à voir toujours pas mal la même carte pi tout ça, mais moi, je ne vois pas l'intérêt à regarder le même dessin pendant… 50 fois. Bon, je trouve ça répétitif pour ça. » [visiteur 8, page A-81] (Laberge, 2004 : 13)

« Il y a beaucoup de plans, là… Je trouve ça un peu lourd. (rires) Tu sais, je veux dire, c'est cool, c'est des plans, mais… J'ai l'impression que je n'en aurais pas besoin d'autant. C'est drôle, j'ai l'impression que je les apprécierais plus s'il y en avait un petit peu moins. » [visiteur 5, page A-49] (Laberge, 2004 : 13-14)

Dans ces deux cas, le visiteur apparaît saisir ce qu’il voit comme répétitif, et donc ne pas apprécier les différences entre les dessins et le sens qu’il pourrait en tirer. Il se sent plutôt submergé par la grande quantité d’objets et ce sentiment constitue un obstacle dans sa construction de sens.

Il importe également de rappeler, comme l’a énoncé Davallon, que chacun des outils disponibles pour présenter l’architecture en exposition, possède ses caractéristiques propres et peut ainsi rendre accessible un certain type d’information : « n’étant pas équivalents, ces outils ne sont évidemment pas substituables les uns aux autres. » (Davallon, 1996 : 78) Donc si le commissaire choisit de ne pas mettre un type d’objet, il choisit de ne pas rendre disponible cette information au visiteur.

1.5. S

YNTHÈSE DE LA PROBLÉMATIQUE RELATIVE À LA COMMUNICATION DE

Documents relatifs