• Aucun résultat trouvé

Travailler sur des populations hors norme nécessite avant tout de définir le plus précisément possible cet objet d’étude. La difficulté majeure dans la recherche sur le concept de haut potentiel consiste à en trouver une définition consensuelle. Ziegler et Raul (2000) utilise la métaphore d’une brosse à dents pour rendre compte de cet écueil : tout le monde en utilise une, mais personne ne veut servir de celle de quelqu’un d’autre. Carter et Kontos (1982) déplorent ainsi le fait que les recherches dans ce domaine sont le plus souvent menées sans cadre théorique précis ce qui conduit à une multitude de définitions, découlant de descriptions empiriques. A l’inverse, certaines théories font simplement l’objet d’accord entre experts du domaine, sans être validées empiriquement (Hany, 1999). La présence d’un enfant à haut potentiel semble pourtant être un fait tangible, observable, mais il est difficile de trouver un accord pour définir ce construct.

Le terme anglosaxon « giftedness » présente l’avantage d’être utilisé dans plusieurs pays même s’il est empreint d’une connotation génétique très tranchée. Il se rapproche du terme canadien « douance », qui en est la traduction littérale, et du terme générique « surdoué » utilisé en France. En Allemagne, on parle de Begabung (le don) et de

Hochbegabung (don extrême). Selon ces définitions, un surdoué est un individu qui dispose globalement d’une efficacité intellectuelle très supérieure à la moyenne. Celle-ci est le plus souvent observée grâce à des tests d’intelligence, qui donnent des indications sur l’efficience mentale des sujets. Ces terminologies ne sont pas satisfaisantes car elles renvoient aux thèses de Terman sur le déterminisme de l’intelligence, l’idée de don évoquant l’origine héréditaire d’une caractéristique subjective qui doterait l’individu d’une intelligence hors norme. L’idée du don est positive, dans le sens où les individus qui le reçoivent sont censés en tirer bénéfice. Nous noterons au passage que Terman relativisait lui-même sa théorie en déclarant que l’intellect et la réussite étaient loin d’être parfaitement corrélés (Terman et Oden, 1947).

En France, le terme de « précocité » apparaît dans les travaux de Terrassier qui place ce concept dans une perspective développementale. Cet auteur pense qu’un développement cognitif accéléré expliquerait les performances exceptionnelles de certains enfants aux tests d’intelligence (Terrassier, 2005). Cependant, cette avance n’est pas généralisable à d’autres capacités et Terrassier met en évidence une dyssynchronie développementale des aptitudes. Ces termes désignent le décalage observé chez de nombreux enfants à haut potentiel entre le développement intellectuel, le développement psychomoteur et le développement

socio-affectif. De nombreux spécialistes considèrent ces décalages développementaux comme une caractéristique de cette population. Dans ses travaux, Terrassier (1981) distingue la « dysynchronie interne » qui concerne avant tout la sphère cognitive et ses articulations avec la motricité ou l’affectivité, de la « dysynchronie sociale » qui se manifeste dans les relations de l’enfant avec son entourage (parents, enseignants, pairs). Terrassier souligne que les dysynchronies ont des effets importants sur les apprentissages scolaires. L’exemple le plus souvent cité étant celui du décalage entre l’âge assez « précoce » d’apprentissage de la lecture chez les enfants à haut potentiel et celui plus tardif de la maîtrise de l’écriture, cette dernière activité faisant appel à des habiletés motrices qui apparaissent plus tard dans le développement. Chez certains enfants, ces décalages entraînent également une vulnérabilité socio-affective difficile à gérer pour eux mais aussi pour leur entourage car leur importance varie beaucoup selon les situations et implique des ajustements fréquents de la part des enseignants ou des membres de la famille. Des adaptations de nature psycho-sociale sont alors nécessaires pour que les dysssynchronies ne deviennent pas une source de problèmes psychologiques particulièrement marqués à l’adolescence (Alsop, 2003).

Toute la difficulté de cette conception réside dans l’interprétation d’un âge mental. En effet, la psychologie développementale a largement montré les difficultés pour décrire les changements occasionnés durant la petite enfance qui peuvent, d’une année à l’autre être très importants tant sur le plan cognitif qu’affectif. Il s’avère que certains enfants font leurs acquisitions plus rapidement que d’autres et sont capables de certains types de pensée avant l’âge habituel. Par exemple, un enfant de 6 ans peut accéder à des apprentissages de concepts mathématiques réservés habituellement à des enfants de 8 ans, ce qui peut être conçu comme une avance sur le plan intellectuel. Cependant, ce même enfant pourra plus tard perdre cette avance. Certains auteurs pensent que la présence d’un haut potentiel intellectuel ne correspondrait en réalité qu’à un développement accéléré pendant une période (Shavinina, 1999). Le système éducatif français favorise actuellement cette conception. En sautant une classe (ou deux) les enfants « intellectuellement précoces » pourraient, en théorie, trouver leur place dans le système scolaire actuel (Lautrey, 2004).

Pour Morelock (1996), le développement de l’intelligence des enfants à haut potentiel est décrit comme un processus asynchrone reflété par des caractéristiques cognitives et comportementales uniques. Cependant, cette interprétation est en partie basée sur l’hypothèse forte que le développement normal des aptitudes est synchrone. Il est donc difficile de délimiter avec précision cet ensemble d’enfants et d’adolescents que l’on qualifie de “ surdoués ” ou de “ précoces ”.

D’autres auteurs se focalisent sur le haut degré de maîtrise dans un domaine académique spécifique, comme les mathématiques (Camos, 2004 ; Lépine et Camos, sous presse). On va alors plus volontiers parler d’individus « prodiges », sans le sens où leur capacité hors du commun échappe à l’entendement. Le phénomène des enfants prodiges peut être considéré comme un cas extrême du talent dans une tâche ou un domaine bien précis. Par exemple, certains enfants prodiges dans le domaine mathématique peuvent accomplir rapidement des calculs très complexes qui ne sont pas à la portée de beaucoup d’adultes. L’enfant prodige semble avoir une expertise égale ou supérieure à celle des adultes actifs dans un champ professionnel.

Brunault et Adrien (1987) soulignent qu’ « historiquement, le champ des recherches est allé de définitions d’abord restrictives limitées aux seules aptitudes intellectuelles, puis s’est étendu à un ensemble d’autres » (p.365). A l’idée déjà ancienne de la multiplicité des facteurs impliqués dans les performances exceptionnelles de certains individus (facteurs liés au sujet et à son histoire, mais aussi aux « contextes »), s’est ajoutée celle que les potentialités de l’enfant dit « surdoué » forment un ensemble complexe non réductible au seul facteur général d’intelligence (voir Winner, 2000). Ainsi, les travaux dans ce domaine étendent leur champ d’investigation à d’autres domaines comme la créativité (Sternberg et Lubart, 2003; Lubart et Georgsdottir, 2004), les émotions et affects (Silverman, 1997 ; Roeper, 1984), ou les interactions sociales (Mouchiroud, 2004; Oléron, 1979). Le terme « haut potentiel » met en exergue la différence entre une aptitude ou une capacité pouvant être mise en œuvre si la situation s’y prête, et une performance, qui est la concrétisation d’une aptitude dans la réalisation d’une activité (Lubart, sous presse). Un haut potentiel peut rester latent ou peut s’exprimer et donner lieu à des productions et des performances excellentes, voire exceptionnelles. En Europe, le terme « high ability », traduit littéralement comme « aptitude élevée», est utilisé préférentiellement et se rapproche de la notion du haut potentiel. Le terme « talent » est employé dans le cas où un individu a fait preuve de hautes performances à plusieurs occasions. La population d’enfants à haut potentiel est certainement plus importante que celle des enfants talentueux, parce que chaque enfant n’a pas forcément les conditions optimales pour le développement et/ou l’expression de son potentiel. Il est important de noter que la notion de « haut potentiel » n’implique pas une prise de position concernant les sources de ce potentiel (génétique, environnementale ou une association des deux) ou la stabilité et l’évolution du potentiel. Le terme « haut potentiel » correspond assez bien à une définition largement citée dans la littérature (Feldhusen, 1999), et qui est donnée par un rapport américain sur l’éducation des « gifted » : « Les enfants possédant un potentiel élevé dans un

domaine sont identifiés comme tels par des personnes qualifiées et, grâce à des aptitudes hors du commun, sont capables de performances élevées, (…) font preuve de réussite et/ou ont des aptitudes potentielles pour un des domaines suivants, ou pour une combinaison de ces domaines : aptitude intellectuelle générale, aptitude dans une matière scolaire, pensée créative ou productive, compétences sociales, performances artistiques, aptitudes psychomotrices.» (Marland, 1972). Plus récemment, on retrouve la même idée dans une définition du terme « gifted » qui a l’avantage et l’inconvénient d’être plus consensuelle4. Il désigne des enfants et des jeunes dont le talent hors norme leur permet d’atteindre des niveaux d’accomplissement remarquables en comparaison à des pairs de même âge, expérience et environnement. Il prend aussi en compte des enfants ayant montré un potentiel élevé pour atteindre ces niveaux d’accomplissement. Cette définition indique plusieurs domaines d’expression de ce talent ou potentiel : intellectuel, créatif, social et académique.