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Avant d’examiner le sujet, et pour une meilleure compréhension de l’ensemble des développements qui suivent, il importe d’expliquer la distinction faite par la CPI entre le stade de la situation et le stade de l’affaire. La distinction est une particularité propre à la Cour qui ne se retrouve ni devant les CETC ni devant le TSL. Au stade de la situation, aucun mandat d’arrêt n’a encore été délivré ni aucune accusation portée contre un individu particulier. Ce stade, également appelé « phase de l’enquête préliminaire », correspond à la période durant laquelle la Cour décide si une situation donnée doit faire l’objet d’une enquête503. Le stade de la situation s’arrête lorsqu’un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître est délivré à l’encontre d’un individu identifié. A partir de ce moment et pour le reste de la procédure, la Cour parle du stade de l’affaire504. L’affaire comprend la phase préliminaire (durant laquelle la Cour établit les charges), le procès et le stade de l’appel505. La distinction est importante pour les victimes car « la décision des juges quant aux personnes considérées comme des victimes ayant le droit de participer peut varier considérablement selon la phase de la procédure »506.

I. La définition selon le Règlement de procédure et de preuve de la CPI

Selon la règle 85-a du RPP de la CPI, « le terme « victime » s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour »507. Les textes juridiques de la CPI ne contenant pas de détails sur les différentes composantes de la règle, c’est aux juges qu’est revenue la tâche d’interpréter les éléments constitutifs de la

503 Situation en République démocratique du Congo, Décision sur les demandes de participation à la procédure de VPRS 1, VPRS 2, VPRS 3, VPRS 4, VPRS 5 et VPRS 6, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-101, 17 janvier 2006, para. 65. Voir également: NTANDA NSEREKO, « Art. 18: Preliminary rulings regarding admissibility », pp. 838-839.

504 Situation en République démocratique du Congo, Décision sur les demandes de participation à la procédure de VPRS 1, VPRS 2, VPRS 3, VPRS 4, VPRS 5 et VPRS 6, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-101, 17 janvier 2006, para. 65.

505 Pour des explications sur chacun de ces stades : CPI, Les victimes devant la Cour pénale internationale - un guide d’information sur la participation des victimes aux procédures de la Cour, pp. 5-7 ; BCPV, Représenter les victimes devant la Cour pénale internationale : Manuel à l’usage des représentants légaux, pp. 22-24.

506 CPI, Les victimes devant la Cour pénale internationale - un guide d’information sur la participation des victimes aux procédures de la Cour, p. 13.

507 La lettre b de la règle 85 RPP a trait aux personnes morales et n’est pas examinée pour les raisons indiquées dans la partie introductive de la thèse.

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définition508. Ceux-ci ont été analysés, pour la première fois, par la Chambre préliminaire I dans la situation en RDC au cours de laquelle souhaitaient participer six victimes509. Dans sa décision, la Chambre a déterminé que la reconnaissance de la qualité de victime impliquait la satisfaction de quatre critères cumulatifs : 1) la victime doit être une personne physique, 2) elle doit avoir subi un préjudice, 3) le crime dont découle le préjudice doit relever de la compétence de la Cour, et 4) il doit exister un lien de causalité entre le crime et le préjudice510. Les quatre critères ont constamment été repris dans la jurisprudence des Chambres. Ils sont exposés dans la suite du titre.

A. Le critère de la personne physique

Dans la décision précitée, la Chambre préliminaire I ne s’étend pas sur l’expression « personne physique ». Elle se contente de définir la notion de manière générale en indiquant qu’une personne physique est «toute personne qui n’est pas une personne morale »511. La notion n’a pas été davantage définie dans la jurisprudence qui a suivi. Toutefois, certains de ses aspects ont été précisés, tels que les documents acceptés comme preuves de l’identité des victimes512 ou encore la possibilité d’introduire une demande de participation

508 Voir, chapitre 3.IV.B.2 de la première partie.

509 Situation en République démocratique du Congo, Décision sur les demandes de participation à la procédure de VPRS 1, VPRS 2, VPRS 3, VPRS 4, VPRS 5 et VPRS 6, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-101, 17 janvier 2006.

510 Ibid., para. 79. Les critères retenus par la Chambre préliminaire I dans la décision précitée sont régulièrement rappelés dans les décisions des chambres préliminaires de la Cour. Par exemple : Le Procureur c. Joseph Kony et al., Décision relative aux demande de participation des victimes a/0010/06, a/0064/06 à a/0070/06, a/0081/06, a/0082/06, a/0084/06 à a/0089/06, a/0091/06 à a/0097/06, a/0099/06, a/0100/06, a/0102/06 à a/0104/06, a/0111/06, a/0113/06 à a/0117/06, a/0120/06, a/0121/06 et a/0123/06 à a/0127/06, Chambre préliminaire II, ICC-02/04-01/05-282-tFRA, 14 mars 2008, para. 8 ; Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Décision sur les demandes de participation à la procédure a/0327/07 à a/0337/07 et a/0001/08, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-01/07-357-tFRA, 2 avril 2008, p. 8 ; Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Quatrième décision relative à la participation des victimes, Chambre préliminaire III, ICC-01/05-01/08-320-tFRA, 12 décembre 2008, para. 31 ; The Prosecutor v. Dominic Ongwen, Decision Establishing Principles on the Victims’ Application Process, Pre-Trial Chamber II, ICC-02/04-01/15-205, 4 March 2015, para. 18.

511 Situation en République démocratique du Congo, Décision sur les demandes de participation à la procédure de VPRS 1, VPRS 2, VPRS 3, VPRS 4, VPRS 5 et VPRS 6, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-101, 17 janvier 2006, para. 80.

512 Le problème vient du fait que, dans les Etats en conflit ou sortant d’un conflit, il peut s’avérer très difficile pour les victimes d’obtenir de l’état civil des documents officiels prouvant leur identité. Les chambres de la CPI ont donc adopté une démarche flexible adaptée à la situation de chaque Etat:

Situation en République démocratique du Congo, Décision sur les demandes de participation à la procédure déposées dans le cadre de l'enquête en République démocratique du Congo par a/0004/06 à a/0009/06, a/0016/06 à a/0063/06, a/0071/06 à a/0080/06 et a/0105/06 à a/110(06, a/0188/06, a/0128/06 à a/0162/06, a/0199/06, a/0203/06, a/0209/06, a/0214/06, a/0220/06 à a/0222/06, a/0224/06, a/0227/06 à a/0230/06, a/0234/06 à a/0236/06, a/0240/06, a/0225/06, a/0226/06, a/0231/06 à a/0233/06, a/0237/06 à a/0239/06 et a/0241/06 à a/0250/06, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-423, 24 décembre 2007, para. 15 ; Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Quatrième décision relative à la participation des victimes, Chambre préliminaire III,

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par une personne autre que la victime elle-même513 ou lorsque la victime est décédée514.

01/05-01/08-320-tFRA, 12 décembre 2008, paras. 34 à 36 ; Situation en Ouganda, Décision relative aux demandes de participation des victimes a/0010/06, a/0064/06 à a/0070/06, a/0081/06 à a/0104/06 et a/0111/06 à a/0127/06, Chambre préliminaire II, ICC-02/04-101-tFRA, 10 août 2007, paras. 16-17; The Prosecutor v. William Samoei Ruto, Henry Kiprono Kosgey and Joshua Arap Sang, First Decision on Victims’ Participation in the Case, Pre-Trial Chamber II, ICC-01/09-01/11-17, 30 March 2011, paras. 7-9; The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision on Victims’ Participation at the Confirmation of Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber II, ICC-01/04-02/06-211, 15 January 2014, paras. 21-23.

513 Il s’agit de demandes de participation introduites par des personnes agissant avec le consentement de la victime ou au nom de celle-ci lorsque la victime est un enfant ou une personne invalide (règle 89-3 RPP). Conformément à la norme 86-2-b du Règlement de la Cour, de telles demandes doivent contenir la preuve du consentement de la victime ou la preuve de la situation de la victime (lien de parenté, tutelle, tutelle légale). Selon la jurisprudence, les demandes doivent également contenir la preuve de l’identité de la victime et de la personne qui agit pour elle : Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Quatrième décision relative à la participation des victimes, Chambre préliminaire III, ICC-01/05-01/08-320-tFRA, 12 décembre 2008, para. 38; Le Procureur c. Joseph Kony et al., Décision relative aux demande de participation des victimes a/0010/06, a/0064/06 à a/0070/06, a/0081/06, a/0082/06, a/0084/06 à a/0089/06, a/0091/06 à a/0097/06, a/0099/06, a/0100/06, a/0102/06 à a/0104/06, a/0111/06, a/0113/06 à a/0117/06, a/0120/06, a/0121/06 et a/0123/06 à a/0127/06, Chambre préliminaire II, ICC-02/04-01/05-282-tFRA, 14 mars 2008, para. 7; The Prosecutor v. Laurent Gbagbo, Decision on Victims’ Participation and Victims’ Common Legal Representation at the Confirmation of Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber I, ICC-02/11-01/11-138, 4 June 2012, para. 26; The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision on Victims’ Participation at the Confirmation of Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber II, ICC-01/04-02/06-211, 15 January 2014, para. 22.

514 Aucune disposition du Statut de Rome, du RPP ou du Règlement de la Cour ne traite de la question de l’introduction d’une demande de participation au nom d’une victime décédée. Les juges se sont donc exprimés sur le problème mais deux visions s’opposent. La première est celle adoptée par les Chambres préliminaires I et II et la Chambre de première instance II qui rejettent ce type de demandes car les personnes décédées ne correspondent pas à la définition d’une personne physique au sens de la règle 85-a RPP. Si ces demandes étaient acceptées, il serait impossible de connaitre les vues et préoccupations des personnes décédées sur les questions soulevées au cours des procédures (Situation en République démocratique du Congo, Corrigendum à la « Décision sur les demandes de participation à la procédure déposées dans le cadre de l'enquête en République démocratique du Congo par a/0004/06 à a/0009/06, a/0016/06 à a/0063/06, a/0071/06 à a/0080/06 et a/0105/06 à a/0110/06, a/0188/06, a/0128/06 à a/0162/06, a/0199/06, a/0203/06, a/0209/06, a/0214/06, a/0220/06 à a/0222/06, a/0224/06, a/0227/06 à a/0230/06, a/0234/06 à a/0236/06, a/0240/06, a/0225/06, a/0226/06, a/0231/06 à a/0233/06, a/0237/06 à a/0239/06 et a/0241/06 à a/0250/06 », Chambre préliminaire I, ICC-01/04-423-Corr, 31 janvier 2008, para. 24;

Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Motifs de la deuxième décision relative aux demandes de participation de victimes à la procédure, Chambre de première instance II, ICC-01/04-01/07-1737, 22 décembre 2009, para. 30; The Prosecutor v. Francis Kirimi Muthaura et al., Decision on Victims’ Participation at the Confirmation of Charges and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber II, ICC-01/09-02/11-267, 26 August 2011, paras. 45-57). La seconde vision est celle de la Chambre préliminaire III et de la Chambre de première instance III qui considèrent qu’une victime ne cesse pas de l’être en raison de son décès. Dès lors, les droits de participation d’une personne décédée peuvent être exercés par ses successeurs, au nom de la personne décédée, si les successeurs se sont vus eux-mêmes reconnaître la qualité de victimes participant à la procédure (Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Quatrième décision relative à la participation des victimes, Chambre préliminaire III, ICC-01/05-01/08-320-tFRA, 12 décembre 2008, paras. 39-52 ; The Prosecutor v. Jean-Pierre Bemba Gombo, Decision on the participation of victims in the trial and on 86 applications by victims to participate in the proceedings, Trial Chamber III, ICC-01/05-01/08-807, 30 June 2010, paras. 78-85).

B. La notion de préjudice

Les Chambres de la CPI reconnaissent, de façon constante, que la notion de préjudice couvre trois catégories de dommage : les blessures corporelles, les souffrances morales et les pertes matérielles515. En outre, le préjudice subi doit être personnel, c’est-à-dire que la victime en souffre personnellement, indépendamment du fait que cette personne soit la victime directe ou indirecte d’un crime516. Comme l’explique la Chambre d’appel dans l’affaire Lubanga:

« Le préjudice subi par une victime en raison de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour peut causer un préjudice à d’autres victimes. C’est clairement le cas lorsque les victimes sont unies par des liens personnels étroits comme, par exemple, un enfant soldat et ses parents. Le recrutement d’un enfant soldat peut causer une souffrance personnelle à la fois à l’enfant concerné et à ses parents. […] La question à examiner est celle de savoir si le préjudice a été personnellement subi par l’individu. Si tel est le cas, il peut concerner aussi bien des victimes directes qu’indirectes »517. Par conséquent, tant les victimes directes que les victimes indirectes d’un crime entrant dans la compétence de la Cour peuvent être autorisées à participer aux procédures de la Cour.

A noter que la Chambre de première instance I, dans l’affaire Lubanga, a décidé que les victimes indirectes « doivent démontrer qu’en raison de leur relation avec une victime directe, les pertes, les blessures ou les dommages

515 Situation en République démocratique du Congo, Décision sur les demandes de participation à la procédure de VPRS 1, VPRS 2, VPRS 3, VPRS 4, VPRS 5 et VPRS 6, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-101, 17 janvier 2006, paras. 115-116 ; Le procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision relative à la participation des victimes, Chambre de première instance I, ICC-01/04-01/06-1119-tFRA, 18 janvier 2008, para. 92 ; Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Quatrième décision relative à la participation des victimes, Chambre préliminaire III, ICC-01/05-01/08-320-tFRA, 12 décembre 2008, paras. 69-70 ; Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif aux appels interjetés par le Procureur et la Défense contre la Décision relative à la participation des victimes rendue le 18 janvier 2008 par la Chambre de première instance I, Chambre d’appel, ICC-01/04-01/06-1432-tFRA, 11 juillet 2008, paras. 31 et 33 ; The Prosecutor v. William Samoei Ruto et al., Decision on Victims’ Participation at the Confirmation Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber II, ICC-01/09-01/11-249, 5 August 2011, para. 50; The Prosecutor v. Laurent Gbagbo, Decision on Victims’ Participation and Victims’ Common Legal Representation at the Confirmation of Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber I, ICC-02/11-01/11-138, 4 June 2012, para. 28 ; The Prosecutor v. Laurent Gbagbo, Corrigendum to the Second decision on victims’ participation at the confirmation of charges hearing and in the related proceedings, Pre-Trial Chamber I, ICC-02/11-01/11-384-Corr, 6 February 2013, para. 31.

516 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif aux appels interjetés par le Procureur et la Défense contre la Décision relative à la participation des victimes rendue le 18 janvier 2008 par la Chambre de première instance I, Chambre d’appel, ICC-01/04-01/06-1432-tFRA, 11 juillet 2008, paras. 32, 38 et 39 ; The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision on Victims’ Participation at the Confirmation of Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber II, ICC-01/04-02/06-211, 15 January 2014, paras. 28-33.

517 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif aux appels interjetés par le Procureur et la Défense contre la Décision relative à la participation des victimes rendue le 18 janvier 2008 par la Chambre de première instance I, Chambre d’appel, ICC-01/04-01/06-1432-tFRA, 11 juillet 2008, para. 32.

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subis par cette dernière leur a causé un préjudice. Ainsi, le préjudice subi par les victimes indirectes doit découler de celui subi par les victimes directes, lui-même causé par la commission des crimes retenus dans la confirmation des charges »518. En outre, « sont exclues de la catégorie des « victimes indirectes » les personnes ayant subi un préjudice du fait du comportement (ultérieur) de victimes directes »519. En effet, l’objectif du procès est de déterminer la culpabilité ou l’innocence de l’accusé au regard des crimes qui lui sont reprochés, et non pas d’évaluer les comportements, criminels ou non, qui pourraient être reprochés à certaines victimes directes520.

C. Le critère du crime relevant de la compétence de la Cour

Une personne qui s’estime victime d’un crime doit apporter la preuve que ce crime entre dans la compétence de la CPI. Pour ce faire, elle doit démontrer que le crime allégué répond aux trois conditions cumulatives suivantes521 : 1) il constitue l’un des crimes énoncés à l’art. 5 et définis aux articles 6 à 8 du Statut de Rome, 2) il a été commis après le 1er juillet 2002, conformément à la délimitation temporelle de l’art. 11 du Statut de Rome, et 3) il a été commis

518 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Version expurgée de la Décision relatives aux « victimes indirectes », Chambre de première instance I, ICC-01/04-01/06-1813-tFRA, 8 avril 2009, para. 49.

519 Ibid, para. 52.

520 Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Version expurgée de la Décision relatives aux « victimes indirectes », Chambre de première instance I, ICC-01/04-01/06-1813-tFRA, 8 avril 2009, para. 52.

L’exemple donné dans la décision est le suivant : « En l’espèce, les charges confirmées à l’encontre de l’accusé se limitent à la conscription et l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et au fait de les avoir fait participer activement à des hostilités. Par conséquent, les victimes indirectes sont uniquement les personnes ayant subi un préjudice lié au préjudice subi par les enfants touchés au moment de la commission des crimes retenus, et non celles ayant subi un préjudice du fait d’un comportement ultérieur des enfants, que ce comportement soit criminel ou non. Bien qu’il puisse exister un chevauchement entre le fait de faire participer activement un enfant à des hostilités et une attaque menée par cet enfant contre un tiers, la personne attaquée par un enfant soldat n’est pas une victime indirecte aux fins de l’espèce car son préjudice n’est pas lié au préjudice subi par l’enfant lors de la commission de l’infraction ». Pour une critique de la décision de la Chambre de première instance : SPIGA, Indirect Victims’ Participation in the Lubanga Trial, en particulier les pages 190 à 193 (sur les crimes commis par des enfants soldats) et 193 à 197 (sur une application large de la notion de victimes indirectes).

521 Situation en République démocratique du Congo, Décision sur les demandes de participation à la procédure de VPRS 1, VPRS 2, VPRS 3, VPRS 4, VPRS 5 et VPRS 6, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-101, 17 janvier 2006, paras. 85ss ; Situation en République démocratique du Congo, Corrigendum à la « Décision sur les demandes de participation à la procédure déposées dans le cadre de l'enquête en République démocratique du Congo par a/0004/06 à a/0009/06, a/0016/06 à a/0063/06, a/0071/06 à a/0080/06 et a/0105/06 à a/110(06, a/0188/06, a/0128/06 à a/0162/06, a/0199/06, a/0203/06, a/0209/06, a/0214/06, a/0220/06 à a/0222/06, a/0224/06, a/0227/06 à a/0230/06, a/0234/06 à a/0236/06, a/0240/06, a/0225/06, a/0226/06, a/0231/06 à a/0233/06, a/0237/06 à a/0239/06 et a/0241/06 à a/0250/06 », Chambre préliminaire I, ICC-01/04-423-Corr, 31 janvier 2008, para. 37 ; The Prosecutor v. Francis Kirimi Muthaura et al., Decision on Victims’

Participation at the Confirmation of Charges and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber II, ICC-01/09-02/11-267, 26 August 2011, para. 59 ; The Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision on Victims’ Participation at the Confirmation of Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber II, ICC-01/04-02/06-211, 15 January 2014, para. 24.

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dans le cadre territorial de l’art. 12-2 du Statut de Rome portant sur les conditions préalables à l’exercice de la compétence de la Cour.

D. Le lien entre le crime et le préjudice subi

Le dernier critère à remplir pour obtenir la qualité de victime devant la CPI est celui du lien de causalité entre le crime commis et le préjudice subi522. La victime doit démontrer que le dommage qu’elle invoque résulte bien de la commission d’un ou de plusieurs crimes entrant dans la compétence de la Cour. La qualité de victime dépend, par conséquent, de la commission d’un crime et non pas de procédures mises en œuvre contre un individu particulier, ce qui permet aux victimes de demander à participer déjà au stade de la situation.

A ce stade-là, c’est-à-dire lorsqu’aucun accusé n’a encore été formellement identifié, les juges ont adopté une approche souple de l’examen du lien de causalité. Par exemple, la Chambre préliminaire I, dans la situation en RDC, a estimé « qu’il est nécessaire d’établir qu’il y a des motifs de croire que le préjudice subi est le résultat de la commission de crimes relevant de la compétence de la Cour. Néanmoins, […] il n’est pas nécessaire que la nature exacte du lien de causalité, et l’identité de la ou les personne(s) responsable(s) de ces crimes, soient déterminées de manière plus approfondie à ce stade » (italiques ajoutés)523. De même, la Chambre préliminaire II dans une décision au sujet de la situation en Ouganda a déclaré: « [l]e juge unique s’abstiendra […] d’analyser les diverses théories de la causalité et adoptera plutôt une approche pragmatique, strictement fondée sur les faits, selon laquelle le préjudice allégué sera considéré comme « résultant de » l’évènement allégué lorsque les circonstances spatiales et temporelles entourant l’apparence du préjudice et la survenue de l’évènement semblent se chevaucher, ou à tout le moins être compatibles et non clairement contradictoires »524.

Au stade de l’affaire, par contre, l’examen du lien de causalité est plus strict, bien qu’il n’en ait pas été ainsi dans les premières décisions de la Cour.

Dans l’affaire Lubanga, la Chambre de première instance s’était prononcée sur

522 Le critère du lien de causalité provient de l’expression « du fait de » contenu à la règle 85-a RPP (par exemple, Situation en République démocratique du Congo, Décision sur les demandes de participation à la procédure de VPRS 1, VPRS 2, VPRS 3, VPRS 4, VPRS 5 et VPRS 6, Chambre préliminaire I, ICC-01/04-101, 17 janvier 2006, para. 94).

523 Ibid, para. 94. Voir également les explications de la Chambre quant au choix du critère d’examen, soit celui des « motifs de croire », aux paras. 97-100.

524 Situation en Ouganda, Décision relative aux demandes de participation des victimes a/0010/06, a/0064/06 à a/0070/06, a/0081/06 à a/0104/06 et a/0111/06 à a/0127/06, Chambre préliminaire II, ICC-02/04-101-tFRA, 10 août 2007, para. 14. Dans le même ordre d’idée : The Prosecutor v.

Laurent Gbagbo, Decision on Victims’ Participation and Victims’ Common Legal Representation at the Confirmation of Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber I,

Laurent Gbagbo, Decision on Victims’ Participation and Victims’ Common Legal Representation at the Confirmation of Charges Hearing and in the Related Proceedings, Pre-Trial Chamber I,