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2.1 NOTION DE TRANSFERT : NATURE ET USAGES

2.1.1 Définition de la notion de transfert

La notion de transfert est utilisée dans de nombreux domaines et s’avère être un terme largement polysémique. L’idée générique et fédératrice de ses différents sens est la notion de transport ou encore de passage, de mutation de déplacement ou encore de

transmission. Sans vouloir dresser une liste exhaustive des différents usages de ce

terme, il est toutefois intéressant de rendre compte de la diversité des domaines dans lesquels il est utilisé. Le transfert peut s’appliquer à des disciplines faisant appel à des notions abstraites, telles que dans les domaines de la psychanalyse (transfert de sentiments), des mathématiques (fonction de transfert), ou de l’économie (transfert de

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technologie) ou faire référence à des données plus concrètes comme dans le cas de son utilisation en finance (transfert d’argent), dans le domaine sportif (transfert de joueurs), en informatique (transfert de données ou de fichiers), en biologie (transfert de gènes) etc.

Le transfert qui, malgré ces applications diverses, ne possède qu’un seul signifiant dans la littérature francophone peut, pour contribuer à sa définition, être confronté à ses traductions dans d’autres langues, ce qui permet de mettre en évidence les acceptions distinctes en fonction des domaines de manière très claire. En allemand, par exemple, la distinction est faite entre die Umsiedelung pour le transfert de population, die

Übertragung dans le domaine juridique ou der Transfer pour le transfert de

marchandises ou dans le domaine de la psychologie. En anglais, si le terme le plus général est celui de transfer, on utilise toutefois des mots ou expressions spécifiques comme demise pour le transfert de legs, call forwarding pour le transfert d’appel ou

transference dans le domaine de la psychologie. Pour l’italien, le terme transfert est

conservé pour le domaine de la psychanalyse tandis que pour les autres champs, ce sont

trasferimento, deportazione ou cessione. En espagnol, c’est le terme transferencia qui

prédomine, de la même manière que transferência pour le portugais. Cette variété des termes dans d’autres langues permet de situer la notion de transfert dans des domaines précis, alors que la langue française a préféré garder un terme générique d’applications contextualisées.

Autant la profusion de termes différents pour un même concept, foncièrement sémantiquement analogue, que l’adoption d’un terme générique pour des applications très différenciées entretiennent une ambigüité quant au sens réel que la notion revêt. De plus, la littérature à ce sujet n’est pas unanime. De nombreuses acceptions de ce terme s’y réfèrent, sans parler des articles qui traitent de cette notion sans toutefois en utiliser le terme, comme le mentionne d’ailleurs Cronbach dès 1963, en observant que

« reasoning ability, intellectual power, mastery of the great disciplines, functional skills

in problem solving—whatever the name, the aim is transfer. » ou encore Wilbert

Mc-Keachie (1987) qui souligne que « Frequently we fail to recognize it because we hide it

under other names. », tous deux cités dans Haskell (2001).

La notion de transfert s’avère donc polysémique et évolutive. Elle n’a eu de cesse, et continue, de passer d’une discipline à une autre et de se redéfinir à l’intérieur de ces nouveaux cadres. Il est de ce fait particulièrement ardu de vouloir en donner une

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définition, si ce n’est en indiquant avec précision le champ disciplinaire dans lequel le transfert sera mentionné (psycholinguistique, sociolinguistique, didactique, didactique des langues etc.). En somme, les définitions que nous présenterons seront toutes rattachées à des domaines d’application du transfert, même si elles restent générales car le volet suivant s’attachera à une définition plus précise du terme dans le cadre de l’apprentissage.

La définition qui renvoie à la représentation la plus traditionnelle qu’on s’en fait est celle de la psychanalyse qui concerne la reproduction de sentiments à partir de situations vécues antérieurement : « Que sont les transferts? Ce sont des rééditions, des reproductions des motions et fantaisies appelées à être éveillées et rendues

conscientes »2, la projection, sur la personne du thérapeute, d’une charge d’énergie

affective et de sentiments initialement vécus. Cette projection peut être positive, mais également négative (avec éléments hostiles). Il semble que le transfert s’opère de manière passive en provoquant l’évocation d’une situation connue, l’objectif immédiat étant un travail sur le vécu dans le passé et l’objectif à long terme la gestion des réalités nouvelles.

Les opérations de transfert résultent d’une participation bien plus active du sujet dans des disciplines comme la psychologie ou la pédagogie, ainsi que le montre cette définition du Trésor de la Langue Française qui s’appuie sur une citation de Thinès, G. & Lempereur, A. (1975) et qui met l’accent sur l’ « effet facilitateur ou inhibiteur d'une activité initiale sur une activité d'acquisition subséquente : le transfert est dit positif, si l'acquisition est facilitée par l'activité préalable (...); il est dit négatif, dans le cas

inverse . » Rappelons cette dualité du concept à effet positif vs. à effet négatif, ici selon

l’incidence favorable ou défavorable d’une activité antérieure sur une activité ultérieure. Cette dualité positif / négatif est reprise dans la définition du Dictionnaire de

didactique du français (Cuq, 2003) :

« Sur un plan général, le transfert désigne l’ensemble des processus psychologiques par lesquels la mise en œuvre d’une activité dans une situation donnée sera facilitée par la maîtrise d’une autre activité similaire et acquise auparavant. Le transfert est alors qualifié de transfert positif ou facilitation proactive. Mais parfois l’acquisition de nouvelles habiletés peut être au contraire entravée par des capacités acquises antérieurement. On parle alors de transfert négatif ou inhibition proactive. En ce qui concerne les apprentissages scolaires, le transfert peut se réaliser à l’intérieur d’une seule et même

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Sigmund Freud in Fragments d'une psychanalyse d'hystérie 1905 - In Œuvres complètes tome VI 1901-1905 - Puf Paris 2006 page 254

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discipline ou au contraire lors des tâches offrant des similitudes mais appartenant à deux disciplines différentes. L’effet facilitateur observé résulterait alors de l’emploi d’une technique particulière ou d’une stratégie d’apprentissage. En conséquence, dans la pratique pédagogique, pour que l’apprentissage soit efficace, on doit s’efforcer de présenter les matières à apprendre de telle façon que le transfert puisse être à la fois intra- et

interdisciplinaire. De plus, celui-ci pourra être opérationnalisé, ce qui consiste

essentiellement à réfléchir aux stratégies et aux opérations cognitives

utilisées : il s’agit en fait d’apprendre à apprendre. »

[Cuq, J-P., 2003]

Il semble que dans le domaine éducatif, on puisse considérer, contrairement à ce qu’on a suggéré supra quand il s’est agi de cerner la notion de transfert, que les manifestations des opérations de transfert ne sont pas circonscrites à un contexte particulier mais transcendent les matières enseignées. Elles opéreraient donc à la fois au cours de l’apprentissage des contenus d’une même discipline, mais également de manière interdisciplinaire. Dans la mesure où le contexte éducatif est un entrainement permanent aux opérations cognitives d’apprentissage, il est bien probable que cet axiome soit exact.

La définition suivante a été choisie parce qu’elle relève d’une observation pratique qui est autant un constat qu’une incitation aux responsables de formation : la réutilisation par les apprenants, de stratégies cognitives de transfert plus ou moins rodées mais sans doute sous-exploitées en pédagogie :

« Le processus par lequel la structure cognitive se trouve modifiée de façon permanente consiste en l’ajout de connaissances ou de liens entre des connaissances antérieures. Il faut cependant ajouter que tout apprentissage n’implique pas nécessairement l’accessibilité ultérieure et l’utilisation pertinente des connaissances acquises : c’est là qu’intervient le transfert » [Bracke, D., 1998].

L’idée centrale ici est que l’approche de contenus nouveaux ne déclenche pas forcément la réutilisation de connaissances antérieures. Nous rejoignons l’auteur sur l’importance de l’incitation aux opérations de transfert (qui sont, à notre avis, naturelles mais souvent inexploitées) et leur optimisation pour traiter les contenus nouveaux et s’assurer de leur réactivation.

Retenons, dans cette présentation générale, mais qui aborde déjà la rubrique suivante, les attributs qui ont été attachés à la notion de transfert :

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- Dualité du concept : incidence négative quand des expériences dont le souvenir est plutôt négatif peuvent entrainer une approche négative des contenus nouveaux ou quand des contenus bien ancrés entravent, comme c’est le cas du filtre phonologique, la perception de la réalité nouvelle ; incidence positive quand des expériences dont le souvenir est plutôt positif entrainent une approche positive des contenus nouveaux ou encore servent de référence pour l’acquisition adéquate de connaissances nouvelles.

- Adaptabilité et évolution du concept en fonction de son objet, notamment en ce qui concerne l’influence d’états ou de savoirs antérieurs (simple passage, reproduction ou transformation active).

Bien qu’il ait déjà été fait mention dans cette rubrique d’acquisition et d’apprentissage, nous n’avons fait que survoler cette question à partir de définitions et de citations. Elle nécessite une rubrique à part pour mieux cerner le concept sur lequel nous avons pour objectif de nous baser, à savoir la nature des opérations de transfert dans les processus d’apprentissage et concrètement ceux de l’acquisition/apprentissage des langues.