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Décrire les formes de la médiation socio-technique et discursive

3. Décrire des médiations hétérogènes et instables

3.3. Décrire les formes de la médiation socio-technique et discursive

Étudiées dans leur contexte social et matériel, les formes de la médiation socio-technique et discursive sont appréhendées dans l’analyse fine des liens multiples entre des éléments techniques et sociaux. Des références théoriques situées en anthropologie et en sociologie des techniques, voire en histoire du livre (Eisenstein, 1991)91, m’ont amenée à envisager les supports, les techniques, les discours, les représentations sociales et les pratiques92 comme des paramètres indissociables, à étudier dans leurs rapports d’interaction au sein de la société dont ils sont issus.

Les objets techniques sont pensés dans les relations de médiation qu’ils entretiennent avec l’extérieur selon un processus de transformation-création de l’objet et de son environnement. Les travaux de M. Akrick révèlent la complexité de phénomènes d’influence réciproque93 et des relations que des éléments techniques entretiennent entre eux et avec leur environnement. La médiation implique de mettre en relation différentes entités qui peuvent s’en trouver transformées. L’analyser revient à prendre conjointement en considération des médiateurs et des opérations de la médiation pour

« redonner aux dispositifs techniques leur épaisseur et les considérer comme des médiateurs et non comme de simples instruments ». Des « formes hybrides » « reposent

sur un agencement inextricable entre certains éléments techniques et certaines formes d’organisation sociale ». Cette conception s’appuie de manière explicite sur la théorie de l’évolution des objets techniques de G. Simondon, qui les décrit comme un mélange stable d’humain, de naturel, de social et de matériel94. L’objet technique ne se limite pas à créer une médiation entre l’homme et la nature, il est un « mixte » stable d’humain et de naturel, de social et de matériel. L’environnement y est considéré comme l’un des résultats de cette activité technique et non comme un simple déterminant de cette

91 Eisenstein, 1991, op. cit.

92 Je reprends ici l’acception de la pratique proposée par J. Perriault et V. Paul, 2004, op. cit. : « les

pratiques sont des conduites finalisées, individuelles ou collectives, figées ou adaptatives, socialement situées, inscrites dans une temporalité, sous-tendues par des représentations, des savoirs, une logique et un raisonnement, marquées par une appréciation de soi et des autres, et révélatrices d’une culture qu’elles enrichissent éventuellement en retour. » (p. 13)

93 Akrich, « Les formes de la médiation technique », 1993, op. cit.

technique. Il s’agit de montrer comment se constituent conjointement des techniques et leur environnement social et naturel, ou encore comment des objets techniques sont à la fois connaissances et sens des valeurs. Le processus « d’adaptation-concrétisation » analysé par G. Simondon rend compte de l’innovation technique, dans ce qu’il considère être « le véritable progrès technique » : il réside dans « la nécessité de

l’adaptation non à un milieu défini à titre exclusif, mais à la fonction de mise en relation de deux milieux [le monde technique et le monde géographique] l’un et l’autre

en évolution, [qui] limite l’adaptation et la précise dans le sens de l’autonomie et de la

concrétisation »95.

Une approche de la médiation conçue comme une hybridation d’éléments naturels, matériels et humains se retrouve dans le domaine de la sociologie des sciences et des techniques. Au sein de réseaux socio-techniques, des « actants » (sous la forme d’entités individuelles ou collectives, d’éléments humains ou non humains), engagés dans des controverses, négocient en permanence leurs intérêts, leurs problèmes, leurs langages et leurs identités. Dans ce contexte, le terme de médiation s’entend dans deux sens. Il implique une conception de la médiation comme celle d’un intermédiaire, dans lequel l’objet technique exprime, réifie un discours social qui pourrait être exprimable par un autre médium. Selon une conception plus riche, la médiation désigne l’action des médiateurs : « le sens n’est plus simplement transporté par le médium mais constitué en

partie, déplacé, recréé, modifié, bref, traduit et trahi ». Le social a besoin d’artefacts et de dispositifs techniques pour se construire. « L’intermédiaire n’était qu’un moyen pour

une fin, alors que le médiateur devient à la fois moyen et fin ». L’artefact devient un médiateur, un acteur social, un agent, un actif qui fait partie d’un « programme d’action » composé de relations sociales, de relations de pouvoir, de lois, de morale...96. Ces artefacts sont considérés comme des « relations sociales continuées par d’autres

moyens » (ibid, p. 44-45). Il est difficile d’identifier la nature des entités (telles qu’un ordinateur, une conférence, une interaction…) suivant qu’elles se comportent comme

95 Simondon, Le mode d’existence des objets techniques, 1969, op. cit. p. 53. La concrétisation de l’objet technique fait référence à « l’organisation des sous-ensembles fonctionnels dans le fonctionnement total » (p. 34).

96 Latour B., Petites leçons en sociologie des sciences, « La clé de Berlin », Paris, Le Seuil, coll. « Points sciences », 1996 [1993], p. 43-44.

des intermédiaires, qui « véhiculent du sens et de la force sans transformation », ou comme des médiateurs, qui « transforment, traduisent, distordent, et modifient le sens

des ou les éléments qu’ils sont censés transporter », car elles sont susceptibles de changer de statut en fonction des situations97.

Dans le cadre d’une pensée de la relation, la « théorie de la traduction » de M. Callon (Callon, 1981, 1986)98 et de B. Latour fait apparaître l’association de facteurs techniques et sociaux incluant des objets et des acteurs, dans toute la diversité de leurs stratégies et de leurs discours. Les objets d’étude sont considérés sans le présupposé ontologique qui les associe à des humains ou à des non-humains. Un ensemble de pratiques qui crée, par « traductions », des mélanges de nouveaux êtres, hybrides dans leurs aspects de nature et de culture, amène à ne plus distinguer les artefacts et les sujets les uns des autres, puisqu’il s’agit, au contraire, de considérer des « tranferts, des

traductions, des déplacements, des cristallisations, beaucoup de mouvement »99. En sortant d’une approche essentialiste, des « hybrides » sont considérés comme des multiplicités qui forment chacun un réseau. Le travail de traduction (ou de médiation) consiste à envisager ensemble le monde naturel, les enjeux de société et les intérêts des acteurs, les discours afférents. La traduction fait référence à une « connexion qui

véhicule des transformations », elle est une « relation qui ne véhicule pas de causalité,

mais qui induit la coexistence de deux médiateurs ». Dans cette « sociologie des associations », « il n’y a pas de société, de domaine social ni de liens sociaux, mais il

existe des traductions entre des médiateurs susceptibles de générer des associations qui peuvent être tracées »100. Le trou de l’ozone, le réchauffement de la planète, la construction de faits scientifiques en laboratoire, la circulation automobile, jusqu’aux artefacts et modes communicationnels, sont à la fois naturels, techniques et humains,

97 Latour B., Changer de société. Refaire de la sociologie (Titre original : Re-assembling The Social. An

Introduction To Actor-Network Theory, 2005), Paris, Ed. La Découverte, 2006.

98 Callon, Michel, « Pour une sociologie des controverses technologiques », in Fundamenta Scientae, vol. 2, n° 3-4, p. 381-399, 1981. Callon, Michel, « Eléments pour une sociologie de la traduction, la domestication des coquilles St-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de St-Brieuc », 1986, op. cit.

99 Latour, Bruno, « Les vues de l’esprit », Culture technique, n° 14, Neuilly, CRCT, 1985. En ligne : [http://www.bruno-latour.fr/articles/article/18-VUES-ESPRIT.pdf]. Latour, 1993, « La clé de Berlin », p. 33-46, op. cit.

locaux et globaux. À la suite de M. Serres, B. Latour appelle ces hybrides des « quasi-objets », car ils n’occupent, ni la position d’quasi-objets, ni celle de sujets, dans une « intime

fusion par laquelle s’effacent les traces des deux composants de la nature et de la société »101. Ainsi, les machines sont-elles « chargées de sujets et de collectifs » et les objets scientifiques circulent-ils « à la fois comme sujets, objets et discours » (ibid, p. 89).

Cette pensée du processus consiste à identifier la forme et l’essence des collectifs au travers des multiples circulations de biens, de gestes, de paroles et de techniques qui sont « saisies, partagées, reprises, échangées à travers un collectif – par là défini »102. C’est « l’énonciation, ou la délégation ou l’envoi de message ou de messager » qui permettent, en restant en présence, d’exister dans une « relation à la fois collective,

réelle et discursive », parce que les réseaux sont « à la fois réels comme la nature,

narrés comme le discours, collectifs comme la société »103. Le réseau est un concept, une aide à l’abstraction, et non une chose (il ne fait pas référence à une forme constituée par un ensemble de points interconnectés). « C’est un outil qui aide à décrire quelque

chose [en l’occurrence, des « flux de traductions »], et non ce qui est décrit » : il permet de « vérifier la quantité d’énergie, de mouvement et de spécificité que nos comptes

rendus d’expérience sont parvenus à saisir ». Pour tracer un acteur-réseau, « il faut

ajouter aux nombreuses traces laissées par le fluide social, cette nouvelle source de médiateurs : le compte rendu écrit, qui va permettre ou non de rendre le social à nouveau visible »104. Les médiations sont toujours matérielles et s’incarnent dans les longues chaînes d’acteurs-réseaux qui sont des réseaux d’acteurs-réseaux (un réseau étant lui-même constitué de chaînes de traduction, chaque acteur-réseau étant aussi une multiplicité), qui convergent ou divergent. Un réseau d’acteurs est constitué par un ensemble de relations (définies comme des traductions) qui est rendu visible. Un acteur doit introduire des différences, ce n’est pas un intermédiaire qui ne fait que transporter

101 Latour B., Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, Éd. La Découverte, 1997 [1991], p. 72-73.

102 Latour B., 1985, « Les vues de l’esprit », op. cit. Latour B., 1993 « La clé de Berlin », op. cit., p. 33.

103 Latour B., Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, op.cit., 1997, p. 14-15.

des causalités. L’acteur est qualifié d’« acteur-réseau » pour « souligner à quel point

l’origine de l’action est source d’incertitude », car « l’action est toujours empruntée,

distribuée, suggérée, influencée, dominée, trahie, traduite » (ibid, p. 69). Nous sommes constitués par des médiations, qui sont, à l’instar d’un acteur-réseau, à la fois une fin, un moyen ou une cause, du fait qu’elles se trouvent prises dans des multiplicités. L’objet d’étude réside dans des « chaînes d’associations » composées d’humains et de non-humains, et plus particulièrement dans les transformations de ces chaînes d’associations dont les éléments se substituent et se transforment en permanence105. Le déroulement d’une action est constitué de connexions impliquant conjointement des humains et des non humains. Les choses n’ont de sens que lorsqu’elles sont prises en relation, et les systèmes complexes sont décrits comme des systèmes de relations. Selon cette position profondément matérialiste, les médiations sont des points de passage qui se matérialisent dans les concrétions d’actions qui les portent.

La narratologie peut également être étudiée à l’aune des conditions de production des discours et des raisons qui vont éclairer les processus par lesquels certains points de vue finissent par s’imposer au détriment d’autres. S’intéresser aux discours et à la sémiotique des textes implique de prendre également en compte la nature des choses et le contexte pragmatique et social dans lesquels elles s’inscrivent : « […] il s’agit bien de

rhétorique, de stratégie textuelle, d’écriture, de mise en scène, de sémiotique, mais d’une forme nouvelle qui embraie à la fois sur la nature des choses et sur le contexte social, sans se réduire pourtant ni à l’une ni à l’autre »106. Dans cette direction, l’étude des articles scientifiques est liée à des stratégies industrielles, la description de la domestication des microbes par Pasteur implique la connaissance de la société du XIXe siècle107. Les textes et les sémiotiques sont imbriqués à la nature des choses et au contexte social. Une telle posture constitue un point d’appui pour sortir d’une pensée des médias centrée sur leur statut socio-symbolique ou sur l’analyse des discours médiatiques. De plus, en s’interrogeant sur ce que narrer veut dire, on s’intéresse, selon

105 Latour B., 1993 « La clé de Berlin », op. cit., p. 34-35.

106 Latour B., Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, op.cit., 1997, p. 13.

107 Latour B., Les microbes. Guerre et paix, suivi de Irréductions, Paris, Ed. A.M. Métailié et Association Pandore, Paris, 1984.

une perspective performative, à la manière dont la fabrique des discours a des effets sur le réel. Cette conception de la narration établit une connexion entre des éléments sémiotiques et performatifs. Les agrégats sociaux font l’objet d’une définition performative qui les fait exister « en vertu des différentes façons dont on affirme qu’ils

existent »108, ce qui implique de faire apparaître les moyens pratiques (les « ressources ») utilisés pour délimiter des groupes. Une approche matérialiste du langage de ce type se rencontre chez des sociolinguistes et des anthropolinguistiques, des pragmaticiens, ou dans la narratique telle qu’elle est envisagée par Jean-Pierre Faye. Dans des communautés scientifiques, des énoncés font l’objet de traductions continues au sein de controverses, parfois vives, le travail de description consistant à tenter de tracer des connexions entre elles sans chercher à y répondre. Pour illustrer cette approche, B. Latour prend l’exemple de l’ouvrage de L. Boltanski et L. Thévenot « De la justification » (1991), dans lequel les auteurs analysent les six principes de justification auxquels des Français ordinaires ont recours lorsqu’ils se trouvent engagés dans des polémiques qui les amènent à se justifier.

Dans la société, l’association entre des faits, des pouvoirs et des discours, est structurelle, les différents éléments n’étant distingués que pour mener des analyses. En traversant ces frontières critiques, les réseaux ne sont ni objectifs, ni sociaux, ni « effets de discours » 109, mais bien à la fois réels, collectifs et discursifs. Selon le principe de symétrie, si l’on utilise les mêmes termes pour décrire des humains et des non humains, et, selon le principe de libre association, si l’on étudie les associations en laissant se mélanger les « genres d’êtres » qui les portent, des traductions et des transformations, considérées comme autant de médiations, vont apparaître110. Le principe d’irréduction établit qu’une association de médiateurs trace des connexions différentes de celle d’un

108 Latour B., Changer de société. Refaire de la sociologie, 2006, op. cit., p. 52.

109 Latour B., Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, 1991, op. cit., p. 14. Dans cet extrait, l’auteur fait référence à Changeux (les faits naturalisés), Bourdieu (le pouvoir sociologisé), Derrida (les effets de vérité). Tout en reconnaissant la « puissance » de chacune de ces formes de critique, le reproche réside dans l’impossibilité à les combiner.

110 Callon, Michel, « Eléments pour une sociologie de la traduction, la domestication des coquilles St-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de St-Brieuc », 1986, op. cit., commenté dans Latour B.,

ensemble d’intermédiaires qui véhiculent des causes111. L’affirmation de cette co-détermination et de cette complémentarité des éléments en interaction est indispensable pour sortir d’une pensée du grand partage et des dualismes qui s’incarnent dans des distinctions classiques, de type anthropologique, entre nature et culture. « L’universalité

du grand partage est aussi sa grande faiblesse », et ce préjugé est contrecarré par des travaux empiriques qui s’intéressent à des « pratiques simples d’inscription,

d’enregistrement, de visualisation », à une « multiplicité de petites distinctions qui sont

pour la plupart imprévues et très modestes »112. C’est ainsi que l’on peut parvenir à une anthropologie symétrique113. À cet égard, ces orientations en sociologie des sciences s’appuient sur le principe de symétrie de D. Bloor (1976), dont le programme de recherche consiste à étudier avec la même méthode, les mêmes concepts et les mêmes explications (reposant sur les mêmes types de causes), les vaincus et les vainqueurs de l’histoire des sciences, les récits mythiques et les démonstrations mathématiques. En particulier, le principe d’impartialité des constructions scientifiques (dans leurs aspects de vérité ou de fausseté, de succès ou d’échec, de rationalité ou d’irrationalité) et le principe de symétrie sont repris dans des recherches portant sur les sciences et les techniques, particulièrement dans l’univers anglo-saxon114. Dans ses travaux, M. Callon115 a étendu le principe de symétrie à toutes les médiations en mettant en œuvre un « système de symétrie généralisé », qui consiste à suivre conjointement l’attribution de propriétés non humaines et de propriétés humaines. Ces dernières sont étudiées dans le cadre d’une théorie des relations qui englobe des actants, des narrations et des variations socio-techniques.

111 Latour B., Irréductions, Paris, Ed. A.M. Métailié et Association Pandore, Paris, 1984.

112 Latour B., « Les vues de l’esprit », 1985, op. cit.

113 Latour B., Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, 1991, op. cit.

114 Briatte François, « Un stigmate épistémologique. Le relativisme dans le strong programme de David Bloor (note) », Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 12, Faut-il avoir peur du relativisme ?, ENS-Lettres et sciences humaines, mai 2007, mis en ligne le 18/04/2008. URL : [http://traces.revues.org/index225.html]. Consulté le 24/09/2008.

115 Callon, Michel, « Eléments pour une sociologie de la traduction, la domestication des coquilles St-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de St-Brieuc », 1986, op. cit.

Les critiques adressées à M. Callon et B. Latour116 portent principalement sur leur rapport relativiste à la vérité scientifique, qu’ils tendent à présenter comme étant la seule résultante de rapports de force et de capacités argumentatives. Dans leurs travaux sur la sociologie des sciences, les aspects sociaux ne sont pas distingués des aspects cognitifs, dans une indistinction entre les champs scientifiques et les autres champs sociaux. Peut-on cPeut-onsidérer les vérités scientifiques uniquement comme des produits sociaux, ou doit-on accorder une spécificité et une force particulières à ce qui peut cdoit-onstituer une « idée vraie », comme le défend P. Bourdieu117 ? De même, la spécificité des comportements humains ne peut pas être prise en compte puisque, dans les chaînes de traduction, les acteurs humains ne sont pas distingués des acteurs non humains. Enfin, dans leur objectif de « traiter de la même manière le pôle humains-société et le pôle

objets-nature », ils ont eu tendance à négliger « les apports des courants compréhensifs des

sciences sociales (dont Weber et Schütz), qui ont justement essayé de tirer les conséquences d’un double constat : 1) que se déploie à l’intérieur du pôle humains-société une activité symbolique contribuant à constituer la réalité de ce pôle et ses rapports avec le pôle objets-nature, et 2) que les sociologues se situent à l’intérieur du pôle humains-société (ils ne sont pas, de ce point de vue, à égale distance des marins-pêcheurs et des coquilles Saint-Jacques qu’ils étudient) » (p. 75). Les aspects symboliques inhérents aux groupes humains, à leur culture et à leur rapport au monde, sont absents de cette conception matérialiste de la pensée construite sur des traces.

J’ai retenu de ces travaux la posture constructiviste qui consiste à décrire et à analyser, à l’aune du principe de symétrie et de l’ethnométhodologie, des processus sociaux de construction de faits scientifiques, qu’il devient possible d’étendre à des modes de production et de circulation de savoirs dans des finalités et des contextes divers. La théorie de la traduction permet de dépasser les blocages d’une pensée sociologique influencée par les notions de système et de fonctions, pour s’engager dans la description des acteurs, appréhendés dans leur diversité, et ce à différents niveaux

116 Corcuff, Philippe, Les nouvelles sociologies. Constructions de la réalité sociale, Paris, Armand Colin, 2004 [1995], p. 68-75.

117 Bourdieu P., « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2-3, juin 1976, p. 88 et 97.

d’échelle (des individus, des groupes, des objets…), dans leurs relations d’interdépendance et dans leurs transformations au sein de « chaînes de traduction ». Selon une posture de type ethnographique, les observateurs sont placés au même niveau de compréhension et d’expertise que les acteurs du domaine qu’ils sont en train d’explorer.

Dans cette direction, les savoirs peuvent être décrits comme des flux et des processus susceptibles de changer de « statut » en fonction des temporalités, des finalités, des critères d’élaboration et d’analyse qui leur sont appliqués, des dispositifs dans lesquels