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Les débuts de la régulation des médicaments vétérinaires dans l’Europe de l’après-guerre l’Europe de l’après-guerre

INTRODUCTION DE LA PARTIE I

1. Les débuts de la régulation des médicaments vétérinaires dans l’Europe de l’après-guerre l’Europe de l’après-guerre

La littérature en sciences sociales n’étant pas très fournie quant à la régulation du médicament vétérinaire, les études consacrées à sa contrepartie humaine, tant du côté de l’histoire (Gaudillière, 2008) que de la science politique (Hauray, 2006), fournissent des points d’ancrage bienvenus, et heuristiques. En effet, la régulation des médicaments vétérinaires cherche elle aussi à répondre à la fois aux exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité sanitaire pour les patients et les consommateurs ainsi qu’aux objectifs commerciaux des firmes pharmaceutiques. Cependant, les usages de médicaments vétérinaires s’inscrivent plus délibérément dans des logiques commerciale, puisque leur utilisation s’inscrit toujours dans la recherche de la performance économique des élevages. Par conséquent, les médicaments vétérinaires sont directement liés aux enjeux des politiques agricoles. Dans un premier temps, nous revenons sur les tendances de l’évolution de la PAC depuis ses origines, afin de mieux comprendre dans quel dilemme se trouvent les décideurs européens lorsque survient le problème des hormones de croissance. Après avoir encouragé sans limites le productivisme agricole, l’Europe connaît en effet un changement de ses objectifs agricoles à la fin des années 1970. Celui-ci créée un contexte plus nuancé quant à la

69 [Entretien, expert français du JECFA (comité d’experts international sur les médicaments vétérinaires), 03 juillet 2014]

maximisation systématique des rendements, ce qui conduit à revenir sur l’utilisation massive d’hormones dans les fermes européennes.

a. Médicaments vétérinaires et productivisme agricole : la relance des filières

dans l’Europe d’après-guerre

Les années d’après-guerre concordent avec la reconstruction de la capacité de production de l’Europe, en résonance avec le Plan Marshall consenti par les États-Unis d'Amérique, et portée notamment par l’établissement d’une politique agricole commune (PAC) à partir de 1962. Dans un premier temps, les objectifs consistent à relancer l’ensemble des filières afin de parvenir à l’autosuffisance alimentaire (Bureau, 2007). Pour ce faire, l’innovation agronomique est encouragée, y compris la sélection génétique ou le recours aux « intrants » (c’est-à-dire aux produits développés par les industries agrochimiques) qui permettent d’augmenter les rendements agricoles (Muller, 1984).

L’accompagnement des exploitations par les institutions européennes a été décrit par les historiens des sciences qui, comme Nathalie Jas (2007), mettent l’accent sur la rationalisation de la production agricole telle que l’envisagent les politiques publiques Bonneuil et al. (2008) montrent ainsi que s’instaurent des relations durables entre les autorités nationales et communautaires, le monde rural et les chercheurs en agronomie, en génétique ou en chimie. En mettant en parallèle les situations européenne et nord-américaine, Gaudillière et Joly (2006) relèvent quant à eux l’enthousiasme général suscité par les innovations technologiques au sortir de la seconde guerre mondiale, dès lors qu’elles offrent la possibilité d’accéder à l’autonomie alimentaire.

La PAC, mise en place en 1962, encourage les évolutions structurales des exploitations (regroupements, monoculture, etc.) et la modernisation des infrastructures et des techniques, en reprenant une bonne part des outils agronomiques éprouvés aux États-Unis

dans les années 193070. L’emploi des anabolisants vétérinaires, à un moment où les exigences sanitaires sont peu formalisées, s’inscrit dans cette entreprise de modernisation de l’agriculture71, envisagée uniquement dans une visée de production (Butault et al., 2004). Ollivier (2013) précise que les questions sanitaires liées aux produits animaux ont, dans les premières années de la PAC, été traitées de façon distincte des orientations générales de celle-ci. Pourtant, ces deux enjeux ont entretenu des liens ambigus, en subordonnant plus ou moins la santé animale (y compris ses impacts de santé publique) à la libéralisation commerciale et au développement agricole. Institutionnellement, le développement et l’autonomisation d’une unité dédiée à la législation dans le domaine de la santé animale au sein de la DG VI72, majoritairement constituée de vétérinaires, coïncident avec la distinction plus nette entre les enjeux sanitaires et ceux des marchés agricoles. Ainsi, à la fin des années 1970 s’opère un virage dans l’orientation des politiques sanitaires sous l’influence conjointe de la dissociation des enjeux sanitaires et économiques d’une part, et de la montée en puissance des considérations éthiques liées à la production en élevage d’autre part.

b. Une attention nouvelle aux conditions sanitaires en élevage : un tournant en Europe dans les années 1970

A la fin des années 1970, la PAC a engrangé des succès spectaculaires. La production agricole a augmenté dans de telles proportions que plusieurs filières sont

70 Smith a notamment montré comment les orientations politiques de la PAC, actées par des décisions interinstitutionnelles, avait transformé les pratiques des agriculteurs dans des productions aussi emblématiques (et, apparemment, d’ancrage national) que le foie gras (Jullien et Smith, 2008) ou les vins (Smith, 2014). Voir également les aspects plus généraux liés au déploiement de la PAC dans Smith (1996).

71 Cette tendance, même si elle sert les objectifs d’augmentation de la production de la PAC de 1962, n’est pas directement dictée par les autorités gouvernementales. Elle ressort plutôt des contrats qui lient les éleveurs à des groupements de production intégrés (Lorvellec, 1998).

72 La DG VI est en charge de l’Agriculture au sein de la Commission européenne depuis le Traité de Rome de 1957.

confrontées à des problématiques de surproduction73, tandis que l’agriculture industrielle commence de susciter un certain scepticisme, notamment, dans le cas de l’élevage, via des préoccupations concernant le bien-être des animaux de production (Tosci-Maciel et Bock, 2013). Le cas français (Bonneuil, 2005) illustre d’ailleurs bien l’évolution des perceptions de l’agronomie, notamment de ses techniques modernes, par une société de plus en plus dubitative à l’égard de la recherche du « produire toujours plus ». Dans certains pays européens, on en vient à questionner les méthodes productivistes employées en agriculture, ce qui n’est pas le cas (ou en tout cas, pas dans les mêmes proportions) en Amérique du Nord (Joly, 2016). Dans cette logique, la PAC va progressivement se réorienter en soutenant les agriculteurs par des mesures de moins en moins indexées sur leurs niveaux de production.

Pour faire face aux excédents de production, qui mettent en péril la viabilité économique des exploitations, les dirigeants européens mettent en place des mécanismes de soutien aux agriculteurs reposant en partie sur des systèmes de « quotas » : chaque producteur se voit attribuer une quantité fixée (de lait, viande, etc.) qu’il est assuré de pouvoir écouler à un prix minimal, garanti par les institutions européennes qui s’engagent à acheter les produits ne trouvant pas preneur. En revanche, les agriculteurs sont pénalisés s’ils dépassent leur « quotas ». Lorsque cette politique de quotas devient effective (à partir de 198474 pour le lait, par exemple), on peut considérer que la PAC aborde un virage : de productiviste, l’agriculture devient également sociale en se dotant de nouvelles fonctionnalités. Dorénavant, on reconnait le rôle fondamental des exploitations agricoles dans la vie des territoires ruraux et leur maintenance (par exemple, l’élevage extensif permet le maintien de prairies, d’un réseau de

73 Pendant les décennies 1950 à 1970, par exemple, la production de viande bovine a augmenté annuellement de 2 à 5% selon les pays (Butault et al., 2004).

chemins praticables, etc.) L’agriculture devient alors aussi pourvoyeuse de services75 (environnementaux, sociaux, etc.)

c. Un secteur d’action publique qui se structure simultanément aux échelons

nationaux et communautaire

Lorsque l’orientation productiviste de la PAC s’infléchit, dans les années 1970, les politiques sanitaires – et en particulier celles relatives aux médicaments vétérinaires – n’en sont qu’à leurs balbutiements. De ce fait, l’élaboration réglementaire et la réflexion politique qui l’accompagne se réalisent simultanément dans les pays européens et à l’échelon communautaire.

(i) Les jalons d’une Europe de la santé animale

L’infléchissement de la PAC intervient à un moment où les politiques publiques européennes portant sur l’élevage se diversifient, que ce soit du point de vue de leurs objectifs ou de celui des mesures qui les outillent. En effet, à partir des années 1960, une approche communautaire de la santé animale a été amorcée, et les institutions européennes (la Commission, notamment) se sont dotées de services sanitaires pour le contrôle des animaux et de leurs produits76 (Ollivier, 2013). La directive 65/65/CE exige, comme pour le médicament humain, l’obtention d’une AMM pour certains médicaments vétérinaires77. Il faut cependant attendre la fin des années 1970 pour que soit introduite, au niveau européen ou au niveau national, une véritable réglementation pour les médicaments vétérinaires.

75 Règlement du Conseil 797/85/CE

76 Plus tard, ces services seront en large partie transférés à la DG SANCO (Santé et consommateurs) créée en 1999 après la crise de la vache folle (Ollivier, 2013)

77 Il s’agit par exemple des vaccins ou de tests biologiques. Pour autant, la traçabilité des médicaments vétérinaires demeure très limitée, et les contrôles (quoique rares) concluent quasiment systématiquement à la conformité des produits : de fait, la pharmacie vétérinaire est essentiellement régulée par les exigences du marché, qui encouragent l’emploi systématique et préventif d’intrants (antibiotiques, hormones) (Piet, 2004).

(ii) L’encadrement des médicaments vétérinaires en Europe : le résultat d’une régulation multiniveaux

Dans le cas de la France, la loi sur le médicament vétérinaire est adoptée le 29 mai 1975 (loi n° 75-409) : en généralisant la procédure d’AMM et en introduisant un certain nombre de catégories pour les médicaments vétérinaires (dont l’une est consacrée aux anabolisants), elle s’inscrit dans ce que Ziller (2004) qualifie d’interrégulation multiéchelon, c’est-à-dire un ensemble de réglementations et d’autres instruments qui prennent corps aux niveaux nationaux et communautaire. La régulation qui en résulte est le fruit d’anticipations croisées entre les institutions : la directive de 1981 est en effet en préparation par les services de la Commission lorsqu’est adoptée la loi française.

La loi sur la pharmacie vétérinaire de 1975 n’a pas été sensiblement modifiée par la directive de 81 pour une bonne et simple raison : les directives mettent très longtemps pour être adoptées et la loi copiait déjà le projet de directive. Ce qui fait que, si la loi a vu le jour en 75, c’est que les responsables politiques français savaient qu’une directive allait être adoptée, ils en connaissaient déjà plus ou moins la teneur et donc ils se sont pas embêtés, ils ont pris le projet du moment, en 75, et ce qui fait qu’on n’a pas eu de soucis pour notre harmonisation après, puisque notre loi reprenait déjà l’esprit pour ne pas dire presque qu’il copiait à la lettre le projet de directive.78

(iii) La loi Ceyrac : une législation impuissante contre les fraudes à l’utilisation d’hormones ?

En France, une autre loi complète ce cadre général. Il s’agit de la loi Ceyrac (loi 76-1067) du 27 novembre 1976, qui interdit l’usage des anabolisants vétérinaires, sauf pour les femelles adultes à qui ils peuvent continuer d’être administrés en vue de la maîtrise de la reproduction79. Malgré cette restriction, la plupart des animaux de production continuent de recevoir des hormones. Leur administration aux veaux de boucherie relève néanmoins désormais d’une infraction caractérisée, dont les éleveurs se justifient en arguant des préférences des consommateurs pour les viandes blanches et la recherche d’une optimisation

78[Entretien, premier directeur de l’agence française du médicament vétérinaire, 25 juillet 2014]

économique que leur imposent les contrats d’intégration par lesquels ils sont liés aux groupements de producteurs (Allaire et Dreyfus, 1983).

C’est dans ce contexte qu’intervient en France la mise à jour de fraudes de grande ampleur : on estime qu’au début des années 1980, 85% des veaux de boucherie reçoivent des anabolisants80. Ces pratiques alertent les consommateurs français pour deux raisons. Non seulement elles pourraient mettre en danger leur santé, mais surtout, elles révèlent l’existence d’une transgression massive des réglementations qui viennent alors d’être adoptées.

2. Le « veau aux hormones » en France à l’été 1980 : des pratiques

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