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Selon sa petite fille, Marie Henry est partie à Paris à sa sortie du couvent, c’est à dire dès 1877. Or, le recensement de la ville de 1881 nous dévoile qu’elle travaille comme factrice à la maison Ogliati, une pâtisserie située 3 rue de l’Isole à Quimperlé. Elle ne figure pas sur le recensement de 1876.

En 1881, la maison Ogliati abrite sous son toit le père, Joseph Ogliati (35 ans, pâtissier) né dans le Canton des Grisons en Suisse, Marie Tosio, sa conjointe, née à Concarneau (36 ans, pâtissière) Rosa, Marie-Sophie et Joseph-Henri, leurs enfants de 8, 6 et 4 ans. Dans la maison se trouve aussi les ouvrier·es : Pierre Quéau (19 ans, ouvrier pâtissier), François Laudren (17 ans, ouvrier pâtissier), Louise Eon (23 ans, domestique) et Marie Henry (22 ans, factrice). En avril 1883, Marie Tosio décède.

En 1886, Joseph Olgiati a 38 ans et exerce toujours son métier de pâtissier auprès de ses filles et son fils. Pierre Ogliati rejoint la famille, il a 19 ans et c’est le neveu de Joseph Olgiati. Dans la maison vit aussi, un homme d’origine suisse de 39 ans qui se nomme Jacques Semadeni. Il est ouvrier à

Rue de l’Isole, à gauche, la pâtisserie

d’Henri Jehanno, anciennement Olgiati, s.d.

©collection particulière

56 Ibid.

18 gage tout comme Marie Paillot âgée de 32 ans, engagée comme femme de confiance par le père pour tenir la maison et s’occuper des enfants depuis le décès de la mère des enfants, Marie Tosio ainsi que Marie Josephe Tanguy âgée de 25 ans qui est domestique et ouvrière à gage. En 1891, la famille Heliez, des horloger´e, s’installe et en 1894, Pierre et Rosa Ogliati, le neveu et la fille de Joseph Olgiati se sont mariés et ont repris la pâtisserie.

Au début du XXeme siècle, de nombreux et nombreuses suisses protestantes issus du canton des Grisons émigrent en Bretagne, les famille Ogliati, Pitty, Tosio, Bott, Semadeni notamment. Ces familles sont particulièrement présentes à Brest, Quimper, Saint Malo, Morlaix et Concarneau57. Elles sont patissier·ères, confiseur·ses ou cafetier·ères58.

Marie Henry travaille donc dans cette pâtisserie avant de s’engager à Paris, cette place de vendeuse (factrice) est probablement le premier travail qu’elle exerce, sans que nous sachions quand elle le démarre, ni quand elle termine, probablement entre 1877 et 1882, entre ses dix- huit et vingt-trois ans. La jeune femme s’est-elle engagée directement après son passage aux Ursulines ? Comment a-t-elle trouvé sa place à la maison Ogliati ?

Au regard des explications que nous livre Sabine Roch, il semble difficilement concevable que les sœurs aient aidé Marie Henry à trouver une place.

©collection particulière Portrait de Joseph Ogliati, s.d.

D’autant que cela peut se comprendre aussi par le fait que la famille Ogliati est protestante et les Ursulines sont catholiques. Nous pouvons donc favoriser l’hypothèse de l’autonomie dans cette recherche d’emploi. Quelles sont les relations que Marie Henry entretient avec son patron, sa patronne, les ouvriers de la maison et Louise Eon, la domestique, d’une année seulement son aînée ?

57 Archives départementales du Finistère : dénombrement de la population pour la ville de Quimper en 1881.

58 CARLUER Jean-Yves, Les Suisses des Grisons : aux origines de renouveau protestant dans l’ouest de la France dans « Les protestants bretons » [ consulté le 29 Février 2020 ] disponible à l’adresse :

http://protestantsbretons.fr/histoire/etudes/suisses-et-bretons-les-grisons-en-bretagne-au-xixe-siecle/#_ftn4

Publicité de la maison veuve Olgiati, Ouest éclaire, Février 1893.

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2 1880- 1891 : L’ascension

2.1 « Monter » à Paris

La révolution industrielle fait naître des innovations telles que l’ouverture de la ligne Quimperlé - Montparnasse en 1863, qui favorise la mobilité des breton·nes vers la capitale. La région parisienne constitue alors la principale destination des migrant·es breton·nes. Ces dernier·ères se concentrent particulièrement dans le quartier de la gare Montparnasse, dans l’ouest parisien, et à Saint-Denis qui, en 1886, compte « 10000 Bretons sur 50000 habitants59 ». Ces femmes et ces hommes constituent une main d’œuvre qui travaillent dans des conditions insalubres dans l’industrie, les usines mais aussi dans la prostitution ou en tant que domestique pour cette bourgeoisie qui émerge à mesure que le prolétariat s’étend. La pression démographique, l’exiguïté des exploitations, la faiblesse des revenus, le maintien de la misère sont autant de facteurs qui vont favoriser l’émigration bretonne vers Paris au milieu du XIXeme siècle60. « Monter » à Paris représente donc une certaine libération pour certain·es paysan·nes ou domestiques subissant de difficiles conditions de vie et de travail à la campagne. Paris présente alors un avantage : celui de s’émanciper loin de sa famille en gagnant mieux sa vie que dans le Finistère.

C’est ainsi qu’une provinciale montant à la capitale qui y vient afin de se placer comme domestique se trouve, selon Anne Martin-Fugier, dans l’une des trois situations suivantes :

– Elle est amenée par ses maîtres.

– Elle vient, sure de trouver à Paris famille ou relation qui l’aideront à se placer ; peut-être même a-t- elle déjà une place assurée quelque part.

– Elle est absolument seule et se retrouve sur les quais de la gare parisienne, confrontant ses illusions à la réalité de cette grande ville61.

Marie Henry se trouve probablement dans cette deuxième situation. Nous estimons qu’elle arrive à Paris vers 1882. Cette même année, le krach boursier fait congédier une grande partie des domestiques que les bourgeois·es ne peuvent plus payer62.Ce n’est par conséquent probablement pas parmi ces bourgeois·es que la jeune femme se place, mais dans une maison plus importante, « elle n’est pas partie

59 BOUGEARD Christian., « Émigration », in Cassard J.-C., Croix A., Le Quéau J.-R. et Veillard J.-Y. (dir.), Dictionnaire d’histoire de Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2008, p. 253-254.

60 ELEGOET Louis et Cloître M.-T., « Les circonstances socio-économiques de l’émigration bretonne aux XIXe et XXe siècles », Lesneven, musée du Léon, 1999.

61 MARTIN-FUGIER Anne. La place des bonnes : La domesticité féminine en 1900. Paris, Grasset, 1979, p.41.

62 Ibid p.71.

20 comme bonne, mais comme lingère brodeuse, chez un grand couturier dont je n’ai jamais su le nom.63» raconte Sabine Roch.

Elle n’éprouve pas la difficulté de la langue, puisque la jeune femme apprend le français au couvent des Ursulines. C’est par les sœurs qu’elle acquiert aussi un solide savoir-faire dans les travaux de couture, de lingerie et de broderie. De solides atouts qui ont pu l’aider à trouver cette place, que nous imaginons précieuse : être placée comme bonne ou femme de chambre ne requiert pas de savoir-faire, tandis que la place de lingère brodeuse nécessite des compétences spécifiques, pour un salaire plus élevé64. Dans la domesticité, la place de la lingère est donc particulière, c’est un poste à responsabilité car c’est à elle que revient la gestion du stock de linge, (nappes, literie, serviettes, habits des maitre·esses), qui veille à sa propreté constante et effectue des retouches. Il apparaît donc probable que Mari Henry soit recommandée par quelqu’un·e : elle sait dans quelle maison elle allait être engagée avant son départ. Mais alors, comment la jeune femme trouve-t-elle cette place ? Peut-être que la famille Ogliati ou un·e des client·es de la pâtisserie – à qui Marie Henry avait quotidiennement affaire – s’en est chargé·e ? La seule archive qui mentionne ce passage à Paris évoque « une grande maison dont on ne sait rien, sinon qu’elle était pleine de domestiques, dont plusieurs Noirs. » 65 Nous espérons donc obtenir davantage d’informations à l’observation du recensement de la ville de Paris en 188666 afin de retrouver la trace de la jeune femme, le nom de cette maison, et si elle occupait effectivement la place de lingère brodeuse.

Durant l’été 1886, la jeune femme revient de Paris et procède à l’achat d’un premier terrain rue des Grands Sables au Pouldu. Un terrain de 66m² qu’elle achète 350 francs, payé comptant. Elle retourne travailler à Paris et durant l’été suivant, elle achète un second terrain, contigu au précédent, de 22m² pour la somme de 110 francs, payé comptant. 460 francs sont déboursés par la jeune femme pour le seul achat des terrains, nous supposons qu’une autre forte somme d’argent est ensuite nécessaire pour la construction de la bâtisse. Nous pouvons donc observer d’une part, les importantes économies qu’on pu réaliser la jeune femme, et d’autre part son aisance à pouvoir repartir après l’été pour travailler, sa place semble être bien gardée. Est-ce donc la même place qu’elle occupe depuis son arrivée ?

En ce qui concerne ses gages, les chiffres indiqués par la Statistique de la France nous fournit l’ordre de grandeur des gages pour ce métier à Paris par rapport aux autres villes, des domestiques femmes, par rapport aux domestiques hommes, en 1880. C’est ainsi que les domestiques gagnent entre

63 Enregistrements de Sabine Roch, archives de la Maison Musée du Pouldu.

64 MARTIN-FUGIER Anne. La place des bonnes : La domesticité féminine en 1900. Paris, Grasset, 1979, p.79.

65 Article du Dr. René Guyot et de M. Albert Lafay, Ouest France, 20 Aout 1963.

66 Les recensements ont lieu tous les cinq ans. Sur celui de 1881, Marie Henry est à Quimperlé, sur celui de 1891, elle est installée aux Grands Sables au Pouldu.

21 45 et 65 % de plus que dans une ville de province et un domestique gagne 20 à 30 % de plus qu’une domestique. Les gages « ordinaires » d’une domestique à Paris vers 1880 sont donc, si nous les exprimons en chiffres mensuels, d’un peu plus de 40 francs en moyenne67.

En prenant en compte ces données, c’est donc une somme considérable qu’économise Marie Henry dans ses années de travail à Paris. Comment est traitée Marie Henry dans cette maison ? La jeune femme a-t-elle vu ses gages augmenter de par son ancienneté dans la maison de ce couturier ?

Un événement perturbe cependant cette dernière supposition. En effet, durant l’été 1888, Marie Henry tombe enceinte. Selon Sabine Roch, « Léa était le fruit d’un grand amour, ça a été le grand amour de ma grand-mère, elle fréquentait un jeune homme de très bonne famille parait-il et les parents n’ont pas voulu du mariage car ma grand-mère sortait d’un orphelinat. » Elle ajoute « Ça s’est passé en Bretagne. Il était d’une famille du côté de Quimper.

Je ne sais pas comment ma grand-mère l’avait connu. » 68 À quel moment Marie Henry rencontre-t-elle cet amant, ce jeune homme issu d’un milieu bourgeois à Quimper, père de sa première fille ? Si les amants ne se sont pas rencontrés à Paris, quel est le contexte de leur rencontre en Bretagne ? Y-a-t-il a un lien à faire entre la famille Ogliati, pour laquelle Marie Henry travaille durant un temps et qui retourne à Quimper69, dont elle est originaire avant de s’installer à Quimperlé ? Quand est-ce que la jeune femme quitte Paris ? À quel moment l’idée d’ouvrir une auberge au Pouldu a-t-elle émergée ? L’achat du premier terrain en 1886 témoigne en tous les cas d’une idée qui mûrit à Paris : celle de revenir en Bretagne et d’y monter son affaire. Quels sont les facteurs qui nourrissent ce désir ? Est-ce pour des raisons professionnelles, sentimentales, ou les deux à la fois ? Dès l’été 1887, au moment de l’achat de son deuxième terrain, Marie Henry s’installe probablement au Pouldu. Cet amant, a-t-il une part de responsabilité dans le financement des terrains ou de la construction ? La question se pose au regard des importantes sommes que représente l’achat des terrains et de la maison, dont elle est l’unique propriétaire.

67 Le placement des employés, ouvriers et domestiques en France, son histoire. Son état actuel. Office du travail. Paris. 1893.

68 Enregistrements de Sabine Roch, archives de la Maison Musée du Pouldu.

69 Cf. Recensement de l’année 1886 pour la ville de Quimper, archives départementales du Finistère.

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