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D’où viendrait cette confiance ? Laissez le temps au temps…

VI. REGARDS ENSEIGNANTS

4. Cycle moyen

Comme les quartiers “dits difficiles” me plaisent, je voulais avoir l’avis d’un enseignant avec beaucoup d’expérience et ayant travaillé dans ces conditions.

C’est pourquoi j’ai choisi d’interroger un enseignant que je connaissais par le biais d’un stage.

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Dans son récit, il parle beaucoup de la relation famille/école dans les quartiers en REP (réseau d’enseignement prioritaire). Ceci est à mon avis la plus grande différence jusqu’alors car « tu n’as pas l’appui des parents en REP, tu dois gérer, trouver des stratégies où les parents ne s’impliquent pas trop. » (Entretien C.). Malgré tout, cet enseignant tente de comprendre cette distance parentale et la maladie hyperactive. En effet, un parallèle peut se tisser entre cet entretien et l’entretien B. La société, selon ces deux enseignants, favoriserait les troubles hyperactifs. « C’est toujours des enfants qui avaient des ruptures dans leur parcours :- (…) que ce soit des ruptures familiales ou des ruptures culturelles. C’est des enfants qui ont dû quitter leur pays. (…) Ils étaient soit réfugiés de la guerre, (…) ou alors, les parents étaient diplomates et les enfants devaient les suivre et changer tous les trois, quatre ans d’école. Alors finalement, l’hyperactivité je la relativise aussi beaucoup par rapport au parcours de chaque enfant » (Entretien C.).

Par ces quelques lignes, nous nous rendons bien compte de la difficulté de faire la part des choses entre la maladie hyperactive et l’hyperactivité et/ou le déficit d’attention inhérent au parcours parfois chaotique de certains élèves.

Retrouvons-nous cette relativisation de la maladie hyperactive chez le deuxième enseignant du cycle moyen et la relativise-t-il selon les mêmes critères ?

Je dois avouer que j’ai été choquée par ses dires. Effectivement, il relativise cette affection, mais si j’ai compris ce qu’il m’a dit, cet enseignant regarde surtout les capacités intellectuelles des élèves. Comme si l’hyperactivité rimait pour lui avec une sorte de déficience. Capacités scolaires riment avec normalité du contrat pédagogique implicite et cela me gêne fortement. A aucun moment de l’entretien, il a révélé une potentialité quelconque de ces enfants ; ni la curiosité, ni l’intelligence (qu’il a l’air d’ignorer). Il ne rechercherait des “causes” d’échec scolaire que dans les agissements de l’élève et non pas dans la compréhension

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de ces difficultés. Pourtant « les causes de ses errements (l’élève) doivent être recherchées dans son histoire qui, seule peut expliquer le rapport particulier qu’il entretient avec son propre savoir » (Cyrulnik, 2007, p.42).

J’explique mon point de vue par une de ses citations qui personnellement m’a

“retourné les tripes” : « Mais il faut relativiser. Il faut aussi accepter de ne pas toujours vouloir la performance. Je pense qu’avec une bonne pédagogie et une bonne préparation didactique, on arrive très bien à gérer ces enfants. » (Entretien D.). L’enseignement est-il une gestion ? Qu’est-ce qu’une bonne pédagogie et une bonne préparation didactique ? J’ai l’impression très frustrante que cet enseignant se surestime. Il sait, il est professionnel !

Toutefois, dans les métiers de l’humain, peut-on vraiment SAVOIR ? Je ne le crois pas. La caractéristique fondamentale de ce type de métier n’est-elle pas justement l’individu ? L’école ne devrait-elle pas savoir s’adapter aux besoins personnels des élèves en les intégrant au sein d’un groupe classe ? D’ailleurs,

« notre difficulté à comprendre cette efficacité pédagogique vient de ce qu’elle s’adresse à la fois uniformément à la totalité du groupe classe et personnellement, avec un impact variable, à chacun des individus qui le constituent » (Cyrulnik, 2007, p.42)

D’après cet enseignant toujours, quelle est la bonne façon de gérer l’hyperactivité en classe, quels sont ces trucs et astuces afin de permettre à ces élèves d’apprendre ? J’ai beau lire et relire cet entretien, les aménagements effectués sont difficiles à repérer ! Toutefois, j’en ai relevé deux :

Premièrement : « se poser des objectifs en fonction des capacités des élèves. » (Entretien D.).

Deuxièmement : « être dans des classes en duo. » (Entretien D.).

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À mon sens, ce n’est pas franchement des aménagements. Il propose bien de permettre à l’élève d’utiliser des mémos sur son bureau afin de lui donner un repère dans le déroulement de son travail, mais il insiste surtout sur la capacité de l’enseignant à baisser ses exigences de travail (soin, erreurs, etc.). Ce qui m’a le plus marquée c’est son idée de mettre ces enfants qui souffrent déjà dans leur âme et leur corps en duo :- ce serait, paraît-il plus facile à gérer, « deux jours par semaine, on peut supporter un enfant un peu agité alors que tous les jours, c’est plus difficile. » (Entretien D.).

Où est la compréhension du syndrome ? Comment ces enfants peuvent-ils

“apprivoiser” leur maladie si on ne fait que baisser les exigences et se partager la difficulté ? Alors que l’on sait, certaines études le prouvent, que « les enfants hyperactifs, mal adaptés aux règles scolaires prennent des trajectoires de mauvaise socialisation, tandis que, lorsqu’ils se calment après l’adolescence, ils peuvent devenir de bons étudiants (quand ils n’ont pas été éliminés par leurs comportements antisociaux). ». (Cyrulnik, 2007, p.9).

Je suis déçue de cet entretien et triste de savoir que cet enseignant ait agi de la sorte avec ses élèves. Combien auraient peut-être mieux pu se réaliser dans la société s’il avait su et voulu s’investir de façon plus constructive avec l’élève.

C’est non seulement sa priorité d’enseignant mais également une injonction de l’Etat. « L’enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun d’aider chaque élève à développer de manière équilibrée sa personnalité, sa créativité ainsi que ses aptitudes intellectuelles, manuelles, physiques et artistiques ; de donner à chaque élève le moyen d’acquérir les meilleures connaissances dans la perspective de ses activités futures et de chercher à susciter chez lui le désir permanent d’apprendre et de se former ; et de tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves dès les premiers degrés de l’école ; (…) » (LIP).

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Je me demande d’où vient la vision du trouble de cet enseignant. Comment l’interprète-t-il pour en arriver, selon moi, à ces extrêmes. J’ai pu remarquer également cette méfiance du médicament tout comme dans l’entretien B. « C’est quand même des amphétamines et c’est mieux de ne pas en prendre. ».

(Entretien D.). D’ailleurs lors d’un entretien en tout cas, il a « dit aux parents qu’il n’était pas d’accord avec la Ritaline et il a téléphoné au pédiatre pour lui dire que ce n’était pas nécessaire. » (Entretien D.). Nous retrouvons à nouveau cette ambivalence face au traitement chimique, assimilé à une sorte de drogue pour cet enseignant.

Dans ce cas, je me pose la question de la qualité de la collaboration entre la famille, l’école et le thérapeute et de la manière qu’adopte cet enseignant afin d’avoir la confiance de tout le monde. J’oserais dire qu’avec une attitude aussi fermée et un point de vue si rigide, la relation « n’est pas toujours facile. Il faut d’abord faire admettre aux parents et qu’ils aillent consulter. » (Entretien D.).

Cela tombe sous le sens ! Comment collaborer lorsqu’il y a une sorte d’ingérence dans le monde médical de la part d’un enseignant qui se permet de contredire le traitement proposé et accepté par l’élève et sa famille ?

Dans l’entretien C, l’optique est totalement opposée. Il le dit d’ailleurs : « je suis un fervent défenseur entre les deux mondes. » (Entretien C.). Il estime de son devoir d’être attentif si un problème se présente et de faire intervenir, à ce moment-là, le monde médical à l’école.

Le premier enseignant de ce cycle a-t-il la même logique sur les difficultés des élèves ? Comment s’y prend-il afin de créer cette relation de confiance entre les thérapeutes, la famille et l’école ?

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Premièrement, sa position de parent lui permet une “décentration” par rapport aux apprentissages. Il arrive à comprendre le stress que peut générer l’école, l’ayant vécu, l’ayant incorporé avec ses propres enfants : « on se rend compte que l’angoisse est générée par l’école. L’école génère énormément d’angoisse chez les enfants (…).Le fait de se rendre compte, à travers ses enfants ou des enfants de sa famille, que l’école peut perturber des enfants, en instaurant ensuite un système qui est une référence en quelque sorte, qui est un cadre pour chacun, ça rassure énormément les enfants angoissés. (…) Mais c’est la même chose pour les adultes. (…) Si on forme des adultes, c’est exactement la même chose. Sur dix adultes qui viennent dans un de tes cours, tu en as toujours deux qui sont angoissés. Puis, tu te rends compte finalement, qu’en mettant en place un cadre, en expliquant les choses, ça temporise et tempère énormément. ».

(Entretien C.).

Une partie de son aménagement vient de la structure qu’il met en place en début d’année. Il a « un système, toujours au début de l’année, qui est très cadrant, qui est très rassurant mais qui est très exigeant avec les comportements, les attitudes, et les exigences quant au travail. Ça se met en place gentiment. Il n’y a pas de violence pour que ça arrive. Ça prendra le temps qu’il faut. (…) Pour des enfants qui sont peut-être hyperactifs, quand ils ont un cadre comme ça, qui revient, qui n’est pas nécessairement contraignant, mais qui peut être rassurant, dans certains cas ça permet d’apaiser pas mal d’enfants, et puis de travailler quand même avec eux. ». (Entretien C.).

Comme nous pouvons le constater, ce cadre est une façon de faire, un style comme le dirait Yves Clot, au sens où cet enseignant “renorme” le travail pour vaincre le réel43. Ce style est d’ailleurs efficace selon lui, aussi bien pour l’élève

43Tiré du cours de G. Jobert : Approches sociologique et psychodynamique des situations de travail, année académique 2007-2008.

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en difficulté, quel que soit le handicap, que pour l’adulte. Il a transposé son savoir incorporé à d’autres lieux de formation. La globalité de l’enfant est prise en compte dans son discours : l’école, ce n’est pas la vraie vie. Il faut voir l’enfant dans plusieurs situations différentes. Ceci est également vrai pour les enseignants : il faut se former tout au long de sa vie et sortir de son aquarium de pédagogie parce que « les vraies valeurs de la société, ce n’est pas celle de l’école. ». (Entretien C.)

Pour terminer la présentation des pistes d’action de cet enseignant, une d’entre elles me paraît également porteuse pour la compréhension de la logique d’apprentissage de l’élève. Il s’agit de son investissement dans les études surveillées : « parce qu’au fait, ça permet de suivre les difficultés de tes élèves et d’adapter ton enseignement. Tu te rends compte que ce que tu croyais être simple, est finalement compliqué pour beaucoup d’entre eux et vice-versa. ».

(Entretien C.). On peut dire qu’il fait les devoirs (la corvée des mamans en général) mais en restant dans un contexte très structuré.

Cette double casquette l’amène à construire ses entretiens avec les parents d’élève en difficulté de manière à comprendre la globalité de l’enfant/élève et les constances de ces difficultés dans ses deux lieux de vie. « Je les (les parents) fais parler par exemple sur des consignes qu’ils ont données à leur enfant :- comment ça se passe ? Est-ce qu’il les respecte ? S’ils arrivent à se faire obéir.

Comment l’enfant se comporte en société, dans un magasin, chez des amis, en famille ? Puis, à partir de ce que les parents disent, si on a une bonne relation, une relation basée sur la confiance, je peux introduire ensuite des éléments en disant :- moi, j’ai les mêmes problèmes à l’école. Des problèmes relationnels, des problèmes de mémoire où l’enfant ne retient pas. À partir de ça, on pose un constat. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?(…) Donc c’est là qu’on va se tourner vers le monde médical. ». (Entretien C.) Ce qui permet ensuite de « tourner à

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quatre et plus à trois, » (entretien C.) ce qui veut dire que l’enfant garde toujours une place dans la relation. Il reste élève de, fils de et patient de. Cette façon de mettre en correspondance les difficultés de l’école avec celles rencontrées à la maison, se retrouve également dans la manière d’entrer en relation avec les parents dans l’entretien A.

Sa façon aussi de passer avant tout par le pédiatre et non pas le Service Médico-Pédagogique me plaît. Sur ce point, les deux enseignants de ce cycle sont d’accord sur le fait de passer en priorité par le pédiatre mais pas pour les mêmes motifs.

Pour celui travaillant en REP, il a toujours « préféré passer par le pédiatre de l’enfant. (…) Pour les parents, c’est beaucoup plus facile d’aller vers lui. C’est quand même le médecin de famille, il a suivi le gamin, il y a une relation. Alors que de s’ouvrir auprès d’un psy avec tout ce que ça veut dire, ou du SMP, que les gens ne connaissent pas, c’est plus difficile. De plus, à travers les pédiatres, j’ai toujours eu de bons résultats. Pas toujours réussis, mais c’était de meilleurs résultats qu’à travers le SMP. ». (Entretien C.). Il travaille en tant que partenaire. Alors que l’autre enseignant n’envoie pas au Service Médico-Pédagogique plus par conviction personnelle « parce qu’ils (les thérapeutes du SMP) sont trop psychanalytiques et c’est long. C’est difficile d’être en contact, on ne peut jamais les joindre. Avec les pédiatres, je téléphone pour me tenir au courant ou par l’intermédiaire des parents. ». (Entretien D.).

Pour terminer ce chapitre au cycle moyen, j’aimerais revenir sur la question suivante : Est-ce le même travail dans les deux cycles ? En me fondant sur l’entretien C, nous apprenons que le métier d’enseignant est commun aux deux mais que le travail y diffère. Le signalement ou le dépistage de ces élèves en difficultés « c’est tout le travail des enseignantes de la division élémentaire. On

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ne se rend pas compte, en division moyenne, tout le travail qu’elles ont justement pour filtrer. ». (Entretien C.).

En division spécialisée, le métier est-il aussi différent, le rapport aux parents et aux thérapeutes diverge-t-il aussi ?