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D’où viendrait cette confiance ? Laissez le temps au temps…

VI. REGARDS ENSEIGNANTS

3. Cycle élémentaire

Les deux enseignantes rencontrées de ce cycle agissent de façon très différente.

Une d’entre elle croit à cette maladie médicalement prouvée, bien que l’ensemble de la communauté médicale n’adhère pas à cette vision du trouble, comme déjà dit précédemment. Elle s’investit beaucoup dans la problématique de l’hyperactivité. On sent que cela la touche et certainement plus qu’elle ne le laisse transparaître dans son récit bien qu’elle dise « (…) en fait pour moi, c’était, j’allais dire…le début de ma CONVICTION que plus jamais je ne laisserai passer un enfant hyperactif. » (Entretien A.).

En voyant cette enseignante, je me suis même demandée si elle n’aurait pas quelques points d’hyperactivités. En effet, elle parle beaucoup, vite et de façon un peu brouillon mais s’en rend compte car relativement tôt dans l’entretien, elle

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s’arrête pour me demander si ces explications sont cohérentes, « ça va aller ? J’ai l’impression que ça navigue dans tous les coins. » (Entretien A.)

J’avais l’impression qu’elle avait vécu ce parcours dans sa chair, comme si elle parlait de ses propres enfants. Pour confirmer cette hypothèse de travail incorporé, Guy Jobert nous informe que « l’intelligence corporelle apparaît comme la condition nécessaire de l’atteinte du résultat dans la mesure où c’est dans le corps du sujet que s’enracinent, de manière indissociable, les dimensions sensorielles, émotionnelles et cognitives de la personne » (Jobert, 2004 p.355).

Pour être efficace avec des enfants mal adaptés à la vie scolaire, faudrait-il l’avoir déjà vécu d’une façon ou d’une autre ? Que ce soit par notre propre parcours scolaire ou par notre histoire de vie ?

A ce stade de mon analyse, je pense utile de comparer cette théorie du travail incorporé avec la deuxième enseignante du cycle élémentaire. Pense-t-elle également qu’il faille vivre la problématique pour la comprendre ? De ce point de vue, elle est assez claire. Pour arriver à dépister les élèves en difficultés plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Il y a certes la formation de base mais surtout l’expérience du métier et sa propre vie, son propre être. Elle les nomme en ces termes : « Je pense qu’il y a les années d’expériences, (…) et ce qu’on est nous-mêmes. La sensibilité qu’on a. Le bagage avec lequel on arrive, la vie qu’on a eue :- nos enfants, la relation qu’on a eue avec nos parents. Enfin tout ce avec quoi on arrive :- on est nous. Ce qui fait que vous allez peut-être avoir une sensibilité particulière pour certains enfants :- ça va bien marcher avec certains. Ça ne va peut-être pas bien marcher avec d’autres parce que, justement, vous avez un vécu ou des choses particulières qui font que des enfants vont vous hérisser plus que d’autres. » (Entretien B.) Cette citation module un peu l’incorporation du travail, du métier. Non seulement la rencontre avec la

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difficulté d’un enfant nous permet de la ressentir, d’aider l’élève à se construire mais notre sensibilité et nos émotions jouent également un rôle. Personne ne réagit de façon identique au même “problème”.

J’ai d’ailleurs pu remarquer que la sensibilité de ces deux enseignantes n’était pas du tout la même. La première est convaincue de l’hyperactivité et se donne les moyens de la “combattre” alors que pour la deuxième, sa sensibilité la pousse plus facilement à s’interroger sur les difficultés de langage des élèves, car le savoir passe par le langage « déjà le langage, c’est le principal.

(…)Parfois, même dans leur langue, ce n’était pas super. Un enfant qui parle bien dans sa langue, et bien très vite, il apprend le français. » (Entretien B.).

Elle confirme ce regard en annonçant qu’elle a « beaucoup de peine à adhérer à, comment dire, cette médicalisation des enfants. (…) Ça venait des Etats-Unis.

(…) Donner ces médicaments aux enfants, ça me semblait un truc…Je ne peux pas rentrer là-dedans. » (Entretien B.). La difficulté de cette enseignante à oser prononcer le nom du médicament fréquemment utilisé dans les problèmes d’hyperactivité et du déficit d’attention montre bien la difficulté justement, à faire la part des choses entre l’enfant avec des limites parentales déficientes quant à l’éducation et le souci de l’enfant atteint d’une maladie.

Dans l’entretien A., l’enseignante estime que l’hyperactivité est une difficulté de l’enfant à se concentrer au même titre que l’enfant peut avoir des difficultés oculaires. « Je crois, en tout cas pour ces enfants hyperactifs, on les appelle hyperactifs déficient de d’attention je crois, il faut maintenant se dire que c’est comme des enfants qui ont un problème de vue :- on leurs donne des lunettes.

Problème auditif :- on met un appareil. Et puis, problème de concentration, mais réel :- » (entretien A.) on donne la substance. Pour l’autre enseignante, les

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pistes d’action sont plutôt à chercher dans des méthodes plus douces, plus naturelles comme l’alimentation ou dans le niveau social de la famille.

Selon cette dernière, le fait de l’évolution de la société a fait apparaître plus de cas d’enfants hyperactifs. Par son parcours de vie et sa sensibilité, il lui est plus difficile d’admettre que des enfants soient “malades” d’hyperactivité et non seulement stressés par l’environnement et un manque éducatif. Je reviendrai dans les chapitres suivants sur cette problématique du médicament qui ne fait pas l’unanimité : - enseignants, thérapeutes et parents se posent beaucoup de questions à ce sujet.

J’avais l’impression que pour cette enseignante, hyperactivité et pauvreté rimaient, comme si l’hyperactivité était une conséquence de la vie sociale et de la “perte” de la mère au foyer. D’ailleurs, tout au long de cet entretien, le social était souvent une référence.

Pour revenir à la problématique du social, dans l’entretien A., bien que l’enseignante ne nie absolument pas les causes externes de déficit d’attention, elle part du principe que l’individu, l’enfant, a une maladie et par conséquent que des “choses” peuvent se mettre en place pour éviter l’échec. Dans sa façon d’entrevoir la situation, ce n’est pas, dans ce cas précis d’enfant diagnostiqué hyperactif, uniquement le collectif qui crée la maladie mais l’individu lui-même qui souffre de ce trouble. Il faut “jouer” sur les deux tableaux pour permettre la réussite scolaire.

Elle prend en compte et compatit à la douleur vive des parents vivants avec un enfant réellement atteint d’hyperactivité. En effet, « c’est des familles qui sont rejetées en bloc parce que les gens ne comprennent pas comment il est possible d’élever un enfant pareillement (…) En fait, c’est toute la famille qui est

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étiquetée de mauvais parents. » (Entretien A.). Cette enseignante travaille avec les parents, parfois de façon un peu dure comme elle le dit elle-même afin de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas forcément de mauvais parents mais que l’enfant/élève lui-même a besoin d’un soutien particulier. Elle tente de favoriser le processus de deuil de l’enfant parfait tout en démontrant les capacités réelles et souvent importantes de l’enfant/élève en faisant des corrélations entre l’école et la maison. Car un « mélange d’incompréhension et d’échec stigmatise toujours les points faibles d’un enfant, et en aggrave l’impact » (Revol, 2006, p.23). Elle maintient que le parcours d’échec de l’enfant est à rompre afin de permettre à l’élève de reprendre confiance en ses capacités. Elle affirme également que ce parcours chaotique PEUT redevenir “normal” si tous les acteurs de l’éducation travaillent ensemble : « on était toujours en réseau avec l’infirmière, la pédiatre, le service santé jeunesse, moi, la maman,… la psy bien entendu pour regarder un peu l’évolution de cet enfant. » (Entretien A.). Olivier Revol, a d’ailleurs consacré un livre entier à cette problématique de l’échec scolaire dans son ouvrage intitulé « Même pas grave ! L’échec scolaire, ça se soigne ».

La deuxième enseignante a du mal à adhérer à la médicalisation, ce qui me fait penser que pour elle l’hyperactivité médicalement prouvée n’existe peut-être pas ou peu mais que c’est plutôt un problème sociétal qui vient des Etats-Unis.

Cependant, elle estime que tout enfant mérite l’aide appropriée à ses problèmes et que pour ce faire, l’équipe éducative, c’est à dire les thérapeutes et les enseignants, doit se mobiliser et avoir confiance dans le professionnalisme de chacun.

Je ressens dans cet entretien la forte volonté de bien faire, « c’est pour AIDER l’enfant, ce n’est pas pour l’enfoncer. ». (Entretien B.). Mais sa frustration d’accepter la temporalité différente des parents dans la conception qu’ils ont des

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difficultés de leur enfant me semble un peu excessive. Il en est comme si son métier l’autorisait à un certain jugement de valeur quant à la problématique de l’enfant par le simple fait qu’ « on est des professionnels (…) Il y a des parents qui ont beaucoup de peine à accepter ça. (…) Dès que le parent est d’accord et accepte qu’il y ait un problème, ça change tout. C’est tellement dommage quand ils ne sont pas d’accord. ». (Entretien B.).

Par contre, quand le parent prend l’initiative d’un test à l’aveugle avec l’accord du thérapeute afin que la professionnelle observe l’enfant-élève avec toujours le même regard, elle a l’impression d’une perte de confiance de la part des parents.

Bien qu’elle parle beaucoup de collaboration et de pistes, les réactions des parents d’élève lui paraissent, me semble-t-il, souvent inadéquates. Soit ils ne croient pas aux dires de la maîtresse, qui est professionnelle et « que les parents comprennent que ce que je fais…c’est POUR L’ENFANT, ce n’est PAS pour l’embêter. » (Entretien B.) Soit ils essaient avec l’accord du thérapeute un traitement chimique et se heurtent à la sensibilité de cette professionnelle qui se sent trahie par « la maman qui ne voulait pas vraiment me le cacher mais en même temps oui. Et puis, c’était un petit peu dommage parce que ça a empiété un peu sur la confiance. ». (Entretien B.).

Je trouve cette attitude dommageable pour l’enfant/élève et la relation qu’elle dit vouloir construire avec la famille et les thérapeutes. En effet, les parents savent pertinemment que les enseignants sont des professionnels même s’ils ne sont pas forcément en accord avec les nouvelles méthodologies et autres pédagogies.

Mais quoi qu’il en soit, ils n’ont malgré tout pas le choix ni de l’école ni de l’enseignant, l’école privée coûtant trop cher pour bien des familles. Par contre, ils peuvent choisir quel thérapeute suivra leur enfant. Cette enseignante estime que la confiance entre elle et les parents devrait être innée uniquement parce qu’elle a été formée pour enseigner !

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Selon moi, la confiance doit aller dans les deux sens : aussi bien de l’enseignant vers la famille que de la famille vers l’enseignant. Il me semble que même si certains parents sont plus difficiles à “gérer” que d’autres, de fait ils donnent tous, bien que tacitement, leur confiance à l’enseignant par l’injonction de l’école obligatoire et l’imposition de “la maîtresse” à la famille.

Dans mon parcours de maman, j’ai dû donner cette confiance à plus d’une dizaine de professionnels de l’enseignement et je peux assurer que certaines années, il a bien fallu que malgré toutes mes craintes sur les capacités effectives de certains enseignants, je leur fasse confiance. Pour la petite histoire, certaines de mes angoisses s’avéraient fondées car même le Département de l’Instruction Publique s’est vu forcé de prendre congé d’un titulaire de classe et ceci non pas pour restructuration !

Une de mes interrogations porte sur le métier. Est-ce le même travail dans tous les cycles et les deux divisions ? Pour éclairer ma pensée, je vous propose de nous immerger dans la parole des deux enseignants du cycle moyen avant de passer à celle de l’enseignant de la division spécialisée.