1.2 Laser à cavité non–dégénérée et modes transverses d’ordre unique
1.2.3 Quelques curiosités
Nous venons de présenter certains opérateurs permettant de construire les faisceaux invariants
de forme par propagation appartenant aux familles de modes les plus usuelles, à savoir les modes
Hermite, Laguerre et Ince–Gauss. Nous pressentons bien qu’il existe énormément de manières
de construire de nouveaux opérateurs permettant de construire de nouvelles familles de modes
invariants de forme par propagation totalement exotiques. Dans cette section, nous souhaitons
tout d’abord revenir sur la difficulté que nous avons eu dans la partie précédente pour construire
des modes Ince–Gauss contenant à la fois des lignes nodales elliptiques et hyperboliques. Nous
allons discuter d’un critère numérique permettant d’associer une valeur du paramètre β à une
valeur de γ de manière univoque afin de retrouver les modes Ince–Gauss que nous souhaitons.
Par la même occasion, nous montrerons qu’un choix arbitraire de β et γ peut conduire à des
formes de lignes nodales tout à fait inattendues. Nous présenterons également quelques modes
étranges invariants de forme par propagation ayant été observés récemment, que l’on ne peut
absolument pas classer parmi les familles de modes connues.
Combinaison des opérateurs L
rˆ(β) et L
ep(γ)
Supposons que l’on souhaite construire un mode IG
e5,3d’ordre 5, contenant une ligne nodale
elliptique et trois lignes nodales hyperboliques. On peut en toute généralité fixer le paramètreβ
et chercherγ telle que les lignes nodales restent bien elliptiques et hyperboliques. Le paramètre
β étant compris entre 0etπ/4, on peut pour l’exemple le fixer àβ =π/8, ce qui devrait
corres-pondre à un bon intermédiaire entre les modes Hermite–Gauss et Laguerre–Gauss. L’opérateur
permettant de construire la ligne nodale elliptique est donc L
rˆ(π/8). Étant donné que le mode
que l’on souhaite construire possède trois lignes nodales hyperboliques, l’opérateur devant les
générer estL
e3(γ), avecγ compris entre0etπ/3. La figure 1.16 représente l’évolution des profils
d’intensité et de phase des modes créés en combinant les opérateurs précédents.
D’après la figure 1.16 le mode Ince–Gauss recherché est obtenu pour la valeur particulière
γ =π/5,5,βétant fixé àπ/8. A priori rien ne permet de prédire cette valeur, d’autant plus qu’elle
varie en fonction de β et de la géométrie du mode recherché. Un critère numérique permettant
de détecter un mode Ince–Gauss parmi les modes générés par la combinaison d’opérateursL
ˆr(β)
et L
ep(γ) est de compter le nombre χ d’intersections des lignes nodales. Dans le cas d’un mode
Ince–Gauss de type IG
ep,mon a χ= 2m, et dans le cas d’un mode de type IG
op,m(m ≥1)on a
χ= 3m−1. Dans le cas oùγ est arbitraire, on observe une grande variété de la forme des lignes
nodales. Les courbes ouvertes ne sont plus des hyperboles et les courbes fermées ne sont plus des
ellipses. Dans le cas présent, les courbes fermées ressemblent à s’y méprendre à la famille des
ovales de Cassini [60] qui sont des quartiques du plan d’équation
(x−a)
2+y
2(x+a)
2+y
2−b
4= 0,(a,b)∈R
2, (1.70)
dont une représentation est donnée par la figure 1.17.
Pour avoir une idée des équations polynomiales associées au lignes nodales observées,
consi-dérons tout d’abord le cas particulier du mode Ince–Gauss IG
e5,3. L’équation de la ligne nodale
elliptique est d’ordre 2 en x et en y, de même que l’équation des deux branches d’hyperboles.
L’équation polynomiale associée aux lignes hyperboliques et à la ligne elliptique, produit des
équations précédentes, est donc d’ordre 4 en x et en y. La ligne nodale verticale rajoute un à
l’ordre du mode, ce qui fait bien un total de 5. Sur les autre images, la courbe fermée ne peut
donc pas être décrite par l’équation des ovales de Cassini (1.70), d’ordre 4 enxety, car les lignes
nodales ouvertes restantes ne pourraient alors pas exister dans un mode d’ordre 5. La seule
pos-sibilité est que toutes les lignes nodales, à l’exception de la ligne nodale verticale, doivent être
décrites par la même équation polynomiale d’ordre 4, non factorisable en sous–équations d’ordres
inférieur. Ceci peut se voir dans le cas particulier de l’encadré vert sur la figure 1.16, où on peut
Laser à cavité non–dégénérée et modes transverses d’ordre unique 39
Figure 1.16 – Évolution du profil d’intensité et de phase du mode généré par l’opérateur
L
ˆr(π/8)L
e3(γ)en fonction du paramètre γ.
reconnaître la courbe dudiable, ou de Cramer [60], d’équation
y
4−x
4−(a
2+b
2)y
2−(a
2−b
2)x
2= 0, (1.71)
dont une représentation est donnée dans la figure 1.18.
On peut modifier légèrement l’équation (1.71) en rajoutant un paramètrectel que :
y
4−x
4−(a
2+b
2)y
2−(a
2−b
2)x
2+c= 0. (1.72)
On obtient alors les courbes de la figure 1.19, ressemblant très fortement aux lignes nodales
observées dans la figure 1.16.
Finalement, nous pouvons dire que les opérateursL
ˆr(β)etL
e-1 -0.5 0 0.5 1 -2 -1.5 -1 -0.5 0 0.5 1 1.5 2 y x
Figure 1.17 – Ovales de Cassini pour a= 1 et b variant de 0,6 à 1,2. Le cas particulier a=b
correspond à la courbe en huit appelée lemniscate de Bernoulli.
-3 -2 -1 0 1 2 3 -3 -2 -1 0 1 2 3 y x
Figure 1.18 – Courbe du diable, ou de Cramer, obtenue poura= 0,5,b= 1,2 ety=y/0,8.
un sur–ensemble des modes Ince–Gauss dont la forme des lignes nodales semblent pouvoir
ex-plorer une grande variété de courbes algébriques du plan, les lignes elliptiques et hyperboliques
étant des cas particuliers. Ce qui est remarquable dans tout cela est que ces modes aux formes
étranges sont également invariants de forme par propagation.
Laser à cavité non–dégénérée et modes transverses d’ordre unique 41
-3 -2 -1 0 1 2 3 -3 -2 -1 0 1 2 3 y xFigure 1.19 – Courbe du diable avec paramètre additionnel, obtenue pour a = 0,5, b = 1,2.
Pour la courbe bleuec=−0,1 et pour la courbe rougec= 0,04,y=y/0,6.
Modes aux lignes nodales serpentantes
Nous nous proposons ici de construire une famille d’opérateurs permettant de reproduire
qualitativement certains modes aux lignes nodales serpentantes ayant déjà été observés dans
l’article [61]. Dans cet article, les conditions exactes et rigoureuses de l’apparition de ces modes
ne sont pas réellement discutées, mais nous y reviendrons lorsque nous aurons introduit quelques
notions essentielles pour la prédiction de la formation des modes transverses dans un laser au
chapitre 2.
Définissons l’opérateur Sn(α) de la manière suivante :
S
n(α) =A
x,ˆyˆ(α)
2A
nˆx, (1.73)
oùα est un paramètre réel fixé.
Nous avons représenté les premières applications deS
n(α)au mode fondamental gaussien dans
la figure 1.20, pour une valeur du paramètre α = 0,25. Ces modes ressemblent très fortement
aux modes Ince–Gauss de type IG
ep,pcontenant uniquement des lignes nodales hyperboliques, à
la différence que leurs branches sont légèrement déformées et serpentantes. Nous reconnaissons
sans équivoque les modes de la figure 3 observés dans l’article [61], reproduits dans la figure 1.21.
On peut encore une fois insister sur le fait que ces modes sont bien invariants de forme par
propagation.
Figure 1.20 – Modes aux lignes nodales serpentantes obtenus par application de l’opérateur
Sn(0,25)sur le mode fondamental gaussien.
Figure1.21 – Modes observés dans l’article [61] possédant des lignes nodales serpentantes.
On peut remarquer qu’il serait facile de compléter la famille S
n(α) pour construire une base
complète de modes orthogonaux permettant de décrire l’ensemble des solutions de l’équation
paraxiale. À l’aide de cette approche utilisant des opérateurs de création pour la construction
de modes d’ordre supérieur, on peut aisément imaginer construire un grand nombre de nouvelles
familles complètes et orthogonales de modes solutions de l’équation paraxiale. Aucune de ces
familles de modes n’a pourtant un caractère absolu pour la description des observations des
structures transverses dans les lasers. L’utilisation de différentes familles de modes pour décrire
Laser à cavité dégénérée 43
des observations expérimentales tient pour une grande part d’une volonté de classification de
la part des expérimentateurs. Nous verrons plus loin que le fait d’utiliser des profils de pompe
réguliers, à géométrie cylindrique, est en réalité le seul élément responsable de l’observation des
modes usuels de type Hermite, Laguerre et Ince–Gauss qui constituent la quasi–totalité de la
littérature sur les modes transverses ayant été observés dans des lasers à cavité étendue, aux
miroirs sphériques.
Dans le document
Étude de la sélection des structures transverses stationnaires dans les lasers
(Page 44-50)