FIRME Actionnaires Salariés
3) Création de valeur pour les autres parties prenantes (stakeholder value)
Pour Charreaux et Desbrières (1998)58, qui introduisent le concept de valeur partenariale comme alternative à celui de valeur actionnariale, cette dernière vision est réductrice car les décisions de l’entreprise produisent des effets pour l’ensemble des parties prenantes: créanciers, fournisseurs, clients, salariés, sous-traitants, pouvoirs publics, etc…. Comme nous l’avons vu, la création de valeur ne concerne plus seulement les actionnaires mais aussi toutes les autres parties prenantes de l’entreprise comme les partenaires ou les clients de l’entreprise.
L’objectif ultime n’est donc plus de créer de la valeur à tout prix pour les détenteurs de droits de propriété (les stockholders), mais plutôt d’acquérir une culture managériale orientée vers la satisfaction de l’ensemble des partenaires économiques, financiers et sociaux d’une entreprise (stakeholders). Les approches actionnariale et partenariale ne sont donc pas exclusives (Ben Larbi et Ohanessian, 2008). Bien au contraire, elles sont complémentaires. De nombreux auteurs ne détectent aucune opposition fondamentale entre la maximisation de la valeur actionnariale et la maximisation de la valeur partenariale.
L’enrichissement de l’actionnaire induit la satisfaction des clients, des fournisseurs, des salariés, des collectivités, et implique la prospérité de l’entreprise. L’on pourrait penser à juste titre qu’il n’y a pas sur le long terme d’antagonisme entre les intérêts des actionnaires et ceux des salariés par exemple. En effet, il serait illusoire de croire qu’une entreprise puisse être capable de créer de la valeur si elle n’est pas en mesure d’offrir à ses salariés des conditions de rémunérations et des conditions de travail attractives. De même, toute entreprise se doit dans une économie de concurrence mondialisée d’être continuellement à l’écoute de ses clients en vue de satisfaire leurs attentes à des prix compétitifs.
En cherchant à maximiser leurs propres intérêts, les actionnaires maximisent ceux de tous les autres parce que c’est justement la satisfaction des intérêts de ces stakeholders qui permet d’optimiser à terme la valeur actionnariale. Il y a là une relation de cause à effet cyclique et interminable sur laquelle repose cette problématique, et à cet égard, seule une acceptation de la création de valeur durable en collaboration avec le réseau partenarial de l’entreprise pourrait offrir un cadre d’analyse rigoureux et prometteur.
58
G. Charreaux, P. Desbrières, (1998) “Gouvernance des entreprises : valeur partenariale contre valeur actionnariale”, Finance Contrôle Stratégie, vol. 1, n°2, p. 57-88, juin 1998.
Aujourd’hui le terme de valeur et de création de valeur est autant utilisé par les financiers, que par les économistes, les marketers ou les ingénieurs. Trischler (1996) déjà cité définit ainsi huit ayants droit à la création de valeur dans l’entreprise : les employés, les gestionnaires, les bailleurs de fonds, les fournisseurs, les actionnaires, la
communauté, les gouvernements et les clients. Chacun de ces acteurs contribue à la
création de valeur dans l’entreprise et s’attend en retour à ce que l’entreprise lui procure à son tour de la valeur. Pour Trischler (1996) déjà cité, la satisfaction d’autres parties prenantes (stakeholders) comme la société, les partenaires d’affaires, les fournisseurs et les employés sont aussi parties prenantes à la création de valeur dans la mesure où ils contribuent à la dynamique de l’entreprise et qu’ils attendent aussi des extrants bénéfiques de la part de cette dernière.
La création de valeur totale doit donc servir à rétribuer les contributions des différentes parties prenantes de l’entreprise qu’on définit comme étant les individus ou les constituantes, qui d’une façon volontaire ou involontaire, contribuent à la création de richesse de l’entreprise et à la réalisation de ses activités, et par conséquent, sont des potentiels bénéficiaires et/ou supporteurs de risques. Cette définition est compatible avec les travaux récents de Kochan et Rubenstein (2000)59 qui suggèrent trois critères pour l’identification des parties prenantes :
1. Elles fournissent des ressources critiques pour le succès de l’entreprise.
2. Leur propre intérêt est directement affecté par le bien-être de l’entreprise. Autrement dit, les parties prenantes sont des preneurs de risque ;
3. Elles ont un pouvoir suffisant pour influer positivement ou négativement sur la performance de l’entreprise.
Yahchouchi (2007)60 quant à lui, considère que la valeur ajoutée par les parties prenantes (VAP) aidera à la compréhension des bénéfices anormaux et de la valeur boursière de l’entreprise. A travers sa recherche, Yahchouchi (2007) a synthétisé l’ensemble des contributions des parties prenantes à la création de valeur pour l’entreprise
59
Kochan, T., & Rubinstein, S. (2000). Toward a stakeholder theory of the firm: The Saturn partnership. Organizational Science, 11(4), 367-386.
60
Yahchouchi (2007) « Valeur ajoutée par les parties prenantes et création de valeur de l'entreprise », La Revue des Sciences de Gestion, 2007/2 (n°224-225)
Tableau 11: Contribution des parties prenantes dans la création de valeur de l’entreprise (Yahchouchi, 2007)
Parties prenantes Contribution à la création de valeur
Incitation pour contribuer
Investisseurs et apporteurs de fonds
Capitaux ; Endettement ; Réduction du risque, du coût de financement ou d’emprunt
Dividendes et plus values
Managers Compétence pour la gestion de
l’organisation
Compensations monétaires : salaires, bonus, stock-options. Psychologiques : Satisfaction, pouvoir et réputation
Salariés Développement d’un capital
humain spécifique, innovation, collaboration, engagement, travail en équipe, attitudes…
Salaires, bonus, emploi stable et promotions…
Incitation, motivation et sanctions pour agir sur les performances. Syndicats Stabilité de l’emploi, résolution
de conflits
Stabilité de l’emploi, résolution de conflits
Clients/utilisateurs Loyauté à la marque, réputation, fréquence d’achats
Qualité, prix des biens et des services, estime…
Fournisseurs et associés de la chaîne
d’approvisionnement et de logistique
Efficience, réduction des coûts, innovation technologique etc.
Respect des engagements
Partenaires et alliés Ressources stratégiques, conquête de marché, option de développement futur…
Confiance réciproque, intérêts communs.
Communauté locale, citoyens etc.
Licence de travailler, légitimité etc.
Prestige national, respect des institutions légales, normatives et cognitives.
Gouvernement Support macroéconomique et
politique
Concurrence équitable et licite, règlement des impôts… Autorités réglementaires Accréditation, licence etc. Congruence
ONG Légitimité et licence de
travailler
Respect des institutions légales, normatives et cognitives.
Contribution à l’intérêt commun.
Pour résumer, on peut dire que toutes les parties prenantes sont au centre du processus de création de valeur et que leur contribution peut servir de référence à la création de valeur pour les actionnaires.
Au niveau des différents travaux réalisés, et vu le nombre extrêmement élevé des parties qui interviennent dans le processus de création de valeur, les chercheurs ont souvent du faire des choix parmi les différents intervenants. Ainsi au niveau empirique, le choix des parties prenantes retenues est fonction de leur poids relatif dans le processus de création de valeur et qui sont le plus souvent : les actionnaires, les clients, les employés et
primordiales selon Clarkson (1995)61. Pour ce dernier, la survie et le succès de l’organisation dépendent prioritairement de la satisfaction de ces parties prenantes. Faute de quoi, l’entreprise ne bénéficiera pas de la participation de ces principaux acteurs et finira par disparaître.
Tournois et Montebello (2001)62 considèrent la Création de Valeur comme un système qui relie des variables affectées par des décisions managériales à des réponses comportementales des concurrents, des clients et des marchés financiers. Cette conception de l’entreprise s’inscrit dans le cadre de la théorie de l’agence, fondée sur l’existence de relations d’agences ou relations bilatérales. Il est admis aujourd’hui que la création de valeur pour les actionnaires nécessite aussi de satisfaire toujours plus les clients et les salariés, d’acheter aux fournisseurs les plus intéressants, de choisir les meilleurs circuits de distributions, etc… La création de valeur totale doit servir à rétribuer les contributions des différentes parties prenantes. Ainsi pour Cappelletti et Khouatra (2002) citant Caby et Hirigoyen, (2001), « après être passé de la maximisation du profit de la firme considérée comme une « boîte noire » à la maximisation de la valeur actionnariale de la firme contractuelle, on assiste peut être aux prémisses d’un nouveau déplacement théorique vers la maximisation de la valeur totale de la firme partenariale ».
Au niveau empirique, l’une des premières tentatives directes de relier la création de valeur à la valeur créée par les parties prenantes a été effectuée par Tiras, Ruf et Brown (1998). Ils étudient le lien entre la nature de la relation de l’entreprise avec ses parties prenantes (les clients, les ressources humaines, la communauté et l’environnement) et la valeur boursière de l’entreprise. Ces derniers trouvent que les entreprises qui maintiennent une bonne relation avec les parties prenantes sont plus performantes que celles ayant de mauvaises relations. Dans le même cadre, et en se focalisant sur les ressources humaines, Heinfeldt et Curcio (1997)63 trouvent une relation entre la politique de gestion des ressources humaines et la création de valeur de l’entreprise. De leur côté, Berman, Wicks, Koha et Jones (1999)64 montrent qu’une attention managériale particulière, vis-à-vis des parties prenantes notamment les salariés et les clients, est associée à une performance
61
Clarkson, M. (1995)., « A stakeholder framework for analyzing and evaluating corporate social performance », Academy of Management Review, 20 (1): 92-117.
62
Tournois, L. et Montebello, M. (2001). Op.cit ; page 20
63
Jeffery Heinfeldt and Richard Curcio (1997), « employee management strategy, stakeholder-agency theory, and the value of the firm »Journal Of Financial And Strategic Decisions Volume 10 Number 1
64
Berman S., Andrew W., Kotha S. et Jones T., (1999), « Who matters to CEOs ? an investigation of stakeholder attributes and salience, corporate performance, and CEO values », Academy of Management Journal, 1999, 42, 5, 488-506.
financière plus élevée. De même, Wallas (2003)65 tente de vérifier la présence d’une corrélation entre un management par les parties prenantes et la création de valeur de l’entreprise pour les actionnaires. Les résultats montrent que la création de valeur de l’entreprise est une condition indispensable pour l’investissement de l’entreprise dans ses relations avec les parties prenantes. Les entreprises performantes sont celles qui ont une réputation solide de bonne conduite vis-à-vis des parties prenantes. A partir d’une enquête auprès des entreprises belges de production, Bughin (2004)66 trouve une relation positive entre le niveau de satisfaction des parties prenantes et différents paramètres de rentabilité, censés représenter la richesse des actionnaires.