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Créatine kinase et transfert d’énergie

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CHAPITRE I : Energétique cardiaque

A. Créatine kinase et transfert d’énergie

La réaction de la CK a été mise en évidence pour la première fois sur des extraits de muscle par Lohmann en 1934. La CK catalyse, de façon réversible, le transfert d’une liaison riche en énergie de l’ATP vers la Cr selon la réaction :

ATP + Cr ↔ ADP + PCr

Cette réaction est qualifiée de « réaction cul-de-sac » car la PCr n’est le substrat d’aucune autre enzyme et son groupement phosphate ne peut être transféré que sur l’ADP pour produire l’ATP.

La CK est une enzyme qui intervient dans le métabolisme de nombreux organes tels que le cœur, les muscles squelettiques, les muscles lisses ou le cerveau. Quatre gènes distincts codent pour quatre monomères de CK (Stepanov et al., 1997 ; Ventura-Clapier et al., 1998) dont deux cytoplasmiques (M et B) qui s’associent en dimères pour donner 3 isoformes (MM, BB et MB) et deux mitochondriaux (Mi-CKu ubiquitaire et Mi-CKs exprimée dans les muscles striés (Payne & Strauss, 1994)) qui s’associent en dimère ou en octamère (Wyss et

al., 1992). Ces différentes isoformes ont des propriétés cinétiques assez similaires ; elles se

différencient, cependant, par leur capacité à se lier à des organelles subcellulaires ou des structures protéiques, leur conférant ainsi des localisations intracellulaires spécifiques (Saks et

al., 1978).

1. Les Créatines Kinases mitochondriales

Les deux isoformes mitochondriales de la CK (Mi-CKu et Mi-CKs) ne sont présentes, comme leur nom l’indique, que dans les mitochondries. Elles se trouvent dans l’espace intermembranaire mitochondriale sous forme dimérique ou octamérique (assemblage de quatre dimères) et liées aux cardiolipines de la membrane interne (Muller et al., 1985). Leur rôle fonctionnel a été mis en évidence pour la première fois par Bessman et Fonyo en 1966 (Bessman & Fonyo, 1966) qui ont montré que la créatine pouvait stimuler la respiration de mitochondries isolées. La fonction précise de la Mi-CK a été, par la suite, étudiée par de nombreux groupes (Jacobus & Lehninger, 1973 ; Gellerich & Saks, 1982 ; Moreadith & Jacobus, 1982 ; Saks et al., 1985). L’activité de la Mi-CK est très dépendante de sa localisation puisqu’elle est située très précisément à proximité de l’Adénine Nucléotide Translocase (ANT) dont le rôle est d’assurer l’importation de l’ADP dans la matrice mitochondriale et l’exportation de l’ATP néosynthétisé vers l’espace intermembranaire (Saks

et al., 1994). La Mi-CK utilise préférentiellement l’ATP exporté par l’ANT pour synthétiser,

à partir de la Cr, la PCr qui devient le produit final de la respiration. La PCr est exportée par la porine de la membrane externe alors que l’ADP produit par cette réaction est immédiatement importé dans la mitochondrie par l’ANT conduisant alors à une stimulation de la phosphorylation oxydative (Gellerich & Saks, 1982) (Figure 17). La proximité de l’ANT et la Mi-CK a également un intérêt du point de vue de la Mi-CK puisqu’elle conduit à une élévation locale de la concentration d’ATP au niveau de la Mi-CK qui favorise thermodynamiquement la synthèse de PCr. Ces deux enzymes sont couplées sur le plan fonctionnel ; le produit de réaction de chacune des enzymes est canalisé directement vers

-Introduction-

l’autre enzyme en raison de leur colocalisation. Le rôle de cette isoforme mitochondriale de la CK ne se cantonne pas à la régulation de la fonction mitochondriale ; elle a, en effet, également un effet protecteur sur les propriétés d’ouverture du pore de transition de perméabilité (PTP) qui est impliqué dans l’initiation de l’apoptose (O'Gorman et al., 1997).

2. L’isoforme MM de la Créatine Kinase

Parmi les trois isoformes cytoplasmiques, la MM-CK est prédominante dans le cœur (Wallimann et al., 1992). Elle se trouve sous forme libre dans le cytoplasme mais aussi fixée au sarcolemme, aux myofilaments et au RS à proximité des ATPases (Saks et al., 1977 ; Wallimann & Eppenberger, 1985 ; Rossi et al., 1990).

a. L’isoforme MM de la Créatine Kinase et les myofilaments

Cette isoforme fait partie intégrante des myofilaments où elle joue un double rôle. Elle est d’une part un élément structural de la bande M où elle relie les myofilaments de myosine entre eux (Wallimann & Eppenberger, 1985) et elle intervient d’autre part dans la régulation énergétique de la myosine-ATPase (pour revue voir Ventura-Clapier et al., 1994). L’interaction dynamique entre la MM-CK et l’ATPase de la myosine a été mise en évidence par de nombreuses études et notamment par deux travaux (Bessman et al., 1980; Saks et al., 1984) qui ont montré un échange privilégié d’ATP et d’ADP entre ces entités. Ces derniers ont en effet démontré que l’ATPase de la myosine hydrolyse préférentiellement l’ATP formé par la MM-CK et qu’en retour l’ADP produit par cette réaction d’hydrolyse constitue le substrat privilégié de la MM-CK. Les nucléotides adényliques sont comme canalisés entre la MM-CK et l’ATPase myofilamentaire (Arrio-Dupont et al., 1992). Il en résulte un système où la CK fixée à proximité de l’ATPase est capable de rephosphoryler, de façon très rapide, l’ADP produit par l’activité ATPasique. L’avantage d’un tel système est évident puisqu’en plus d’assurer une régénération des molécules énergétiques directement sur le site de consommation, il permet également de limiter l’accumulation locale de l’ADP qui a une action inhibitrice sur l’activité de l’ATPase myofilamentaire et donc sur l’activité contractile (Tian et al., 1997).

Si la MM-CK joue un rôle de premier plan dans le bon fonctionnement des mécanismes impliqués dans la contraction du cardiomyocyte, elle est également engagée dans sa relaxation. Il a effectivement été montré par immunohistologie que cette isoforme est fixée sur la membrane du RS à proximité de SERCA (Rossi et al., 1990) qui assure la capture du calcium intracellulaire dont dépend la relaxation cardiaque. La présence de la MM-CK au voisinage de SERCA n’est pas anecdotique car, de la même façon que pour l’ATPase de la tête de myosine, elle est fonctionnellement couplée à cette ATPase. Elle contrôle le rapport ATP/ADP à proximité de SERCA pour que celui-ci soit favorable à une activité ATPasique optimale nécessaire au mécanisme de relaxation (Rossi et al., 1990 ; Minajeva et al., 1996 ; De Sousa et al., 1999). Il a été montré que la capacité de la MM-CK à régénérer l’ATP au voisinage de SERCA est bien supérieure à celle des complexes glycolytiques associés à la membrane du RS qui peuvent aussi soutenir l’activité de cette ATPase. Ces derniers sont cependant capables d’augmenter leur capacité de production dès lors que la MM-CK perd en efficacité (Boehm et al., 2000).

3. L’ensemble du système CK

L’organisation des différentes isoformes de CK permet d’imaginer un système dans lequel les transferts d’énergie sont gouvernés par les CK et leurs substrats, la PCr et la Cr, qui joueraient un rôle de navette (communément appelée « Shuttle ») entre les sites cellulaires (Figure 18) (Bessman & Geiger, 1981 ; Wallimann et al., 1992 ; Saks et al., 1994). Ce système repose sur la compartimentation des isoformes au niveau des sites de production et de sites de consommation d’énergie qui favorise la formation de PCr au niveau des mitochondries quand elle conduit à la production d’ATP au niveau des ATPases. La liaison riche en énergie de la PCr produite par la Mi-CK est transférée, au travers des CK cytosoliques, jusqu’à la MM-CK liée à proximité des ATPases qui peut alors rephosphoryler l’ADP produit localement pour ajuster le rapport ATP/ADP. De la même façon, l’information de la consommation d’énergie portée par la Cr est transférée jusqu’aux mitochondries par ces mêmes CK cytosoliques. La créatine agit en tant que rétrocontrôle pour indiquer, à la mitochondrie, l’état énergétique de la cellule permettant une intégration parfaite entre production et consommation de l’énergie. Du fait de la proximité de l’ensemble des enzymes qui interviennent dans ce processus, l’approvisionnement en énergie et surtout l’élimination de l’ADP se fait bien plus efficacement que s’il se faisait par diffusion simple (Jacobus, 1985).

-Introduction-

cytoplasme

ANT

Porine

mi-CK

ATP ADP

Cr

PCr

Porine

mi-CK

ANT

ATP ADP Cr PCr ATP ADP Cr PCr ATP ADP

matrice mitochondriale

Figure 17 : Interactions entre le mi-CK, la translocase (ANT) et la porine (VDAC)

mito mitochondrie myofilaments T AD Transfert d’énergie ATP ADP ADP ADP ATP ATP ATP ATP PCr PCr PCr Cr Cr Cr H + H + H + CK Transfert du signal ADP H + Acides gras glucose O2 Créatine kinase ANT

ATP synthase Myosine ATPase

Figure 18 : Transfert d’énergie par le système créatine kinase (« shuttle »)

Les créatines kinases transfèrent une liaison phosphate depuis la mitochondrie jusqu’aux sites consommateurs (la myosine-ATPase dans ce schéma). Le fonctionnement de ce système permet, en retour, l’activation de la synthèse énergétique par la mitochondrie.

Le rôle des CK ne se limite pas à un simple transfert d’énergie. Cette enzyme peut en effet jouer le rôle de tampon spatio-temporel de l’ATP cellulaire où la PCr constitue un réservoir d’énergie rapidement mobilisable (revue Saks et al., 1996). Cette réserve énergétique peut alors être utilisée lors de fluctuations énergétiques importantes et de demandes d’ATP supplémentaires. Sa présence en quantité importante dans l’ensemble des compartiments cellulaires assure de plus une distribution spatiale de l’ATP.

La CK est une enzyme qui semble être au cœur de l’énergétique du cardiomyocyte ; à tel point que le rapport PCr/ATP est utilisé comme un paramètre prédictif de mortalité dans les cardiomyopathies dilatées (Neubauer et al., 1997). Pourtant, l’absence de dysfonction ventriculaire évidente lors d’une suppression de l’activité de la CK (Wallimann et al., 1992) ou de mutations des gènes codant pour les isoformes cytoplasmiques et mitochondriales de la CK (van Deursen et al., 1993 ; Ventura-Clapier et al., 1995) suggère que d’autres mécanismes de transfert sont capables de soutenir l’activité cardiaque.

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