• Aucun résultat trouvé

La coopération du Kazakhstan avec l’Union européenne stimulée par le triomphe des

La fin de la Guerre froide présageait de nouvelles opportunités non seulement pour les États-Unis mais

aussi pour l’Union européenne dont le renforcement, avec le Traité de Maastricht, suit de peu l’écroulement

du communisme en Europe. Les relations diplomatiques entre l’UE et le Kazakhstan ont été établies le 2

février 1993, avec l’ouverture d’une représentation permanente kazakhe à Bruxelles au mois de décembre

de la même année. Quant aux autorités européennes, elles ont rendu possible l’inauguration d’une mission

diplomatique de l’UE à Almaty en novembre 1994. Début 1995, le Kazakhstan et l’UE signaient l’Accord de

partenariat et de coopération (entré en vigueur en 1999) devenu le cadre contractuel de coopération

politique, économique, technique, etc. Malgré le développement de ces premiers contacts institutionnels, la

région centrasiatique est restée tout au long des années 1990 une zone d’ombre pour les technocrates

européens. Elle n’a pas non plus bénéficié d’une attention particulière de leur part, à la différence des pays

situés aux frontières de l’Union et dont la transition à la démocratie s’imposait comme un défi naturel et

urgent. Le peu d’activisme diplomatique en Asie centrale était surtout l’œuvre de certains États membres

pour lesquels la région représentait des opportunités de coopération jugées utiles à exploiter. Laure

Delcour nous rappelle que « [a]mong EU member states, only Germany opened an embassy in all five

countries and France and the UK in most of them

[…]

, whereas some other EU countries reportedly covered

the region from Moscow or Ankara ».

189

En sus de cette insuffisance de représentation diplomatique, l’UE

n’avait avant 2010 qu’une délégation à part entière, celle au Kazakhstan, tandis que ses relations avec le

Kirghizistan, le Turkménistan et le Tadjikistan étaient gérées soit depuis Almaty et Astana soit par du

personnel local n’atteignant pas le rang d’ambassadeur.

190

Les relations naissantes entre l’UE et le Kazakhstan, comme d’ailleurs avec d’autres républiques

centrasiatiques, étaient conditionnées dès les premiers accords bilatéraux au respect de certains principes :

l’article 2 du PCA dispose que « respect for democracy, principles of international law and human rights […],

as well as the principles of market economy […], underpin the internal and external policies of the Parties

and constitute an essential element of partnership and of this Agreement ».

191

Une décennie après la

188

S. Blank, Challenges and Opportunities for the Obama Administration in Central Asia, 2009, p. 17.

189

L. Delcour, Shaping the Post-Soviet Space? EU Policies and Approaches to Region-Building, 2011, p. 92.

190

À partir de début 2010, les délégations de l’Union européenne au Kirghizistan et au Tadjikistan sont gérées par des ambassadeurs extraordinaires et

plénipotentiaires, signe de leur indépendance administrative par rapport à la délégation implantée au Kazakhstan. Pour ce qui concerne le Turkménistan,

l’ambassadeur de l’UE au Kazakhstan y représente les intérêts européens en vertu de son accréditation auprès des autorités turkmènes, tandis que

l’ouverture d’une délégation officielle en Ouzbékistan a été annoncée fin 2011.

191

Partnership and Cooperation Agreement between the European Union and the Republic of Kazakhstan, July 1, 1999, Title II: General Principles,

Article 2.

58

ratification de l’Accord, l’UE semble rester fidèle à ces principes, lorsqu’il s’agit de négocier un nouveau

cadre juridique pour prendre en compte des évolutions intervenues au Kazakhstan comme en Europe

dans les années 2000. Ainsi, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de

sécurité, Catherine Ashton, déclarait en juillet 2010 dans un communiqué de presse que « [t]he successful

conclusion of the negotiations will be influenced by the advancement of democratic reforms, notably in

enhancing freedom of expression and media, freedom of association and assembly, and improvement of

the conduct of electoral processes, to make them compliant with international standards ».

192

Par ce bref

commentaire, elle répondait en partie à ceux en Europe qui avaient précédemment dénoncé l’existence,

dans la pratique politique intérieure au Kazakhstan, de phénomènes incompatibles avec ses obligations

internationales en matière de respect des libertés individuelles et de transparence dans la question

électorale.

En dépit des critiques récurrentes relatives à la situation des droits de l’homme et de la concurrence

politique dans leur pays, les autorités kazakhes ont toujours réagi plutôt favorablement à des propositions

européennes visant à renforcer la coopération bilatérale. Cette volonté de dialogue qui traverse

immanquablement les deux décennies de relations avec les partenaires européens peut être imputée, à

un certain degré, à l’existence de plusieurs programmes d’assistance technique. À travers ces

programmes, l’UE se fixait comme objectif de subvenir aux besoins de ses interlocuteurs en termes de

modernisation, de désenclavement géopolitique et de croissance économique stable. Il s’agit notamment

du programme TACIS (Technical Assistance to the Commonwealth of Independent States) remplacé dès

2007 par le Development Cooperation Instrument. D’autres programmes à portée régionale, comme

INOGATE, TRACECA, BOMCA, CADAP, CAREN, TEMPUS ou ERASMUS, ont également été conçus

pour permettre aux républiques centrasiatiques de s’appuyer sur l’expérience européenne afin de relever

leurs économies, diversifier les exportations ou assurer la sécurité aux frontières. Quelque utiles que ces

programmes aient pu être pour les pays en question, leur efficacité est restée la plupart du temps assez

limitée : d’un côté, ils ne prévoyaient qu’un système très basique de contrôle de résultats, de l’autre, ils ne

contribuaient pas à la consolidation des positions proprement européennes dans la région. En finançant les

différents projets (dont les projets nationaux pour lesquels le Kazakhstan a, par exemple, reçu près de

44M€ de subventions

193

), l’UE a fini par être perçu comme un donateur extrêmement généreux ne

demandant jamais de contreparties réalistes. Si cette posture pouvait justifier l’intérêt des régimes locaux

pour le soutien financier des institutions européennes en période de croissance économique, le

retournement de la conjoncture n’a pas tardé à dévoiler l’inefficience d’une telle politique. La crise

économique récente ayant porté une sérieuse atteinte à la solidité des budgets européens, l’UE semble

192

Statement by the High Representative Catherine Ashton on EU-Kazakhstan Relations, Brussels, 19 July 2010

(http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/123941.pdf, consulté le 26 décembre 2011).

193

59

désormais diminuer son soutien financier au Kazakhstan, d’autant que, comme le notent plusieurs experts,

« [t]he state budget of Kazakhstan is now sufficiently rich that the EU should no longer consider it to be a

recipient of aid, except for a restricted category of operations, mainly in the education and civil society

fields ».

194

En réponse au manque de réalisme précédemment constaté, les spécialistes estiment que

« EU relations with Astana should not be assistance-driven, but of a political and economic nature ».

195

L’adoption en 2007 de la Stratégie de l’UE pour l’Asie centrale a marqué un tournant décisif pour la

vision européenne de la région où les notions de la démocratie et des droits de l’homme trouvent toujours

assez peu d’écho dans l’esprit des dirigeants politiques. Sans qu’il n’ait pu y avoir de corrélation directe,

cette nouvelle stratégie de l’Europe s’appuie en grande partie sur les considérations exprimées par un

fonctionnaire de la Commission européenne (en poste au Kazakhstan), Alessandro Liamine Salvagni,

dans son article paru en 2006 dans le Courrier des pays de l’Est. Selon M. Liamine Salvagni, « […] l’UE a

la réputation d’être un acteur neutre et honnête, et est perçue comme un partenaire fiable sur le long terme,

en mesure d’exercer une sorte de soft power ».

196

Il parle aussi de la nécessité pour l’Union de « se

montrer plus pragmatique dans son partenariat avec l’Asie centrale ».

197

Finalement, le diplomate italien

prône la mise en œuvre d’une politique « circonstanciée » avec l’accent sur certains domaines précis où le

soutien de Bruxelles s’avérerait réellement nécessaire. Toutes ces considérations prises en compte, la

Stratégie de l’UE pour l’Asie centrale adoptée sous la présidence allemande déclare dans sa deuxième

partie que les intérêts stratégiques de l’Union sont traduits à travers la stabilité et la sécurité régionales,

198

deux notions couramment utilisées par les défenseurs du réalisme dans les relations internationales. Le fait

que le texte suivant insiste sur l’importance pour l’UE du renforcement du droit international, de la légalité,

des droits de l’homme, des valeurs démocratiques ou bien de l’économie de marché

199

n’empêche pas de

constater un revirement dans la politique étrangère européenne dans le sens d’un pragmatisme accru. Ce

nouveau concept des relations avec l’Asie centrale imprégné de la pensée réaliste est d’ailleurs relayé par

la communauté d’experts. Neil J. Melvin concède, par exemple, que « [a]dvancing the EU’s interests in

Central Asia while also remaining true to the Union’s values will clearly be a tall order »,

200

d’où sa

recommandation de trouver « the right mixture of policies ».

201

Toutefois, de nombreux experts, y compris le même Neil J. Melvin, estiment que le renforcement de la

coopération stratégique dans les domaines tels que la sécurité, l’énergie ou le dialogue institutionnel ne doit

pas se dérouler sur fond d’affaiblissement trop abusif de l’agenda démocratique lié à la défense des droits

194

Ibid., p. 103.

195

J. Boonstra, J. Hale, EU Assistance to Central Asia: Back to the Drawing Board, 2010, p. 16.

196

A. Liamine, Quel rôle pour l’Union européenne en Asie centrale ?, 2006, p. 26.

197

Ibid., p. 26.

198

European Union and Central Asia: A Strategy for a New Partnership, October 2007, II. EU Strategic Interests: Security and Stability.

199

À ce propos, la Stratégie dit notamment : «The EU strongly believes that strengthening the commitment of Central Asian States to international law,

the rule of law, human rights and democratic values, as well as to a market economy will promote security and stability in Central Asia, thus making the

countries of the region reliable partners for the EU with shared common interests and goals ».

200

N. J. Melvin (sous la direction de), Engaging Central Asia: The European Union’s New Strategy in the Heart of Eurasia, 2008, p. 138.

201

60

de l’homme et à la propagation des idéaux libéraux. Ainsi, M. Melvin et son collègue Jos Boonstra se

montrent critiques à l’égard des premiers résultats de la Stratégie, en affirmant que « [t]he core of the EU

engagement appears focused on a narrow understanding of security and stability in the region based on

geopolitical concerns. As a result, the EU has pursued energy and security as its priorities while other

issues have been downgraded ».

202

L’impossibilité pour l’Union de concilier sa nouvelle politique réaliste,

fondée sur la poursuite des objectifs égoïstes, et son approche classique à la promotion de la démocratie et

des droits de l’homme risque de rendre son action diplomatique moins efficace qu’elle n’est censée l’être.

Le renforcement des positions de l’UE en Asie centrale, et notamment au Kazakhstan, est rendu encore

plus problématique par l’existence dans tous les pays de la région des systèmes de cooptation gérés par

les structures claniques qui, selon Alexander Warkotsch, « undermine the EU’s aim of contestation through

elections, the most basic element of democracy ».

203

Tout cela nous laisse à penser qu’en l’absence d’une

vraie stratégie géopolitique sous-tendue par des considérations pragmatiques, donc réalistes, l’Union

européenne ne sera pas en mesure de s’imposer comme un acteur d’influence sur la scène centrasiatique.

L’évolution des sociétés des républiques d’Asie centrale dans la direction des idéaux défendus par l’UE

semble, quant à elle, trop éloignée dans le temps ou trop incertaine pour éviter aux institutions bruxelloises

la tâche ardue d’adaptation aux réalités régionales.

3. Les nouveaux partenariats proches et lointains, ou comment réconcilier l’irréconciliable :