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Convocation des personnes à l’étranger et sauf-conduit

Dans l’intérêt de la procédure pénale (instruction ou jugement), les autorités pénales peuvent souhaiter citer à comparaître des personnes (témoins, personnes appelées à donner des renseignements ou encore prévenus) séjournant à l’étranger614.

Vu le principe de la souveraineté des Etats, les autorités pénales suisses doivent alors respecter les règles de l’entraide internationale en matière

611 CHATTON, CR-CPP, 2011, ad art. 206, ch. 5 et 6.

612 A cet égard, tant l’interrogatoire que les mesures d’identification ou de prélèvement et enregistrement de données signalétiques sont des investigations formelles.

613 Art. 143 CPP ; 147 CPP, 157 et ss CPP pour le prévenu, 179 et 180 CPP pour la personne entendue à titre de renseignement.

614 « se trouvant à l’étranger » selon la terminologie de l’art. 204 al. 1 CPP.

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pénale615, c’est-à-dire les dispositions des traités internationaux conclus à ce sujet par la Suisse616 et, à défaut de traités ou de règles spécifiques en leur sein, de la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP – RS 351.1) (art. 1 EIMP) et de son ordonnance (OEIMP – RS 351.11). Pour ce qui concerne la notification des citations à comparaître, l’art. 68 al. 1 EIMP stipule par exemple que « la notification de documents, requise des autorités suisses, peut s'exécuter par simple remise au destinataire ou par voie postale. » L’autorité pénale suisse ne pourra cependant pas assortir sa citation à comparaître de menaces de mesures de contrainte (art. 201 al. 2 let. e et f CPP), sauf à violer la souveraineté de l’Etat étranger et le cas échéant le droit de l’extradition.617 La citation prendra alors la forme d’une simple invitation à se présenter devant l’autorité pénale suisse, libre à la personne convoquée à l’étranger d’y donner ou non suite618.

Les personnes à l’étranger qui seraient sur le principe disposées à être entendues par l’autorité pénale suisse, pourraient toutefois se montrer réticentes à l’exercice, par crainte qu’une fois sur le territoire suisse elles ne se voient privées de leur liberté, par exemple en raison de soupçons de commission d’une infraction qui pourraient justifier une mise en détention provisoire au sens de l’art. 221 al. 1 CPP. La figure du sauf-conduit (« salvus conductus », mécanisme d’origine suisse inscrit dans les traités internationaux afin d’éviter des extraditions déguisées619) permet aux autorités pénales d’offrir à ces personnes des garanties qu’elles ne seront pas arrêtées et est dès lors de nature à les inciter à comparaître.

L’art. 204 al. 2 CPP prévoit qu’ « une personne qui bénéficie d’un sauf-conduit ne peut être arrêtée en Suisse en raison d’infractions commises ou de condamnations prononcées avant son séjour, ni y être soumise à d’autres mesures entraînant une privation de liberté. ». En d’autres termes, une personne au bénéfice d’un sauf-conduit dispose d’une immunité qui interdit aux autorités pénales de la priver de liberté ou de la soumettre à « d’autres mesures entraînant une privation de

615 Y compris lorsqu’elles agissent depuis une ambassade suisse à l’étranger : cf. à ce sujet TF 6B_1169/2014 du 6 octobre 2015 c.1.4.4.

616 Par exemple, la Convention européenne d’entraide en matière judiciaire (CEEJ – RS 0.351.1) (art. 7 et ss) ou l’Accord entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française en vue de compléter la CEEJ (RS 0.351.934.92) (art. X).

617 Cf. à ce sujet ATF 140 IV 86 c. 2.4 = JdT 2014 IV 296 ; cf. également sur un sujet connexe ATF 140 IV 82 = JdT 2014 IV 301 ; cf. également CHATTON, CR-CPP, 2011, ad art. 204, p. 932, ch. 7.

618 ATF 140 IV 86 c. 2.4 = JdT 2014 IV 296 ; cf. par ailleurs l’art. 63 al. 1 et 2 EIMP s’agissant de citations à comparaître adressées à des personnes en Suisse par des autorités étrangères.

619 ATF 104 Ia 448 c. 5.

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liberté », par exemple des mesures de substitution620, pour tous les faits -y compris ceux visés par la citation (susceptibles de consacrer des infractions)621- ou condamnations antérieures622 à son prononcé. Dans ce cadre-là, la protection est valable à l’égard de toutes les autorités pénales suisses623, tant fédérales que cantonales, et pour les procédures pénales nationales ou demandes d’extradition.624 La protection offerte par l’art. 204 al. 2 CPP ne vaut par contre pas pour les infractions qui pourraient être nouvellement commises

620 Message, p. 1200 ; mais également un mandat d’amener selon CHATTON, CR-CPP, 2011, ad art. 204, p. 934, ch. 16.

621 Cf. néanmoins infra n° 457 ad ATF 141 IV 390 c. 2.2.3.

622 A noter qu’en son art. 217 al. 2 let. a l’AP-CPP prévoyait que les personnes au bénéfice d’un sauf-conduit, mais ayant été « condamnées à une sanction privative de liberté immédiatement exécutoire », pouvaient être arrêtées en Suisse ou y être soumises à d’autres mesures restreignant la liberté. Le Rapport AP-CPP (p. 150), soulignait en effet que « cette protection (du sauf-conduit) ne peut être accordée à une personne condamnée, avant ou après la délivrance du sauf-conduit, à une sanction privative de liberté immédiatement exécutoire ; il serait choquant en effet de laisser ce condamné partir sans être inquiété. ».

Cette proposition en tant qu’elle visait à exclure de la protection du sauf-conduit les personnes condamnées avant son émission à une peine privative de liberté exécutoire n’a cependant pas été reprise dans le projet de CPP (art. 202 P-CPP), dont la teneur est en substance identique à celle de l’actuel art. 205 CPP. Elle se trouvait en effet en contradiction avec l’art. 12 de la Convention européenne d’extradition du 20 avril 1959, en vigueur pour la Suisse depuis le 20 mars 1967 (CEEJ – 0.351.1), lequel prévoit en son ch. 1 qu’ « aucun témoin ou expert, de quelque nationalité qu'il soit, qui, à la suite d'une citation, comparaîtra devant les autorités judiciaires de la Partie requérante, ne pourra être ni poursuivi, ni détenu, ni soumis à aucune autre restriction de sa liberté individuelle sur le territoire de cette Partie pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la Partie requise. » et en son ch. 2 qu’« aucune personne, de quelque nationalité qu'elle soit, citée devant les autorités judiciaires de la Partie requérante afin d'y répondre de faits pour lesquels elle fait l'objet de poursuites, ne pourra y être ni poursuivie, ni détenue, ni soumise à aucune autre restriction de sa liberté individuelle pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la Partie requise et non visés par la citation. ».

623 Cf. à cet égard CHATTON, CR-CPP, 2011, ad art. 204, p. 938, ch. 129 qui suggère, pour que le sauf-conduit puisse être respecté de manière effective par toutes les autorités, qu’il soit enregistré auprès d’un organisme centralisé où celles-ci pourront se renseigner, par exemple l’Office fédéral de la Justice qui gère l’essentiel du casier judiciaire informatisé et est l’autorité compétente en matière de mandat d’arrêt à titre extraditionnel (art. 17 et 47 EIMP). A défaut, il appartient au bénéficiaire du sauf-conduit de s’en munir pour être à même de s’en prévaloir, par exemple au passage de la frontière s’il devait être signalé en vue d’arrestation (art. 210 al. 2 CPP, p. ex.).

624 SCHMID, Praxiskommentar, 2013, ad art. 204, p. 366, ch. 4.

après son émission et être de la compétence des autorités suisses. Elle ne vaut par ailleurs plus une fois ses conditions de validité expirées (art. 204 al. 3 CPP).

Conformément à l’art. 204 al. 3 CPP, le sauf-conduit peut en effet être assorti de conditions. Selon le Message, ces conditions ne doivent aller à l’encontre d’aucun droit procédural.625 « Il ne serait ainsi pas admissible de subordonner le sauf-conduit d’une personne citée comme témoin à la condition qu’elle ne fasse pas valoir son droit de refuser de témoigner. Ce qui est en revanche admissible, c’est de fixer des conditions relatives au lieu et à la durée de son séjour à l’intérieur des frontières. »626 Conformément au principe de la bonne foi, si l’autorité soumet le sauf-conduit à des conditions, elle a l’obligation d’avertir le bénéficiaire que toute violation de celles-ci entraîne son invalidation, c’est-à-dire, l’expose à une mesure privative de liberté. Le sauf-conduit devra ainsi expressément mentionner quand il prend fin. L’art. 73 al. 1 EIMP qui stipule que l’immunité se termine « dès que la personne quitte la Suisse, mais au plus tard trois jours après son licenciement par l'autorité qui l'a citée. », pourra être une source d’inspiration.

Le sauf-conduit de l’art. 204 CPP ne déploie son effet protecteur qu’en ce qui concerne les mesures privatives de liberté ou les mesures de substitution, mais non pas pour les autres mesures de contrainte. Une personne au bénéfice d’un sauf-conduit n’est donc par exemple pas protégée contre la perquisition de sa chambre d’hôtel et le séquestre de ses effets personnels (art. 249, 244 al. 1 et 263 al. 1 CPP).

Sont compétents pour accorder un sauf-conduit, le ministère public durant la procédure préliminaire627, puis la direction de la procédure du tribunal dès le dépôt de l’acte d’accusation (cf. art. 204 al. 1 et 328 al. 1 CPP), à l’exclusion de la police628 et de l’autorité pénale compétente en matière de contraventions629.

Selon l’art. 204 CPP, le sauf-conduit est un engagement écrit spécifique formellement indépendant de la citation à comparaître elle-même. Il en va différemment selon l’art. 73 al. 1 EIMP, de même d’ailleurs que selon l’art. 12 CEEJ, par exemple. Selon ces dispositions, en effet, la convocation adressée à une personne se trouvant à l’étranger emporte a priori sauf-conduit automatique. La jurisprudence enseigne cependant qu’il faut se montrer extrêmement prudent en cette matière vu les cas dans lesquels le bénéfice du

625 Message, p. 1200.

626 Message, p. 1200.

627 Message, p. 1200.

628 SCHMID, Praxiskommentar, 2013, ad art. 204, p. 366, ch. 4, qui renvoie sur ce point au Rapport AP-CPP, ad art. 217, p. 150.

629 A ce sujet, cf. néanmoins la proposition de CHATTON, CR-CPP, 2011, ad art. 204, p. 933, ch. 14.

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sauf-conduit automatique a été dénié pour des motifs procéduraux et la personne qui pensait en bénéficier être arrêtée630. L’art. 204 CPP, qui prévoit l’émission d’une immunité écrite formelle par l’autorité pénale, offre dès lors une meilleure protection aux personnes citées de l’étranger. Celles-ci seront donc bien inspirées, avant de donner suite à une convocation, de veiller à en obtenir le bénéfice.631

630 Cf. ACEDH ADAMOV c. Suisse du 21 juin 2011 § 66 et 67 où la CrEDH, à l’instar du Tribunal fédéral, a estimé que l’arrestation d’ADAMOV, ressortissant russe domicilié en Russie, qui avait donné suite à une citation à comparaître n’était pas illégale car celle-ci lui avait été notifiée à sa demande chez sa fille vivant à Berne et de surcroît alors qu’il se trouvait déjà en Suisse pour lui rendre visite et faire des affaires. Il n’y avait donc pas eu de citation à comparaître devant les autorités suisses qui lui serait parvenue dans son Etat de résidence, au sens de l’article 12 CEEJ et de l’article 73 EIMP. (cf.

néanmoins à ce sujet les opinions dissidentes des juges TULKENS, SAJÒ et PINTO DE ALBUQUERQUE).

Cf. également TPF.2010.113, lui aussi critiquable, qui a considéré que les règles de l’entraide et leur bénéfice ne s’appliquent plus dès que la personne citée à comparaître se trouvant à l’étranger y renonce en acceptant qu’une convocation soit adressée à son avocat en Suisse car alors cette personne se soumet « volontairement à la procédure suisse » et « le recours à l’entraide est inutile ».

Cf. néanmoins TF 1P.289/1995 du 17 mai 1995 c. 2 où le Tribunal fédéral a admis le bénéfice de l’immunité à un témoin de l’étranger convoqué de manière informelle, i.e. sans qu’une convocation écrite ne soit émise car « dès l’instant où le Juge d’instruction a été saisi d’une requête tendant à ce que le recourant soit cité à comparaître devant lui en qualité de témoin, il lui incombait de prendre une décision formelle à ce sujet. En omettant de le faire, le Juge d’instruction a créé une équivoque sur ses intentions, dont le recourant, convoqué par l’entremise de Me Perret, n’a pas à faire les frais. (…) Ainsi, en ne se déterminant pas clairement sur les modalités de citation du recourant à l’audience du 13 mars 1995, le Juge d’instruction a suscité un doute dans 1’esprit du recourant qui pouvait considérer de bonne foi qu’il avait été régulièrement cité à l’audience du 13 mars 1995 en qualité de témoin protégé par l’immunité mentionnée aux art. 12 CEEJ et 73 EIMP. ».

631 Cf. à cet égard Robert ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 4ème édition, 2014, p. 393, qui cite l’affaire A. où un témoin domicilié à l’étranger au bénéfice d’un sauf-conduit avait été arrêté à l’issue de son audition en Suisse en vue de son extradition à un Etat tiers. Sa mise en liberté immédiate avait été ordonnée par le Tribunal fédéral au motif, non pas d’une violation des art. 12 CEEJ et 73 al. 1 EIMP (car il se trouvait déjà sur le territoire suisse au moment où il avait reçu la citation à comparaître à une adresse privée en Suisse de sorte qu’il ne pouvait pas se prévaloir de leur bénéfice), mais à raison de la violation des dispositions relatives au sauf-conduit.

D’ailleurs, dans l’ACEDH ADAMOV c. Suisse du 21 juin 2011 § 68, la CrEDH a estimé que le témoin à l’étranger (in casu en Russie) qui voyage beaucoup, est assisté d’avocats et sait qu’une procédure pénale est ouverte contre lui à l’étranger (in casu il s’agissait des Etats-Unis) doit soulever lui-même

C’est en particulier le cas pour les personnes convoquées en qualité de prévenu ou à titre de renseignement. Dans ces cas, l’art. 204 al. 2 CPP offre indiscutablement à son bénéficiaire convoqué une protection plus grande que celle des art. 73 al. 2 EIMP et 12 al. 2 de la Convention européenne d’extradition du 20 avril 1959, en vigueur pour la Suisse depuis le 20 mars 1967632. Selon l’art. 73 al. 2 EIMP en effet, « la personne poursuivie ne bénéficie d'aucun sauf-conduit pour les infractions mentionnées dans la citation. » Quant à l’art. 12 CEEJ, s’il offre une protection absolue aux témoins et experts (cf. art.

12 al. 1 CEEJ), il ne protège par contre que de manière limitée la personne citée à un autre titre puisqu’il ne couvre pas les faits visés par la citation. Ainsi, à notre sens, toute personne se trouvant à l’étranger convoquée par une autorité pénale suisse pour être entendue serait bien inspirée de solliciter le bénéfice d’un sauf-conduit au sens de l’art. 204 CPP car elle ne pourra dès lors en aucun cas être privée de sa liberté pour des condamnations ou faits antérieurs à l’émission dudit sauf-conduit, y compris pour les faits objet de la citation.

Le Tribunal fédéral a confirmé ce point de vue à l’ATF 141 IV 390 c. 2.2.3.

Il a toutefois souligné que l’autorité qui délivre le sauf-conduit peut l’assortir de conditions. Selon lui, parmi ces conditions l’on peut citer « dans le cas d’un prévenu cité pour son jugement, l’exclusion de l’immunité pour les faits visés dans la citation. » Ce point de vue nous paraît critiquable en tant qu’il contrevient précisément à l’esprit de la norme, rappelé par le Tribunal fédéral dans ce même arrêt sur la base de l’examen des travaux préparatoires (cf. c.

2.2.1).

la question du sauf-conduit avant de se rendre librement dans un pays tiers (in casu la Suisse) pour y être entendu.

632 CEEJ – 0.351.1.

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VII. Mandat d’amener A. Définition

Le mandat d’amener633 au sens des art. 207 à 209 CPP est l’ordre donné à la police par la direction de la procédure (art. 61 et 207 al. 2 CPP) d’amener une personne devant l’autorité pénale, au besoin par la force (art. 208 al. 2 CPP).