• Aucun résultat trouvé

6.2.2-Conventions techniques émergentes : vers une standardisation des systèmes ?

A partir de notre grille d'observation comparative des sites de partage de contenus et des systèmes de tagging, il est possible de dégager les caractéristiques communes et les conventions qui semblent émerger chez les concepteurs quant aux fonctionnalités et aux modes de visualisation des tags. La grille que nous avons produite est constituée de 196 fonctionnalités ou caractéristiques techniques différentes, dont 97 d'entre elles concernent plus particulièrement les systèmes de tagging. L'analyse comparative des fonctionnalités liées au tagging permet d'observer la très faible normalisation des systèmes, tels qu'ils sont développés sur les dix plate-formes que nous avons étudiées. En effet, seulement 10 fonctionnalités sur 97 sont partagées par l'ensemble des sites observés (voir figure 19). Il faut noter d'ailleurs que deux fonctionnalités parmi les dix qui étaient utilisées parmi tous les systèmes de tagging ont été supprimées sur le site Youtube. Elles étaient présentes lors des premières observations mais en effectuant un suivi de l'évolution des interfaces elles ont été modifiées. Ces deux fonctionnalités sont marquées dans la grille par un « 0 » qui signifie leur disparition récente des systèmes de tagging de Youtube et montre le caractère encore instable et parfois exploratoire de l'intégration des systèmes de tagging sur le Web.

Figure 19 : Liste des fonctions standards extraite de la grille d'observation consultable dans son intégralité en annexe 1

-Une première série de conventions observées est liée aux modes de visualisation des tags et à leur rôle d'activeur. Les tags relatifs à un contenu sont systématiquement présentés dans leur intégralité (fonctionnalité n°168) et mis en forme sous forme de listes verticales ou horizontales (fonctionnalité n°165) ou de nuages (fonctionnalité n°97). Les tags sont toujours interactifs, ils sont activables en cliquant dessus, car ils sont des liens hypertextes (cf fonctionnalité n°100) et la modification de la flèche de la souris en main est un signe que l'on peut les activer, comme c'est le cas généralement sur les liens hypertextes. Cette convention forte autour du format graphique que représentent les « nuages de tags » sera l'objet d'une analyse plus approfondie dans la dernière partie ce chapitre.

-Sur tous les services étudiés, la recherche par tag englobe l'ensemble des contenus du site (fonctionnalité n°107) et les tags sont affichés à la fin de l'url dans la barre d'adresse du navigateur (fonctionnalité n°176). Ces observations peuvent paraître anecdotiques mais elles renvoient en réalité à ce que nous avons appelé le « zonage » des tags, c'est à dire, à la possibilité pour l'utilisateur de naviguer à travers différents agrégats de contenus ou d’utilisateurs. En effet, certains sites proposent des fonctionnalités qui permettent de filtrer les tags correspondant à un utilisateur, un groupe d'utilisateur ou à une catégorie thématique et permettent ainsi de circonscrire les tags à des sous ensembles auxquels ils sont associés. On limite ainsi l'espace de navigation et la portée du tag comme outil de recherche sur le site à

des zones délimitées.

-L'ensemble de systèmes observés permettent aux utilisateurs de tagguer les contenus qu'ils ont eux mêmes mis en ligne (fonctionnalité n°115) et nécessitent que les utilisateurs soient identifiés sur la plate-forme en se connectant à leur compte d'utilisateur (fonctionnalité n°113). Ces fonctionnalités permettent notamment aux systèmes de proposer aux utilisateurs d'identifier les producteurs des tags (fonctionnalité n°162). Nous observerons dans le chapitre 7, centré sur l'analyse des politiques de développement des systèmes de tagging, que ces conventions correspondent en réalité à une volonté de contrôle des utilisateurs et de leur pratique de tagging, de la part des administrateurs de ces services. Si certains sites permettent également de tagguer les contenus mis en ligne par d'autres utilisateurs, en revanche, l’identification obligatoire, pour accéder aux fonctionnalités de tagging, s'est largement imposée sur l'ensemble des sites, bien que certains sites tels que Jamendo ont autorisé par le passé à tous les visiteurs (identifiés ou non) de tagguer les contenus disponibles en ligne.

-La dernière convention observée est liée aux systèmes d'aide et d'assistance. Il s'agit de messages qui incitent à utiliser les tags et d'autres types de métadonnées afin de décrire et d'indexer les contenus mis en ligne (fonctionnalité n°63).

Si l'on considère l'ensemble des sites observés dans notre corpus, on constate donc une très faible convergence des systèmes quant à leur fonctionnement. Les conventions techniques utilisées par tous les sites Web se réduisent aux modes de visualisation des tags et à leur fonctionnalité de lien hypertexte, à l'identification et aux types de contenus qui peuvent être taggués, au « zonage » des tags sur l'ensemble du site, et à des dispositifs d'incitation au tagging. On voit que c'est l'ensemble de ces fonctionnalités techniques qui forme le socle (même a minima) standardisé des dispositifs de tagging.

La standardisation, en tant que processus de normalisation des dispositifs techniques, s'inscrit selon L. Thévenot (1997191) dans un régime de justification « industriel » (Boltanski, Thévenot, 1991). Dans ce processus de standardisation « les êtres sont mis en séries selon des

critères formels propices à l'abstraction de la mesure et à son transport » (Thévenot, 1997,

p.211). Elle a comme objectif d'optimiser l'efficacité des dispositifs, d'assurer des formes d'interopérabilité et de limiter « la variété dispendieuse des produits fabriqués injustifiable au

191 THEVENOT L., « Un gouvernement par les normes; pratiques et politiques des formats d'information », dans Conein B., Thévenot, L. (eds.), Cognition et information en société, Paris, Ed. de l'EHESS, Raisons

regard des besoins d'utilisateurs eux-mêmes pris dans leur fonctionnalité normale »

(Thévenot, 1997, p.212). Les dispositifs de tagging sont développés de manière isolée au sein des différents sites qui les intègrent. Ils ne semblent pas faire l'objet de procédures qui viseraient à les uniformiser, pour les rendre plus efficaces, tant du point de vue de leur conception, que des usages qu'ils prescrivent. Cependant, le mode de diffusion des systèmes de tagging sur le Web, basé sur un phénomène d'imitation, par emprunt ou opposition, explique en partie la faible standardisation de systèmes de tagging. Si l'on effectue une analyse comparative plus fine de notre grille et que l'on s’intéresse notamment aux types de contenus que les services proposent de mettre en partage, alors les systèmes de tagging paraissent développés de manière plus uniformisée. Autrement dit, il n'existe que très peu de conventions sur l'ensemble des systèmes, mais si l'on compare les systèmes des sites de partage de photo, de partage de vidéos, de fichiers audio et de fichiers textuels, alors il semble y avoir une plus grande convergence dans le développement des systèmes des tagging selon le type de contenus qui sont mis en ligne sur chacun de ces services. Cette pluralité de politiques de développement et les choix réalisés en matière de développement des systèmes de tagging sera développée dans le chapitre suivant. Les logiques sur lesquelles ces politiques s'appuient et la manière dont elles produisent des cadres techniques différenciés, montrent que la convergence des systèmes de tagging est encore retreinte et que ces dispositifs sont encore peu standardisé. En revanche, il semble que ces systèmes fassent l'objet de conventions techniques plus locales, qui en plus du socle technique commun de ce que doit être un système de tagging, produisent des aménagements liés aux types de contenus et aux usages qui y sont liés.

Outline

Documents relatifs