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Les folksonomies représentent l'un des modes de structuration des données du Web. Pourtant, les différents travaux de recherche et les expérimentations, ayant comme objectif de les faire évoluer, laissent apparaître des tensions au sein même de ce mode de structuration et redessinent un ensemble de possibles et des choix politiques d'architecture et d'orientation sur le Web. Le modèle typique des folksonomies, qui se fonde sur une indexation libre et collaborative du tags par les utilisateurs, ne représente pas la seule voie possible envisagée pour structurer les données du Web. En effet, différentes approches sont mises en œuvre afin de limiter les incertitudes produites par ce systèmes de classification et permettent de produire une nouvelle boussole (figure 8) des architectures Web liées à ce modèle (Boullier, 2008). Le modèle du tagging libre produit de l'incertitude car il se repose sur des formes d'attachement fort aux personnes ou à des collectifs restreints qui produisent de manière isolée les catégories qui leur permettent de classer les ressources du Web. Ce modèle repose sur des catégories qui permettent de faire émerger un système de classification des données dont la structure n'est ni produite par des autorités classiques (experts d'un domaine, scientifiques, etc.) ni par des outils automatisés (algorithmes) mais par une masse d'individus qui mobilisent des catégories dans un registre du familier et du proche.

Deux autres modèles émergent et opèrent tous les deux, mais de manière différente, un mouvement qui tend à limiter les incertitudes du modèle typique qu'est le tagging libre.

Le tagging standardisé s'appuie sur les dispositifs produits par le courant du Web sémantique (RDF, triple tagging), mais également sur les tentatives de structuration des corpus de tags à partir de systèmes plus organisés des connaissances (thesaurus, vocabulaire contrôlé, taxinomies). Ces courants tendent à limiter l'incertitude en produisant de la hiérarchie dans les corpus de tags, en se détachant des personnes pour reformer des attachements vers des autorités plus classiques et contrôlées. Cette politique permet alors de limiter la diversité des tags, leur caractère idiosyncrasique, pour s'orienter vers des taxinomies qui permettent de hiérarchiser les tags entre eux et de donner plus de poids dans la hiérarchie à certaines catégories. Pour être en mesure de produire des ontologies à partir des tags, deux méthodes sont envisagées, soit en incitant l'utilisateur à adopter des dispositifs qui le contraignent à mobiliser des catégories émises par une autorité, tout en utilisant des dispositifs standardisés pour produire des relations moins ambiguës entre les catégories, soit en traitant les folksonomies, a posteriori, à partir de données plus hiérarchisées pour limiter le bruit produit dans les corpus de tags indexés librement.

L'autre méthode consiste en un traitement des folksonomies, a posteriori, non pas basé sur un couplage des folksonomies avec des classifications préétablies, mais en opérant un nettoyage des tags eux-mêmes, à partir d'algorithmes de traitement qui permettent de repérer les catégories les plus fréquemment utilisées et les plus centrales dans les réseaux de tags. A partir des tags qui font autorité dans le réseau, car ils sont les plus cooccurrents, les algorithmes sont en mesure de recréer de la hiérarchie et de différencier les tags considérés comme génériques de ceux jugés trop spécifiques. Cette approche tend donc à limiter les incertitudes du premier modèle en se détachant complètement des personnes, mais aussi des autorités classiques, pour opérer de manière détachée un traitement informatique des tags par eux-mêmes, censé faire émerger des formes d'ontologies automatisées, calculées sur la base du tagging libre.

Une dernière approche qui produit de l'incertitude mais opère un détachement par rapport aux personnes qui produisent les folksonomies est de coupler le tagging libre à d'autres formes de métadonnées automatisées produites par les terminaux et les machines qui traitent ces données (date, heure, géolocalisation, durée, reconnaissance de formes automatisés).

Nous observerons dans le chapitre 7 que les systèmes de tagging, déjà opérationnels sur le Web, s'inscrivent également dans des politiques de développement du tagging qui mobilisent ces différentes orientations politiques et s'y positionnent de manière plus ou moins marquée. Notre recherche sur les usages du tagging s'intéresse plus particulièrement aux modèles libres du tagging pour comprendre les processus de construction des folksonomies et la manière dont leur utilisation fait sens pour les personnes qui les mobilisent, dans une logique de traitement documentaire. Nous sommes agnostiques quant à l’efficacité de ces différents modèles mais nous souhaitons rendre compte du rôle que tiennent les pratiques de tagging, en tant qu'activité de production et de mobilisation de catégories sur le Web à des fins d'orientation, et des logiques d'action plus larges dans lesquelles elles s'inscrivent.

Chapitre 3 - Une pluralité d'approches de l'activité de

catégorisation

Si les folksonomies apparaissent comme une des sources de structuration du Web envisageable et qu'elles font l'objet de travaux de recherche ayant comme objectif de produire des outils de recherche et de navigation performants pour les utilisateurs, nous avons pu observer, au cours des deux derniers chapitres, qu'elles nous amènent à questionner l'activité de catégorisation comme forme de description du monde et de guide pour l'action.

Afin de conceptualiser la complexité du monde, nous produisons intuitivement des catégories par association et différenciation entre les éléments qui le composent pour permettre de le penser et d'agir. L'activité de catégorisation a depuis longtemps fait l'objet de réflexions dans différents domaines scientifiques, notamment en philosophie, en sciences cognitives, en linguistique et en sociologie.

Le concept de catégorie s'apparente à ce que Star et Griesemer (1989126) définissent comme un « objet frontière », un concept qui permet d’articuler différentes communautés de pratiques, suffisamment adaptable pour être mobilisé dans différents courants scientifiques, ayant des objets et des méthodes distincts. Des catégories dites « ordinaires » (Vignaux, 1999) aux catégories « scientifiques », de nombreux travaux de recherche ont eu comme objectif d'analyser les processus liés à cette activité de mise en ordre du monde, sans pour autant parvenir à s'accorder tant ce concept reste perméable à une analyse convergente des mécanismes socio-cognitifs mobilisés à travers cette activité. Il ne s'agit pas dans cette partie de rendre compte de l'ensemble des travaux de ces différents domaines autour de ce concept théorique de catégorie, mais plutôt de tenter de mettre en perspective différentes approches, qui nous permettent de mieux l'appréhender dans le cadre de notre recherche sur les folksonomies et le tagging sur le Web. Que nous apprennent les différents travaux en philosophie, en sciences cognitives et en sociologie sur les pratiques de catégorisation ? Sur quels processus cognitifs repose cette activité ? En quoi elle se révèle être une activité

126 STAR S.L., GRIESEMER J.R., « Institutional Ecology, 'Translations', and Boundary Objects: Amateurs and Professionals in Berkeley's Museum of Vertebrate Zoology 1907-39 », Social Studies of Science, 1989, Vol 19.

cognitive essentielle pour permettre aux hommes de penser leur environnement et d'agir dans le monde ? Quelles différences marquent les processus de catégorisation ordinaire des formes de catégorisation scientifiques ?

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