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4.1.2-Conventions émergentes des systèmes et des usages du tagging

En ce qui concerne les « standards techniques » relatifs aux développements des systèmes tagging, deux caractéristiques des dispositifs seront étudiées : les fonctionnalités des systèmes de tagging et les modes de visualisation des tags. Les systèmes de tagging sont des dispositifs qui s’intègrent dans un cadre plus large de services de stockage et de partage de contenus en ligne, également appelés sites UGC (User Generated Content). Il est donc important de comprendre la manière dont ces systèmes de catégorisation des contenus par tags sont intégrés à un ensemble de fonctionnalités caractéristiques de ce type de sites qui fondent les services dits du « Web 2.0 ». Nous étudierons donc s'il existe des formes de standardisation techniques de ces services, en attachant une attention toute particulière aux systèmes de tagging.

C'est à partir des travaux de J. Goody (1979175) que nous pourrons trouver un cadre théorique pour analyser les aspects de design et les modes de visualisation déployés dans les systèmes de tagging et penser le rôle que peuvent avoir les modes de mise en forme des tags, Les travaux de J. Goody nous renseignent sur les liens qui existent entre le développement d'un mode de pensée « rationnel » et « logique » et la mise en forme graphique du langage. Selon son analyse, qui s'inscrit dans une perspective comparative et historique, les mutations des sociétés et des modes de pensée des individus qui les composent sont dues en grande partie à l'évolution des modes de communication, sans pour autant occulter les autres facteurs (sociaux,, économiques, ...) qui y ont contribué. Si le langage et sa formalisation graphique constituent un facteur déterminant dans l'apparition d'un mode de pensée « rationnel », il n'est pas pour autant considéré comme un facteur unique dans ce processus. L'apparition de l'écriture et de la mise en forme graphique des connaissances a permis de fixer le langage dans une forme semi-permanente et décontextualisée qui peut être alors manipulée et offre la

possibilité de transmettre le savoir dans l'espace et dans le temps. Pour illustrer cette évolution, l'auteur prend l'exemple des tableaux et des listes. Le tableau opère une mise en forme des connaissances et facilite, par sa structure, les mises en opposition, la hiérarchisation et la simplification des connaissances, car il oblige notamment à donner à chaque élément une place spécifique par un jeu d'inclusion et d'exclusion qui interdit de situer un élément à la limite. Les tableaux ne représentent qu'une partie restreinte d'une réalité plus complexe qu'ils tentent de conceptualiser. Cette réduction ou simplification de la connaissance permet, en retour, d'opérer des comparaisons, des mises en relations entre les différents éléments. De la même manière, la liste implique une simplification et une mise en ordre des connaissances par les agencements spatiales qu'elle nécessite. Les listes ou les tableaux fixent des limites physiques entre les éléments qui les constituent, ils rendent les catégories plus explicites et en produisent d'autres par leur organisation spatiale qui implique une hiérarchisation entre celles-ci et les éléments qui les constituent. Cette mise en forme opère des changements dans les schémas classificatoires et produit des modes de catégorisation différents de ceux que produit le langage parlé. Cette nouvelle forme de catégorisation modifie les formes de traitement des connaissances, agit sur le discours interne (mental) et l'interprétation du monde. La mise en forme des tags sur le Web s'effectue le plus souvent sous forme de liste (plus rarement de tableau) à proximité des contenus auxquels les catégories (tags) sont associées. Mais d'autres modalités de mise en forme sont également apparues telles que les « nuages de tags ».

Si l'on reprend le cadre théorique proposé par J. Goody, on peut dire que les tags représentent les formes figées de nos catégories mentales, ils sont enregistrables, modifiables, cumulables, réutilisables. On peut les diffuser dans le temps et dans l'espace à d'autres individus, les réorganiser ou y apporter des modifications. Ils répondent à un besoin de s'orienter au sein d'un univers éclaté et complexe qu'est le Web. Ils sont un nouveau moyen technique de fixer les représentations des internautes pour contextualiser les ressources auxquelles elles référent. Les folksonomies représentent alors des formes visibles et observables des schémas classificatoires des utilisateurs et leur organisation est déterminée par le support et leur mise en forme graphique, qui dépend des choix techniques des éditeurs de site Web. Les tags ont également la particularité d'être activables car ils sont des liens hypertextes qui permettent d’accéder à l'information. Comme nous l'avons souligné auparavant, les tags sont pourtant des catégories exprimées à partir de mots mais qui, contrairement aux autres formes de compte-rendus langagiers, ne sont pas exprimés dans un discours structuré. Leur mise en forme graphique devient pour nous une des sources de mise en contexte qui va déterminer les formes d’interprétation que les internautes vont en faire et qu'il nous faut donc étudier. Nous

souhaitons saisir, à partir de l'étude des formes de visualisation qui tendent à se standardiser, la manière dont les multiples mises en forme des tags agissent sur l’interprétation des catégories par les utilisateurs, ainsi que sur les usages qui sont faits des systèmes de tagging. Le format du « nuage de tags », aujourd'hui largement diffusé sur le Web, représente un mode de mise en forme graphique semblable aux listes ou aux tableaux. Il organise les informations sur un plan spatial et offre une mise en ordre hiérarchique spécifique qui peut induire de nouveaux schémas classificatoires et avoir un impact sur les usages des systèmes de tagging. La mise en ordre des tags par fréquence, par ordre alphabétique, l'affichage de la fréquence d'utilisation des tags, les jeux de dimension et de couleur des tags organisent les informations et les hiérarchisent (donnant plus ou moins d'importance ou de visibilité à certains tags qu'à d'autres). De plus, étant donné les possibilités de personnalisation offertes par les fonctionnalités techniques des systèmes de tagging, ces modes d'organisation des informations et leurs supports de visualisation peuvent varier d'un utilisateur à l'autre. Il semble donc important d'étudier ce format typique des folksonomies que représente le « nuage de tags » car il semble proposer des caractéristiques spécifiques sur le plan de la mise en forme graphique des informations et s'impose, peu à peu, depuis l'apparition du tagging comme un format graphique typique, associé aux folksonomies.

Qu'il s'agisse des fonctionnalités des systèmes de tagging, et plus largement des sites dits UGC, ou des aspects de design et de mise en forme des métadonnées que représentent les tags, l'objectif est de comprendre : Quels sont les processus de standardisation à l'oeuvre dans la conception des systèmes de tagging ? Quels sont les éléments qui tendent à réguler, à normaliser ou à faire évoluer ces dispositifs ?

Un autre objectif est d'analyser les conventions, les « routines » d'usage des systèmes de tagging, afin d'étudier le couplage entre conception et usage. Nous souhaitons mettre en évidence les usages du tagging et rendre compte des formes d'appropriation et d'apprentissage de ces systèmes par les utilisateurs, en nous intéressant aux pratiques des internautes et au cadre d'usage plus large dans lesquels cette activité de catégorisation des ressources du Web vient s'intégrer. Il est nécessaire de rendre compte des pratiques (répandues et spécifiques) des utilisateurs en terme de traitement documentaire, des « routines » qu'ils mettent en œuvre, à la fois sur le plan de la production des tags, mais également sur celui de l'usage des tags comme support de recherche, de navigation, de partage et de diffusion d'informations sur le Web. Nous souhaitons surtout comprendre ce que change l'utilisation des tags sur le plan du

traitement de l'information par rapport à des formes plus éprouvées de catégorisation et d'accès à l'information telles que les classifications hiérarchiques. Il s'agit donc de saisir : Quelles sont les spécificités de l'usage du tagging dans une logique de traitement documentaire ? Quels sont les modes d'appropriation de ces systèmes ? De quelle manière ces usages évoluent et se régulent à travers le temps et l'expérience des utilisateurs ?

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