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Contribution des résultats des entretiens à la réflexion sur le respect de

6. Apports éthiques de l'étude des préférences des patients pour le retour d'informations

6.3. Contribution des résultats des entretiens à la réflexion sur le respect de

6.3.1. Conseils du médecin et autonomie

Nous avons pu constater que les recommandations du médecin de ne pas connaître certaines catégories de trouvailles s'avèrent fréquemment suivies en raison de la confiance qu'ont les patients en leur généticien. Le conseil non directif traditionnellement pratiqué en génétique médicale afin de respecter l'autonomie des patients ne signifie pas pour autant l'abandon du principe de bienfaisance (Chieng et al., 2011). Il est donc légitime qu'à la demande des patients le généticien leur fasse part de ses recommandations. Une étude a d'ailleurs montré que 50 % d'entre eux attendent des conseils lors d'une consultation de conseil génétique et 30 % une aide à la prise de décision (Michie et al., 1997).

Toutefois, nos résultats relèvent l'importance que ces recommandations soient prodiguées en ayant pleinement conscience de leur impact sur la prise de décision des personnes à qui elles sont destinées. En outre, il s'avère essentiel que les personnes ayant bénéficié des conseils d'un professionnel de santé gardent la liberté de ne pas les suivre. A cet égard, le cas de quelques participants à qui la possibilité de recevoir une catégorie de résultats figurant sur le formulaire de consentement aurait été refusée paraît plus problématique du point de vue du respect de leur autonomie. En l'absence d'informations complètes relatives au déroulement de la consultation, nous ne sommes évidemment pas en mesure de porter un

69 jugement sur ces situations. Cependant, de manière générale, il nous paraît utile de souligner que la décision revient finalement aux patients. Si la politique d'un service prévoit que le retour de certains types de résultats ne représente pas une option pour certains patients (maladies non actionnables chez des mineurs par exemple), il conviendrait d'en faire mention sur le formulaire de consentement.

6.3.2. Sentiment d'être pris de court

Le sentiment de trois participants d'avoir été pris de court face au choix à faire en matière de résultats inattendus est un facteur indésirable ressorti de nos entretiens, qui risque de limiter le caractère libre et éclairé du consentement des patients. Il est donc important de réfléchir à des mesures pouvant être mises en place afin de prévenir ce phénomène. A cet effet, il convient de distinguer deux aspects de cette problématique.

D'une part, certaines remarques des participants concernaient leur manque de préparation à la décision qu'ils avaient à prendre. La remise d'une documentation avant la consultation pourrait alors représenter une réponse, dont les effets positifs ont déjà été démontrés dans le contexte du conseil en oncogénétique (Green et al., 2004) (Peterson et al., 2006). En plus d'avoir augmenté la satisfaction des patients, une information avant la consultation a également permis à ceux-ci d'améliorer leur compréhension de la génétique (Green et al., 2004) (Peterson et al., 2006).

Les participants ayant mentionné avoir été pris de court avaient en l'occurrence une bonne compréhension des enjeux relatifs aux résultats secondaires et l'apport d'une documentation serait, dans des cas similaires, d'octroyer un temps de réflexion sur cette question avant la consultation. D'autres personnes interrogées ont en revanche évoqué leurs difficultés à appréhender la génétique et pourraient peut-être bénéficier d'une documentation adaptée pour se familiariser avec le domaine. Du matériel d'information serait sans doute susceptible d'aider un grand nombre de patients, le niveau de connaissances en génétique étant faible dans le grand public (Lanie et al., 2004) (Catz et al., 2005).

Certaines études suggèrent qu'une information sous la forme d'une vidéo serait plus accessible pour des personnes ayant peu de connaissances préalables (Green and Fost, 1997) (Bickmore et al., 2009) et aboutirait à un meilleur niveau de compréhension (Jeste et al., 2008). D'autres en revanche n'ont pas pu mettre en évidence la supériorité des effets pédagogiques de la vidéo sur ceux d'une documentation écrite (Sanderson et al., 2016b). Le choix du support d'une éventuelle information et de son contenu serait dans tous les cas du ressort de spécialistes en conseil génétique et en communication.

La seconde composante du sentiment d'avoir été pris de court ayant émergé lors des entretiens a trait à l'absence d'une réflexion approfondie concernant toutes les implications du choix. Il paraîtrait donc bénéfique, au moment de proposer aux patients de se prononcer sur les trouvailles qu'ils souhaitent recevoir, de s'enquérir de leur ressenti face à cette décision et

70 d'offrir à ceux qui en éprouvent le besoin un temps de réflexion supplémentaire. Un délai obligatoire entre le conseil pré-séquençage et la signature du consentement éclairé nous paraîtrait en revanche contre-productif, risquant d'augmenter la frustration des personnes ayant vécu une longue errance diagnostique et désireuses d'aller de l'avant.

6.3.3. Influence des coûts irrécupérables

Pour rappel, les coûts irrécupérables correspondent, en économie comportementale, aux coûts de diverses natures, pas forcément financière, déjà payés, ne pouvant être remboursés. Ils influencent de manière irrationnelle une décision en empêchant de renoncer à une démarche entreprise, en raison de l'aversion à la perte (Fantino, 2004). Nos entretiens ont révélé l'effet des coûts irrécupérables dans le contexte des analyses génétiques.

L'investissement financier ou émotionnel que les patients ont fait tout au long de la démarche diagnostique empêche ainsi certains d'entre eux de renoncer à la connaissance des trouvailles secondaires. Ce phénomène, se rapprochant du concept d'"inflicted ought" décrit par Anderson (Anderson et al., 2017), est susceptible de limiter la liberté du choix des patients et donc son caractère autonome. Sa mise en évidence et sa compréhension sont essentielles afin d'élaborer des stratégies visant à atténuer ses effets. Les coûts irrécupérables impliquent, d'une part, un investissement émotionnel ou financier et, d'autre part une aversion à la perte de celui-ci (Dijkstra and Hong, 2019). Il paraît donc raisonnable de supposer que leur impact pourrait être réduit par des mesures agissant sur ces deux aspects.

Dans le contexte des analyses par séquençage à haut débit, l'investissement évoqué par les participants correspondait soit à l'espoir d'obtenir enfin un diagnostic après de nombreuses années d'errance, soit à un réel investissement financier dû au recours à un avocat pour obtenir le remboursement du test par l'assurance obligatoire des soins. La future mise en œuvre du concept national maladies rares adopté le 15 octobre 2014 par le Conseil fédéral, dont l'un des objectifs est l'accès au diagnostic et à son remboursement, devrait permettre une analyse génétique plus précoce ainsi que sa prise en charge, limitant ainsi l'investissement émotionnel et financier des patients.

L'élimination de la notion de perte pourrait quant à elle être atteinte par la garantie aux patients d'un accès ultérieur facile aux données génétiques dont ils ne souhaitent pas prendre connaissance au moment de l'analyse. Il est également intéressant de relever qu'une étude récente suggère que les personnes ayant à justifier leur décision sembleraient moins soumises à l'effet des coûts irrécupérables (Eisenberg et al., 2012). Cette mesure, qui nous paraît souhaitable dans le contexte du conseil génétique pré-séquençage afin de s'assurer de l'adéquation entre les préférences des patients et leurs valeurs personnelles, serait donc aussi bénéfique pour le respect de l'autonomie des personnes concernées en supprimant un biais dans leur prise de décision.

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6.3.4. Apports des entretiens dans la réflexion sur les options adéquates associées aux variants de signification incertaine

Finalement, les résultats de notre étude empirique sont susceptibles d'enrichir l'analyse de l'implémentation de la définition de l'autonomie de Raz. Celle-ci, rappelons-le, implique qu'un choix, pour être autonome, doit offrir à l'agent une gamme d'options pertinentes (Raz, 1986; p. 372). La question des options adéquates générées par les variants de signification incertaine est particulièrement complexe.

Le suivi de la recherche par les patients a été évoqué dans le cadre de notre réflexion théorique au chapitre 3 et effectivement retrouvé dans les entretiens. Nous avons toutefois argumenté en faveur de mesures visant à recontacter les patients en cas de réinterprétation des variants, mesures qui nous paraissent également appropriées pour répondre à d'autres craintes des personnes interrogées.

Ainsi, la peur de celles-ci que les résultats ne restent "dormants" si elles n'en prennent pas connaissance est compréhensible mais nous sommes d'avis qu'il est de la responsabilité de l'équipe médicale de prendre les dispositions nécessaires pour éviter que cette situation ne se produise. La liste des VUS établie à un instant donné ne s'avère en outre pas d'une grande utilité pour les patients si une réévaluation des variants au regard des nouvelles connaissances scientifiques n'est pas entreprise. Un débat est en cours sur la responsabilité des différents intervenants dans le processus de diagnostic génétique (laboratoires, généticiens) quant à la réinterprétation des données et à la convocation des patients pour un suivi. Il existe une grande variabilité dans les procédures. La réinterprétation régulière des variants tous les six mois est pratiquée dans certains centres et nous semble représenter une solution répondant aux besoins exprimés des participants à notre étude (Vears et al., 2018).

Le souhait de pouvoir transmettre les trouvailles à d'autres professionnels de santé a également été mentionné lors des entretiens et correspond à une réelle option adéquate selon la définition de Raz. Il est en effet important qu'un individu soit libre de consulter une autre équipe médicale et que celle-ci dispose de toutes les informations nécessaires à sa prise en charge. Toutefois une procédure comme celle en place aux HUG nous semble déjà permettre cela. La mention dans le rapport envoyé aux patients de la possibilité de s'adresser au laboratoire pour obtenir les VUS alertera un éventuel autre spécialiste de l'existence de tels variants. De plus, cette option est ouverte aux quelques personnes qui souhaitent avoir accès à tous leurs variants pour mieux se connaître. La meilleure connaissance de soi est d'ailleurs une motivation évoquée lors des entretiens mais ne représente pas, de notre point de vue, une option adéquate et ne justifierait pas le retour systématique des variants de signification incertaine à tous les patients.

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6.4. Conclusion

Les résultats des entretiens confirment et élargissent notre proposition de catégorisation de l'actionnabilité. Ils mettent en évidence, d'autre part, des éléments pertinents pour la réflexion autour du respect de l'autonomie des patients. Ils suggèrent ainsi l'utilité de fournir aux personnes concernées une documentation relative aux analyses génomiques avant la consultation pré-séquençage et de s'enquérir d'un éventuel besoin de celles-ci d'un délai supplémentaire de réflexion. De plus, la garantie d'un accès ultérieur aux données génétiques apparaît souhaitable afin de limiter l'effet des coûts irrécupérables sur la décision des patients.

Finalement, les entrevues n'ont pas fait apparaître d'option adéquate selon la définition de Raz qui justifierait la transmission systématique des variants de signification incertaine.

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