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Lors d'une analyse par séquençage à haut débit de grands panels, de l'exome ou du génome, une description détaillée de chaque résultat potentiel n’est pas envisageable.

Pourtant, une information adéquate des patients est indispensable. Pour répondre à cette exigence, la catégorisation des trouvailles secondaires possibles s'avère incontournable. Elle permet de présenter aux personnes concernées différents types de résultats et de leur laisser le choix de les connaître ou pas.

Plusieurs critères de classification des résultats des analyses génétiques ont été suggérés (Eckstein et al., 2013), mais ils demeurent trop vagues pour être utilisés sans ambiguïté dans la pratique clinique. Le but de ce chapitre consiste donc à proposer une implémentation pratique de la notion d'actionnabilité des résultats secondaires en subdivisant ce concept en catégories d'actionnabilité reflétant les types de décisions des patients. A cette fin, nous illustrerons d'abord le manque d'uniformité dans les classifications actuelles des résultats secondaires. Ensuite, nous nous concentrerons sur la notion d'actionnabilité, mettrons l'accent sur les impacts médicaux et non médicaux des résultats et proposerons trois catégories d'actionnabilité dans la pratique clinique. Enfin, nous aborderons la question du retour des VUS dans les gènes actionnables.

3.1. Terminologie décrivant les conséquences des trouvailles secondaires

Comme détaillé dans la revue d'Eckstein et ses collaborateurs, les répercussions des résultats génétiques sur les patients sont actuellement décrites à l'aide de termes tels que

"utilité clinique", "importance clinique", "pertinence clinique" et "actionnabilité" (Eckstein et al., 2013). Cependant, il existe une confusion terminologique importante autour de ces notions que nous illustrerons par quelques exemples.

Ainsi, plusieurs auteurs semblent utiliser le même terme pour décrire différents concepts. Par exemple, la notion d'"utilité clinique" peut faire référence à des bénéfices médicaux, tels que la probabilité d'une amélioration de l'état de santé des patients (Bookman et al., 2006), ou à des interventions thérapeutiques ou préventives éprouvées (Knoppers and Dam, 2011). Alors que ces dernières correspondent à une "utilité immédiate", Bredenhoord et al. tiennent compte de "l'utilité clinique potentielle/modérée" de résultats indiquant une menace moins immédiate ou des troubles moins graves, ainsi que des mesures préventives ou thérapeutiques controversées ou sous-optimales (Bredenoord et al., 2011). D'autres auteurs

26 définissent l'utilité clinique comme faisant référence à un bénéfice informationnel pour les patients plutôt qu'à l'existence d'une mesure thérapeutique (Cho, 2008) (Wolf et al., 2008).

Pour eux, l'utilité clinique peut inclure la possibilité de réduire l'anxiété des participants, d'éclairer leurs décisions en matière de reproduction ou leurs plans de vie dans le cas de maladies à apparition tardive comme la chorée de Huntington (Ravitsky and Wilfond, 2006).

De même, bien que la plupart des définitions de la "signification clinique" tiennent compte d'un type quelconque d'action médicale, incluant des consultations cliniques de suivi ou des interventions chirurgicales (Wolf et al., 2008) (Brief et al., 2012), d'autres auteurs adoptent une définition plus large qui inclut la meilleure compréhension que les personnes concernées peuvent avoir d'une maladie (Shalowitz and Miller, 2008) ou soulignent que l'importance des résultats est étroitement liée aux préférences des patients (Kohane and Taylor, 2010).

La "pertinence clinique" fait également référence à divers impacts des résultats selon les auteurs. Elle englobe, entre autres, une association génotype-phénotype ayant une forte corrélation dans au moins une étude (Westbrook et al., 2013), des informations telles que les prédictions de risque (McGuire et al., 2008), un suivi clinique possible et des conseils aux membres à risque de la famille (Pullman and Hodgkinson, 2006).

L'interprétation de "l'actionnabilité" varie aussi beaucoup d'un auteur à l'autre. Pour certains d'entre eux, l'actionnabilité implique la possibilité d'interventions thérapeutiques ou préventives établies ou d'autres actions qui ont le potentiel de modifier l'évolution clinique de la maladie (Fabsitz et al., 2010). D'autres en revanche soutiennent que l'actionnabilité est nécessairement subjective et doit être comprise du point de vue du patient (Wolf et al., 2012).

Ces terminologies hétérogènes représentant un obstacle à l'intégration des résultats génétiques dans les décisions cliniques, nous souhaitons proposer une classification basée sur la notion d'actionnabilité. Nous avons choisi de nous concentrer sur ce terme parce que les décisions des patients basées sur des découvertes génétiques sont principalement liées à des actions de nature différente. De plus, l'actionnabilité apparaît comme une notion précise en raison de sa référence aux actions, mais elle est suffisamment ouverte pour permettre une catégorisation des actions possibles.

3.2. Terminologie de l'actionnabilité

Historiquement, le terme "actionnabilité" a été importé en génétique médicale à partir du langage du droit : un acte, un événement ou un fait est dit "actionnable" lorsqu'il y a des motifs juridiques de fonder une action en justice sur celui-ci (Lehman and Phelps, 2005; p.

79). Dans le sens élargi qui nous concerne, l'actionnabilité désigne un état de fait qui rend une action particulière plausible ou justifiée, sans nécessairement impliquer que cette action est

27 automatique ou obligatoire. Sur la base de cette définition, deux observations peuvent être faites.

Premièrement, les trouvailles secondaires résultant des analyses par séquençage à haut débit peuvent avoir des conséquences diverses pour les patients, ne se limitant pas aux impacts médicaux et mener potentiellement à une grande variété d'actions, allant des interventions thérapeutiques établies aux plans de vie éclairés (Knoppers and Dam, 2011) (Ravitsky and Wilfond, 2006), comme nous allons le développer ci-dessous. Il s'ensuit que tous les variants permettant de telles actions correspondent à la définition générale de l'actionnabilité et peuvent donc être qualifiés d'actionnables. En d'autres termes, l'actionnabilité se réfère à de nombreux types d'actions qui peuvent être effectuées par différentes personnes, et pas seulement par le médecin.

Deuxièmement, des cas concrets montrent que l'actionnabilité n'est pas un concept de tout ou rien et que le degré d'actionnabilité d'une découverte génétique doit être évalué dans chaque situation individuelle. Par exemple, l'identification d'un variant pathogène dans le gène BRCA1 (MIM 113705) n'aurait pas les mêmes conséquences pour un homme que pour une femme. La discussion entre médecin et patient au cours de la consultation pré-séquençage paraît propice à la clarification du degré d'actionnabilité d'un résultat pour un patient particulier, dans des circonstances données.

3.3. Une proposition de catégorisation de l'actionnabilité

Afin de clarifier la classification des trouvailles génétiques inattendues, nous avons proposé en 2016 une catégorisation des résultats secondaires fondée sur notre expérience à la consultation génomique des Hôpitaux Universitaires de Genève, où les indications et les résultats des analyses par séquençage à haut débit sont discutés dans un cadre multidisciplinaire par des généticiens médicaux, des biologistes moléculaires, des bioinformaticiens, des éthiciens et une coordinatrice (Moret et al., 2016) (Fokstuen et al., 2016).

Nous avons abordé le processus de catégorisation du point de vue de l'autodétermination des patients et nous sommes intéressés aux décisions qui pourraient être prises suite à la découverte de résultats secondaires. Par conséquent, nous avons décidé de classer les résultats possibles selon le type de décisions/d'actions qu'ils peuvent permettre et nous suggérons d'envisager trois principaux types d’actionnabilité :

1. Actionnabilité de type 1 : actions médicales bien établies

Ce type de décisions concerne des actes médicalement indiqués conformément aux règles de l'art médical, de sorte que le fait de ne pas proposer la procédure aux patients présentant ce

28 résultat consisterait en un manquement à la diligence professionnelle ou aux recommandations des groupes d'experts.

Ainsi par exemple, la découverte d'une mutation pathogène dans le gène BRCA1 chez une jeune femme conduirait son médecin à recommander un programme de surveillance médicale bien établi.

2. Actionnabilité de type 2 : mesures liées à la santé prises à l'initiative du patient

Cette catégorie comprend les décisions qui représenteraient des initiatives individuelles de patients pour leur propre santé sans normes médicales établies.

Les patients peuvent utiliser les informations reçues pour prendre un large éventail de décisions pour leur santé, comme la programmation du suivi médical, des changements de mode de vie concernant leur alimentation ou leur activité physique et le suivi des informations relatives à la maladie en vue d'adopter des actions préventives futures ou de participer à des recherches ultérieures. La découverte d'une prédisposition à une cardiomyopathie héréditaire, par exemple, pourrait amener un patient à adapter ses activités sportives.

3. Actionnabilité de type 3 : décisions relatives aux plans de vie

Cette catégorie comprend l'adaptation des plans de vie à des objectifs autres que la santé.

Certaines découvertes peuvent en effet avoir un impact au-delà des actions liées à la santé sur les plans de vie des patients, comme les choix en matière de reproduction, de profession et/ou de logement. La connaissance d'une mutation causant une maladie incurable comme la rétinite pigmentaire, une dégénérescence progressive de la rétine, s'avère par exemple susceptible de guider les décisions professionnelles des patients (éviter certaines activités nécessitant une bonne vision) et/ou les choix de logement (tenir compte de la probabilité d'avoir à cesser de conduire).

Il est important de relever que les résultats secondaires ont souvent un impact à plusieurs niveaux. Une mutation du gène BRCA1, en plus des implications médicales (catégorie 1), peut également avoir un impact sur les choix reproductifs et pourrait conduire la patiente à prendre des décisions pour sa santé, comme suivre les progrès de la recherche liés au gène impliqué ou changer son mode de vie, et donc impliquer les trois catégories d'actions.

Nous pensons que les variants appartenant au moins à l'une de ces trois catégories devraient être considérés comme actionnables et devraient donc être communiqués aux patients qui souhaitent les connaître afin de respecter l'autonomie de ces personnes.

29 Alors qu'il s'avère généralement facile pour les médecins de déterminer si un résultat secondaire mène à une action médicalement indiquée (catégorie 1), déterminer pour quel type de décisions relatives aux plans de vie d'un patient donné un résultat pourrait être pertinent est sans doute plus complexe et subjectif. Une discussion avec chaque patient sur les domaines qui sont importants pour lui pendant le conseil pré-séquençage représente une stratégie pour clarifier cet aspect. La norme de la personne raisonnable, qui est souvent utilisée en droit médical pour définir l'étendue de l'information qu'une personne raisonnable hypothétique voudrait obtenir pour prendre une décision éclairée, pourrait alors être utilisée en complément pour évaluer si un résultat donné est pertinent pour un patient particulier (Beauchamp and Childress, 2013; p. 126).

3.4. Cas des variants de signification incertaine dans des gènes actionnables

Les variants dont la signification clinique est incertaine soulèvent des questions spécifiques en termes d'actionnabilité, les évidences scientifiques actuelles étant insuffisantes pour déterminer s'ils sont délétères ou bénins (Richards et al., 2015). De plus, contrairement à d'autres résultats médicaux, l'incertitude inhérente aux VUS ne peut être éliminée par des techniques qui sont utilisées dans la pratique clinique courante. L'ACMG et l'AMP ont récemment proposé des critères afin de définir cinq catégories de variants en fonction de leur degré de pathogénicité : 1) bénin 2) probablement bénin 3) de signification incertaine 4) probablement pathogène et 5) pathogène (Richards et al., 2015).

L'actionnabilité des variants pathogènes clairs ou probables (classes 5 et 4) dans des gènes mendéliens qui, lorsqu'ils sont mutés, peuvent donner lieu à l'un des trois types d'actions décrits plus haut, ne prête pas à discussion. Le cas des VUS (classe 3) est en revanche plus complexe car il est difficile d'envisager des actions que pourraient entreprendre les patients porteurs de tels variants. Se tenir au courant des nouvelles découvertes concernant le VUS identifié pourrait être considéré comme une option dont la valeur devrait être discutée. Toutefois, des mises à jour sur les VUS identifiés pourraient être plus utiles si des dispositions étaient prises pour que les généticiens cliniques puissent recontacter les patients dans le cas où l'importance du variant aurait été clarifiée entretemps.

La probabilité a priori pour un patient d'être affecté par la maladie causée par une mutation du gène dans lequel un VUS a été identifié peut être un élément important influençant l'évaluation du variant. Ainsi, il semble approprié de considérer comme plus actionnable un VUS dans un gène associé au cancer chez un patient ayant des antécédents familiaux de susceptibilité au cancer, que chez un patient n'ayant pas une telle indication de

30 cancer héréditaire. Chez ce dernier, la probabilité que le variant soit pathogène serait faible et le VUS vraisemblablement pas actionnable.

3.5. Quelques critiques possibles

Les trois catégories d'actionnabilité peuvent sembler vagues et la catégorisation d'une trouvaille donnée difficile. Cependant, l'existence ou l'absence d'une indication médicale bien établie ou de choix liés à la santé représente une information raisonnablement claire et significative pour les professionnels de santé. Les impacts des découvertes génétiques sur les choix de vie sont certainement moins bien définis, mais les aspects importants de la vie d'un patient peuvent être déterminés pendant la séance de conseil pré-séquençage. Nous n'avons pas souhaité établir une liste de domaines importants dans la vie d'un patient parce qu'elle varierait dans chaque cas individuel, en fonction de facteurs comme l'âge, la situation familiale, l'activité professionnelle, les croyances religieuses et philosophiques, ainsi que les expériences personnelles en matière de santé.

Le fait de ne pas limiter la notion d'action à des considérations médicales pourrait susciter la crainte d'aboutir à une quantité ingérable d'informations à donner aux patients et de générer de l'anxiété. Nous ne minimisons pas le défi que représente le retour des résultats génomiques aux patients, mais nous pensons qu'il ne constitue pas une raison pour ne pas transmettre des informations utiles aux personnes concernées. De nombreuses mutations dans les gènes susceptibles d'apparaître comme des découvertes secondaires sont délibérément recherchées dans le contexte de familles à risque, y compris des découvertes qui sont pertinentes pour la planification de la vie dans le cas de maladies incurables. Il est donc raisonnable de penser que ces résultats sont considérés comme importants par les patients.

Nous pensons que, pourvu que leur pathogénicité soit établie, ces résultats conservent leur valeur même s'ils sont découverts accidentellement et méritent d'être communiqués. La quantité d'information et l'anxiété qu'elle peut engendrer ne justifient pas sa rétention, et des solutions devraient être élaborées pour faciliter la communication. Le processus de consentement éclairé joue évidemment un rôle majeur dans les analyses génomiques et devrait conduire à une information suffisante du patient pour lui permettre de choisir le résultat qu'il souhaite recevoir et d'être en mesure d'en supporter les conséquences. Une façon de faciliter le processus de retour des résultats et, surtout, de permettre aux patients d'obtenir des renseignements particuliers lorsqu'ils en ont besoin, serait de considérer les données génomiques comme une ressource de santé qui peut être interrogée sur demande. En fait, comme l'ont montré Scully et ses collaborateurs, la vraie question n'est souvent pas de savoir si les patients veulent recevoir un résultat génétique, mais quand ils veulent le recevoir (Scully et al., 2007).

31 Finalement, il est important de noter que notre discussion sur les résultats secondaires non liés au phénotype étudié des patients doit être considérée indépendamment des recommandations de l'American College of Medical Genetics and Genomics, plaidant pour l'analyse additionnelle d'une liste établie de gènes considérés comme médicalement actionnables (Green et al., 2013). La recherche systématique et volontaire de mutations en l'absence de tout symptôme soulève des questions spécifiques qui ne sont pas abordées dans le présent travail et qui doivent être examinées séparément (Moret et al., 2015).

3.6. Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons examiné la notion d'actionnabilité et avons argumenté qu'il s'agit d'un terme général et que l'exigence d'actionnabilité peut être satisfaite par un large éventail d'actions effectuées par différentes personnes, et pas seulement par celles qui relèvent des professionnels de santé. En outre, chaque situation exige une évaluation du degré d'actionnabilité d'une trouvaille donnée. En d'autres termes, les résultats ne peuvent donner lieu à une action en soi ; ils peuvent donner lieu à une action pour un individu - ou un ensemble d'individus - dans des situations particulières.

Afin de proposer une application concrète de cette notion dans la pratique clinique, nous avons distingué trois types d'actionnabilité pour les découvertes génétiques, correspondant à 1) des actions médicales bien établies, 2) des actions liées à la santé initiées par le patient et 3) des décisions concernant les plans de vie.

Enfin, nous avons abordé le défi des variants de signification clinique inconnue dans des gènes actionnables. Ces variants n'étant pas susceptibles, la plupart du temps, de donner lieu à des actions fondées, nous avons conclu qu'à quelques exceptions liées à des antécédents familiaux de maladies génétiques de telles trouvailles ne peuvent pas être considérées comme actionnables.

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4. Respect de l'autonomie dans le contexte du