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4. Respect de l'autonomie dans le contexte du retour des trouvailles inattendues

4.2. Approches en éthique appliquée

4.2.1. Le conséquentialisme

Le conséquentialisme est un groupe de théories morales évaluant le caractère moralement juste des actions en fonction des conséquences escomptées de celles-ci pour les personnes directement concernées par ces actions, mais également plus largement pour la société. L'utilitarisme, dont Jeremy Bentham (1748–1832) et John Stuart Mill (1773-1836) ont donné la formulation classique, constitue la théorie conséquentialiste prédominante. Elle introduit le principe d'utilité, à savoir l'approbation ou la désapprobation d'une action sur la base de sa tendance à augmenter ou diminuer le bien-être des personnes affectées par cette action. En d'autres termes, l'utilitarisme préconise la maximisation du bien-être pour le plus grand nombre. La définition du bien-être, et donc des conséquences qui comptent pour l'évaluation de la moralité d'une action, varie selon les auteurs. Pour Bentham et Mill, cette notion doit être entendue comme plaisir et absence de souffrance. Plus récemment, divers utilitaristes ont argumenté que d'autres valeurs contribuent au bien-être. La maximisation de la satisfaction des préférences de tous est privilégiée dans la version prédominante de l'utilitarisme contemporain (Beauchamp and Childress, 2013; p. 354) (Sinnott-Armstrong, 2015) (Taylor, 2013) (Baertschi, 2013; p. 24).

Le calcul utilitariste ne tient compte ni des motivations de l'agent (générosité, intérêt), ni de la nature intrinsèque de l'action. Il s'effectue de manière impartiale, le bien-être et les souffrances de chaque individu doué de sensibilité, animaux y compris, ayant le même poids (Baertschi, 2013; p. 24). Il est important de souligner que ce calcul n'est pas requis avant d'agir, l'utilitarisme représentant un critère d'évaluation du caractère moral des actions et non une procédure de décision (Sinnott-Armstrong, 2015).

Pour les utilitaristes de l'acte, les circonstances particulières dans lesquelles une action donnée est accomplie sont seules prises en considération dans l'évaluation de ses conséquences. Il s'agit donc d'analyser la moralité d'une action singulière dans un contexte précis. Pour les utilitaristes de la règle, au contraire, sont calculées les conséquences globales résultant de l’adoption d’une règle générale (Beauchamp and Childress, 2013; p. 357) (Taylor, 2013).

L'utilitarisme de la règle et parfois de l'acte, comme nous le verrons plus loin, est un apport important à la bioéthique. Son principe d'utilité s'avère particulièrement adéquat lorsqu'il s'agit de mettre en place des politiques de santé publique. En outre, l'examen des conséquences d'un acte, de même que la maximisation des bénéfices et la minimisation des

35 risques, font intrinsèquement partie des principes de bienfaisance et de non-malfaisance de Beauchamp et Childress. Cependant, cette théorie présente deux limitations importantes.

D'une part, le recours à des actions intuitivement immorales s'il s'agit du seul moyen d'aboutir à des conséquences positives, comme tuer un individu pour distribuer ses organes à plusieurs personnes malades qui mourraient sans transplantation, est justifié selon la logique utilitariste bien qu'impensable en pratique. Deuxièmement, le calcul utilitariste s'intéressant à la quantité totale de bien-être et non à sa distribution, il risque de mener à la négligence des besoins de minorités. Le conséquentialisme a donc échoué, jusqu'à présent, à rendre compte de l’ensemble de nos intuitions morales (Beauchamp and Childress, 2013; p. 359).

4.2.2. Le déontologisme

Contrairement au conséquentialisme, le déontologisme ne tient nullement compte des conséquences d'une action pour évaluer sa moralité mais considère sa conformité à une norme ou un devoir moral. Agir de manière déontologiste pourrait se résumer par le dicton : "fais ce que tu dois, advienne que pourra". Une action est en effet juste, d'une part, si la maxime (c'est-à-dire la règle de conduite) à laquelle elle correspond peut être universalisée et si, d'autre part, l'action considère autrui comme une fin et pas uniquement comme un moyen.

Remplir ces deux conditions revient, pour une action, à passer le test de l'impératif catégorique d'Emmanuel Kant (1724-1804), un critère pour le jugement de l'acceptabilité des maximes, dont l'universalité et la non-instrumentalisation sont deux composantes (Beauchamp and Childress, 2013; p. 361) (Baertschi, 2013; p. 23) (Taylor, 2013) (Alexander and Moore, 2016).

Ainsi, faire une fausse promesse, par exemple promettre de rembourser de l'argent emprunté tout en sachant pertinemment que cela ne sera pas possible, ne pourrait devenir une maxime universelle et ne passe donc pas le test de l'impératif catégorique. Si tout le monde agissait de la sorte, la notion même de promesse, basée sur la confiance, n'aurait en effet plus de sens. De plus, une telle action reviendrait également à traiter la personne à qui l'argent est emprunté comme un simple moyen et non comme une fin, ce qui s'avérerait moralement inacceptable selon la deuxième formulation de l'impératif catégorique. A noter également que, selon Kant, l'intention à l'origine d'une action doit être morale. Agir, même correctement, par peur, par plaisir ou pour obtenir de la reconnaissance plutôt que par devoir rend l'action moralement sans valeur (Beauchamp and Childress, 2013; p. 362).

L'apport du déontologisme en bioéthique est important, de par son injonction de traiter chaque individu comme une fin en soi ainsi que par l'existence d'obligations et de devoirs moraux fondamentaux, "non négociables" au vu de leurs conséquences éventuellement désavantageuses dans tel ou tel cas particulier. La théorie déontologiste s'avère en revanche problématique en cas de conflit entre plusieurs devoirs contradictoires et néanmoins tous considérés comme absolus et ne propose pas de solution à de tels dilemmes (Beauchamp and

36 Childress, 2013; p. 365). De même, ignorer totalement les conséquences d'une action mène parfois à des conclusions contre-intuitives et moralement discutables, voire franchement insoutenables. Citons comme illustration la critique de Benjamin Constant concernant le mensonge par humanité. En raison du rigorisme du déontologisme, une personne cachant chez elle un ami à la poursuite duquel sont des assassins se verrait obligée, par devoir, de le dire à ces derniers s'ils lui posaient la question, le mensonge n'étant pas moral (Weinrib, 2008). Tout comme le conséquentialisme, le déontologisme ne s’est donc pas avéré capable, jusqu'à présent, de fonder l’ensemble de nos raisonnements moraux.

4.2.3. L'éthique des vertus

Imaginons une situation dans laquelle aider une personne dans le besoin nous apparaisse comme évident. Alors que les conséquentialistes souligneront que cela maximisera le bien-être de la personne aidée, que les déontologistes argumenteront que la personne aidante agira en accord avec une règle morale, les partisans de l'éthique des vertus justifieront d'agir ainsi parce que prêter assistance à autrui est charitable (Hursthouse and Pettigrove, 2018). Pour un tenant de l'éthique des vertus, associée dans la tradition philosophique occidentale au nom d’Aristote et réhabilitée dans les années 1950 par Elizabeth Anscombe, les vertus, c'est-à-dire les qualités morales de l'agent, jouent un rôle central. En d'autres termes, l'intention de la personne qui entreprend une action s'avère plus importante que les conséquences de cette action ou le fait qu'elle suive une norme morale à la manière kantienne.

L'éthique des vertus est donc une théorie morale qui part des traits de caractère qui nous permettent d'agir de manière juste (Taylor, 2013).

Une action juste peut alors être définie comme un acte qu'une personne vertueuse aurait entrepris, pour une bonne raison et dans le bon état d'esprit. La bonne raison dépend de chaque situation particulière et consiste à choisir la manière d'agir qui préserve au mieux les bénéfices moraux de l'agent et de toutes les personnes impliquées. Le bon état d'esprit correspond aux intentions et émotions de l'agent révélant ses qualités humaines (Beauchamp and Childress, 2013; p. 376).

L'éthique des vertus s'avère particulièrement utile dans le contexte des soins et de la communication d'informations médicales, situations dans lesquelles un climat de confiance prime. Dans l'obtention du consentement des patients par exemple, le dialogue, l'honnêteté et le réconfort sont souvent plus importants que le strict suivi des règles institutionnelles (Beauchamp and Childress, 2013; p. 382). Cependant, posséder et développer certaines vertus comme la loyauté, le sens de l'amitié et de la solidarité peut aussi être compatible avec des actions non éthiques, comme le fait de passer sous silence des erreurs commises par des collègues. Des traits de caractère généralement admirés ne semblent donc pas suffir à l'excellence morale d'une personne. Le recours additionnel à une définition de la vie bonne et de la bonne conduite paraît indispensable (Beauchamp and Childress, 2013; p. 381).

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4.3. Les principes intermédiaires de Tom Beauchamp et James