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Les contraintes d’ordre syntaxique

La question du placement de l’adjectif épithète

4.1 Les contraintes en jeu

4.1.3 Les contraintes d’ordre syntaxique

Les contraintes d’ordre syntaxique font l’objet d’études approfondies dans les travaux de Forsgren (1978); Abeillé et Godard (1999) et dans une moindre mesure chez Gross (1986). Ces auteurs ont des approches et intérêts très différents concernant le phénomène.

D’un côté, Forsgren et Gross étudient des constructions avec un certain degré de spécifi-cité : par exemple, Forsgren envisage les différentes constructions syntaxiques comme des indices formels du caractère connu ou non du référent désigné par le nom. Il étudie donc (entre autres choses) la position de l’adjectif selon la nature spécifique du déterminant introduisant le SN. De l’autre côté, Abeillé et Godard cherchent à proposer un modèle de compétence général, c’est-à-dire qu’elles veulent identifier les contraintes catégoriques inhérentes au placement de l’adjectif. Elles se placent par conséquent à un niveau plus général et abstrait de la langue. Nous présentons ici les divers types de contraintes en allant du plus abstrait au plus spécifique.

Les dépendants post-adjectivaux En tant que tête de son syntagme, l’adjectif peut prendre des dépendants qui lui sont antéposés (des adverbes), ou postposés (des SP ou des complétives). La présence d’un dépendant adjectival contraint le SAdj à la post-position par rapport au nom. Ainsi, un adjectif prenant un complément (20-a) ou un modifieur syntagmatique (20-c) à sa droite, est systématiquement post-nominal, comme en atteste l’agrammaticalité de leur contre-partie antéposée :

(20) a. les demandeurs d’emploi ayant une situation comparable à la leur(FTB) b. *une comparable à la leur situation

c. ce système presque aussi vieux que la révolution industrielle n’a pas que des défauts (FTB)

d. *ce presque aussi vieux que la révolution industrielle système

Cette contrainte peut être qualifiée de catégorique puisque l’antéposition entraîne l’agram-maticalité de la phrase.

La coordination Abeillé et Godard (1999) notent dans leur article que la coordination ne peut pas être intégrée comme une contrainte dans leur modèle de compétence étant donné la possibilité de voir des structures coordonnées en antéposition (21-a), ou en postposition (21-b). Cependant, l’examen du FTB montre une forte préférence pour la postposition lorsqu’un adjectif est impliqué dans une structure de ce type (94.6%). Les données d’usage paraissent ainsi montrer que cette contrainte peut être pertinente au même titre que les contraintes d’ordre lexical, par exemple.

(21) a. La fédération CGT des ports et docks, unique et puissant syndicat de la profession, appelle [...] (FTB)

b. soit détourner la vocation de la Sept - produire des contenus originaux et forts - en orientant ses crédits vers des frais de diffusion (FTB)

L’adverbe pré-adjectival Le dépendant antéposé à l’adjectif laisse plus de liberté que sa contre-partie postposée pour le placement de l’adjectif. Il est en effet possible de trouver des adverbes en antéposition et en postposition :

(22) a. C’est donc avec une très grandeimpatience que [...] (FTB) b. on observe un mouvement très lent des particuliers (FTB)

De même que les structures coordonnées, la présence d’un adverbe favorise la postposition de l’adjectif (75% dans le FTB). Néanmoins, comme le notent Abeillé et Godard (1999) et les grammaires de référence en général, n’importe quel type d’adverbe peut être combiné avec l’adjectif postposé au nom alors que l’adjectif antéposé n’est modifié que par un ensemble restreint d’adverbes, généralement courts. Les données du FTB confirment cette affirmation puisque seuls 11 adverbes différents sont attestés avec un adjectif pré-nominal : encore, désormais, moins, peu, plus, si, tout, très, trop, bien, aussi. Ces adverbes sont également retrouvés avec des adjectifs postposés, parmi 119 types différents. Ces éléments suggèrent que cette contrainte pourrait être catégorique pour un sous-ensemble important de la classe adverbiale, mais elle ne concerne pas tous les adverbes pouvant être combinés avec un adjectif.

Forsgren (1978); Gross (1986) notent par ailleurs qu’un adverbe commetrès a en fait plutôt un rôle de libérateur de position, ce qui signifie qu’un adjectif préférant l’anté-position peut être postposé plus facilement, alors qu’un adjectif favorisant normalement la postposition devient un candidat potentiel pour l’antéposition. Ceci correspond aux données que nous avons présentées plus haut pour beau en (3-a), et pour britannique en (8).

En somme, les contraintes liées à la modification de l’adjectif par un adverbe sont différentes selon les adverbes impliqués. Il semble en outre que l’on ait une mixité entre le caractère général et le caractère spécifique de ces contraintes. Celle qui concerne les adverbes uniquement attestés avec des adjectifs post-nominaux est la plus générale puis-qu’elle fonctionne de façon uniforme quel que soit l’adjectif et quel que soit l’adverbe, à condition que ce dernier n’appartienne pas au groupe restreint des adverbes pouvant apparaître avec un adjectif pré-nominal. La mobilité permise par très est beaucoup plus spécifique : elle implique un adverbe précis et tient compte des préférences de position de l’adjectif avec lequel cette forme est combinée. Autrement dit, cette contrainte relève d’une unité adverbiale particulière et est sensible à la forme spécifique de l’adjectif concerné. Elle paraît en revanche générale dans le fait qu’elle peut apparemment concerner n’importe

4.1 : Les contraintes en jeu 65 quel adjectif admettant la modification à l’aide de très.

Les constructions syntaxiques étudiées par Forsgren (1978) : Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction de cette sous-section, Forsgren examine diverses constructions syntaxiques avec l’idée directrice que celles-ci reflètent formellement le ca-ractère connu ou non du référent. Plus précisément, il prend comme point de départ la notion d’assiette de Damourette et Pichon (1946), qui renvoie au type d’actualisation du SN en fonction du déterminant introducteur.

Son étude ayant pour objectif de dégager des normes d’usage à cet égard, il se place naturellement dans une approche de corpus, avec des données issues d’un journal. Il examine la part générale d’antéposition/postposition des adjectifs en fonction d’un déter-minant donné, par exemple un, mais les constructions qu’il étudie sont aussi envisagées avec un biais sur le déterminant dans le sens bayésien du terme, c’est-à-dire en utilisant des probabilités conditionnelles. Il se demande par exemple quelle est la préférence de placement de l’adjectif lorsque le SN est en fonction sujet, compte tenu du fait qu’il est introduit par un.

De nombreuses constructions sont analysées par Forsgren. Nous ne présentons ici que les résultats les plus notoires :

– Les déterminants définis (article, démonstratif, possessif) tendent à favoriser l’anté-position quelle que soit la fonction syntaxique du SN. Cette préférence est toutefois relativement faible, en particulier avec les démonstratifs. À l’inverse, elle est la plus forte avec les possessifs.

– Les déterminants indéfinis (article, numéraux cardinaux, indéfinis, négation enpas de) favorisent globalement la postposition. En ce qui concerne les déterminants autres que l’article, cette préférence est très marquée quelle que soit la fonction.

Pourun, le paysage est moins net : la fonction sujet favorise l’antéposition alors que les autres fonctions marquent une préférence pour la postposition.

Il est à noter que certaines des observations faites par Forsgren (1978) sont contredites par les données du FTB (Thuilier et al., 2012). Dans ce corpus, les déterminants définis favorisent légèrement la postposition de façon générale, soit la position alternative à celle préférée dans les données de Forsgren. En outre, lorsque l’on examine la répartition en position des adjectifs selon les différents types de déterminants définis, nous constatons des différences assez importantes qui ne sont pas observées chez Forsgren : dans le FTB, l’antéposition est fortement favorisée avec les démonstratifs, et dans une moindre me-sure avec les possessifs. Les articles définis montrent quant à eux une préférence pour la postposition.

La différence de comportement observée dans les deux corpus pose ainsi la question de la possibilité de généraliser les résultats de Forsgren, ou les nôtres, à d’autres données. Ceci est d’autant plus marquant dans la mesure où nos données proviennent de textes relevant

du même genre. En effet, les deux corpus sont issus d’articles du journal Le Monde. On peut ainsi se demander si le type de déterminant introduisant le SN a réellement un impact sur le placement de l’adjectif au niveau général sur la catégorie. Ceci n’exclue pas pour autant que la contrainte puisse jouer un rôle pour certains adjectifs spécifiques. Par exemple, il semblerait que la co-occurrence de l’adjectif différent en antéposition avec un article indéfini est difficilement acceptable (23) alors qu’elle est tout à fait possible avec un article défini (24) :

(23) a. Pierre Mansuy a eu diverses responsabilités à des degrés différents dans les associations de la commune. (ER)

b. ?*des différents degrés c. ? ?de différents degrés d. différents degrés

(24) Dans la gamme tonale, les différents degrés sont organisés [...]17