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Les contraintes d’ordre lexical

La question du placement de l’adjectif épithète

4.1 Les contraintes en jeu

4.1.1 Les contraintes d’ordre lexical

Les contraintes d’ordre lexical sont très présentes dans les grammaires de référence (voir par exemple Dubois (1965); Riegel et al. (1994); Arrivé et al. (1964); Grevisse et

Goosse (2007); Gardes-Tamine (2010)), qui ont pour objectif de donner les règles générales de l’usage des adjectifs épithètes. Dans ces grammaires, les adjectifs sont répertoriés dans des classes lexicales que l’on associe aux différentes possibilités de placement. Nous avons ainsi des listes d’adjectifs ou de groupes d’adjectifs dont la position attitrée est l’anté-position, la postl’anté-position, et un groupe pouvant alterner en position selon des contraintes sémantiques que nous examinons dans la sous-section suivante. En ce qui concerne les classes associées à une position particulière, on indique non seulement la préférence gé-nérale de placement, mais aussi les circonstances dans lesquelles il est possible d’aller à l’encontre de cette préférence. Par exemple, la classe des adjectifs de couleur est décrite comme étant globalement postposée au nom (4-a). Ils sont cependant antéposés lorsqu’ils ont une valeur d’épithète dite de nature, c’est-à-dire quand ils expriment une qualité permanente ou essentielle du nom (4-b). Ces contraintes sont donc clairement envisagées commé étant d’ordre préférentiel.

(4) a. des bonbons verts (notre corpus, production de Rayan) b. les vertes prairies

Par ailleurs, l’appartenance lexicale n’est pas toujours envisagée sur le même plan lin-guistique. Nous pouvons distinguer trois types principaux de critères de regroupement lexical : la morphologie, la sémantique, et la syntaxe.

Les classes lexicales basées sur des critères morphologiques : Certains adjectifs sont issus des catégories du nom et du verbe. Les dénominaux sont obtenus par divers procédés de suffixation tels que -aire alimentaire, -al régional, -el exceptionnel, -esque cauchemardesque, -eux dangereux, -en méditerranéen, -ier nourricier, -ique métallique ou encore -u barbu. Les adjectifs issus de verbes peuvent correspondre à des formes par-ticipiales, du présent (obéissant, résistant), du passé (masqué, réfléchi), ou à des formes dérivées à l’aide de suffixes comme -ibleprédictible, -ablefaisable, -ublesoluble, -ifattractif.

Quelle que soit la catégorie dont ces adjectifs sont issus, ou le mode de dérivation, ils ont les mêmes préférences de placement pour la postposition :

(5) a. une construction métallique b. un jeu dangereux

c. un endroit charmant d. un situation regrettable

À titre indicatif, les adjectif dérivés d’une autre partie du discours dans le FTB sont à 91.3% postposés au nom. Toutefois, comme nous pouvons le voir avec les exemples en (6), il est relativement aisé de trouver des contre-exemples à cette préférence.

4.1 : Les contraintes en jeu 57 (6) a. [...] à ce bruit s’ajoutais le métallique cliquetis des plats à barbe en cuivre

grelottant [...]5

b. Dormons tranquilles, les gendarmes nous protègent des dangereux crimi-nels!6

c. Grâce au piston de notre charmante voisine, j’ai integré...7

d. Une regrettable erreur nous fait écrire à propos de Wadi... (FTB)

Les classes lexicales basées sur des critères sémantiques : Lorsqu’il s’agit de déterminer les critères sémantiques de placement de l’adjectif, la plupart des grammaires donnent comme règle générale que les adjectifs à caractère objectif (i.e. dont le sens est précis et perceptible ou inférable à partir de l’observation directe) sont postposés au nom. Ces adjectifs appartiennent à des classes lexicales variées : couleur (vert), forme (triangulaire), propriété physiques (froid), technique (électrique), nationalité (français), appartenance religieuse (chrétien) ou sociale (bourgeois)...

Comme nous l’avons vu ci-dessus avec l’exemple des adjectifs de couleur, il est possible de trouver des cas d’antéposition, dans ce cas précis quand ils sont employés comme épithètes de nature. À titre indicatif des usages, Wilmet (1981) a examiné ces adjectifs et ceux marquant la nationalité. Il constate que les adjectifs de couleur sont postposés à 95% et ceux de nationalité à 99.5%. De même, nous avons pu observer un taux très fort de postposition pour ces deux classes dans le FTB. Nous n’avons en fait aucun cas d’antéposition pour la couleur et le seul exemple que nous avons trouvé pour les adjectifs de nationalité est le suivant :

(7) [...] latrès britannique banque d’affaire et de marché vient d’acheter [...] (FTB) Or, comme nous pouvons le voir l’adjectif est modifié par l’adverbe très et le nom est par ailleurs modifié par deux SP avec lesquels il paraît entretenir une relation plus étroite dans la mesure où l’insertion du groupe adjectival semble difficilement acceptable : (8) a. ?* la banque très britanniqued’affaire et de marché

b. la banque d’affaire et de marché très britannique

Ces divers éléments ont très certainement permis l’antéposition de l’adjectif (nous re-viendrons sur le rôle de l’adverbe dans la partie consacrée aux contraintes syntaxiques).

Autrement dit, l’exemple de ces deux classes suggère que ces adjectifs sont particulière-ment résistants à l’alternance comparativeparticulière-ment aux adjectifs dérivés. Par ailleurs, d’après les exemples ci-dessus, nous pouvons nous demander s’il n’est pas nécessaire que d’autres

5. Alfred Vallette (1886),Monsieur Babylas, feuilleton du Scapin

6. http ://blogs.mediapart.fr/blog/cnemon/040309/dormons-tranquilles-les-gendarmes-nous-protegent-des-dangereux-criminels-0

7. http ://www.sur-la-toile.com/discussion-228129-1-Partir-a-16-ans.html

contraintes favorisant fortement l’antéposition, comme l’usage en tant qu’épithète de na-ture, ou des élément donnant une plus grande mobilité à l’adjectif, comme sa combinaison avec l’adverbe très, interviennent pour que la position pré-nominale soit envisagée.

Les classes lexicales basées sur des critères syntaxiques : Pour terminer à pro-pos des classes lexicales, nous présentons brièvement le cas des adjectifs indéfinis et des numéraux ordinaux. Ces deux classes sont un peu particulières dans le fait qu’elles par-tagent certaines propriétés avec les adjectifs qualificatifs et d’autres avec les déterminants.

Elles se situent donc en marge de ce que l’on considère généralement comme des adjectifs.

Toutefois, elles sont en général mentionnées dans les grammaires de référence à propos du placement et elles présentent les deux caractéristiques nécessaires pour appartenir à la classe adjectivale selon Goes (1999). Premièrement, les deux classes marquent l’accord en genre et en nombre avec le nom, propriété par ailleurs partagée avec le déterminant.

Deuxièmement, bien que l’antéposition soit préférée, la postposition est possible. Comme le montrent les exemples (9) et (10), celle-ci n’aboutit pas nécessairement à un changement de sens, il n’est pas non plus nécessaire que d’autres facteurs particuliers interviennent en faveur de la postposition. Nous rajoutons un troisième critère, à savoir que ces deux classes peuvent apparaître en co-occurrence avec un déterminant dans les deux positions.

(9) Ce document est donné dans le tome deuxième/le deuxième tome.8

(10) Jouant avec les âges différents/les différents âges, ce qui aurait pu être un handicap devient un atout [...] (ER9)

Notons toutefois que la postposition d’un numéral donne une connotation sacrée au type d’ouvrage dont il est question alors que son antéposition est plus neutre de ce point de vue. Par ailleurs, nous verrons avec les données du corpus principal que nous exploitons dans ce travail qu’aucun membre de cette classe n’est attesté en postposition, que ce soit chez les enfants ou les adultes. Les adjectifs indéfinis montrent quant à eux des cas de postposition (7% des données adultes, et 1% des données enfantines).