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V. Discussion

V.5. Consolidation

Les expériences menées au cours de ma thèse ont montré que la [Ca2+]i atteinte lors de l’apprentissage était un point critique pour la formation de la mémoire à long terme. Ainsi, le calcium joue le rôle de déclencheur moléculaire des voies de signalisation menant à la consolidation mnésique d’une information. Le terme de « consolidation mnésique » fait référence à deux types de processus communs aux vertébrés (pour revue, Frankland et Bontempi, 2005) et aux invertébrés (Krashes et al., 2007), dont les cinétiques sont fondamentalement différentes : la consolidation cellulaire et la consolidation systémique (figure 54 ; Dudai et Morris, 2000; Dudai, 2004).

La consolidation cellulaire, ou locale ou encore synaptique, correspond à l’ensemble des mécanismes cellulaires et moléculaires qui se déroulent au sein des réseaux neuronaux permettant, notamment au niveau des synapses, l’encodage initial de l’information (pour revues, Izquierdo et Medina, 1997 ; Sweatt, 2003). La consolidation cellulaire est un processus relativement rapide, survenant dans les heures qui suivent la fin d’une séance d’acquisition et conduisant à la formation d’une mémoire à long terme qui peut durer au moins 24 heures. Chez l’abeille, une mémoire qui dure jusqu’à 24 heures est indépendante de la transcription de gènes (Menzel et al., 2001). Dans nos expériences, nous avons montré que, au moins jusqu’à 24 heures, la formation de la mémoire ne nécessite pas une augmentation de la [Ca2+]i atteignant la concentration seuil pendant l’apprentissage. Dans notre modèle, nous suggérons que le seuil de la [Ca2+]i atteint pendant l’apprentissage permet de réguler essentiellement la synthèse de nouvelles protéines. Nous supposons donc que la formation de la mémoire allant jusqu’à 24 heures, requiert une consolidation cellulaire qui ne nécessite pas une augmentation de la [Ca2+]i pendant l’apprentissage atteignant la concentration seuil.

La stabilisation des informations nouvellement acquises peut cependant se poursuivre bien au-delà des quelques heures requises par la consolidation cellulaire. Au cours du temps, ce processus induit une réorganisation fonctionnelle des réseaux neuronaux sous- tendant les traces mnésiques de telle sorte que le rappel à long terme d’une information est géré par un réseau neuronal distinct de celui impliqué lors de l’acquisition initiale (pour revue, Frankland et Bontempi, 2005). Ce processus, appelé consolidation

systémique, met en jeu différentes régions cérébrales et se déroule sur une période de

quelques jours, semaines ou mois (Dudai, 2004). Ainsi, la communication entre les réseaux neuronaux de ces différentes régions cérébrales va être modifiée. Ces modifications ont lieu au niveau synaptique et nécessitent la synthèse de nouvelles protéines. Chez l’abeille, la mémoire à long terme tardive, mesurée dès 48 heures après l’apprentissage, est dépendante de la synthèse de nouvelles protéines. Cette mémoire

pourrait nécessiter une consolidation systémique pour laquelle, selon nos données, le calcium, en régulant l’expression de gènes, pourrait détenir un rôle important.

Figure 54. Décours temporel des processus de consolidation cellulaire et systémique. Le décours

temporel de la consolidation cellulaire (A) est déterminé en fonction de la sensibilité de la mémoire à des inhibiteurs de synthèse protéique alors que celui de la consolidation systémique (B) est déterminé en fonction de la sensibilité de la mémoire à long terme à la lésion de structures comme l’hippocampe chez les mammifères (d’après Dudai, 2004).

L’hypothèse des deux processus de consolidation pourrait être testée chez l’abeille. En effet, il est possible, avec le NP-EGTA-AM, d’induire une augmentation de la [Ca2+]i au niveau de différentes structures du cerveau de l’abeille, comme cela a été effectué par Locatelli et ses collaborateurs en 2005. Dans cette expérience, les auteurs ont libéré du glutamate, par exposition aux UV, dans différentes régions du cerveau, avant ou après l’apprentissage. Ces auteurs ont observé une augmentation des performances de mémoire à long terme lorsque la concentration de glutamate augmente au niveau des corps pédonculés juste après un apprentissage en un essai unique du REP. A partir de ces observations, il serait intéressant de tester si une augmentation localisée de la [Ca2+]i (lobes antennaires, calices ou lobes alpha des corps pédonculés, etc), est suffisante pour déclencher la formation d’une mémoire olfactive à long terme. De plus, cette augmentation de la [Ca2+]i pourrait être induite lors de chacune des phases du processus de formation de la mémoire à long terme (acquisition, consolidation et rétention). Ces expériences permettraient alors d’examiner si le calcium, au sein de différentes régions cérébrales de l’abeille, pourrait être impliqué dans les différentes phases de la formation de la mémoire et de façon différentielle dans les deux processus de consolidation.

V.6. Les gènes impliqués dans la formation de la mémoire à long terme

Dans le second chapitre de ce manuscrit, nous avons réalisé des expériences de criblage transcriptomique afin d’identifier les gènes impliqués dans la formation de la mémoire à long terme chez l’abeille. Des expériences de criblage ont aussi été réalisées chez la drosophile et chez le rongeur. La principale étude réalisée chez la drosophile concerne la comparaison de l’expression de gènes à 0, 6 ou à 24 heures après un apprentissage olfactif aversif (Dubnau et al., 2003b). Ces auteurs ont criblé les gènes différentiellement exprimés entre un groupe conditionné avec des essais espacés (la mémoire à long terme ainsi formée est dépendante de la transcription de gènes) et un groupe conditionné avec des essais massés (la mémoire à long terme ainsi formée est indépendante de la transcription de gènes) (Dubnau et al., 2003b). Chez les vertébrés, l’essentiel des travaux a été réalisé chez le rat réalisant un apprentissage aversif (pour revue, Igaz et al., 2004b). Dans ces travaux, le différentiel d’expression de gènes a été étudié principalement au niveau de l’hippocampe, 3 et 24 heures après l’apprentissage de différents groupes (conditionné, naïf, pseudo-conditionné et/ou témoin adapté au paradigme comportemental).

L’ensemble de nos résultats, en association avec ceux de la littérature, nous permet de confirmer que l’apprentissage entraîne une importante expression de gènes permettant la formation de la mémoire à long terme. Par ailleurs, les gènes identifiés dans notre étude, tout comme ceux issus de la littérature, font partie de divers processus biologiques et fonctions neuronales qui pourraient être à l’origine des modifications synaptiques permettant le stockage à long terme d’une information (par exemple, la régulation de la synthèse protéique, le métabolisme, la transmission synaptique ou encore la signalisation intracellulaire). Les résultats de nos expériences nous ont permis d’identifier des gènes communs à ceux identifiés dans les expériences menées chez la drosophile et chez le rongeur, comme CREB, la Tubuline Gamma ou Pigeon mais la plupart des gènes que nous avons identifiés sont différents. Pour expliquer de telles différences, nous pouvons émettre plusieurs hypothèses:

● Dans le cas d’expériences réalisées chez la drosophile, le cerveau entier est prélevé (Dubnau et al., 2003b). Chez le rongeur, l’identification de l’expression des gènes a été évaluée principalement au niveau de l’hippocampe, une structure impliquée dans les processus d’apprentissage et de mémoire (pour revue, Igaz et al., 2004b). En ce qui concerne nos expériences, nous avons souhaité analyser le différentiel d’expression pour toutes les structures impliquées dans la formation de la mémoire olfactive afin d’observer un phénomène général à toutes les structures. Ainsi, une des explications plausibles quant à l’identification de gènes différents de ceux issus de la littérature pourrait concerner la différence du tissu étudié ou encore la spécificité du tissu nerveux étudier.

● Les paradigmes comportementaux employés varient entre les différentes études: certaines études utilisent un apprentissage en un essai, d’autres optent pour un apprentissage en plusieurs essais. En effet, un apprentissage en un seul essai n’induira très certainement pas la même dynamique d’expression des gènes par comparaison avec un apprentissage nécessitant plusieurs essais. Cet argument pourrait, au moins en partie, expliquer la différence d’expression de gènes obtenue lors de la comparaison entre nos groupes « pseudo-conditionnées vs conditionnées », par rapport à la comparaison entre les groupes « caféine vs témoin » car le nombre d’essais de conditionnement entre les deux comparaisons est différent.

● Le type d’apprentissage, appétitif ou aversif, pourrait également engendrer des différences d’expression des gènes et donc expliquer la différence existant entre nos résultats (avec un apprentissage appétitif) et ceux issus de la littérature basés le plus souvent sur un apprentissage aversif.

● De façon générale, les groupes témoins employés au travers des différents travaux sont aussi différents. Dans nos expériences, nous avons pensé qu’il était pertinent de choisir un groupe témoin pseudo-conditionné, car ce groupe a été soumis aux mêmes stimuli sensoriels que les animaux du groupe expérimental conditionné, à la seule différence que les stimuli ne sont pas appariés. Dans une future étude, il serait intéressant d’inclure un second groupe témoin, correspondant à des animaux naïfs, afin de connaître le niveau basal d’expression des gènes.

● Il est important de tenir compte de la fenêtre temporelle pendant laquelle les expériences ont été réalisées. Dans les études précédemment décrites, les auteurs ont examiné l’expression des gènes à un délai précis après l’apprentissage (0, 3, 6 ou 24 heures) (Dubnau et al., 2003b ; Igaz et al., 2004b) . Pour nos expériences, nous avons préféré élargir l’examen de l’expression des gènes à une fenêtre temporelle de plusieurs heures (entre 3 à 5 heures après l’apprentissage). En effet, au regard de résultats issus de la littérature (pour revue, Izquierdo et al., 2006), nous avons postulé que l’expression des gènes tardifs n’est pas restreinte à des fenêtres de temps limitées (quelques minutes), mais que celle-ci est beaucoup plus large (quelques heures). Par conséquent, les gènes que nous avons identifiés sont exprimés pendant une période plus longue que celle choisie par les autres études, ce qui pourrait expliquer, en partie, la différence observée.

V.7. L’expression de gènes dépendant du calcium et impliqués dans la formation de